jeudi 13 octobre 2022

TIFFANY McDANIEL – l’été où tout a fondu – Gallmeister - 2022

 

L'histoire

Fielding, 82 ans, vit dans chichement dans un mobile-home pourri en Arizona. Il passe ses nuits solitaires à se souvenir de cet été 1984, l'été de tous les dangers. Son père, le Procureur de la petite ville de Breathed, Ohio est tiraillé entre la lutte entre le bien et le mal. Il passe une petite annonce pour convoquer le diable. Le lendemain se présente un adolescent de 13 ans, noir comme l'ébène, aux yeux émeraudes, qui dit être l'un des avatars de Satan. Cet enfant, de ait profondément gentil, va se heurter aux mentalités étriquées de cette ville perdue quelque part dans les contreforts des montagnes Appalaches. L'enfer ne fait que commencer.


Mon avis

Attention chef d’œuvre absolu.

On se souvient du succès international de Betty de la jeune Tiffany Mc Daniels, couronné de 7 prix littéraires internationaux. Gallmeister a fait traduire son tout premier roman, antérieur à Betty et il est incandescent.

L'auteure joue avec le temps. L'action se passe en 1984, l'année orwellienne par excellence. Dans ce village de Breathed l'apparition du « diable » en la personne du petit Sal correspond à une sécheresse (qui nous rappelle celle que nous avons connue cet été 2022). Les températures montent, les esprits s’échauffent. Sal est accueilli comme un fils par la famille Bliss. Ce garçon, très intelligent et apaisant, n'a rien d’un n Satan infernal. Il devient le meilleur ami de Fielding, son autre frère.

Mais des événements curieux vont se produire, des décès dus à des accidents mais les gens du village ne l'entendent pas ainsi. Le responsable est tout trouvé, avec sa peau noire, et ce racisme infernal d'une communauté stupide menée par un homme au physique disgracieux et de très petite taille, Elohim.

Dans une écriture grandiose, qui nous fait une fois de plus passer par toute la palette des émotions, Tiffany Mc Daniel livre un combat contre le racisme contre les personnes de couleurs, encore plus cruel qu'il s'agir d'un enfant, qui n'est sûrement pas le diable, mais juste un gosse maltraité et abandonnés par sa famille et qui est aimé comme un fils et comme un frère par la famille Bliss (Blis en anglais veut dire heureux).

La romancière s'amuse aussi avec les noms : Grand le frère aîné, promis à une belle carrière de footballeur (foot américain) masque sous ses muscles un secret qui va le perdre. Stella, l'étoile, la mère généreuse, protectrice, même si elle a peur de la pluie et ne sort jamais de sa maison règne comme une bonne fée sur sa famille. Autopsy, le père est un homme taciturne, qui est obsédé par le fait de rendre de mauvais jugement et d'envoyer des innocents en prison. C'est un homme respectable, respecté que le chagrin va anéantir. Elohim (mot qui signifie Dieu dans la Torah juive – voit ici https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89lohim – est un homme miné par le fait que sa femme l'a trompé avec un peintre noir et si il enseigne son art (restaurer des flèches d'églises, des toitures) a Fielding, c'est un homme impulsif qui voue une haine profonde à tous les gens de couleur et finit par semer la zizanie.

Et puis il y a Fielding, qui raconte son histoire, et sa vie. Son année 1994 où lui aussi n'était qu'un gosse, l'admiration qu'il voue à son frère, l'amitié sans faille qu'il voue à son ami Sal. Sa vie à jamais bousillée par cet été, et le reste de sa vie menée un peu au gré des événements, exerçant tout les petits métiers, buvant pas mal, ne réussissant pas à s'attacher à une compagne et excluant l'idée d'être père, c'est un vieillard (nous sommes alors être dans les années 2060 qui n'ont rien de futuristes) solitaire qui attend la mort et surtout son âme qu'il pense voué aux enfers.

