L'histoire
La Barbade, de 1979 à 1984. Le 16 août 1984, Lala jeune femme vivement chichement dans une cabane de pêcheur découvre son bébé de quelques semaines morte. La veille une violente dispute avait éclaté entre elle et son mari, Adan, le bébé est tombé mais semblait aller bien. C'est le début d'une histoire d'amour impossible et de haine. Adan connu pour cambriolages mais jamais arrêté par la police locale a tué le propriétaire d'une maison riche, devant les yeux de sa toute nouvelle épouse, la jolie métisse Myra qui ne s'en remettra jamais. Lala sait peut de choses sur ses origines, sa grand mère Stella l'a élevée en lui cachant une part de la vérité, que l'on découvrira au fil des pages, dans toute une galaxie de femmes et d'hommes maltraités par la vie.
Mon avis
Un premier roman qui me laisse un sentiment mitigé. D'une part parce que c'est rare de lire une auteure des caraïbes anglophones mais surtout parce que ce qu'elle raconte est vraiment d'une tristesse absolue.
Coté face, il y a une île paradisiaque, avec ses somptueuses villas, occupées par des richissimes étrangers, qui ont au moins une bonne, qu'elle soit noire ou blanche mais de ces « petites blanches du peuple, parfois légèrement métissées » qui ne viennent pas de la même classe sociale.
Et puis il y a le quotidien de ces femmes. Souvent mariées trop jeune a un bel homme comme Adan qui a un charisme aussi fou que sa cruauté, exactement ce que fait Lala, n'écoutant pas les conseils de sa grand-mère qui l'étouffe de surprotection mais pas d'amour. Comment donner quelque chose que l'on ne connait pas ? Une jeune femme qui a le rêve commun de toutes les femmes : un gentil mari, un travail, une petite maison et des enfants qui iront à l'école et seront bien élevés. Mais ce n'est pas le cas. Ce n'est jamais le cas. L'époux est gentil au début, puis arrive la première gifle, le premier coup, il va voir ailleurs, revient, semble gentil puis se fâche et c'est l'engrenage des femmes battues qui ont trop peur, face à une police aussi inefficace que corrompue, de porter plainte ou de fuir parce qu'elles n'ont pas d'argent. Il y a bien Tones que Lala connaît depuis longtemps, un surfeur gigolo, qui n'a jamais oser avouer son amour à la jeune fille. Il y a la grand-mère Wilma qui ne fait rien pour protéger sa petite fille depuis que celle-ci est partie, alors que cette femme solide qui a vu passer bien des horreurs dans sa vie (la mère de Lala a été violée par son propre père, le mari de Wilma et a été tuée d'un coup de couteau par son mari ivre et jaloux.
Mira, la jolie métisse, pour échapper a un avenir médiocre séduit et épouse un ruche anglais, celui qu'Adan tue et elle réalise alors combien elle aimait cet homme auquel, malédiction du sort, elle n'a pas pu donner d'enfants et s'enferme dans la solitude et la folie.
En fait, il y a peu d'échappatoires dans ce livre. Une dénonciation brutale du sort des femmes, à travers des chapitres où les principaux protagonistes ont la parole mais toujours relativisée par l'emploi de l'impersonnel (il, elle). Et comme les malheurs s’enchaînent il font oublier quelques jolis moments où la plume de l'écrivaine s'égare mais sans jamais s'émerveiller. C'est peut-être ce manque de nuances, de dosages entre le pire et le manque d'échappatoires poétiques, et aussi quelques redondances, qui me donne ce sentiment mitigé. Mais c'est aussi un terrible courage pour ce premier roman de dire ce que l'on tait, d'affirmer les violences sexistes et la pauvreté.
Extraits :
Alors Lala ferme sa bouche et ravale le cri qu’elle a attrapé à Baxter’s Beach comme d’autres attrapent un rhume, et dans sa tête, elle supplie le bébé de ne pas mourir tandis qu’elle pousse et sent les vaisseaux du blanc de ses yeux exploser et lui brouiller la vue.
