jeudi 6 octobre 2022

ELLA CARA DELORIA – Nénuphar, femme sioux, fille du grand peuple Dakota – Éditions Cambourakis - 2021

 

L'histoire

Oiseau Bleu, femme dakota, rejoint son clan familial avec son bébé Nénuphar, après avoir été répudiée par un mari jaloux et stupide. Accueillie parmi les siens, elle élève dans les meilleures conditions sa fille Nénuphar que nous suivrons de son enfance à ses 23 ans. Un roman captivant qui nous éclaire sur le mode de vie des femmes sioux bien avant l'arrivée des colons dans le grand territoire du Dakota (incluant les Dakotas du Nord et du Sud, le nord du Nebraska et l'ouest du Minnesota.


Mon avis

Cambourakis publie dans une nouvelle traduction le roman de la dakota Ella Cara Deloria, la première femme amérindienne a être antropologue et linguiste.Pendant des années, Deloria a travaillé comme linguiste, parlant elle-même plusieurs dialectes dakotas. Élève de Franz Boas l'un des premiers antropologue à s'intéresser aux modes de vies des sioux, elle passe une dizaine d'années à traduire les rares ouvrages laissés par son peuple, et recueille les traditions verbales des anciens, Pendant 20 ans, jusqu'à la mort de Boas et d'une de ses disciples et amie, elle étudiera les coutumes, la religion, les relations sociales des dakotas, un peuple sioux et élaborera le premier dictionnaire Sioux-Américain de l'histoire.

Elle ne trouve pas de financements pour publier ses recherches mais sur les conseils d'une amie, elle décide de vulgariser ses découvertes sous une forme de roman. Tout ce qui est décrit dans le roman est donc véridique et nous éclaire un peu plus sur ce peuple mystérieux.

Les Dakotas font parti des Sioux, ils sont répartis en plusieurs clans. Sa famille les Isáŋyathis habitent dans le nord du Dakota, et fait parti du Tiposyae (groupe de tipi ou village) d'Aigle Noir, son cousin. C'est un peuple nomade qui déplace selon les saisons.

Sans se revendiquer elle-même féministe, trop préoccupée par ses recherches, l'histoire, ou plutôt la vie quotidienne est vu par 3 femmes. Gloku, la grand-mère se charge de l'éducation de Nénuphar et de son demi-frère Petit Chef, un rôle important car il est à la base de tout comportement social. A l'adolescence, les garçons sont alors pris en charge et éduqués pour devenir des bons chasseurs. Glokun, femme généreuse est respectée comme une sage et son deuil durera un an, ce qui est exceptionnel. Oiseau Bleu devient elle aussi une femme remarquable. En secondes noces, elle épouse le fils de Gloku dont elle aura 3 enfants. Tous les deux chassent aussi et montent leurs chevaux (un bien sacré) mais élèvent leurs enfants dans la traditions pour en faire des dakotas respectables. Oiseau Bleu est l'archétype de la femme dakota : il lui revient d'éduquer ses enfants (mais aussi d'autres), de trouver l'eau et le bois, de préparer les repas et de fabriquer des vêtements et les décorer. Dures journées pour les femmes. Les hommes eux doivent assurer la chasse, protéger et chérir leurs femmes, et s'occuper des cérémonies sacrées. Les mariages sont libres mais parfois les femmes peuvent être « achetées » par une autre clan. La jeune fille peut refuser, mais souvent elle accepte, en raison d'une dot qui va améliorer la vie du village. C'est ce qui arrive à la jeune Nénuphar, elle décide de vivre dans le clan de son époux qu'elle connaît à peine et qui vit plus au Sud (les Iháŋktȟuŋwaŋs). Hélas la froid et surtout une terrible épidémie transmises par des marchands blancs déciment la tribu et Nénuphar enceinte peut rejoindre sa famille.

On ne parle pas de religion chez les Sioux comme on parlerait du Christianisme. Il y a un coté animiste (la déesse de la terre, l'esprit du bison etc) mais ce sont plus des légendes que l'on transmet pour souder le clan ou élever les enfants, sans jamais les réprimander sérieusement, mais en leur expliquant. De même les très grandes fêtes sont aussi un moyen de réunir les familles, dans l'esprit de solidarité, d'entraide et d'amitiés qui sont les valeurs les plus importantes des dakotas.

D'une écriture facile, ce livre a la double vocation de nous montrer d'une part la richesse des modes de vies sioux et de nous imprégner de leur bienveillance, de leur humanité profonde, des valeurs qui nous échappent de plus en plus.

