vendredi 4 novembre 2022

LUIS SEPULVEDA – La fin de l'histoire – Editions Métaillé 2016 ou Poche Points

 

L'histoire

Belmonte, un ancien résistant chilien contre la dictature de Pinochet, mène une vie tranquille en Patagonie, à l'extrême sud du Chili. Sa femme Véronica ne s'est jamais remise des tortures subies par la junte du dictateur. Pendant ce temps, dans la capitale, des anciens SS essayent de faire libérer un ex SS emprisonné. Belmonte qui connaît l'homme va reprendre son service de guérillero militant, et retrouver des camarades mais aussi de vieux ennemis.


Mon avis

Sepúlveda, que j'ai eu la chance de rencontrer lors d'un festival littéraire est une de mes romancier préféré. Ses romans sont courts (190 pages), sans le mot de trop. Allez à l'essentiel est sa devise littéraire. Ce dernier roman, un polar noir, évoque à nouveau les années Pinochet, l'auteur a été emprisonné lui aussi, et s'est toujours prononcé pour la paix. C'est un peu un résumé de sa vie, il est mort en 2020 des suites du Covid, et ce dernier livre sonne presque comme un testament. Car ce que vit Belmonte, le héros, c'est un peu de sa vie. Formé par les soviétiques, Belmonte fut un guérillero contre le régime de Pinochet. Le voilà qui doit reprendre du service pour éviter à tout prix qu'un ancien SS, au service de la dictature ne soit exfiltré de la prison où il croupit depuis la fin de la dictature. Belmonte aussi un compte personnel à régler avec cet homme.

Ici, les mots sont simples, mais efficaces. On y lit les scènes de torture, les dessous de la politique internationale sur 3 continents (Russie, Corée, Chili) et presque toute l'histoire du 20ème siècle défile tout comme les époques, mais la lecture n'en est pas perturbée.

Mais ce qui est très clair, c'est la dénonciation sans états d'âme de la dictature de Pinochet, de tous les totalitarismes et des mafieux de tous bords. le final est à haute teneur en suspense, et la fin « ouverte » mais que l'on interprétera, en ce qui me concerne par la fin de l'infâme, dans un trait final de poésie ou d'onirisme
On sent que Sepúlveda sait de quoi il parle, on imagine sans peine que Belmonte aurait pu être son double. Un roman noir dans lequel pointe quand même une lueur d'espoir, et éclairé d'un bout à l'autre d'amour et de solidarité. Avec un message limpide : "la littérature raconte ce que l'histoire officielle dissimule".

Un glossaire en fin de livre nous permet de situer les lieux emblématiques du Chili.Un livre à lire pour comprendre les années 1939 – 2016, et la réalité d'un pays massacré par la pire des dictatures. Les critiques presses furent élogieuses.


Extraits :

  • Après la chute du régime militaire – comme on appelait officiellement la dictature -, les officiers chargés d'anéantir les opposants avaient signé un pacte d'honneur, jurant la main sur la Bible, de tout faire pour ne pas retrouver les corps des milliers de disparus, si tant est qu'il en reste quelque chose au fond de l'océan. Ils avaient fait le serment de nier les égorgements, les assassinats déguisés en accidents ou les étudiants brûlés vifs en représailles à l'attentat qui, il s'en était fallu de peu, avait failli coûter les vie à Pinochet. Ce serment s'étendit ensuite aux simples soldats, et un second pacte du silence fut même signé, cette fois entre les militaires et des civils pressés d'occuper le pouvoir. Ce pacte stipulait, « pour protéger les victimes », selon son étrange formulation, que les noms des officiers et des soldats impliqués dans les assassinats, les vols d'enfants et les disparitions ne devaient pas être divulgués avant cinquante ans.

  • Sur leurs traits, j’avais lu autre chose encore : la sérénité qui procure, juste avant le combat, la conviction de faire une chose juste, ce calme étrange qui domine la peur, le silence du guérillero serrant son arme, repensant à tous les bons moments qu’il a vécus à l’instant d’accueillir la mort, qui ne pourra pas tuer cet ultime souvenir.

