samedi 13 août 2022

DOLORES REYES – Mangeterre - Éditions de l'Observatoire - 2020


 

L'histoire

« Mangeterre » est le surnom d'une jeune adolescente des favelas de Buenos-Aires. Nous allons suivre ses aventures surprenante pendant quelques années. Elle doit son surnom parce qu'enfant, elle mangeait de la terre, au grand dam de ces parents. Puis cela devient un besoin et après ce drôle de grignotage, la jeune fille a des visions : celui de personnes disparues, surtout des femmes battues et tuées à l'instar de sa propre mère, morte sous les coups de son père ? Mais ces visions s'accompagnent aussi de cauchemars, des femmes qu'elle n'a pu sauver, et des questions sur sa propre vie.


Mon avis

Pour ce premier roman, Dolorès Reyes crée un stupéfiant personnage de femme. Avaler de la terre et avoir des visions, cela peut être un don mais aussi une punition. Mange terre a ce besoin quasi vital de manger de la terre, puis elle accède non sans souffrances à voir le destin de personnes disparues ou de femmes battues. Après elle doit boire des litres d'eau et ne dort pas, en proie à de terribles cauchemars.

Très pauvre, vivant dans un taudis en compagnie de son frère protecteur, l'adolescente a fui l'école, et reste désœuvrée dans un quartier dangereux. A Buenos-Aires, et aux environs, les demandes affluent, et celle qu'on surnomme la sorcières accepte certaines demandes et trouve les disparus, souvent des femmes battues et tuées. Les féminicides sont un fléau en Argentine et la police ne semble pas très efficace pour retrouver les assassins.

Un roman court, fait de petits chapitres, mais à l'écriture efficace.

L'auteure fait appel aux croyances populaires dans la magie, encore très présente en Argentine, et aussi à l'importance de la Terre et de l'Eau, deux éléments assez proches du féminin selon la tradition.

Ce premier roman est assez déroutant, car si Mangeterre est une jeune fille de son temps, buvant trop de bières, fumant, s’accommodant de son sort, elle ressent en elle une profonde solitude et toute la violence du monde.

La fin est « ouverte », on ignore la suite du destin de la jeune fille, mais si l'on en croit la « Mae » (voyante), après ces épreuves terribles, sa vie devrait aller mieux, et surtout elle se trouve enfin et se choisit un prénom (l'importance du prénom ou du nom est aussi une tradition que l'on retrouve dans beaucoup de croyance : les nonnes catholiques changent leur prénom, mais aussi les Amérindiens qui ont un nom qui les qualifie).Ce premier roman est prometteur, on espère retrouver l'auteure dans de prochaines œuvres.


Extraits :

  • Assise sur le sol, j'ai passé la main sur la terre où j'ai planté le couteau et l'en ai retiré. ça m'a plu. J'ai refait ce geste, mais cette fois j'ai laissé le couteau, essayé de le bouge, d'écarter la terre pour l'ameublir peu à peu. La terre est forte mais n'a pas protesté.

  • Je garde dans mes cauchemars le son de cet endroit, un ramassis de douleur et de pestilence. Même le soleil me déroute, il saigne sur ma peau enflammée et mes yeux, brûlants comme si on y avait versé de l’acide, luttent pour ne pas pleurer. La douleur, un jaune poubelle, jaune fièvre, ou un gris tôle, un gris malade. Seule la douleur semble ne jamais mourir.

  • J'ai fermé les yeux et je l'ai vu.
    C'était comme si je revenais dans une nuit ancienne. Une nuit qui s'était consumée et n'existait plus et qu'on voyait de là, à ce moment précis, dans ma tête.

  • J'ai caressé la terre qui me donnait des yeux neufs, me permettait d'avoir des visions auxquelles j'étais la seule à accéder. Je savais combien les messages des corps volés sont douloureux.
    J'ai caressé la terre, serré le poing et soulevé dans ma main la clé qui ouvrait la porte par laquelle Maria et tant d'autres filles étaient parties, filles aimées, elles, de la chair d'autres femmes. J'ai soulevé la terre et avalé, toujours plus, beaucoup plus pour que naissent ces yeux neufs et que je voie.

  • Non, ça ne marche pas comme ça, ai-je lâché en tâchant de ne pas la regarder, de ne pas parcourir mentalement le temps sec, les années orphelines qui meurtrissaient mon corps comme du papier de verre frotté sur la peau, et qui avait fait que jamais une femme ne prononcerait le mot "fille" en s'adressant à moi. Je suis venue manger la terre de votre fille, lui ai-je dis en me levant.
    Et je suis sortie seule à l'air libre afin de récupérer une vie.

  • C'était comme si je revenais d'une nuit ancienne. Une nuit qui c'était consumée et n'existait plus et qu'on voyait de là, à ce moment précis, dans ma tête.


Biographie

Née en 1978 à Buenos-Aires, Enseignante , féministe et militante socialiste, Dolores Reyes vit à Caseros dans la province de Buenos-aires, en Argentine.
"Mangeterre" et son premier roman


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