Et Lala découvre le troisième fait établi, parce qu’après avoir surmonté la brûlure, la déchirure, l’écartèlement et enfin l’expulsion d’un poids qu’elle porte en elle depuis huit mois, elle se rend compte qu’elle n’entend pas la plainte qui, à la télévision, signale toujours la naissance du bébé. Elle dit : « Infirmière, infirmière ? » parce qu’elle veut qu’on lui assure que tout va bien, que le bébé va bien, mais l’infirmière ne la regarde pas, l’infirmière dégage son poignet qu’a attrapé Lala et ordonne à l’autre infirmière d’appeler le médecin et elle tient entre ses mains une chose qui ne bouge pas. Elle s’empresse de déposer le bébé sur une table éclairée par une lampe, où elle introduit un tube bulbeux dans ses narines, frictionne, compresse et écoute sa poitrine. Lala sait que ce n’est pas bon signe, elle ne veut pas regarder mais elle ne peut pas s’en empêcher et elle prie pour que le bébé vive car elle voit que les infirmières ont déjà baissé les bras et soudain, elle est furieuse contre Adan qui n’est pas là et après ce qui s’est passé, elle est persuadée qu’elle ne pourra plus l’aimer, et peut-être que ce bébé est la seule bonne chose dont Adan est capable, et elle veut que le bébé vive pour pouvoir lui donner tout son amour plutôt que de le donner à Adan.
Une autre infirmière entre précipitamment dans la salle, suivie d’un très jeune étudiant en médecine, et tous deux se dressent au-dessus de son bébé sur la petite table et le claquent, le palpent et le ponctionnent avec des tubes et des aiguilles jusqu’à ce que Lala entende un petit cri faible. Et ce n’est qu’une fois que Lala se met à geindre de soulagement que l’étudiant demande : « Elle est recousue ? » et l’infirmière qui a aidé à sauver Bébé répond : « Non » et revient vers elle et lui tapote le bras et dit que ça va, qu’ils font tout leur possible.
Le temps qu’ils terminent, Bébé est encore bleue mais elle respire, et ils l’enlèvent de la petite table blanche pour la montrer brièvement à sa mère avant de l’emmener. La pièce est silencieuse pendant que Lala se fait recoudre et planter des aiguilles et transfuser avec le sang de quelqu’un d’autre. Elle a froid et elle tremble et l’infirmière à la perruque roule en boule la chemise de nuit poisseuse de Wilma, la met dans un sac et prépare la salle pour un autre accouchement. Lala demande s’ils peuvent appeler Wilma pour l’informer que sa Stella a accouché et lui dire de venir, même si elle sait que Wilma ne viendra pas. Alors l’infirmière, pas impressionnée par le fait que Lala appelle sa grand-mère par son prénom mais radoucie à l’idée qu’elle a apparemment réussi à conjurer le sort, répond d’accord mais le bébé n’aura probablement pas droit aux visites dans l’immédiat. Son ton suggère que le bébé ne verra peut-être jamais aucun visiteur.Les gens mentent quand ils décrivent la première claque. Lala sait qu’on ne peut pas faire confiance à une femme qui vous dit d’où la première claque est venue, parce que la première fois qu’on vous bat, si vous êtes vraiment sous le choc, la seule chose dont vous vous souviendrez, c’est de la douleur. Vous ne pouvez pas vous souvenir d’où c’est venu parce que vous ne vous y attendiez pas. Un peu comme les histoires que racontent les hommes comme Adan, qui disent que vous pouvez vous faire tirer dessus sans même vous en rendre compte, car vos sens doivent essayer de déchiffrer les indices laissés par quelque chose que votre cerveau ne comprend toujours pas. Vos yeux voient du sang, vos oreilles entendent le coup de feu, votre nez sent la poudre à canon, vous sentez le goût de la bile, vous sentez un point rouge et humide. En gros, vous avez été touché. La première claque, vous n’en prenez conscience qu’une fois que vos sens ont suffisamment récupéré pour vous transmettre l’information. Une femme qui affirme le contraire est une sorcière qui s’attendait à recevoir une gifle et l’a très probablement cherchée. Une femme comme ça a donc les yeux trop grands ouverts pour être vraiment amoureuse.