Il y a une subtile distorsion du temps. Les années 1984, si elles sont illustrées par quelques musiques de l'époque ressemblent plus aux années 50. Stella porte des robes et un tablier tout droit sortis d'une pub pour ménagère des années anciennes ; Son mari, malgré la chaleur ne sort qu'en complet trois pièces et cravate. Ici pas de chaînes commerciales ou de ces boutiques uniformes qui poussent partout. Des petits commerces, dans Maine Lane, tenus par des artisans. Pas de ces motels ou cafés que l'on trouve partout aux USA, pas de Starbucks ou de Mac DO. C'est une Amérique rurale, celle des petites gens, sans trop de culture, qui vivent de l'agriculture, du petit commerce. Les voisins ne sont pas aimables mais les rumeurs vont bon train. Les femmes battues cachent leurs bleus sous des tonnes de maquillage, l'insulte suprême est de traiter de « pédé » un jeune homme. Ce sont aussi les années Sida, et les croyances de l'époque y sont parfaitement identifiées. On ne serrerait jamais une personne victime du VIH à Breathed.

Mais au-dessus de tout, il y a ce magnétisme « diabolique » de l'écriture de Tiffany Mc Daniel. On ne s'ennuie pas un instant, la poésie fait suite à l'horreur, la beauté des paysages se calcine dans la fournaise, l'amour intense de Fielding envers ses deux frères nous arrache des larmes mais il y a aussi des petits traits d'humour, et beaucoup de magie, ou d'imaginaire sous la plume de cette écrivaine qui n'avait que 18 ans lorsqu'elle a écrit ce livre.

Si vous ne deviez n'en lire qu'un c'est celui-ci et pas un autre.

Photos de l'Ohio coté Appalaches




Extraits :

  • C'est à force de petits efforts de bravoure que l'on parvient à vaincre la peur. Avec le temps, ces petits efforts mèneront à l'effort final aboutissant à la grande défaite de la peur. C'est en tout cas ce que nous dit le texte vivace de l'espoir, nous incitant à nous échapper de cette prison qu'est le cercle de la peur.

  • C’est de 1984 qu’il est question. L’année où, selon George Orwell, on parviendrait à nous convaincre que deux et deux font cinq. Dans son roman, il a démontré que l’esprit humain peut être contrôlé. Dans la réalité, ces gens ont démontré exactement la même chose.
    “Ce que ces malheureux recherchaient désespérément, c’était une lumière. Mais le problème avec la lumière, c’est qu’elle a toujours la même apparence quand on est dans le noir, et on est incapable de dire si l’énergie qui la fait briller est bonne ou mauvaise, parce que cette lumière vous aveugle et vous empêche de voir sa source. Tout ce que vous savez, c’est qu’elle vous sauve des ténèbres. C’est tout ce que savaient les adeptes d’Elohim. Ils étaient plongés dans les ténèbres de leur douleur personnelle, et voilà qu’apparaît cet Elohim, qui brille d’une lumière si vive. Ils ont tendu la main vers cette lumière, et pendant qu’elle détournait leur attention, pendant qu’elle leur procurait un faux réconfort, la sinistre puissance qui l’alimentait accomplissait son œuvre, et avant que l’un ou l’autre d’entre eux ait pu s’en apercevoir, cette lumière ne s’employait plus à les sauver, elle s’employait à les changer. À les contrôler. Cette lumière qui les contrôlait, c’était Elohim.

  • Tout amour conduit au cannibalisme. Je le sais à présent. Tôt ou tard, notre cœur finit, sinon par dévorer l’objet de notre affection, tout au moins par nous dévorer nous-mêmes. Les dents sont le miracle du cœur. Qu’une bouche puisse surgir de cet organe sans gorge et avoir faim de la chair de quelqu’un d’autre, du cœur de quelqu’un d’autre, n’est rien de moins qu’un miracle.
    Tomber amoureux est la plus belle aventure de notre espèce, et lorsque l’amour, commençant à bourgeonner, s’enroule délicieusement autour de notre âme, nous cédons aux crocs du cœur et prions – oui, nous prions – devant l’infini pour que tout amour puisse avoir sa chance, sa propre part de miracle. Pourtant, les miracles semblent ne pas être de mise lorsque les amants sont jeunes, comme s’il y avait, dans leur jeunesse même, une prophétie presque inéluctable.

  • Défendre le diable, ça veut dire défendre ce qu’il peut y avoir de bien dans le mal.

