samedi 5 novembre 2022

LUIS SEPULVEDA – L'ombre de ce que nous avons été– Éditions Métaillé 2010 ou Poche Points

 

L'histoire

Trois militants contre la dictature de Pinochet se retrouvent à Santiago, la capitale du Chili pour attendre un quatrième qui ne viendra jamais. Ils se remémorent leurs heures de gloire quand l'histoire s'emballe.


Mon avis

Avec sa galerie de vétérans de la lutte contre Pinochet, l'auteur chilien nous offre une galerie haute en couleur de personnages toujours militants.

Ils ont été trois militants gauchistes, fervents partisans de Salvador Allende, qui ont payé cher leur loyauté à leurs idéaux, en passant par la case prison sous Pinochet puis celle de l'exil en Europe. Trente-cinq ans plus tard, de retour dans leur pays, ils savent qu' "On ne revient pas de l'exil, toute tentative est un leurre, le désir absurde de vivre dans le pays gardé dans sa mémoire. Tout est beau au pays de la mémoire, il n'y a pas de dommages au pays de la mémoire, pas de tremblement de terre, et même la pluie est agréable au pays de la mémoire. C'est le pays de Peter Pan, le pays de la mémoire". Mais malgré leurs désillusions, il leur reste un brin d'espoir, d'utopie et d'envie de revanche. Alors ils ont décidé de préparer un dernier coup, un dernier baroud en l'honneur de leurs frères d'armes disparus et des générations sacrifiées par la dictature. Ils ont besoin pour cela du "Spécialiste", le quatrième larron qu'ils attendent. Mais le destin est un vilain farceur, le Spécialiste n'arrivera pas, victime d'un tourne-disques jeté d'un balcon au moment où il passait dessous. Un quatrième personnage, invité surprise, viendra néanmoins en renfort. Et évidemment, ce serait trop simple si la police ne s'en mêlait pas. Mais avec un peu de chance, ses représentants seront peut-être intègres, pour une fois...
Cocasse, nostalgique, cruel, attachant, ce roman est un hommage aux perdants, au peuple chilien, aux générations passées brisées par la dictature, et aux actuelles, qui en portent toujours le poids. C'est aussi une charge virulente contre des autorités qui continuent à occulter le passé et à profiter de cet héritage, qui ne rendent pas justice aux victimes, et contribuent à la division d'un pays qui ne parvient pas à se réconcilier avec son histoire. Un roman profondément sincère et humain, qui touche au cœur.

Et toujours ce que j'adore chez Sepulveda, l'économie de mots, le ton juste, et le propos toujours vif.


Extraits :

  • Ils n’étaient plus la jeune garde. La jeunesse s’était éparpillée en cent lieux différents, partie en lambeaux sous les coups de gégène des interrogatoires, ensevelie dans les fosses secrètes qu’on découvrait peut à peu, partie en années de prison, dans des chambres étranges de pays plus étranges encore, en retours homériques vers nulle part, et il n’en restait que des chants révolutionnaires mais plus personne ne les chantait car les maîtres du présent avaient décidé qu’il n’y avait jamais eu au Chili des jeunes comme eux, qu’on avait jamais chanté « La Jeune Garde » et que les lèvres des jeunes filles communistes n’avaient jamais eu la saveur de l’avenir.
    - jusqu'à l'arrivée de ce matin pluvieux de septembre où, à partir de midi, les horloges commencèrent à indiquer des heures inconnues, des heures de méfiance, des heures où les amitiés s'évanouissaient, disparaissaient, ne laissant que les pleurs épouvantés des veuves et des mères.
    La vie s'étaient remplie de trous noirs et il y en avait partout : on entrait dans une station de métro et on n'en ressortait jamais plus, on montait dans un taxi et on n'arrivait pas chez soi, on disait lumière et les ombres vous engloutissaient.

  • De tels hommes n'existaient plus au Chili, ils faisaient partie de l'inventaire des pertes sur lequel reposait une normalité factice, celle de deux pays totalement différents coexistant dans un même et misérable espace géographique. D'une part, le pays prospère des vainqueurs situé dans la partie orientale de la ville, celui des chefs d'entreprise qui saluaient en souriant leur voisin sénateur ou député, des productrices de télévision ou des propriétaires de boutiques de mode qui buvaient des cappuccinos sur la terrasse d'un grand centre commercial en commentant les dernières bonnes affaires commerciales de Miami, la saleté de Paris, le chaos de Rome, la puanteur de Madrid, et assuraient, en montrant d'impeccables mains blanches, qu'il n'y avait rien de mieux que de vivre au Chili. Et, d'autre part, le centre de Santiago où circulaient, tête baissée, des gens effrayés par les caméras vidéo qui les suivaient à la trace, par les carabiniers dans leurs bus verts aux fenêtres grillagées, par les vigiles contrôlant leurs passages dans les banques et les commerces. Et puis, au sud, au nord, à l'ouest, il y avait aussi les quartiers habités par la désespérance des emplois précaires, effrayés par la terrible délinquance des enfants et des adolescents qui, après s'être fait exploser le cerveau en inhalant de la coke, se transformaient en psychopathes aux airs innocents.

