mardi 31 janvier 2023

GULIA CAMANITO – L'eau du Lac n'est jamais douce – Gallmeister 2022 – ou Totem poche

 


L'histoire

Rome, année 2000. Gaia est la cadette d'une famille pauvre de Rome dirigée d'une main de fer par Antonia sa mère. Un personnage cette mère, qui doit gérer un mari en fauteuil roulant, un fils aîné révolutionnaire, sa fille, et les deux petits jumeaux. Il lui faut un logement social, et ça elle va l'obtenir car plus obstinée qu'Antonia cela n'existe pas. Elle dirige d'une main de fer sa famille, mue par une volonté farouche et implacable. Si Mariano l’aîné « démissionne » et va vivre chez sa grand mère à Ostie, c'est sur Gaia que se tourne sa mère. Elle fera des études supérieures, tant pis si elle est malmenée à l'école, au collège, au lycée, à la fac parce qu'elle n'est pas bien habillée, qu'elle n'a pas d'objets à la mode, qu'elle ne vit pas une adolescence heureuse. Et ça Gaia qui cultive la rancœur et la méchanceté va savoir les utiliser pour qu'on lui rende justice.


Mon avis

Encore une jeune héroïne que nous suivons de l'enfance à sa vie de toute jeune femme mais Gaia ne ressemble à personne. Ce n'est pas une Duchess, une Turtle, une héroïne américaine, mais une italienne faite de rage, de glace et de feu.

Elle est sous la coupe d'une mère autoritaire, qui sait faire régner la terreur chez elle ou ailleurs pour réparer une injustice. Elle veut un foyer pour ses enfants, autrement dit autre chose qu'une pièce en sous-sol à Rome, non un appartement pouvant accueillir dignement sa tribu. Elle en a bien un, de vrai, de beau, de cossu mais sans le savoir elle a été spoliée, mais c'est une histoire dans l'histoire (inspirée d'un fait réel nous explique l'autrice). Pour Antonia seul le savoir peut ouvrir des perspectives d'une vie sans pauvreté, et elle surveille les devoirs de sa fille, l'encourage parfois durement à lire, bref dans son raisonnement de femme très pauvre, Antonia a parfaitement raison. Mais elle n'a pas, elle ne sait pas donner de l’amour. Et en obligeant sa fille à aller dans des collège et lycée pour riches, elle la condamne à être une paria. Mal habillée, mal coiffée, parce qu'on a pas d'argent la jeune fille est ostracisée. Faire valoir de ses rares amies, trahisons amicales et amoureuses, Gaia montre alors sa cruauté, toute cette rancune accumulée qui devient violence.

L'écriture est âpre et sans concession, Gaia n'est pas empathique et c'est le choix de l'autrice, mais pourtant on l'aime cette jeune rebelle, on la comprend, on ferait comme elle si notre morale n'était pas de plomb. La dureté de Gaia correspond à la dureté des pauvres et des exclus de Rome, la ville éternelle, la magnifique.

Avec ce cri de colère, Gulia Caminito nous trace le portait implacable de la pauvreté, de l'injustice sociale , des revendications féministes à travers cette fille border-line mais dont la force de caractère nous fait réfléchir à la notre, à nos conditions de vie et nos petites ou grandes soumissions et insoumissions.

La lecture n'est pas facile, parce que très concentrée sans superflu, mais parfois l'autrice se permet une petite échappée lumineuse dans une nature rêvée qui sont comme des pauses dans ce récit troublant.


Extraits :

  • Puis je le vois, droit et robuste, mon dictionnaire, il est là, placide, il ne craint ni jugements ni méchancetés, alors je l’agresse, parce qu’il a été le premier à me mentir, à me faire croire qu’avec les mots je changerais ma vie, la réécrirais, la narrerais, la narrerais à la première personne, mais non, ce sont toujours les autres qui nous racontent, ce sont eux qui trouvent nos définitions, nos crochets, nos racines.

  • Moi j'ai été un cygne, on m'a implantée ici, j'ai voulu m'adapter de force, et puis j'ai agressé, je me suis débattue et bagarrée y compris avec ceux qui s'approchaient avec leur quignon de pain dur, leur aumône d'amour.

  • Je regarde ma main ouverte, ses cheveux tombent de mes doigts, le vent les emporte et emporte mon premier amour avec eux.

  • Je devrais lui dire que c’est lui qui a tué Carlotta, lui et les garçons comme lui, ceux qui ont lavé leur conscience en se rendant à son enterrement, mais qui avaient honte quand elle leur proposait d’aller prendre une glace ensemble, ceux des cagibis, des recoins et des coulisses, ceux des touche-moi mais reste derrière moi, je ne veux pas voir ton visage.

  • J’ai une grande fascination pour les fleurs, pas pour celles, si rares, qui poussent spontanément dans notre cour, des petites marguerites printanières très fragiles, mais pour les roses des jardins des autres, le jasmin, les hortensias, que je vois pointer dans la rue et que j’ai envie de cueillir quand je passe devant avec ma mère.

  • Ma seule, mon unique mission est d’éviter les mauvaises notes, de réviser dans le train et, l’après-midi, de montrer à ma mère que je fais ce qui est bon pour moi, éviter qu’elle soit convoquée au collège, parce que sinon elle devrait expliquer pourquoi elle s’y rend seule et puis elle devrait expliquer quel travail elle fait et puis elle devrait expliquer d’où nous venons, et moi toutes ces explications je ne veux pas les donner.