 

 

Extraits :

  • Voyez, mes enfants, dit un jour le viel homme, c'est pour ça que j'ai prié. Pour que le cœur de la tribu soit disposé favorablement envers nous, pour qu'un cercle de sympathie se resserre autour de nous. Ma prière est exaucée, et j'en suis reconnaissant. Très vite, cette cérémonie devint l'affaire de toute la tribu, car tous, un jour ou l'autre, avaient été touchés par la gentillesse de Gloku et voulaient la lui rendre. Souvent, ils ne se contentaient pas d'apporter un seul cadeau, mais en apportaient plusieurs, à des moments différents de la période de deuil. A en juger par la pile qui s'amoncelait, la redistribution des biens allait être grandiose.

  • A la surface de l'eau poussaient des nénuphars qui l'attiraient irrésistiblement. Comme ils étaient beaux ! Comme ils vous forçaient à écarquiller les yeux pour pénétrer leur forme et leur esprit. Son regard passait de l'un à l'autre; soudain, il lui fut impossible de les dissocier du visage de son enfant. Une nouvelle sensation l'envahissait, l'étouffait presque. "Ma fille ! s'écria-t-elle, comme tu es belle ! murmura-t-elle dans des sanglots de joie.

  • Les enfants qui s'étaient installés dans une position plus confortable finirent par s'endormir, la tête sur les genoux de leur mère. Elle les regardait tendrement en leur épongeant le front, car la journée était très chaude. Qu'est ce qu'une femme peut demander de plus que d'avoir les bras pleins d'enfants ?

  • Les garçons faisaient tourner des branches de cèdre sur la glace, comme des toupies. Les plus petits aimaient représenter le vieux mythe du hibou. Ils se déguisaient et portaient des masques pour incarner l'esprit du hibou et allaient de tipi en tipi tout en dansant. Le public leur demandait de prédire le temps, car ils étaient supposés venir du Nord, le pays de l'hiver. On leur donnait des gâteaux de maïs et de la viande sèche avec des fruits sauvages et autres friandises.

  • Chaque jour, le soleil se levait un peu plus tôt et ses rayons se faisaient de plus en plus chauds et brillants. Le matin, lorsqu'il apparaissait, les vieux sortaient pour le saluer et l'invoquer. En peu de temps toute la neige serait fondue.

Galerie Photos (femmes dakotas)

 




Ella Cara Deloria


Biographie :
Ella Cara Deloria (1889 – 1971) aussi nommée Aŋpétu Wašté Wiŋ (Beautiful Day Woman), est née en 1889 dans le quartier de White Swan de la réserve Yankton indienne, des Dakota du Sud. La famille avait des ascendances Yankton Dakota, anglaises, françaises et allemandes. (Le nom de la famille remonte à un ancêtre trappeur français nommé François-Xavier Delauriers.) Son père était l'un des premiers Sioux être ordonné comme un prêtre épiscopal. Sa mère était la fille d'Alfred Sully, un général de l'armée américaine, et un Métis Yankton Sioux. Ella était le premier enfant du couple, qui avait plusieurs filles par chaque précédent mariage.
Ella a grandi dans la réserve indienne de Standing Rock au Wakpala, et a commencé ses études auprès de son père à la mission St. Elizabeth puis au pensionnat à Sioux Falls. Après ses études, elle a assisté aux cours de l'Oberlin Collège dans l’Ohio où elle avait remporté une bourse d'études. Après deux ans à Oberlin, Deloria fut transférée au Teachers College, Columbia University, New York, et a obtenu un baccalauréat ès sciences en 1915.

Elle fut l'un des premiers véritables chercheurs bilingues et biculturels dans l'anthropologie américaine, et une érudite extraordinaire, professeur, poursuivant son travail et ses engagements dans des conditions notoirement défavorables. Elle vécut pendant un temps dans une voiture tout en recueillant des matériaux pour Franz Boas. Tout au long de sa vie professionnelle, elle a souffert de ne pas avoir l'argent ou le temps libre nécessaire afin d’avancer ses recherches. Appui financier de sa famille en tant qu’ainée, Son père et sa belle-mère étant des personnes âgées, sa sœur Susan dépendait d'elle financièrement.
En plus de son travail en anthropologie, Deloria avait un certain nombre d'emplois, y compris dans l'enseignement (danse et éducation physique), des conférences et des démonstrations sur la culture amérindienne, ainsi que pour le camp des Filles du Feu et la YWCA. Elle a également occupé des postes à l'Indian Museum Sioux dans Rapid City, Dakota du Sud, et en tant que directrice adjointe au cours Musée WH à Vermillion. Son frère, Vine Deloria V., Sr., était un prêtre épiscopal, connu pour son charisme et ses talents oratoires. Il fut désillusionné par le racisme au sein de l'Église épiscopale. Son neveu était Vine Deloria, qui est devenu un grand écrivain et activiste intellectuelle.

Voir aussi : https://www.telerama.fr/idees/ella-cara-deloria-lindispensable-sioux-de-franz-boas-6658728.php


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