L'histoire
Fatima Daas est la petite dernière d'une famille algérienne vivant à Clichy-sous-Bois où elle est née par césarienne, au grand dam de son père qui espérait un garçon. Élevée dans la tradition, il lui faut puiser dans les astuces délicates pour s'émanciper, assumer son amour pour les femmes, sans jamais renier sa famille.
Mon avis
Ce premier roman de Fatima DAAS, à consonance biographique est un petit phénomène littéraire. Préfacé par Annie Ernaux (qui vient de recevoir le prix Nobel d'écriture), tous les chapitres, assez courts, commencent par ces mots répétés : Je m'appelle Fatima. Sorte de monologue ou journal laconique de sa vie, on découvre Fatima et sa famille. La mère qui règne sur son territoire, la cuisine où elle concocte des plats du bled. Le père suit à la lettre les préceptes de la religion mais n'impose ni école coranique, ni port du voile à ses familles. Il explique quelques préceptes mais sans plus, mais il se montre aussi brutal et violent envers sa femme et ses filles, qui ne mouftent pas. Surtout il a élevé sa petite dernière un peu comme le garçon qui lui manque. Sans jamais renier sa religion, Fatima, mal dans sa peau, n'ayant pas conscience de son corps de femme, est lesbienne. Surtout, elle amoureuse de Nina, une étudiante comme elle, mais n'arrive pas à lui avouer ses sentiments, il faudra du temps, celui de se sentir « adaptée ».
Sous le prétexte de chapitres courts qui peuvent faire penser à un slam, ce drôle de roman, plutôt un récit démontre subtilement la position de la femme musulmane, sa quête de son identité, le poids de la religion et de ses tabous. Tiraillée entre deux cultures, comme deux identités, la jeune femme aime autant sa famille que son Dieu. D'ailleurs on apprend la signification de certains mots arabes : Fatima veut dire « petite chamelle sevrée », car le texte parsème aussi des mots qui ne nous sont pas familiers. Non dénué d'humour ou d'auto-dérision, finalement nous vivons à travers Fatima un questionnement très féminin : ma vie, mes choix.
Loin de clichés sur la « banlieue », il s'agit d'une subtile analyse de l'emprise de la religion sur les femmes et sur leur désir d'être elles-mêmes.
L'écriture, toujours au présent, très condensée en petits chapitres qui se renvoient les uns aux autres peuvent être un frein à la lecture. Nous sommes habituées aux genres bien identifiés : poésie, romans, polars. Ici tout vole en éclats, et cette expérience littéraire (qui renforce le sentiment de dualité) est tout à fait intéressante.
Extraits :
Je m’appelle Fatima.
Je porte le nom d’un personnage symbolique en islam.
Je porte un nom auquel il faut rendre honneur.
Un nom qu’il ne faut pas « salir », comme on dit chez moi.
Chez moi, salir, c’est déshonorer. Wassekh, en arabe algérien.
On dit darja, darija, pour dire dialecte.Je m’appelle Fatima Daas.
Je suis française d’origine algérienne.
Mes parents et mes sœurs sont nés en Algérie.
Je suis née en France.
Mon père disait souvent que les mots c’est «du cinéma», il n’y a que les actes qui comptent.
Il disait smata, qui signifie insister jusqu’à provoquer le dégoût, quand il voyait à la télé deux personnes se dire «Je t’aime».Ma mère m'habille jusqu'à mes douze ans.
Elle me fait porter des robes à fleurs, des jupes patineuses, des ballerines, j'ai des serre-tête de différentes couleurs, en forme de couronnes.
Toutes les petites filles ne veulent pas être des princesses, maman.
Je déteste tout ce qui se rapporte au monde des filles tel que ma mère me le présente, mais je ne le conscientise pas encore.Je suis en cours de sport la première fois que j’ai mes règles.
Je réalise que je suis une fille.
Je pleure.
Le soir, je dis à ma mère que je ne veux pas.
Elle m’explique que c’est naturel.
Je déteste la nature.À quatorze ans, je ne savais pas faire mon lit.
À vingt ans, je ne savais pas repasser une chemise.