  • Nous sommes assez jeunes pour ne pas être encore obsédées par notre corps et celui des autres, mais déjà assez âgées pour pressentir qu’au fil du temps notre façon de nous regarder deviendra une guerre muette, nous appartiendrons à des factions ennemies et nous nous décocherons des flèches empoisonnées dans le dos.

  • POUR GRANDIR, il faut travailler dur, l’enfance est de courte durée, on ne sera pas défendu, soigné, abreuvé, lavé, sauvé pour l’éternité, pour chacun vient le moment de prendre son existence en main, et le mien est arrivé.

  • Je pense que nous sommes du matériel de rebut, des cartes inutiles dans un jeu compliqué, des billes ébréchées qui ne roulent plus : nous sommes restés inertes par terre, comme mon père tombé d’un échafaudage inadapté sur un chantier illégal, sans contrat et sans mutuelle, et de là, de l’endroit où nous avons atterri, nous voyons les autres mettre des colliers de pierres précieuses à leur cou.

  • Je me suis défendue,reprenant possession de cette rédaction où j’avais définitivement mis au pilori la jeune moi, l’enfance sans défense des jeux salubres, cette époque où je ne savais pas frapper et où j’attendais qu’Antonia me défende, où je pourrais la voir ou voir Mariano pour les informer des atteintes subies par ma petite personne garnie de mies de pain.

  • Quand une menace vient de l’extérieur, nous serrons les rangs, nous brandissons nos boucliers, nous nous défendons, nous mentons pour les autres, feignons des malaises, livrons bataille contre des parents oppressants, des enseignants tyranniques et des mauvaises langues.

  • En outre, je ne suis pas faite pour les amitiés, je ne comprends pas leurs dynamiques, leurs malentendus, je ne sais pas quand il faut répondre, quand rester à l’écart, je ne peux pas les inviter chez moi, personne ne peut me déposer chez elles, ma mère dit qu’elle ne m’autorisera pas à sortir l’après-midi avant l’année prochaine, je ne suis pas séduisante, je n’ai rien de nouveau à apporter, je n’ai pas de jeux, pas de maquillage, pas de robes à prêter, je ne peux partager que les sweats de mon frère, les couches des jumeaux, le fauteuil roulant de mon père.

  • Ici, les gens ont la manie de donner des surnoms, ils ont besoin de te rebaptiser, tous ceux qui comptent y passent, le surnom peut venir du travail que tu fais, de l’endroit où tu vis, de l’histoire de ton grand-père, tu peux être le Poissonnier, la Grenouille, le Souillon, et jamais personne ne pourra t’enlever le nom qui t’a été donné, ce sera pour toujours ton habit taillé sur mesure.

  • Chacune de nos caractéristiques est pour moi un atroce défaut. Nos taches de rousseur sont pires que de l’acné, nos yeux ne savent être ni vraiment verts ni vraiment marron, notre peau trop claire semble maladive et, surtout, nos cheveux portent la poisse.

  • Selon la théorie maternelle, ceux qui ne te connaissent pas ne t’aident pas, alors nous restons là où les gens savent qui nous sommes, où ma mère peut tisser des liens de protection et d’identification, petits et grands.

  • La professoressa....viene a insegnare educazione fisica in gonna di tweed e stivaletti, ha sempre le unghie fucsia e un basco in testa, è più il tempo in cui fuma che quello in cui corre. La prof vient faire le cours d'éducation physique en jupe de tweed et bottes, a toujours les ongles vernies couleur fuchsia et un béret sur la tête, et passe plus de temps à fumer qu'à courir.


Bibliographie

Née à Rome en 1988, Giulia Caminito est diplômée en philosophie politique.
Son premier roman, "La grande A" (2016) a reçu plusieurs prix littéraires prestigieux. "Un jour viendra" ("Un giorno verrà", 2019), son deuxième roman et le premier traduit en France, se déroule dans le village d’origine de sa mère, à Serra de’ Conti dans les Marches italiennes, sur les hauteurs d’Ancône.
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Sur le roman

Sur la pauvreté à Rome


Sur les quartiers de Rome

Sur Anguillara ( ville au nord est de Rome).

Anguillara présenté dans le roman est une ville dans le Latinum à 50 km de Rome. A coté du village traditionnel, il y avait une zone HLM défavorisée. Pour la beauté du lac Martignano, un « effort » a été fait par la Mairie. Les populations pauvres sont revenues vers Rome, notamment dans les quartiers du Subure et du Tratesvere

Play List

La famille de Gaia n'écoute qu'une petite radio, surtout les infos, mais Antonia la ère aime la chanson italienne :


 Photos

 

Quartier pauvre deSubburra

Suburra

Suburra



Hlm banlieue romaine



Anguillara et le lac Martignano

Rue du village d'Anguillara

Le Corto Treste quartier ultra chic de Rome

Corto Trieste

Corto Trieste dans le quartier riche Parioli

Le lycée Cassia à Rome où étudie Gaia.

samedi 28 janvier 2023

CHRIS WHITAKER – Duchess - Éditions Sonatine 2022

 

