samedi 11 mars 2023

KHADIJA DELAVAL – la Nièce du taxidermiste – Editions Calman-Levy - 2022

 

L'histoire

Tous les étés, Baya, genevoise les passe à Hammamet chez sa grand-mère, entourée de cousins, tantes, oncles, amis. Mais l'été de ses douze ans, deux choses lui arrivent. Elle a ses règles et ne sait pas trop ce que cela veut dire. Puis elle est violée par son cousin germaine Maridh, un adolescent retors qui terrorise les enfants. A la honte, ne comprenant pas ce qui lui arrive, ne connaissant pas le mot viol, cette jeune fille innocente a peut d'être enceinte et vit très mal des menstrues douloureuses. Avec le temps, l'instruction, Baya va finir par retrouver sa confiance en elle-même et assumer son destin de femme libre.


Mon avis

Baya nous raconte son histoire avec ses mots, celui d'une enfant, peu éduquée aux affaires sexuelles. Depuis qu'elle est petite, elle passe les vacances d'été chez sa grand-mère, à Hammanet en Tunisie. A 12 ans, elle est trop petite pour faire partie du monde des adolescents, et trop vieille pour faire partie de celui des petites filles. Reléguée à surveiller les petits, aider sa grand-mère, elle est souvent moquée par les gamins. Surtout le jour où une tâche de sang apparaît dans sa culotte. Elle a entendu vaguement parler des règles mais sans y prêter attention, pour elle c'était un truc d'adultes. De même lorsque son cousin la piège et la viole devant les adolescents de la bande, outre la terrible douleur, elle saigne abondamment. De retour à Genève, elle craint une grossesse, même si on lui a affirmé le contraire. Ses menstrues sont irrégulières abondantes et douloureuses. Sa mère, une femme élégante, émancipée l'emmène quand même voir une gynécologue qui prescrit un traitement. Mais elle vit dans la peur que « son secret » soit découvert et qu'elle soir déshonorée. Avec les cours d éducation sexuelle dispensés au collège, elle comprend mieux comment son corps fonctionne. Mais elle refuse catégoriquement de retourner en vacances en Tunisie, de peur de recroiser son agresseur et de resubir le même sort.

Il faut du temps à Baya (dont on voit l'écriture évoluer alors qu'elle avance dans la vie) pour mettre un mot sur ce qui lui est arrivé : un viol. Et encore, car elle a été élevée dans des principes stricts sur le rôle de la femme, elle culpabilise. Il lui faudra du temps pour ouvrir les yeux.

A travers une écriture qui peut sembler naïve, c'est toute une société qui est mise en cause. Ces adultes, aisés pour la plus part, profitent des vacances pour oublier leurs rejetons, surtout ne pas voir quand une enfant ne va pas bien. Les abus sont tus, on ne cherche pas à comprendre le fond. Sans l'évoquer directement, l'éducation des jeunes filles musulmanes font de la sexualité un tabou. Baya doute de son Dieu, croit que c'est son mactoub (destin).

Seul bémol à ce roman très atypique par son écriture faussement naïve, le titre qui ne situe pas du tout l'histoire. Il s'agit du premier roman de Khadija Delaval.


Extraits :

  • Malgré ma détestation de la maison, ma phobie de tous les animaux empaillés dont elle était décorée, mon dégoût face aux cousins et frères de mon père, je devais être polie, discrète, serviable, gentille, polie, discrète, serviable et gentille. Et serviable surtout.

  • C’était une femme d’une beauté sobre dont le visage avait vieilli avec charme. Nous avions toutes deux des rapports particuliers car dans ses relations à ses petits-enfants, elle s’était d’une certaine manière arrêtée à moi. Ses trois aînés, Samra, Maridh et moi-même avions avec elle des liens forts et plus ou moins faciles. Pour elle, Samra était simplement la cadette de ses filles, d’une dizaine d’années à peine plus jeune que le dernier de ses fils ; née alors que ma grand-mère avait encore l’âge d’être sa mère.

  • J’imagine que ce fut ma chance. Je ne sais plus ce que ça signifiait pour moi à l’époque, mais je connaissais Freud et le complexe d’Œdipe. Je savais que c’étaient des trucs louches. De l’ordre de ce qui ne se disait pas et ne devait pas se dire. J’ai pensé qu’elle devait en être imprégnée pour avoir posé cette question et, comme ensuite elle m’a juste embrassée sans insister et que ma tante Tsakhef et ma grand-mère ne sont pas allées plus loin, je me suis dit que Freud m’avait sauvé la mise.  

  • Les adultes cherchaient à gommer les aspérités entre leurs différentes méthodes d’éducation et, en uniformisant nos besoins, à faciliter la garde du petit monde que nous constituions. Je savais que mon père n’irait pas plus loin dans cette histoire de règles que de me signifier, en m’invitant à rester, que quelque chose avait changé. Il faudrait que j’attende, et encore peut-être sans résultat, que ma mère arrive pour que le problème soit traité.

  • Depuis le sang dans ma culotte, c’est chez lui que je rêvais d’aller tous les jours pour me mettre à l’abri des moqueries de mes cousins, des regards lourds de sens de ma tante Tsakhef et des pincements de joue que m’infligeait son mari.

  • Chaque fois que je la retrouvais, elle me posait des questions sur Genève, sur mes amis et ma mère. Elle en avait entendu parler et d’une certaine manière, j’ai senti que je l’intriguais. C’était diffus, mais dans ses questions, j’ai deviné, ce qui m’arrivait souvent en Tunisie, que ce qu’elle savait de ma mère la fascinait et l'effrayait.

  • Ça s’est passé quatre fois. Ou peut-être une seule. Ça dépend de la manière de compter. Et puis ça n’a pas de nom qui me corresponde dans le langage commun. Je ne me reconnais pas dans ces terminologies. Et elles m’agacent aussi.

  • Comme tous les enfants de la famille, quel que soit leur âge, j’avais à plus d’une occasion pu suivre les parties de cartes des adultes. Jusque-là, c’était à l’heure de la sieste, quand je n’arrivais pas à dormir et que je venais mendier le droit de sortir de ma chambre.

  • Ils ont eu pour moi les mots gentils, les chansons douces et les blagues absurdes qui allègent. J’aimais de tout mon cœur d’enfant les autres frères et sœurs de ma grand-mère, mais Khali Sidi et sa famille avaient une place à part. 

     

Biographie

Genevoise d’adoption, Khadija Delaval est née en 1973. Son enfance et son parcours professionnel l’ont conduite à vivre ou travailler dans de nombreux pays. L’écriture a toujours fait partie de sa vie, mais ce n’est qu’avec La Nièce du taxidermiste qu’elle s’est attelée à une oeuvre de fiction. Ce premier roman a été finaliste du prix littéraire Georges-Nicole, attribué au manuscrit d’un écrivain de langue française, suisse ou résidant en Suisse encore à découvrir.
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