L'histoire
Nadia vit dans la banlieue de San Diego (Californie du Sud). Elle vient de perdre sa mère qui s'est suicidée, elle a du avorter suite à une relation non protégée avec Luke, le fils de la communauté afro-américaine, , religieuse et conservatrice où elle se sent exclue.
10 ans plus tard, des voyages et des diplômes en poche, elle doit revenir dans sa communauté pour assister au mariage de Luke et de Aubrey, sa « meilleure amie ». Les vieux secrets enfouis et les démons de jadis rejaillissent, dans cette petite communauté qui ne semble pas avoir changé.
Mon avis
Le premier roman de Brit Bennet, dont j'avais lu et bien aimé le second roman « L'autre moitié de soi » : https://nathbiblio.blogspot.com/2023/01/brit-bennett-lautre-moitie-de-soi.html qu'elle a écrit à 27 ans.
Le roman analyse ici les histoires d'amour complexes et aborde le sujet de l'avortement dans une petite communauté où tout se sait mais rien ne se dit vraiment.
A cœur du roman, Nadia, trop belle, trop intelligente et surtout meurtrie. Sa mère s'est suicidée quelques mois auparavant, sans aucune explication, la laissant en plein questionnement. Son père, grand adepte de l'église du Cénacle est un homme taciturne, replié sans doute sur son chagrin et ne s'occupe pas trop de Nadia. Alors Nadia, brillante élève grâce à une excellente mémoire, passe son temps dans les bars où elle croise Luke, le séduisant fils des Sheppard, le pasteur de l’église et sa femme aussi ambitieuse que conservatrice. Quand Nadia tombe enceinte de Luke, elle décide d'avorter. Luke lui fournit l'argent nécessaire, mais Luke ne l'accompagne pas et la délaisse et c'est encore un abandon de plus. Avant d'entrer dans une université au Michigan, elle se lie d'amitié avec Aubrey dont l'histoire personnelle n'est pas gaie non plus. Violée par un amant d'une mère volage et jamais enracinée, elle est recueillie par sa sœur aînée Mo qui vit avec une femme blanche. Elle se donne des airs de sainte-nitouche et devient la chouchoute de Madame Sheppard.
Pendant 10 ans, Nadia suit des études brillantes, voyage à l'étranger, n'a pas vraiment de petit ami fixe et ne retourne pas à Oceanside en Californie. Mais à l'annonce du mariage entre Aubrey et Luke, elle est bien forcée de revenir. Luke promis a un grand avenir de footballeur s'est cassé le genou et est devenu kinésithérapeute. Quelques années plus tard c'est son père qui tombe malade et elle doit encore revenir au pays pour l'aider. Elle renoue alors avec Luke, devant une Aubrey de plus en plus amère et qui a du mal à avoir un enfant.
L'originalité de l'histoire est qu'elle est racontée par un chœur des « mères », invisibles mais qui gardent en elles toute la mémoire des femmes noires, comme dans les chœurs des pièces antiques.
Un roman qui tourne autour de l'amour impossible, parce que dicté par les convenances dans ce microcosme, mais aussi de la maternité et de l'avortement. Entre l'enfant désiré que l'on a pas, et celui peut-être désiré mais qu'on ne veut pas, parce qu'on ne gâche pas sa vie à 17 ans. Ce sujet de l'avortement est assez important depuis que la décision de la Cour Suprême
Très apprécié aux USA, je trouve que ce roman manque peut-être un peu d'audace et d'humour. L'écriture est soignée mais sans originalité, et les violences ne sortent pas, là où elles seraient libératrices. Ce n'est pas l'écriture acerbe de Gayl Jones ou celle vivace de Leila Mottley, mais cela se lit. Après tout ce n'est qu'un premier roman et Miss Bennet a encore une longue carrière devant elle.
Extraits :
Nous n'aurions pas du faire ça . Mon être spirituel est affligé. Mais Patrica avait refusé de se sentir coupable. Ils n'avaient obligés cette fille en rien. Une fille qui ne voulait pas d'enfant trouvait toujours un moyen de s'en débarrasser. La meilleure solution , la solution chrétienne c'était de lui faciliter les choses. Ensuite elle pourrait partir à l'université et sortir de leurs vies. Ce n'était pas une issue parfaite, mais dieu soit loué : le drame avait été évité.
Des fois, je me dis que..." Elle s'interrompit. "Si ma mère s'était débarrassée de moi, est-ce qu'elle serait toujours en vie? Peut-être qu'elle aurait été plus heureuse. Peut-être qu'elle aurait pu avoir une vraie vie."
Ses amis auraient poussé un cri de surprise, l'auraient regardée avec des yeux écarquillés. "Comment peux-tu dire une chose pareille? " auraient-ils dit en lui reprochant de nourrir des idées aussi noires. Mais Aubrey se contenta de serrer sa main dans la sienne. Elle comprenait le sentiment de perte ; elle savait qu'il vous poussait à imaginer tous les scénarios. Nadia avait dans sa tête différentes versions de la vie de sa mère, des versions qui ne s'achevaient pas par une balle qui lui explosait la cervelle. Dans sa tête, Elise ne berçait plus un corps minuscule et fripé dans un lit d'hôpital, avec un sourire épuisé. Elle avait dix-sept ans et elle avait peur, elle attendait qu'on appelle son nom, dans une clinique d'avortement. Elise, qui n'était plus sa mère alors, quittait le lycée, entrait à l'université, étudiait jusqu'en troisième cycle. Elle écoutait des conférences, ou elle en donnait, debout derrière un pupitre, se grattant le mollet avec un orteil. Elle voyageait à travers le monde, se posait sur les falaises de Santorin, les bras tendus vers le ciel bleu. Elle était toujours sa mère, mais dans cette version de la réalité, Nadia n'existait pas. Au moment où sa vie à elle s'arrêtait, celle de sa mère débutait.Nous l'avions toujours trouvée un peu bizarre, d'ailleurs. Rêveuse, comme si son esprit était un ballon accroché au bout d'une ficelle, qu'elle oubliait de ramener parfois.