L'histoire

Duchess 13 ans, auto proclamée hors-la-loi protège son petit frère de 6 ans Robin. Tous deux vivent dans une maison déglinguée, avec Star, une mère trop jolie, trop instable et alternant phase de dépression et alcoolisme. Forcée d'endosser le rôle de mère pour cette famille, elle ne peut compter que sur la bienveillance du shérif Walk de Cape Haven où elle vit. Un terrible drame est survenu dans le passé, la mort tragique de la petite sœur de Star d'un accident de la route. Pour faire un exemple, le criminel Vincent King en a pris pour 30 ans de réclusion, et il sort de prison, mutique, rongé par la culpabilité et de loin surveille Star (dont il fut amoureux) et ses enfants. Mais quand on retrouve Star assassinée et Vincent à coté du corps et ensanglanté, la justice ne se pose pas de question. Il risque la peine de mort. Seul le shérif et Duchess qui a bien du mal à oublier sa mère vont enquêter chacun de leur coté. Car Duchess, et son petit frère dont elle est la mère de substitution est exilée dans le Montana, sous la garde de son grand-père maternel. Mais la gamine, peu sociable et aimable n'a rien d'une tendre, elle bouillonne de colère contre le monde entier. Va-t-elle trouver des réponses à ces questions, et aussi trouver son vrai père (sa mère n'a jamais révélé à ses enfants les pères, ayant l'habitude de se donner à des hommes de passage pense-t-on ? Et surtout va-telle se réconcilier avec le monde et surtout elle-même ?



Mon avis

Dans le cadre des jeunes héroïnes, nous connaissions l'insoumise Turtle de My Absolute Darling de Gabriel Tallent, mais aussi la Betty de Tiffany Mc Daniels ou la gamine de True Grit ? Alors vous adorerez cette gamine sauvage qu'est Duchess.

Un roman coup de cœur évidemment mais inclassable. C'est un polar, c'est une recherche de soi, c'est une critique sociale d'une société américaine qui fait le minimum pour les plus démunis, et ne sait pas réinsérer les prisonniers qui ont purgé de longues peines dans les prisons américaines, souvent jugées pour leur dureté.

Ici nous avons avant tout une jeune fille en révolte permanente : contre la société, conte le collège où elle est une paria, contre parfois sa mère qui se soûle, promet d'arrêter, recommence, n'établit aucune relation stable avec les hommes dont elle est aussi l'objet de toutes les convoitises. Star est belle, mais incapable de garder un emploi, un ami, probablement traumatisée par le décès accidentel de sa petite sœur. Mais Duchess voue un amour inconditionnel à son petit frère Robin, un gamin de 6 ans, gentil, malléable aussi qui lui obéit et écoute ses leçons un peu spéciales de vie : il y a les cons et eux deux sœur et frère unis à jamais.

La vie est dure et Duchess se voit comme un cow-boy justicier, tant elle s'est endurcie. La crise d'adolescence est ici une crise de l'identité profonde de l'être, coupé de ses racines, ou sans racines. Même pas la vieille maison familiale qui est vendue. Les promoteurs et les plus véreux d'entre eux ont bien l'intention de virer par tous les moyens possibles les habitants de ces vieilles maisons sur la côte avec une vue imprenable que la mer, pour en faire des résidences de luxe à une clientèle fortunée. Chantage, extorsions, tous les coups sont permis notamment par Darke, homme d'affaires violent. Ici tous les personnages secondaires sont bien étudiés, sans tomber dans la caricature. On fait connaissance avec Hal, le grand-père qui va apprivoiser cette petite fille aussi jolie que sa mère mais têtue et irrespectueuse.

A Cape Haven, en Californie du Nord, c'est une ville tranquille, mais menacée par les promoteurs, avec ses figures sympathiques ou pas, surtout des petites gens dont les destins ne sont guère heureux. Walk, le charismatique shérif est aussi l'ami de Vincent le meurtrier présumé de Star, un homme que la prison a rendu mutique, dépressif, pas un méchant mais juste celui qui n'a pas eu de chance, et qui ne sait pas se défendre, traumatisé par l'accident de voiture qui a coûté la vie d'une petite fille qu'il n’ait pas vu une nuit. Coupable tout désigné, lui aussi cache un secret.

Dans le Montana, Duchess se familiarise petit à petit à cette nouvelle vie. Il y le rôle du grand-père Hal, qui a compris sa petite fille – pourtant il ne sait jamais soucié de sa fille ni de ses petits enfants auparavant, lui aussi plongé dans le chagrin immense d'avoir perdu une enfant et sa femme qui est morte de chagrin. Puis il y a l'extravagante Dolly, toujours partante pour une petite aventure joueuse qui a aussi compris le désarroi de Duchess, tout comme le sympathique et intrépide Thomas, un adolescent fasciné par cette gamine arrivée de nulle part.

Mais le tout est survolé par la personnalité de cette Duchess, solaire, volontaire et terriblement attachante. Un livre sur l'identité, la famille (celle dont on hérite, celle qu'on se fait, un thème que je connais bien en raison de mon vécu), magnifiquement sublimé par l'auteur qui est un anglais et pas un américain. Et le chemin de vie que l'on choisit, la rédemption, le pardon ou l'espoir possible.

Chris Withaker dépeint en toute subtilité une galerie de personnages, finalement ni vraiment bons, ni vraiment méchant, comme nous pouvons être selon les aléas de la vie. Sans complaisance non plus, mais la noirceur est compensée par l'humour et les attitudes de Duchess, les amitiés sont toujours les plus fortes, et finalement on s'attache à tous ces personnages dans une intrigue qui en plus nous accroche tant elle est bien corsée.

Un livre coup de cœur pour moi, mais qui est inférieur à My Absolute Darling de Gabriel Talent qui a un génie de l'écriture rarement trouvé dans la jeune génération des écrivains actuels.