À vingt-huit ans, je ne savais pas faire de pâtes au beurre.
Je n’aimais pas me retrouver dans la cuisine, sauf pour manger.Le tabac, c'est le parfum de mon père.
Il fume à l'intérieur de l'appartement, ça ne l'inquiète pas pour mon asthme, il me porte sur ses genoux et tient sa clope de la main gauche.Je suis bien accueillie par ma famille inconnue.
Mes tantes sont « tactiles ». Mes parents le sont moins. Ou pas du tout.
Je découvre les premiers câlins, les embrassades, les caresses, les compliments, les mots doux.Tu sais quoi ? C’est pas grave, mama ! Aujourd’hui on peut tout être : violeur, tueur en étant musulman, sauf être un homme et en aimer un autre. D’entrée de jeu, on l’élimine, on le fait sortir de la religion.
Avant l’adolescence, mon père me chantait des chansons.
Il me racontait des histoires, aussi.
Loundja ! Loundja, la princesse aux cheveux d’or.
Mon père commençait toujours son histoire par : il était une fois.
Il était un fois Loundja.e n’ose pas dire que l’homosexualité féminine n’est pas abordée dans le Coran. Je n’ose pas non plus dire que seule l’histoire de Sodome et Gomorrhe l’évoque explicitement. Qu’on ne parle pas d’homosexualité, mais de viol d’hommes sur des jeunes hommes, et pas de relation homosexuelle consentie.
La PRIDE, Fatima ! Ne dis pas la Gay pride, tu invisibilises les lesbiennes et tout le reste de la communauté en disant Gay pride.
Je crois que je communique mieux qu’avant. J'arrive à dire “ça me fait plaisir que…”, “merci pour…”, “j’ai aimé passer du temps avec toi”, mais j’ai encore l’impression d’en dire trop. Parfois, j’exprime mes émotions avec distance et retenue. Parfois, ça ne donne rien. Parfois je me bloque. Je me tais. Parfois, je parle trop.
Après un certain temps je ressens la fatigue des transports, celle qui te conduit à avoir une migraine à peu près à la même heure chaque soir, qui te fait découvrir la vieillesse de ton organisme prématurément, qui empiète sur ton humeur, t’incite à avoir des réactions excessives, à râler presque tout autant que les parisiens et à voir des montées de colère difficilement contrôlables.
Gabrielle et Cassandra étaient ma stabilité aménagée, un semblant d'apaisement et de confort.
Lorsque Nina a débarqué dans ma vie, je ne savais plus du tout ce dont j'avais besoin et ce qu'il me manquait.Avant, les vérités me paraissaient dangereuses à dire. J'ai longtemps pensé que les choses se ressentent plus qu'elles ne se montrent. Des restes de mon éducation: montrer par petites touches mais ne jamais dire.
Ça raconte l’histoire d’une fille qui n’est pas vraiment une fille, qui n’est ni algérienne ni française, ni clichoise ni parisienne, une musulmane je crois, mais pas une bonne musulmane, une lesbienne avec une homophobie intégrée
Biographie
Née
en 1995 à Saint Germain en Laye, Fatima
Daas est une auteure française d’origine algérienne. Ses parents,
musulmans pratiquants venus d’Algérie, se sont installés à
Clichy-sous-Bois. Elle grandit dans la petite ville de
Seine-Saint-Denis, entourée d’une famille nombreuse.
Au
collège, elle se rebelle, revendique le droit d’exprimer ses idées
et écrit ses premiers textes. Étouffée par un environnement où
l'amour et la sexualité sont tabous, elle est remarquée pour son
talent d'écriture et commence des études littéraires, tout en
découvrant son attirance pour les femmes. Elle se définit comme
féministe intersectionnelle. "La Petite Dernière" (2020)
est son premier roman.
En savoir plus :
Son insta : https://www.instagram.com/p/CFXC8e9oCy9/?hl=fr
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vidéos
Critiques presses
https://www.senscritique.com/livre/la_petite_derniere/42443346
https://www.telerama.fr/livres/la-petite-derniere,n6685203.php
https://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/230820/fatima-daas-la-convergence-des-livres
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Le livre en pdf

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