lundi 8 août 2022

Etaf RUM – Le silence d'Isra – Éditions de l'Observatoire – 2020 (ou poche Pocket)  -

 

L'histoire

Deya a 17 ans et est élevée, ainsi que ces trois sœurs, par leurs grands parents paternels. Les parents sont décédés lors d'un accident de voiture, Et voilà que Farida, la grand-mère très attachée aux traditions arabes veut la marier. Deya, qui vit à Brooklyn, est passionnée de lecture, et envisage bien de mener une vie indépendante. Mais stout elle cherche à comprendre l'histoire de sa mère Isra dont elle a peu de souvenirs.


Mon avis

Un livre magnifique qui raconte la difficulté d'être arabe et musulmane quand on est une femme. Avec les trois personnages magnifiques qui tour à tour livrent leurs paroles.

Il y a d'abord Farida, cette grand-mère imposante qui a fui la Palestine lors de l'occupation anglaise. Élevée dans la tradition d'un islamisme pur et implacable, elle est persuadée que le sort des femmes, comme des générations avant elle est de : se soumettre à son mari (se faire battre et se faire violer), de faire la cuisine et entretenir la maison. Une femme « comme il faut » doit se marier entre 13 et 17 ans, donner un fils à son mari et savoir cuisiner. Toujours avide de reproches, elle se montre exécrable avec ses brus et sa propre fille. Il faut aussi éviter le déshonneur de la famille.Pourtant Farida a bien quelques secrets à cacher.

Isra, mariée de force à Adam quitte sa maison en Palestine pour se retrouver confinée à Brooklyn, sous le toit familial. Soumise et silencieuse, elle ne donne pas de fils à son époux, l’aîné de la fratrie, un homme alcoolique, violent, qui la tabasse et la viole, la rabaisse sans cesse. Isra en perd sa foi, elle qui rêvait d'amour, et se remet à lire en cachette de la famille. Ces livres lus en secret vont lui redonner du courage pour tenter de reprendre sa vie en moins, mais il sera trop tard.

Enfin Deya, l'aînée, qui refuse les prétendants et qui reste dans le doute sur sa vie. Elle aussi aime lire et ne s'en prive pas. Et puis petit à petit, elle apprend la vérité sur les drames familiaux, et décide alors de vivre sa propre vie.

Bien sur il existe aussi des témoignages de ces femmes musulmanes dont la condition est déplorable. Mais ce livre, par son écriture franche, parfois poétique est un véritable coup de massue.Même si de nombreux mots arabes ne sont pas tous traduits en français, on comprend de livre sans aucun problème. Les hommes sont souvent des alcooliques qui suivent la tradition, ou alors, parce que nous sommes aux USA, ils sont adoucis par la modernité, et ont oublié les traditions pour se fonder dans leur nouvelle patrie. Mais le plus effrayant est le manque de solidarité chez les femmes. Surtout de la part de Farida, qui considère Isra comme une bonniche, une incapable et croit que les malheurs sont du aux « djinns » , les mauvais esprits, pour ne pas se remettre en question, refuser cette Amérique urbaine trop libre à son goût.

L'amour et la liberté n'existent pas ou se gagne au prix de sacrifice. L'éducation se borne à l'école coranique en attendant le mariage arrangé ou forcé.

Un ouvrage qui résonne en nous longtemps, avec aussi l'hommage à la lecture libératrice et source de culture qui ne sont rien aux yeux du monde. L'ouvrage est inspiré par la propre vie de l'auteure. Il reste pour moi un chez d’œuvre absolu.

Extraits :

  • Elle avait enfin compris. La vie n'était rien de plus qu'une méchante blague pour les femmes. Une blague qui était loin de la faire rire. (Isra)

  • INCIPIT. Je suis née sans voix, par un jour nuageux et froid à Brooklyn. Personne ne parlait jamais de ce mal. Ce n'est que des années plus tard que j'ai su que j'étais muette, lorsque j'ai ouvert la bouche afin de demander ce que je désirais : j'ai alors pris conscience que personne ne pouvait m'aider. Là d'où je viens, le mutisme est la condition même de mon genre, aussi naturel que les seins d'une femme, aussi impératif que la génération à venir qui couve dans son ventre. Mais jamais nous ne vous l'avouerons, bien entendu. Là d'où je viens, on nous apprenait à dissimuler notre condition. On nous apprenait à nous réduire nous-mêmes au silence, on nous apprenait que notre silence nous sauverait. Ce n'est que maintenant, bien des années plus tard, que je sais que tout cela est faux. Ce n'est que maintenant, en écrivant cette histoire, que je sens venir ma voix. (Deya)