  • La chaleur est arrivée avec le diable. C’était l’été 1984. Le diable avait bien été invité, mais pas la chaleur. On aurait pourtant dû s’y attendre. Après tout, la fournaise n’est-elle pas un attribut du diable ? L’un ne va pas sans l’autre. Cette chaleur n’a pas seulement fait fondre des réalités tangibles, telle que la glace, le chocolat ou les popsicles. Elle a aussi fait fondre des choses abstraites. La peur, la foi, la colère, ainsi que les repères les plus fiables du sens commun. Elle a aussi fait fondre des vies, les privant d’un avenir, enseveli sous les pelletées de terre du fossoyeur.

  • Tu peux imaginer tout ce que tu veux, dans le noir. Tu peux imaginer que ton père t'aime, tu peux imaginer que ta mère n'est pas déçue, tu peux imaginer que tu as... de l'importance. Que tu signifies quelque chose pour quelqu'un.

  • La peur est la première ombre derrière l’ignorance.

  • Maman avait raison. La chaleur poussait les gens à s'abandonner à leurs pires penchants. Peut-être même leur donnait-elle la confiance nécessaire pour agir de façon insensée, imprudente, irraisonnée. Par une telle chaleur, les mains s'épanouissent en poings. Les poings sont les fleurs de la saison de la folie.

  • Tu sais d’où vient le mot enfer ? (Il a croisé les mains sur ses genoux.) Après ma chute, j’ai pas arrêté de me répéter, Dieu va me pardonner, Il ne me laissera pas enfermé là. Dieu va me pardonner, Il ne me laissera pas enfermé là. Après des siècles passés à répéter ça, j’ai commencé à raccourcir ce refrain. Il ne me laissera pas enfermé. Et peu à peu, ça a fini par donner, pas enfermé. Pas enfermé.

  • Jamais plus je ne retrouverai mon frère, même s'il revient un jour, parce que cette nuit-là il est mort, il a disparu, et les choses disparues cessent de devenir plus que ce qu'elles étaient. C'est cela, la tragédie de perdre un frère aîné. Il reste figé à jamais. Vous, vous continuez, et un jour, vous devenez le plus âgé des deux. C'est ce qui empêche la famille de former à nouveau un tout.

  • Dans ce monde où si peu de choses sont données, comment peux-tu ne pas être en admiration devant ce que tu as ?

  • Je serai le garçon noir. Tu seras la fille blanche. Et le monde entier dira non. Mais nous, on dira oui, et la seule éternité qui comptera, ce sera nous.

  • Par une telle chaleur les mains devenaient un épanouissement de poings. Les poings fleurissent à la saison de la folie.

  • Parfois, je me dis que les frères aînés ne devraient pas être permis. On tombe trop facilement amoureux d'eux. Ils sont tous pour nous et pendant ce temps, ils souffrent dans leur coin pour être à la hauteur de nos attentes.

  • C'est à force de petits efforts de bravoure que l'on parvient à vaincre la peur.

  • Il y avait une flaque pour Dresden. Une flaque pour Granny. Et une pour le garçon qui nous avait tous changés. Sal. Une flaque qui n’aurait jamais existé s’il n’y avait pas eu aussi celle du sens commun des habitants de la ville. Quant à la dernière, celle qui a produit les plus grandes éclaboussures...C’était la flaque laissée par mon innocence, et ses éclaboussures retombent encore dans le présent, comme elles continuent à retomber dans cet immuable toujours, formant une mare, pour me ramener inlassablement en arrière.




Biographie :
Née en 1985 dans l’Ohio, Tiffany McDaniel est une romancière, poétesse et artiste visuelle américaine.
Auteure autodidacte sans formation artistique universitaire particulière, elle écrit de nombreux textes non publiés avant que son premier roman, "L'Été où tout a fondu" ("The Summer That Melted Everything", 2016), soit finalement accepté par un éditeur.
Son deuxième roman "Betty" (2020), particulièrement remarqué par la critique lors de sa parution en français, reçoit le prix du roman Fnac 2020 et le Prix America du meilleur roman 2020. Tiffany McDaniel s’inspire de la vie de sa mère, une métisse cherokee, pour livrer un roman enchanteur et tragique.
Elle vit à Circleville dans l'Ohio. Son site : https://www.tiffanymcdaniel.com/


En savoir Plus :

Enfin sur le diable : https://fr.wikipedia.org/wiki/Diable



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