Extraits :

  • Le voisin coupa son tuyau et s'approcha du bord de son jardin, avec une légère claudication qu'il s'efforçait péniblement de corriger. Brandon Rock. Baraqué, bronzé. Piercing dans une oreille, brushing à la Travolta, peignoir en soie. Parfois, il faisait de la muscu dans son garage, porte grande ouverte, les enceintes crachant du métal à plein tube. "Encore ta mère ? Faudrait que quelqu'un appelle les services sociaux".

  • - Ce vieux pasteur. Un jour, après l'office, il nous a demandé le sens de la vie. À tous les enfants, il nous a demandés un par un. La plupart ont parlé de famille et d'amour. - Et toi ? - Je n'ai rien dit parce que Robin était là. Mais tsais ce que Robin a dit ? » Il secoua la tête. « Il a dit que la vie, c'était d'avoir quelqu'un qui tenait suffisamment à nous pour nous protéger. »

  • Il y a toujours un homme. Chaque fois que ça merde quelque part dans le monde, c'est qu'il y a un homme.

  • Devant elle s'étendaient de l'herbe et des bois, une rivière au loin qui s'en allait couler à perte de vue, le ciel tout en pardon de bleu. Parfois elle espérait davantage, un indice, quelque chose de flétri, de grisonnant, d'interrompu, quelque chose pour lui signifier que le monde avait changé depuis que sa mère était morte.

  • Avant tout, elle se sentait fatiguée. Pas par le travail ni le manque de sommeil, juste par la haine désespérée qui brûlait au fond d'elle.

  • e vois l'ombre d'un homme qui a foutu sa vie en l'air, qui n'a pas d'amis, pas de famille, personne pour le pleurer le jour où il clamsera. Sans doute que ça se passera dans son champ, ajouta-t-elle avec un sourire innocent, sur ses putains de terres soi-disant peintes aux couleurs de Dieu. Il croupira sur place jusqu'à ce que sa peau ait viré au vert, jusqu'à ce que le livreur de mazout remarque les corbeaux, une centaine de corbeaux au milieu des blés. Il aura été dépecé par les bêtes entre temps. Mais ça n'aura pas d'importance parce que, de toute façon, on le balancera directement sous terre. Personne pour une cérémonie.

  • Elle attrapa son chocolat, pécha un chamallows à la cuillère et le mit dans sa bouche. C’était trop sucré, ça l’a prit par surprise, comme si elle avait oublié le goût des bonnes choses .

  • On ne choisit pas qui on devient. Peut-être que c’est préétabli. Certains d’entre nous sont des hors-la-loi. On se reconnaît les uns les autres.

  • Elle avait envie de pleurer, mais savait que si elle se laissait aller, le chagrin s’installerait dans sa poitrine et l’empêcherait de respirer au moment où il lui faudrait des forces.

  • Duchess ne se faisait aucune illusion, le sang qu’elle verserait ne laverait pas le sien. Mais elle irait jusqu’au bout, elle ne pourrait pas faire autrement.

  • Je te déteste, murmura -t-elle. Il l’embrassa sur le front et elle pressa la joue contre son torse, laissant l’obscurité l’engloutir .

  • Duchess avait reconstitué l’essentiel de l’histoire au fil des années, d’après les bribes que Star bredouillait quand elle avait bu, et grâce aux archives de la bibliothèque de Salinas. La même bibliothèque où elle avait passé une bonne partie du printemps à travailler sur son arbre généalogique. Elle avait réussi à remonter les racines de la famille Radley assez loin, et avait lâché le livre par terre après avoir fait le lien avec un hors-la-loi du nom de Billy Blue Radley. C’était le genre de découverte dont elle était fière, un petit truc en plus pour quand elle devrait faire son exposé au tableau. Il y avait encore beaucoup de vide du côté de son père, des points d’interrogation qui lui avaient valu un échange houleux avec sa mère. Pas juste une fois, mais deux, Star s’était fait engrosser par un inconnu, laissant deux enfants qui se demanderaient toute leur vie quel sang coulait dans leurs veines. Traînée, avait-elle marmonné. Elle avait été privée de sortie pendant un mois.

  • Walk laissa les enfants et courut dans l’allée. Pas de lumière à l’intérieur à part la lueur de la télévision. Derrière lui, il vit Robin qui pleurait toujours et Duchess qui le fixait de son regard dur et implacable.
    Il trouva Star sur le canapé, une bouteille à côté d’elle, pas de comprimés cette fois-ci, une chaussure à un pied, l’autre nu, les ongles de ses menus orteils peints.

  • l aperçut la fille qui se frayait un chemin dans la foule, tirant par la main son petit frère qui avait du mal à suivre son rythme.
    Duchess et Robin, les enfants Radley. Il les rejoignit au petit trot, car il savait d’eux tout ce qu’il y avait à savoir. Le garçon avait cinq ans et pleurait en silence, la fille venait d’avoir treize ans et ne pleurait jamais. « Votre mère », dit-il, non comme une question mais comme une évidence, si tragique que la fille ne se donna même pas la peine d’acquiescer, se contentant de faire demi-tour et d’ouvrir la marche.

  • Tu es la fille la plus forte que j’aie jamais rencontrée. Et la plus jolie. Et je sais que tu vas sans doute me frapper, mais je crois que mon monde est infiniment plus beau depuis que tu es dedans.

