mardi 16 mai 2023

BECKY MANAWATU – Bones Bay – Editions Au vent des Iles 2022 -

 

L'histoire

Nouvelle Zélande, Kaikoura, un village côtier maori.

Tauriki, 17 ans, le quitte à la mort accidentelle de ses parents et emmène son petit frère de 8 ans Amara vivre chez sa tante Kat dans une campagne perdue. Il n'a pas envie de s'occuper de son frère, plus préoccupé par la liberté de faire ce qu'il veut, et peut-être aussi retrouver sa vraie mère. Amara est un gentil garçon qui se lie vite d'une forte amitié avec Beth, une gamine de son âge effrontée mais affectueuse. Nous suivons en parallèle l'histoire d'un coupe Jade et Toko, Jade craignant le retour d'un compagnon qui la tabassait et de son comparse qui à force de coups à tué sa compagne enceinte. Quels sont les liens entre ses personnages et que deviendra-t-il de cette famille décomposée ?



Mon avis

On lit rarement des auteurs de Nouvelle-Zélande. Si on connaît ce pays grâce aux films de Jane Campion (An angel at my table, La leçon de piano et la série télévisuelle Top of the lake, pour les paysages fabuleux et son univers particulier, finalement nous ne connaissons pas grand chose à ce pays qui est composé à 74% d'européens, 15% de maoris, le reste venant d’Asie ou de Polynésie.

Pour son premier roman, Becky Manawatu nous fait entrer dans l'univers principalement maori en se concentrant sur une famille dysfonctionnelle.

Tauriki, qui veut vivre sa vie de musicien vagabond et ne sait pas faire des choix, va finalement être obligé de retrouver sa mère biologique. En alternance avec la voix de Tauriki, celle de son petit frère, le gentil Amara. Placé chez sa tante, une femme qui fait de son mieux malgré les violences de son mari, un fermier peu aimable, il vit très mal l'abandon de son frère dont il espère le retour. Mais heureusement, il noue une amitié forte avec Beth, la fille d'un voisin, une gamine délurée, fantasque et qui,sous des airs de peste, adore son nouvel ami.

Et puis surgit l'histoire d'un jeune couple Jade et Toko. De Jade on ne sait pas grand chose si ce n'est qu'elle s'est liée à un gang de voyous qui sévit à Auckland. Elle se drogue, subit les violences de son compagnon, tout comme sa cousine Sat qui meurt enceinte sous les coups de son conjoint. Elle est sauvée par Toko, un jeune homme issu d'une famille maori respectable vivant sur dans un petit village de pêche. S'ajoute la voix étrange d'une femme morte. Bien évidemment nous aurons les réponses que nous nous posons – même si nous les entrevoyons – à la fin du roman.

La construction du roman peu un déroutante permet aussi au lecteur de ne pas être passif, mais déjà de recouper des informations données ici et là et j'aime cette idée justement qui rend ce roman addictif. Il se passe essentiellement en communauté maori, une communauté attachée à ses traditions mais qui ne renie pas la modernité. C'est surtout le sort des femmes qui est mis en avant. Les femmes blanches comme Jade ou les maories comme Tat appartiennent aux hommes blancs, qui les considèrent comme non pas comme des individus mais leur possession, n'hésitant pas à les tabasser, à les entraîner dans la drogue ou exercer des représailles si elles préfèrent des hommes noirs, les maoris. Mais il y aussi une part de défiance coté Maori, surtout de la part de la grand mère Nanny vis-à vis de sa belle-fille dont elle ne connaît pas l'histoire et qu'elle accuse de tous les malheurs de la famille. Seul Toko, et Tommy sont des hommes respectueux, les futurs modèles on espère pour Tauriki et Amara. Seule la fantasque mais pragmatique Beth, cette amie indéfectible d'Amara apporte la solution finale mais aussi la joie avec sa proportion infinie à faire des bêtises. C'est la fraîcheur nécessaire dans ce roman sombre, bercé aussi par des contres maoris, souvent des histoires fantastiques ou effrayantes. Et puis les oiseaux, ceux qui sont aux cœur des contes, ceux qui sont tatoués sur Jade, ceux qui effrayent, ceux qui réveillent le matin.

Pour ce livre qu'elle a mis 2 ans à écrire, Becky Manawatu s'est inspirée d'une histoire réelle (le meurtre de son cousin assassiné par son beau-père, il avait 11 ans et elle 10). Les nombreux mots maoris (que l'on finit par comprendre) à ajoute un charme supplémentaire dans ce récit totalement inédit, avec son écriture qui sait se faire forte, poétique, et nous saisit par la variété des émotions qu'ils suscitent. Une très belle découverte.


Extraits :

  • Le pire, c’est que je pensais pas que tante Kat était une mauvaise personne, elle était juste le fantôme d’une personne, et je savais pourquoi, oncle Stu faisait douter les gens de leur propre existence et, à force de douter de son existence, on finissait par disparaître.

  • Ils savaient qu’il y avait un fond, une fin à leur chute. Que s’ils déconnaient vraiment, quelqu’un finirait sans doute par s’en rendre compte et les arrêterait. Le côté sans fond de ma vie donnait le vertige. Les choix étaient aussi écrasants que cette terrible mer.

  • J’en ai mis un autour de mon pouce, et ça m’a fait du bien. Alors j’en ai mis un aussi sur mon genou. Puis un autre sur mon front, et un autre sur l’autre genou, et j’en ai mis aussi sur ma nuque, sur ma poitrine, j’en ai mis un sur mon nombril et quand y a plus eu de sparadraps, j’ai arrêté de chercher des endroits où j’avais mal.
    (Ari, qui, pour atténuer ses angoisses, a besoin de mettre des sparadraps partout)

  • Les histoires sont un savoir, le savoir est un pouvoir et, un jour, on prendra notre pouvoir et on régnera sur quelque chose de mieux que cette Maison.

  • J’ai fermé la bouche et retenu les mots qui me brûlaient les mâchoires et la langue, le fond de ma gorge. Je les ai mâchés comme une poignée de minuscules échardes et j’ai tenté de les avaler. 

  • J’avais peur d’aller courir dehors dans le monde alors que personne, sans doute, me remarquerait, parce qu’ils étaient tous trop occupés à pas se faire aspirer dans le trou avec l’eau du bain, et peut-être même qu’ils se demanderaient si j’avais vraiment été là, car j’étais peut-être juste un fantôme et pourquoi auraient-ils gâché leur précieux temps pour chercher un fantôme ?


Biographie

Né en 1986 Becky Manawatu est une écrivaine néo-zélandaise maorie. En 2020, elle a remporté deux Ockham New Zealand Book Awards pour son premier roman, Auē (Bones Bay) et ​​Best Crime Novel aux Ngaio Marsh Awards 2020.
Manawatu a quitté son pays à l'âge de 18 ans pour accompagner la carrière de son mari en tant que joueur de rugby professionnel et entraîneur en Italie et à Francfort , en Allemagne. Elle a commencé la rédaction de son roman en Allemagne puis l'a fini à son retour en Nouvelle Zélande, entourée par sa famille, et son éditrice. Elle est devenue une des îcones littéraires dans son pays et commence à être traduite dans le monde entier.

En savoir plus :

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