  • Salamendi remarqua son air lorsqu'ils passèrent devant le Parque por la Paz, le Parc pour la Paix, en face d'un portail qu'on avait conservé pour ne pas oublier l'horreur, car c'était l'entrée de la Villa Grimaldi.
    Par ce portail, ligotée et les yeux bandés, était entrée Veronica. Dans ces jardins de roses en fleurs, elle avait supporté l'inimaginable et gardé le silence. Par ce même portail, on l'avait fait sortir un jour en la croyant morte, avec les corps sans vie d'autres femmes et hommes aussi jeunes qu'elle, et on les avait tous jetés dans une décharge pour semer la terreur, fondement de la dictature.

  • Quelles que soient les routes que l'on prend, l'ombre de ce que nous avons fait et de ce que nous avons été nous poursuit avec la ténacité d'une malédiction.

  • La politique est née le jour où Caïn a tué Abel, et depuis lors rien n’est sans importance.

  • La lumière du couchant léchait les rues de Santiago quand je quittai La Legua. L’ombre de ce que j’avais été était longue à cette heure du jour, et elle était encore de mon côté.

  • Le pire abandon, c’était d’être privé de liens avec le parti, sans ordres, sans instructions, sans savoir si le camarade tombé avait résisté à la torture ou s’il s’était mis à table et que, de tous les militants, il ne restait plus que lui, seul comme un naufragé au milieu d’un océan aux eaux denses et profondes.


Biographie :

Né au Chili en 1949 et décédé à Orvédo (Espagne) en 2020, Luis Sepúlveda est un romancier, poète et cinéaste chilien.

Dès 1961, il milite dans les jeunesses communistes. À 17 ans, il publie son premier livre, un recueil de poèmes, et obtient un poste de rédacteur dans le journal Clarín. "Crónicas de Pedro Nadie", un recueil de contes, est paru en 1969.
En 1975, il finit par être emprisonné et condamné à 28 ans de prison. Il n'en fera que deux et demi dans une prison pour opposants politiques, grâce à l'intervention d'Amnesty International. Sa peine est commuée en 8 ans d'exil en Suède. En fait, il va voyager et sillonner l'Amérique du Sud : Équateur, Pérou, Colombie, Nicaragua.


En Équateur, il fonde une troupe de théâtre dans le cadre de l'Alliance française. En 1978, il participe à une recherche de l’Unesco sur l'impact de la colonisation sur les populations amazoniennes et passe un an chez les Indiens Shuars, ce qui lui inspirera le roman qui a fait son succès « le Vieux qui lisait des histoires d'amour ».
Après la victoire de la révolution au Nicaragua, il travaille comme reporter. Il part ensuite pour l'Europe comme journaliste et s'installe en 1982 à Hambourg en Allemagne où il passe quatorze ans. À cette même année, il devient très actif au sein de l’organisation Greenpeace où il restera jusqu'en 1987.
En 1996, il s’installe à Gijón, dans le nord de l’Espagne, où il fonde le Salon du livre ibéro-américain. Il écrit des chroniques pour plusieurs journaux italiens. "Histoire d’une mouette et du chat qui lui apprit à voler" publié en 1996, est un autre succès de l'auteur qui a reçu plusieurs prix pour son œuvre.
Victime du COVID-19, il laisse une œuvre foisonnante composée de romans, des livres pour enfants, des scénarios etc.

En 2017, lors du salon du Polar Sud, Luis Sepúlveda présentait ce livre. Parlant peu le fraçais et moi pas très bien espagnol, nous avons réussi à rire, car l'homme avait cet humour authentique et un charme indéniable. Il avait sa vision de la politique française de l'époque, le Président Macron venait d'être élu, et il pointait les défaillances de la politique de la gauce française, n'oublions pas que Sepúlveda a un passé de militant communiste, et j'aurais dit un gentil anarchiste. Son stand n'était pas très fréquenté, barrage de la langue (et pas de traducteur), et ce roman très différents des succès populaires.

Comment quelques instants de partage, avec un maté, peuvent rester dans la mémoire de façon si vive ? A l'annonce de sa mort, j'ai vraiment eu un sentiment d'abandon, car jamais je ne lirais plus cette écriture que j'aime, vive, incisive, sans excès de mots, drôle, poétique, onirique parfois.

A consulter :

En savoir Plus :

Sur le roman


Sur la dictature Pinochet

Sur la torture au Chili


Sur le KGB


Sur Trotsky

Sur les atamans cosaques

Sur le Nicaragua

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