Bibliographie

Chris Whitaker est un romancier britannique, auteur de roman policier.
Chris Whitaker a travaillé dix ans comme trader financier.
En 2016, il publie son premier roman, "Tall Oaks". Avec son troisième roman paru en 2020, "We Begin at the End" (Duchess"), il est lauréat du Gold Dagger Award 2021 et du prix Ned-Kelly 2021 du meilleur roman international. Il vit à Londres et dans le
Hertfordshire avec sa femme et ses deux enfants. Duchess est son premier roman publié en France.

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Sur le roman

Sur la Californie

Cape Haven est une ville inventée par l'auteur dans le Nord de la Californie

Sur la spéculation en Californie

Sur la pauvreté


Sur le Montana :

Play List

Il n'y a pas beaucoup de références musicales dans ce livre, mais on sait que Star adorait Dolly Parson. Donc vous écouterez de la country music si vous aimez.

Photos

Côte Nord Californie

Nord Californie

Main Street Mendoza

Ville cîtière Californie.


Ferme typique dans le Montana

Montana, ville d'Helana

Parc Naturel Montana

Parc  Naturel Montana

vendredi 27 janvier 2023

ROMAIN PUERTOLAS – Les ravissantes – Albin Michel - 2022

 

L'histoire

1976, Saint-Sauveur, une petite ville à mi chemin entre Tucson (Arizona USA) et le Mexique. Une bourgade tranquille, avec sa « main street » (rue principale et souvent commerçante), ses petites maisons, son shérif. La vie s'écoule tranquillement jusqu'à l'arrivée d'une communauté religieuse avec un gourou, ex-homme d'affaires mexicains qui a vu Dieu. Avec cet étrange groupe, composé de hippies, de fans, de voyous qui peuvent se planquer tranquillement, des petites dégradations arrivent ainsi qu'un peu de circulation de marijuana, et quelques petits délits mineurs. Mais quand tour à tour 5 adolescents de 12 à 16 ans se volatilisent, la population s'inquiète. Ont-ils été enlevés ? Tués par un serial killer ? Le shérif Golden aura bien du mal à résoudre l'affaire, après plusieurs péripéties.


Mon avis

J'avais déjà lu du même auteur le très amusant roman, « la police des fleurs, des montagnes et des forêts », voici son dernier roman, dans un genre très différent, façon polar américain, et assez réjouissant aussi.

D'abord par la structure. C'est un journaliste qui raconte l'histoire en commençant par l'interview du coupable. Mais nous suivons l'enquête du shérif Golden et de son adjoint à travers une galerie de personnages haut en couleurs. Il y a e gourou Emilio surgit de nulle part et qui a vu Dieu, lui même qui lui demander de construire une communauté d'être humains meilleurs. Pas très sympa Dieu qui se présente sous la forme d'une boule de feu. Et puis les parents affolés parmi lesquels un couple divorcé qui ne s'entend pas du tout, la gérante et son époux d'un des bons restaurants de la ville qui avant la disparition de sa fille a vu son restaurant saccagé, ce qu'elle attribue à la communauté du gourou qui vit retranché dans une sorte de forteresse et en quasi autarcie. Avec des épisodes fantasques : un paysan est certain d'avoir vu des ovnis, une voyante réputée qui ne voit rien, une pluie de feu qui embrase les voitures, bref des incidents sans explications logiques qui viennent trouver le lecteur. Et puis nous sommes dans les années 70, les hippies sont à la mode à San Francisco mais sûrement pas dans une petite ville bien tranquille. Et si ce gourou était un Charles Manson finalement ? Avec une grande subtilité, l'auteur analyse le phénomène des « fake-news » et du rejet d'une population face à des inconnus (cette secte). Mais aller savoir si tout cela est vrai ??? On se demande même si Puertolas ne nous raconte pas un fait divers survenu aux USA.

Très page turner, avec le ton typique des polars classiques, une fois de plus, l'auteur s'amuse avec nous, déjoue notre attention et prend un malin plaisir à brouiller les pistes, alors que la solution est bien plus simple. Toujours doué dans les « exercices de styles », on s'amuse beaucoup avec ce polar malicieux, mais qui ne restera pas non plus un chef d’œuvre du genre.


Extraits :

  • il jeta un coup d’œil distrait à la rue à travers la fenêtre. Une femme était plantée sur le trottoir, regardant son caniche en train de se soulager dans le carré d’herbe où était fixé le panneau « BUREAU DU SHÉRIF ». Ne se sachant pas observée, elle le laissait faire. Le policier se demanda si elle aurait fait de même si elle l’avait vu derrière la fenêtre. Un philosophe grec, il y a très longtemps, avait démontré que l’homme devenait mauvais à partir du moment où il ne se savait pas observé. Deux mille ans après, ses paroles étaient toujours d’actualité.

  • Par où me faut-il commencer ? –Il y a cette phrase que dit le roi dans Les Aventures d’Alice au pays des merveilles : « Commencez au commencement et continuez jusqu’à ce que vous arriviez à la fin, ensuite, arrêtez-vous. » Je pense que cette méthode a fait ses preuves.

  • Nous n'avons pas besoin d'argent. Votre société, qui repose sur le dollar, a prouvé sa faiblesse. Nous nous auto-suffisons. Nous produisons des fruits et des légumes, nous avons des chèvres, nous fabriquons du fromage dont nous vendons le surplus au marché, nous troquons, nous offrons notre art, des céramiques, des bibelots que je bénis, moyennant une obole. Se contenter de ce que l'on a est le chemin le plus court vers la sagesse, Shérif. Faites l'amour, pas les magasins...