- Je ne peux pas le garder. Luke se figea au moment où elle se levait. - Je peux pas avoir un enfant. Je peux pas devenir la mère d'un putain de gosse. Je vais aller à la fac. - OK, dit-il. OK, répéta-t-il, plus bas. Dis-moi ce que je dois faire. Il n'essaya pas de la faire changer d'avis. Ce qu'elle appréciait, même si une partie d'elle-même avait espéré qu'il réagisse de manière démodée et romantique, en proposant de l'épouser, par exemple. Elle n'aurait jamais accepté, mais elle aurait trouvé ça bien.
Il détestait les dîners dominicaux chez ses parents, mais pas au point de renoncer à la possibilité de manger gratuitement et de faire laver son linge.
C'était ce qui l'avait toujours effrayée dans le mariage : les gens paraissaient satisfaits, incapables d'exiger davantage. Elle n'arrivait pas à s'imaginer ainsi. Elle recherchait toujours un nouveau défi, un nouveau travail, une nouvelle ville. En fac de droit, elle était devenue irritable et analytique ; elle s'était affûtée, alors que [son ex] s'arrondissait et se remplissait. Elle se sentait affamée en permanence ; elle en voulait plus, il lui en fallait plus, alors [qu'il] avait déjà repoussé son assiette en se tapotant l'estomac.
Pourquoi devaient-ils faire autant d'efforts, se donner tant de mal, pour réussir ce que des millions de gens faisaient chaque année sans peine ? Elle achetait des tests de grossesse par brassées, et elle les utilisait tous les quinze jours, même quand elle n'avait aucune raison de supposer qu'elle pourrait être enceinte: c'était comme jeter des pièces de monnaie dans une fontaine porte-bonheur.
Tous les grands secrets ont un goût particulier avant d'être révélés, et si nous avions pris la peine de faire tourner celui-ce dans notre bouche, nous aurions peut-être perçu l'aigreur d'un secret pas assez mûr, cueilli trop tôt, chapardé et transmis précocement.
Nous lui aurions dit qu'à nous toutes nous avions des siècles d'avance sur elle. Si nous mettions toutes nos vies bout à bout, nous étions nées avant la Dépression, avant la guerre de Sécession, avant l'Amérique elle-même.
Elle refusait de le laisser enterrer son sentiment de culpabilité en elle. Elle ne servirait plus jamais de lieu de sépulture à un homme.
Reckless white boys became politicians and bankers, reckless black boys became dead.
We didn't believe when we first heard because you know how church folk can gossip. The weight of what has been lost is always heavier than what remains.
Suffering pain is what made you a woman. Most of the milestones in a woman’s life were accompanied by pain, like her first time having sex or birthing a child. For men, it was all orgasms and champagne.
Biographie
Née en 199 en Californie, Brit Bennett est essayiste et
romancière afro-américaine.
Elle est diplômée à l'Université
Stanford et titulaire d'un MFA à l'Université du Michigan. Elle y a
également remporté le prix Hopwood de la Nouvelle des étudiants
ainsi que le Prix Hurston/Wright des écrivains de faculté.
Ses
travaux ont été publiés dans les magazines The New Yorker, The New
York Times, The Paris Review et Jezebel.
"Le cœur battant
de nos mères" ("The Mothers", 2016), son premier
roman, a été sur la liste des best-sellers du New York Times et
finaliste de nombreux prix littéraires. Il a été acheté par la
Warner pour une adaptation cinématographique.En 2016, elle fait
partie des 5 lauréats de la National Book Foundation parmi 35
candidats sélectionnés.
Brit Bennett vit à Los Angeles.
En savoir plus :
https://britbennett.com/ -son site)
En savoir Plus :
https://www.telerama.fr/livres/le-coeur-battant-de-nos-meres,n5188728.php
https://www.senscritique.com/livre/Le_coeur_battant_de_nos_meres/27000413
https://www.autrement.com/le-coeur-battant-de-nos-meres/9782746745728
https://www.lemonde.fr/livres/article/2017/10/07/brit-bennett-douee-d-empathie_5197598_3260.html
https://www.lesinrocks.com/cheek/brit-bennett-le-coeur-battant-de-nos-meres-312321-30-08-2017/
Dans l'univers du roman
Sur les lieux
photos : https://www.gettyimages.fr/photos/oceanside-california et https://www.gettyimages.fr/photos/oceanside-california
Sur l'avortement aux USA
https://www.nationalgeographic.fr/histoire/lavortement-na-pas-toujours-fait-polemique-aux-etats-unis
https://www.emilemagazine.fr/article/2022/12/6/missouri-etats-unis-le-cauchemar-des-pro-avortement
https://www.pressegauche.org/Etats-Unis-la-menace-sur-l-IVG-pese-beaucoup-sur-les-femmes-noires
Faute d'informations, honte d'aller au l'équivalent du planning familiale, trop de jeunes filles noires doivent passer par la case avortement. Le plus souvent dans la plus grande discrétion parce que l'éducation par des familles fortement évangéliques en fait un véritable tabou. La contraception est une notion difficile à admettre à la fois pour les jeunes (rejet, être traitée de fille facile et pire) et pour les familles (déshonneur, exclusion familiale).

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