lundi 13 mars 2023

HADRIEN BELS – Tibli la blanche – Editions L'iconoclaste – 2022

 

L'histoire

Tibi et ses deux amis Issa et Neurone attendent les résultats du baccalauréat au lycée de Thiaroye, dans la proche banlieue de Dakar (Sénégal).

Pour Tibi, bonne élève mais pas excellente, l'enjeu est crucial : elle bénéficie d'une bourse pour aller étudier en France, ce qui lui permet d'échapper à son envahissante famille. Pour Issa, élève médiocre mais sympathique c'est le sésame pour entrer dans une école de haute couture à Dakar car il veut être créateur de mode. Et pour Neurone, le petit génie de la bande, c'est l'occasion d'aller étudier en France, puis aux USA, de devenir médecin ou promis à un bel avenir. Qui réalisera ces rêves.


Mon avis

On est tout de suite conquis par ce petit roman qui met en scène, avec beaucoup d'humour, la jeunesse de Dakar, mais aussi les oppositions dans la société sénégalaise.

Tibi, la jeune héroïne du roman veut avoir son bac, car elle pourra échapper à sa famille nombreuse où l'on accueille tout le monde. Elle est de l'ethnie Soniké, convertie à l'Islam, mais dans sa famille si certains pratiquent religieusement les recommandations du Coran, aucune femme ne porte le voile et la mosquée reste une option selon ce que l'on a sur le coeur. Hélas, Tibi doit se marier avec un homme "sérieux" selon la tradition des mariages arrangés. Mais pour ce qui est de décourager les prétendants que lui présente sa mère, elle a l'art et la manière, soutenue par ces deux complices.

Neurone lui est diola, catholique et surtout le fils d'un des plus gros entrepreneurs de la ville, un homme imbu de lui-même qui abuse de passe-droits, roule en gros 4x4 rutilant et espère secrètement que son fils restera pour l'aider dans l'entreprise familiale.

Et puis Issa, d'origine peule, le plus pauvre, mais aussi le plus créatif. Il consulte un marabout pour avoir un bic magique au bac, est débrouillard et déjà excellent couturier. Les deux garçons sont amoureux de Tibi, mais ils ne pourront jamais l'épouser car « une sonikée n'épouse qu'un soniké », et sa mère mijote déjà un mariage.

Dans cette jeunesse tourbillonnante de Dakar, de ses quartiers riches ou populaire, on mange le diep, on boit du bissap, on écoute Youssou n'Dour et Booba, et on rêve. De la France, à la fois aimée et détestée (les affaires de la France-Afrique, le projet de Total controversé). On l'aime parce qu'on pense à un avenir meilleur, faire des études et s'amuser ou percevoir des rsa qui sont une fortune comparée aux francs csa.

L'auteur nous explique aussi que les ethnies qui s'entendent très bien dans la vie de tous les jours, se côtoient, sont amies ont des limites comme le mariage par exemple. Et puis il évoque le système des castes au Sénégal. Quelque chose que nous ignorons : les geer (Neurone) sont la classe dominante, la noblesse sénégalaise, toujours accommodante avec le pouvoir quel qu’il soit. Puis les jef-lekk qui regroupent les artisans manuels comme Issa ou petits commerçant comme la famille de Tibli, a cheval avec la classe geer. Enfin il y a les griots, les poètes et conteurs, ce qui ressemble beaucoup au père de Tibli, qui aime raconter des histoires à sa fille qu'il adore.

Tout cela mené par une écriture joyeuse, avec des références culturelles typiques du Sénégal, la cuisine : le fameux Tiep, ragoût servi avec du riz), le poulet Yassa, les jus de fruits, le bissap (infusion d'hibiscus et d'eau de fleur d'oranger sucrée ou pas qui se boit très fraîche), les références à Senghor, Kouroma et des expressions typiques comme les tic-tic, le housmanta, le mbalax (très compréhensible puisque l'auteur en donne la signification.

Un hommage à Dakar, la ville chérie de l'auteur, une ville en perpétuelle mutation avec ces quartiers définis mais mouvants et où surtout la joie de vivre qui l'emporte toujours. On aimerait bien une suite Monsieur Bels !!


Extraits :

  • Un jour on fêtera mon mariage pendant toute une semaine.Tu seras invité. On dansera et les griots me chanteront. Au 7e jour on sortira mon wakhande,tous les tissus que ma mère garde depuis que je suis né et le soir même nos houssmantas nous accompagneront, moi et mon mari jusqu'à notre chambre nuptiale.