  • On va le retrouver, Susan, réussit-il toutefois à dire. Il avait parlé fort, un volume mal dosé, une intonation maladroite, il avait essayé de prendre un air convaincant, mais c’était la troisième fois qu’il mentait cette semaine et cela commençait à s’entendre.

  • J’ai entendu dire qu’il s’y passait des choses étranges, continua Denise d’une voix douce mais ferme. On parle d’orgies, de rites sataniques. Vous avez vu ce qui est arrivé avec la secte de Charles Manson il y a quelques années ?

  • À la fois heureux d’avoir la solution à cette éprouvante enquête et soucieux de son dénouement cocasse.

  • Il se sentait dépassé par les événements, il ne contrôlait plus rien. Cette ville était devenue une cocotte-minute qui menaçait d’exploser à tout moment.

  • Quand cela s’arrêterait-il donc ? L’enlèvement d’un enfant avait déjà une répercussion médiatique immense, l’enlèvement de trois était tout bonnement ingérable.



Bibliographie

Né le 21/12/1975, Romain Puértolas est un écrivain français. Né dans une famille de militaires (son père est colonel dans l'armée de terre et sa mère adjudant-chef), il connait de multiples déménagements durant sa jeunesse. Ballotté entre la France, l’Espagne et l’Angleterre, il a été tour à tour DJ, compositeur-interprète, professeur de langues, traducteur-interprète, steward, magicien, employé de navigation aérienne...
Il est titulaire d'une maîtrise en Lettres et Civilisation Espagnoles, une maîtrise en Français Langue Étrangère, une licence en Lettres et Civilisation Anglaises et d'un diplôme en météorologie de Météo France.

Durant plus de 3 ans, Romain a animé "The Trickbusters Show" un programme d'anti-magie sur
Youtube (60 épisodes) où il expliquait tous les trucs des plus grands magiciens, mais également démystifiait les charlatans.
Il a passé et réussi les examens pour être traducteur-interprète d'espagnol et d'anglais à la DGSE (Direction générale de la Sécurité extérieure) dont il a finalement renoncé au poste. Il a enchaîné en réussissant le concours d'Officier de Police.
Son premier roman, "L'extraordinaire voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea" (2013), a reçu le prix du livre audio (lu par Dominique Pinon). Il a été adapté au cinéma en 2018 et en bande dessinée, en 2017."La petite fille qui avait avalé un nuage grand comme la tour Eiffel", son deuxième roman, est sorti en 2015 et "Un détective très très très spécial", en 2017. Tous les noms des personnages de ses romans sont de vrais noms légèrement modifiés d'amis, de parents, de collègues de travail.

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Sur le roman


mardi 24 janvier 2023

CHERIE JONES – Et d'un seul bras, la sœur balaie la maison – Calman Lévy - 2021

 

L'histoire

La Barbade, de 1979 à 1984. Le 16 août 1984, Lala jeune femme vivement chichement dans une cabane de pêcheur découvre son bébé de quelques semaines morte. La veille une violente dispute avait éclaté entre elle et son mari, Adan, le bébé est tombé mais semblait aller bien. C'est le début d'une histoire d'amour impossible et de haine. Adan connu pour cambriolages mais jamais arrêté par la police locale a tué le propriétaire d'une maison riche, devant les yeux de sa toute nouvelle épouse, la jolie métisse Myra qui ne s'en remettra jamais. Lala sait peut de choses sur ses origines, sa grand mère Stella l'a élevée en lui cachant une part de la vérité, que l'on découvrira au fil des pages, dans toute une galaxie de femmes et d'hommes maltraités par la vie.



Mon avis

Un premier roman qui me laisse un sentiment mitigé. D'une part parce que c'est rare de lire une auteure des caraïbes anglophones mais surtout parce que ce qu'elle raconte est vraiment d'une tristesse absolue.

Coté face, il y a une île paradisiaque, avec ses somptueuses villas, occupées par des richissimes étrangers, qui ont au moins une bonne, qu'elle soit noire ou blanche mais de ces « petites blanches du peuple, parfois légèrement métissées » qui ne viennent pas de la même classe sociale.

Et puis il y a le quotidien de ces femmes. Souvent mariées trop jeune a un bel homme comme Adan qui a un charisme aussi fou que sa cruauté, exactement ce que fait Lala, n'écoutant pas les conseils de sa grand-mère qui l'étouffe de surprotection mais pas d'amour. Comment donner quelque chose que l'on ne connait pas ? Une jeune femme qui a le rêve commun de toutes les femmes : un gentil mari, un travail, une petite maison et des enfants qui iront à l'école et seront bien élevés. Mais ce n'est pas le cas. Ce n'est jamais le cas. L'époux est gentil au début, puis arrive la première gifle, le premier coup, il va voir ailleurs, revient, semble gentil puis se fâche et c'est l'engrenage des femmes battues qui ont trop peur, face à une police aussi inefficace que corrompue, de porter plainte ou de fuir parce qu'elles n'ont pas d'argent. Il y a bien Tones que Lala connaît depuis longtemps, un surfeur gigolo, qui n'a jamais oser avouer son amour à la jeune fille. Il y a la grand-mère Wilma qui ne fait rien pour protéger sa petite fille depuis que celle-ci est partie, alors que cette femme solide qui a vu passer bien des horreurs dans sa vie (la mère de Lala a été violée par son propre père, le mari de Wilma et a été tuée d'un coup de couteau par son mari ivre et jaloux.