Comment est-ce qu'on apprend à aimer un homme ? La première fois que tu te poses cette question, c'est que tu viens de te marier. Il y a des jours où les casses d'Adan te payent des habits qui remplacent les affreuses robes que faisait Wilma. Il t'achète des robes en jean jaune fluo et des bottines en daim orange à petits talons aiguilles, des ceintures en cuir cloutées que tu peux porter sur les hanches quand tu sors en boîte pour écouter Alpha 24 et regarder les voyous se trémousser de leur mieux sur la musique de leurs ancêtres, tout en portant leur fortune autour de leur cou. Il y a aussi ces jours où Adan commence à manifester sa capacité à t'enlever ces habits à coups de poings, à déchirer ces robes et à te cogner avec les talons de ces mêmes bottines qu'il t'avait offerte dans une boîte avec un ruban dessus.
Si nous devions chercher Lala, et si nous devions la trouver au bord de Baxter’s Beach, les doigts enfouis dans les cheveux d’une inconnue, si nous devions nous approcher d’elle et lui demander si elle connaît le marginal crasseux qui traîne sur la plage, celui à qui nos femmes insulaires adressent des claquements de langue méprisants, celui au souvenir duquel s’accélère la respiration de certaines touristes, nous remarquerions d’abord la façon dont elle garde les yeux rivés sur la tête de sa cliente quand elle demande : « Qui ça ? » comme si elle cherchait délibérément à éviter notre regard. Ses doigts ne ralentiraient pas, non, ils continueraient à tresser les cheveux à une vitesse qui semble à impossible mesurer dessusdessousdessusdessousdessusdessousdessusdessousdessus…
Nous pourrions, en premier lieu, décrire Robert Parris (alis « Tone ») en termes physiques, car son physique – locks couleur rouille mi-longues, taille moyenne, silhouette fine, dessinée et puissante – est ce qui saute d’abord aux yeux de ceux qui le regardent. Nous expliquerions que nous parlons de celui dont les ongles de pied blanchis ont la couleur des vagues, dont la peau est saupoudrée de la fine poussière d’une vie gagnée sur la plage. Nous expliquerions que les cheveux sur sa tête et les poils sur ses mains ont pris la teinte dorée du soleil, si bien que, comme le soleil, nous ne le verrions pas si nous le regardions directement.
Que sont les secrets, si ce n’est des choses que l’on veut oublier ? Par conséquent, pourquoi voudrait-on rester ami avec ceux qui s’en souviennent ?
Les extrêmes quels qu'ils soient sont mauvais, et les deux extrêmes de la possession - le dénuement et la surabondance - nuisent particulièrement à l'âme. C'est pour cette raison que la mère de Mira Whalem a toujours prôné la modération. Posséder juste assez pour être heureux. Assez pour manger. assez pour boire. Ni plus, ni moins. Chercher à déterminer en quoi consiste cet "assez" a sans doute déjà de quoi occuper toute la vie.
La plage pue la mousse croupissante, les algues sargasses et les entrailles en putréfaction de poissons échoués qui pourrissent dans l'air tiédissant. C'est un de ces matins où l'eau a la gueule de bois après une nuit d'insoussiance et a vomi sur la sable avant de tenter de cuver.Les touristes trouvent que marcher le long du rivage relève moins de la balade sur l'étendue de poudre rose représentée sur les magazines que d'un parcours du combattant où il faut éviter les méduses cachées sous les algues, les épines des oursins enlisés dans le sable, les morceaux de bouteilles en verre qui ne sont pas restées assez dans la mer pour être lissés et émoussés par le solei et le sel, transformés ainsi en objets dignes d'une chasse au trésor.