  • C’est la première fois qu’elle revient au pays depuis son mariage. Elle est arrivée la semaine dernière de France, avec son premier-né sous le bras, en congé maternité. Elle dit qu’elle vit à Lyon, mais en vrai, c’est à Vaulx-en-Velin. Quelque part dans le ventre de la France. Elle est partie là-bas juste après son mariage avec un cousin. Elle a fait les choses dans les règles, Fatou. Proprement. Même caste, même nom, même village. Tout le monde était content.

  • Ces noms portent en eux les légendes des grands empires africains. Quand on te demande ton nom, c'est qu'on veut connaître ton ethnie, ton village, tes ancêtres. On saura alors tes coutumes, ta langue, ta mentalité. Et ton métier, on s'en foutra complètement. Ça ne vaut rien. La richesse part avec la maladie, l'accident ou la vieil- lesse. Alors que ton nom te relie aux autres. Tu es la pièce du puzzle d'une histoire ancestrale qui ne s'apprend pas dans les manuels scolaires.

  • Je vais partir et les larmes accompagneront mon voyage. A mon arrivée, je ne serai rien d'autre qu'une branche sèche que l'on a arraché à son arbre. Tout me manquera. En France, je pleurerai devant ces paysages sans poussière. Mais ça ne durera pas longtemps. Je n'ai pas appris à me plaindre. Là-bas, je prendrai dans mes bras ceux qui les ouvrent. Je leur donnerai un peu de ma couleur.

  • Pour Tibilé, la lecture a toujours été un combat. On lit, on lutte, on fait reculer les lignes ennemies. Elle se sent plus proche des chiffres, au moins eux n'essaient pas de te manipuler. Les mots sont des traîtres. Ils créent désordres et polémiques.

  • Dans cette maison, personne n'a jamais soufflé de bougie d'anniversaire et on garde les sentiments dans le grenier. Les Kanté ne célèbrent que l'utile et l'obligatoire : fêtes religieuses et mariages. On ne sait pas rendre hommage à l'individu. C'est culturel : rien au-dessus du clan. Ou religieux : rien au-dessus du Prophète.

  • Les deux rails ne se toucheront jamais. On quitte le boulot, on arrive à la maison, on enlève ses chaussures, on rattrape ses prières, on mange son thiep et on se plante devant la télé. Le week-end, on est invité dans des cérémonies, des mariages et des baptêmes. On envoie de l'argent au pays, pour le village, et on s'occupe de la famille qui arrive à Paris. On les loge, on les nourrit, on leur trouve des universités, un travail, on joue son rôle de rouage dans la machine de la communauté. La vie de David est un wagon qui glissera jusqu'à la retraite au pays. Et puis terminus, tout le monde descend, carré familial et cimetière musulman.
    Tibilé n'est pas sûre de vouloir prendre ce train-là. Elle veut des croisements, des changements de direction, des accidents et de grandes voies d'autoroute, où l'on dépasse la vitesse autorisée en mettant sa tête à la fenêtre pour sourire au vent et au destin. Elle veut du déraillement.

  • Pour un sénégalais, la France, c'est la femme auprès de laquelle tu vas te plaindre de tes maux de dos, alors que tu réserveras tes prouesses de lit à ta maitresse.

  • Le long de la voie rapide, on vend lampes torches chinoises, claquettes Vuitton, maillots de foot et médicaments 100 % naturels pour les problèmes
    d’érection. « T’inquiète, ce marabout n’habite pas loin », fait Issa en levant la main pour arrêter un taxi en fin de vie. Les garagistes du pays sont des chirurgiens qualifiés. Transplantation de moteur, greffe de carburateur et changement complet de carrosserie.

  • Le samedi soir, les bus et les camions se lancent sur la voie rapide comme des spermatozoïdes. S'insérer dans la circulation est une seconde naissance, comme s'imposer à la vie et dire aux autres "J'existe". La main de David force la boîte de vitesse, son pied droit pousse l'accélérateur dans le vide et son pied droit lâche l'embrayage brutalement. Il cale. Fausse couche.

  • On ne répond jamais aux questions, on ne fait que mentir, on ne fait que dire ce que les gens veulent entendre.

  • L'administration est une maison close, il suffit de payer et elle te donne son cul.

Biographie

Né à Marseille en 1979, Hadrien Bels a grandi à Marseille avant de travailler en tant que vidéaste. Il est également réalisateur.
"Cinq dans tes yeux" est son premier roman paru aux éditions L’Iconoclaste en 2020, chronique d’une jeunesse qui avait le cœur et la rage poétiques, au cœur de Marseille, dans les années 90.
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