  • Çà n'a rien d'étrange, répliqua Sarah. Ce sont les personnes les plus seules qui aiment le plus lire. - C'est pour ça que tu aimais lire ? Parce que tu te sentais seule ? - Quelque chose dans ce goût-là. Sarah regarda de nouveau par la fenêtre. " ça été très dur de grandir dans cette famille, d'être traitée différemment de mes frères parce que j'étais une fille, de me réveiller tous les jours en sachant que mes perspectives d'avenir étaient si limitées. (...) c'était bien plus que de la solitude. Je me dis parfois que c'était aussi l'opposé, la sensation qu'il y avait trop de monde autour de moi, trop de liens imposés: il y avait aussi en moi un désir d'isolement pour pouvoir réfléchir par moi-même. (Isra et Sarah, la seule fille de Farida)

  • Isra ne mit pas longtemps à comprendre que la vie de Farida était quasi identique à celle de Mama. Elle passait ses journées à cuisiner et à nettoyer (...) Lorsque ses fils étaient là, elle les choyait comme s'ils étaient des poupées de porcelaine et non des hommes.

  • Isra se dit alors pour la première fois de sa vie que c'était en vérité pour cette raison que les violences sur les femmes étaient si communes. Ce n'était pas qu'à cause de l'absence d'une police à proprement parler, mais parce que les femmes étaient éduquées dans la croyance qu'elles étaient des créatures honteuses et sans valeur qui méritaient d'être battues, éduquées à être totalement dépendantes des hommes qui les battaient. A cette simple pensée, Isra eu envie de pleurer. Elle avait honte d'être une femme, honte pour elle, honte pour ses filles.

  • Tout comme Mama, elle croyait que le silence était la seule voie. Qu'il était plus sûr de se soumettre que de se faire entendre. (Isra)

  • À quoi bon vivre quand on n’était plus qu’un cœur mort dans le poing serré de la solitude ? (Isra)

  • Alger, 1950 . Tâche blanche, informe, qui se précise quand, entrant dans le port, la ville surgit de la mer. Collines en amphithéâtre, odeurs de jasmin, d'anisette, de poubelles, de fruits décomposés, maisons qui escaladent les pentes, et dont le blanc à peu près absolu ne laisse voir par intervalles que le gris d'une place ou le vert foncé d'un jardin. (Isra)

  • Tout ça, c'est à cause de ces livres, poursuivit Farida. Tous ces livres qui te mettent des idées idiotes dans la tête!" Elle se releva, et agita les mains en direction de Deya. "Dis-moi un peu, à quoi ça te sert, de lire?

  • Depuis que Sarah avait fêté ses seize ans, Farida la faisait parader sur la Cinquième Avenue comme s'il s'agissait d'un gigot d'agneau à l'étal.

  • Elle aurait voulu pouvoir ouvrir la bouche et dire à ses parents : Non ! Ce n’est pas de cette vie que je veux. Mais à un très jeune âge déjà, Isra avait appris que l’obéissance était la seule voie qui menait à l’amour. Aussi, ses seuls actes d’insoumission demeuraient secrets, et consistaient essentiellement à lire.

  • Isra priait depuis ses sept ans , s'agenouillait à côté de Mama cinq fois par jour, entre le lever et le coucher de soleil. Ces derniers temps, elle attendait la prière comme un moment privilégié: elle avait hâte de se tenir à côté de Mama, épaule contre épaule, son pied frôlant celui de sa mère. Pour elle, c'était le seul contact physique de la journée.

Biographie

Etaf Rum est née en 1989 à Brooklyn.

Elle est issue d'une famille d'immigrés palestiniens. Après un mariage arrangé, elle déménage en Caroline du Nord. À 19 ans, elle donne naissance à une fille, puis, deux ans plus tard, à un garçon.Etaf Rum fait ses études à l'Université d'État de Caroline du Nord où elle obtient un B.A en langue et littérature anglaise, un B.S. en philosophie et un M.A. en littératures américaine et britannique.En 2019, elle publie un premier roman aux accents autobiographiques, "Le Silence d'Isra" ("A Woman is No Man"). Elle vit avec ses enfants à Rocky Mount, en Caroline du Nord, et enseigne la littérature.


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