Mira, la jolie métisse, pour échapper a un avenir médiocre séduit et épouse un ruche anglais, celui qu'Adan tue et elle réalise alors combien elle aimait cet homme auquel, malédiction du sort, elle n'a pas pu donner d'enfants et s'enferme dans la solitude et la folie.

En fait, il y a peu d'échappatoires dans ce livre. Une dénonciation brutale du sort des femmes, à travers des chapitres où les principaux protagonistes ont la parole mais toujours relativisée par l'emploi de l'impersonnel (il, elle). Et comme les malheurs s’enchaînent il font oublier quelques jolis moments où la plume de l'écrivaine s'égare mais sans jamais s'émerveiller. C'est peut-être ce manque de nuances, de dosages entre le pire et le manque d'échappatoires poétiques, et aussi quelques redondances, qui me donne ce sentiment mitigé. Mais c'est aussi un terrible courage pour ce premier roman de dire ce que l'on tait, d'affirmer les violences sexistes et la pauvreté.


Extraits :

  • Alors Lala ferme sa bouche et ravale le cri qu’elle a attrapé à Baxter’s Beach comme d’autres attrapent un rhume, et dans sa tête, elle supplie le bébé de ne pas mourir tandis qu’elle pousse et sent les vaisseaux du blanc de ses yeux exploser et lui brouiller la vue.
    Et Lala découvre le troisième fait établi, parce qu’après avoir surmonté la brûlure, la déchirure, l’écartèlement et enfin l’expulsion d’un poids qu’elle porte en elle depuis huit mois, elle se rend compte qu’elle n’entend pas la plainte qui, à la télévision, signale toujours la naissance du bébé. Elle dit : « Infirmière, infirmière ? » parce qu’elle veut qu’on lui assure que tout va bien, que le bébé va bien, mais l’infirmière ne la regarde pas, l’infirmière dégage son poignet qu’a attrapé Lala et ordonne à l’autre infirmière d’appeler le médecin et elle tient entre ses mains une chose qui ne bouge pas. Elle s’empresse de déposer le bébé sur une table éclairée par une lampe, où elle introduit un tube bulbeux dans ses narines, frictionne, compresse et écoute sa poitrine. Lala sait que ce n’est pas bon signe, elle ne veut pas regarder mais elle ne peut pas s’en empêcher et elle prie pour que le bébé vive car elle voit que les infirmières ont déjà baissé les bras et soudain, elle est furieuse contre Adan qui n’est pas là et après ce qui s’est passé, elle est persuadée qu’elle ne pourra plus l’aimer, et peut-être que ce bébé est la seule bonne chose dont Adan est capable, et elle veut que le bébé vive pour pouvoir lui donner tout son amour plutôt que de le donner à Adan.
    Une autre infirmière entre précipitamment dans la salle, suivie d’un très jeune étudiant en médecine, et tous deux se dressent au-dessus de son bébé sur la petite table et le claquent, le palpent et le ponctionnent avec des tubes et des aiguilles jusqu’à ce que Lala entende un petit cri faible. Et ce n’est qu’une fois que Lala se met à geindre de soulagement que l’étudiant demande : « Elle est recousue ? » et l’infirmière qui a aidé à sauver Bébé répond : « Non » et revient vers elle et lui tapote le bras et dit que ça va, qu’ils font tout leur possible.
    Le temps qu’ils terminent, Bébé est encore bleue mais elle respire, et ils l’enlèvent de la petite table blanche pour la montrer brièvement à sa mère avant de l’emmener. La pièce est silencieuse pendant que Lala se fait recoudre et planter des aiguilles et transfuser avec le sang de quelqu’un d’autre. Elle a froid et elle tremble et l’infirmière à la perruque roule en boule la chemise de nuit poisseuse de Wilma, la met dans un sac et prépare la salle pour un autre accouchement. Lala demande s’ils peuvent appeler Wilma pour l’informer que sa Stella a accouché et lui dire de venir, même si elle sait que Wilma ne viendra pas. Alors l’infirmière, pas impressionnée par le fait que Lala appelle sa grand-mère par son prénom mais radoucie à l’idée qu’elle a apparemment réussi à conjurer le sort, répond d’accord mais le bébé n’aura probablement pas droit aux visites dans l’immédiat. Son ton suggère que le bébé ne verra peut-être jamais aucun visiteur.

  • Les gens mentent quand ils décrivent la première claque. Lala sait qu’on ne peut pas faire confiance à une femme qui vous dit d’où la première claque est venue, parce que la première fois qu’on vous bat, si vous êtes vraiment sous le choc, la seule chose dont vous vous souviendrez, c’est de la douleur. Vous ne pouvez pas vous souvenir d’où c’est venu parce que vous ne vous y attendiez pas. Un peu comme les histoires que racontent les hommes comme Adan, qui disent que vous pouvez vous faire tirer dessus sans même vous en rendre compte, car vos sens doivent essayer de déchiffrer les indices laissés par quelque chose que votre cerveau ne comprend toujours pas. Vos yeux voient du sang, vos oreilles entendent le coup de feu, votre nez sent la poudre à canon, vous sentez le goût de la bile, vous sentez un point rouge et humide. En gros, vous avez été touché. La première claque, vous n’en prenez conscience qu’une fois que vos sens ont suffisamment récupéré pour vous transmettre l’information. Une femme qui affirme le contraire est une sorcière qui s’attendait à recevoir une gifle et l’a très probablement cherchée. Une femme comme ça a donc les yeux trop grands ouverts pour être vraiment amoureuse.