Elle ne l’avait pas quitté, bien sûr. Quelle femme irait quitter un homme pour risquer de subir les mêmes choses des mains d’un autre ? La voisine de Wilma ne se réfugiait-elle pas chez elle presque tous les vendredis soir après que son mari était rentré à la maison ? N’avait-elle pas vu, sur des femmes de sa connaissance, les preuves de raclées pires encore que celles qu’elle-même essuyait ? Sa propre mère n’avait-elle pas toléré pareilles corrections ?
Bibliographie
Née en 1974 à
la Barbade, Cherie Jones est écrivain, avocate et mère de quatre
enfants. Ses nouvelles ont été publiées dans PANK , Cadenza ,
Eclectica , The Feminist Wire et diffusées sur BBC Radio 4. Elle est
boursière du Vermont Studio Center et a obtenu sa maîtrise avec
distinction à l'Université Sheffield Hallam, où elle a reçu le
Markham Award et le prix AM Heath.
Elle a obtenu un baccalauréat
en droit de l'Université des Indes occidentales, à la Barbade, en
1995, un certificat d'éducation juridique de la Hugh Wooding Law
School, St Augustine, Trinidad en 1997 et a été admise au Barreau à
la Barbade en octobre 1997. Elle travaille toujours comme avocate, en
plus de ses écrits. Elle a publié quelques nouvelles puis ce
premier roman finaliste du prestigieux Women'sPrize en 2022. Pour la
rédaction de son livre, Chérie Jones s'est inspirée d'histoires
vraies mais aussi des légendes de son île.
En savoir plus :
son facebook : https://www.facebook.com/CherieJonesWrites/
En savoir Plus :
Sur le roman
Sur la Barbade
https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9mographie_de_la_Barbade
le centre médical : https://www.visitbarbados.org/fr/queen-elizabeth-hospital
légendes : https://www.visitbarbados.org/fr/culture-bajan-une-introductio
Sur les souterrains de Harrison's cave
https://www.easyvoyage.com/barbade/harrison-s-cave-322
Sur la population de la Barbade
https://www.afrik.com/la-barbade-un-paradis-habite-par-des-noirs
https://www.courrierinternational.com/article/2008/02/21/la-barbade-se-penche-enfin-sur-son-passe
https://donnees.banquemondiale.org/indicator/SI.POV.NAHC?locations=BB
Sur la condition féminine
Criminalité à la barbade
Play -list
la Tuk musique : https://www.youtube.com/watch?v=s0c_cuu_5Z4
Tuk musique : https://www.youtube.com/watch?v=duqUxN6oy78
Spouge : https://www.youtube.com/watch?v=EaI7VtkugQw&list=RDQMyPFdwVGtDPE&start_radio=1
Spouge 2 : https://www.youtube.com/watch?v=ZqBCcbR-_yA
Spouge 3 : https://www.youtube.com/watch?v=1NeDS5G-qA0
Peter Tosh : https://www.youtube.com/watch?v=BXs1AgwQmKU
Bob Marley : https://www.youtube.com/watch?v=qVTVB0Y3CA4
Kaiso : https://www.youtube.com/watch?v=YZnKHe3BL1E&list=PLc1yZQwF8KnhEs4gE49s0Zg2dBU2TzmJo
Kaiso : https://www.youtube.com/watch?v=0Sl7_8nosHA&list=PLohQGqpjxFpHZbFYtP7e-8T-3xkXR7CE2
Rihanna (vedette nationale de la Barbade : https://www.youtube.com/watch?v=lWA2pjMjpBs
Photos
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| Bridgetown, capitale de la Barbade |
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| rue commercante à Bridgetown |
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| Carnaval de la Barbade |
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| Une plage à la Barbade |
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| Une autre plage |
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| Quartier Sainte Lucie, quartier pauvre de la Barbade |
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| Villa de luxe |
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| Cabane de pêcheur là où vit Lala et Adan |
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| Les grottes souterraines d'Harrisons'Park |
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| Harrisons Park |











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