  • Je suis l'ombre de ce que nous avons été et nous existerons aussi longtemps qu'il y aura de la lumière.

  • il voulut savoir ce qui l'avait intimidé et empêcher d'arriver jusqu'à Brigitte Bardot. Salinas prétexta d'abord une question de temps et ajouta que l'actrice était maintenant une grosse vieille réactionnaire et de mauvaise humeur qui se consacrait à l'élevage des chiens.- C'est pas vrai. Elle est jolie, blonde, prend le soleil à poil sur une terrasse et, pour arriver jusqu'à elle, il suffit d'écarter les draps accrochés à un étendoir, répondit Arancibia. Immuable pays de la mémoire. Intact comme un nichon de sainte Thérèse ou comme un film de Roger Vadim.

  • Ces maçons andalous, ces mécaniciens asturiens, ces journaliers d'Estrémadure étaient des braves types, ils t'invitaient chez eux où il y avait toujours une omelette et un jambon digne de ce nom. Tous travaillaient et mettaient de l'argent de côté dans un seul but : retourner en Espagne et ouvrir un bar, cette idée les obsédait et, quand j'étais avec eux, j'en étais arrivé à penser que le Cid était allé à Valence dans l'intention d'ouvrir un bistrot et que si l'histoire de la société était celle de la lutte des classes dans le reste du monde, en Espagne c'était celle des patrons de bar et des clients, une chose négligée par Marx et Engels, ce qui en a fait deux philosophes suspectés d'anti-alcoolisme.

Biographie :

Né au Chili en 1949 et décédé à Orvédo (Espagne) en 2020, Luis Sepúlveda est un romancier, poète et cinéaste chilien.Dès 1961, il milite dans les jeunesses communistes. À 17 ans, il publie son premier livre, un recueil de poèmes, et obtient un poste de rédacteur dans le journal Clarín. "Crónicas de Pedro Nadie", un recueil de contes, est paru en 1969.

En 1975, il finit par être emprisonné et condamné à 28 ans de prison. Il n'en fera que deux et demi dans une prison pour opposants politiques, grâce à l'intervention d'Amnesty International. Sa peine est commuée en 8 ans d'exil en Suède. En fait, il va voyager et sillonner l'Amérique du Sud : Équateur, Pérou, Colombie, Nicaragua.

En Équateur, il fonde une troupe de théâtre dans le cadre de l'Alliance française. En 1978, il participe à une recherche de l’Unesco sur l'impact de la colonisation sur les populations amazoniennes et passe un an chez les Indiens Shuars, ce qui lui inspirera le roman qui a fait son succès « le Vieux qui lisait des histoires d'amour ».
Après la victoire de la révolution au Nicaragua, il travaille comme reporter. Il part ensuite pour l'Europe comme journaliste et s'installe en 1982 à Hambourg en Allemagne où il passe quatorze ans. À cette même année, il devient très actif au sein de l’organisation Greenpeace où il restera jusqu'en 1987.
En 1996, il s’installe à Gijón, dans le nord de l’Espagne, où il fonde le Salon du livre ibéro-américain. Il écrit des chroniques pour plusieurs journaux italiens. "Histoire d’une mouette et du chat qui lui apprit à voler" publié en 1996, est un autre succès de l'auteur qui a reçu plusieurs prix pour son œuvre.
Victime du COVID-19, il laisse une œuvre foisonnante composée de romans, des livres pour enfants, des scénarios etc.

En 2017, lors du salon du Polar Sud, Luis Sepúlveda présentait ce livre. Parlant peu le fraçais et moi pas très bien espagnol, nous avons réussi à rire, car l'homme avait cet humour authentique et un charme indéniable. Il avait sa vision de la politique française de l'époque, le Président Macron venait d'être élu, et il pointait les défaillances de la politique de la gauce française, n'oublions pas que Sepúlveda a un passé de militant communiste, et j'aurais dit un gentil anarchiste. Son stand n'était pas très fréquenté, barrage de la langue (et pas de traducteur), et ce roman très différents des succès populaires.


A consulter :

En savoir Plus :

Sur le roman


Sur la dictature Pinochet

Sur le régime d'Allende

Galerie Photos

Bella vista à Santiago, quartier chic et ancien

Pablo Néruda, le héros de nos 3 papys

Quartier populaire de Santiago

vue de Santiago

vue du Bella Vista

rue de Santiago

 
Carlos Gardel, le chanteur favori de nos 3 héros


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