  • Comment est-ce qu'on apprend à aimer un homme ? La première fois que tu te poses cette question, c'est que tu viens de te marier. Il y a des jours où les casses d'Adan te payent des habits qui remplacent les affreuses robes que faisait Wilma. Il t'achète des robes en jean jaune fluo et des bottines en daim orange à petits talons aiguilles, des ceintures en cuir cloutées que tu peux porter sur les hanches quand tu sors en boîte pour écouter Alpha 24 et regarder les voyous se trémousser de leur mieux sur la musique de leurs ancêtres, tout en portant leur fortune autour de leur cou. Il y a aussi ces jours où Adan commence à manifester sa capacité à t'enlever ces habits à coups de poings, à déchirer ces robes et à te cogner avec les talons de ces mêmes bottines qu'il t'avait offerte dans une boîte avec un ruban dessus.

  • Si nous devions chercher Lala, et si nous devions la trouver au bord de Baxter’s Beach, les doigts enfouis dans les cheveux d’une inconnue, si nous devions nous approcher d’elle et lui demander si elle connaît le marginal crasseux qui traîne sur la plage, celui à qui nos femmes insulaires adressent des claquements de langue méprisants, celui au souvenir duquel s’accélère la respiration de certaines touristes, nous remarquerions d’abord la façon dont elle garde les yeux rivés sur la tête de sa cliente quand elle demande : « Qui ça ? » comme si elle cherchait délibérément à éviter notre regard. Ses doigts ne ralentiraient pas, non, ils continueraient à tresser les cheveux à une vitesse qui semble à impossible mesurer  dessusdessousdessusdessousdessusdessousdessusdessousdessus…

  • Nous pourrions, en premier lieu, décrire Robert Parris (alis « Tone ») en termes physiques, car son physique – locks couleur rouille mi-longues, taille moyenne, silhouette fine, dessinée et puissante – est ce qui saute d’abord aux yeux de ceux qui le regardent. Nous expliquerions que nous parlons de celui dont les ongles de pied blanchis ont la couleur des vagues, dont la peau est saupoudrée de la fine poussière d’une vie gagnée sur la plage. Nous expliquerions que les cheveux sur sa tête et les poils sur ses mains ont pris la teinte dorée du soleil, si bien que, comme le soleil, nous ne le verrions pas si nous le regardions directement.

  • Que sont les secrets, si ce n’est des choses que l’on veut oublier ? Par conséquent, pourquoi voudrait-on rester ami avec ceux qui s’en souviennent ?

  • Les extrêmes quels qu'ils soient sont mauvais, et les deux extrêmes de la possession - le dénuement et la surabondance - nuisent particulièrement à l'âme. C'est pour cette raison que la mère de Mira Whalem a toujours prôné la modération. Posséder juste assez pour être heureux. Assez pour manger. assez pour boire. Ni plus, ni moins. Chercher à déterminer en quoi consiste cet "assez" a sans doute déjà de quoi occuper toute la vie.

  • La plage pue la mousse croupissante, les algues sargasses et les entrailles en putréfaction de poissons échoués qui pourrissent dans l'air tiédissant. C'est un de ces matins où l'eau a la gueule de bois après une nuit d'insoussiance et a vomi sur la sable avant de tenter de cuver.Les touristes trouvent que marcher le long du rivage relève moins de la balade sur l'étendue de poudre rose représentée sur les magazines que d'un parcours du combattant où il faut éviter les méduses cachées sous les algues, les épines des oursins enlisés dans le sable, les morceaux de bouteilles en verre qui ne sont pas restées assez dans la mer pour être lissés et émoussés par le solei et le sel, transformés ainsi en objets dignes d'une chasse au trésor.

  • Elle ne l’avait pas quitté, bien sûr. Quelle femme irait quitter un homme pour risquer de subir les mêmes choses des mains d’un autre ? La voisine de Wilma ne se réfugiait-elle pas chez elle presque tous les vendredis soir après que son mari était rentré à la maison ? N’avait-elle pas vu, sur des femmes de sa connaissance, les preuves de raclées pires encore que celles qu’elle-même essuyait ? Sa propre mère n’avait-elle pas toléré pareilles corrections ?



Bibliographie

Née en 1974 à la Barbade, Cherie Jones est écrivain, avocate et mère de quatre enfants. Ses nouvelles ont été publiées dans PANK , Cadenza , Eclectica , The Feminist Wire et diffusées sur BBC Radio 4. Elle est boursière du Vermont Studio Center et a obtenu sa maîtrise avec distinction à l'Université Sheffield Hallam, où elle a reçu le Markham Award et le prix AM Heath.
Elle a obtenu un baccalauréat en droit de l'Université des Indes occidentales, à la Barbade, en 1995, un certificat d'éducation juridique de la Hugh Wooding Law School, St Augustine, Trinidad en 1997 et a été admise au Barreau à la Barbade en octobre 1997. Elle travaille toujours comme avocate, en plus de ses écrits. Elle a publié quelques nouvelles puis ce premier roman finaliste du prestigieux Women'sPrize en 2022. Pour la rédaction de son livre, Chérie Jones s'est inspirée d'histoires vraies mais aussi des légendes de son île.

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Cabane de pêcheur là où vit Lala et Adan

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