jeudi 19 octobre 2023

Dimitri ROUCHON- BORIE – Le chien des étoiles – Le tripode -2023


L'histoire

Après une opération à la tête, Gio rentre dans sa famille gitane qui crie vengeance et se prépare activement à aller massacre les cousins qui ont attaqué le jeune homme. Mais Gio ne veut plus de cette vie de misère, de ces attaques entre clans rivaux. Alors il part en emmenant avec lui, le petit Papillon, un garçon de 11 ans, sourd et muet, et Dolorès, 16 ans qui est prostituée par et pour les hommes du clan. Un road movie, ponctué de moments poétiques mais tristes qui en fait l'un des meilleurs romans de la rentrée.



Mon avis

Dimitri Rouchon-Borie est un surdoué de la littérature française, il faut le souligner. Il se lance ici dans un road-movie en compagnie de trois personnages marginaux ; Tout d'abord Gio, un colosse qui malgré une grosse cicatrice sur le crâne est bon avec les bons mais sait aussi se défendre. Le petit Papillon qui si il ne parle pas comprend des choses, et se montre

particulièrement malin pour sortir d'impasses où le trio se met souvent. Enfin Dolorès, une trop jolie adolescente, le plus souvent silencieuse. On ne sait pas de quel clan elle vient, mais en tout cas, elle sert de prostituée au propre père de Gio et à d'autres hommes du village, sait à peine lire et est persuadée que son destin est de servir les besoins des hommes, ce qui Gio va lui interdire. Le garçon ne supporte plus ce mode de vie gitan, avec le crucifix au dessus du lit, les femmes confites en dévotion et surtout qui s'occupent de tâches ménagères mais n'hésitent pas, pour les plus jeunes à participer à des expéditions punitives, tant l'honneur du clan est important. Gio ne croit pas spécialement en Dieu, mais à la mère Nature et au ciel, dont il aimerait tellement connaître le nom des constellations et des étoiles. On se doute bien que l'éducation qu'il a reçu a été minimale, comme tous les enfants, qui une fois l'essentiel acquis sont mis à travailler pour le clan : récupération, ferrailleurs, mais aussi un petit potager où poussent difficilement, entre vapeurs d'essence et circulation, quelques pommes de terre. Les mobile-homes sont rafistolés, le père et chef du clan prend son petit déjeuner au vin rouge qui pique. Ce n'est pas heureusement une généralité, les gens du voyage ne sont pas tous des brutes avinés, mais ont le sens de l'honneur.

Sur un long chemin, souvent semé d'embûches fatales, l'auteur nous livre une magistrale démonstration de la pauvreté, de l'errance, quand les racines sont floues, de la banalisation des violences sexuelles et d'un monde où les pauvres, les gens différents ne comptent pas.

Ici nous n'avons ni repère temporel, on parle de chevaux, puis d'un shérif, qui ferait penser aux États-Unis au début du 19ème siècle, de routes commencées et pas finies. On ne sait pas où et quand cette étrange histoire a eu lieu et si l'auteur n'est pas en train de nous donner un conte universel, une leçon sur nos capacités au bien vivre ensemble. La violence, la trahison, la dureté sont compensées par des pages de poésie pure, qui se réfèrent à la nature, les bois, et le ciel qui Gio rêve d'atteindre. Après il y a les rencontres amicales, les rencontres brutales, mais Gio se doit avant tout, avant d'oser rêver à ce ciel immense, protéger ses petits compagnons qu'une forte amitié lie à jamais, ici et au-delà des mots.

Un style aussi, qui oscille entre humour et tendresse, bref toute une gamme d'émotions pour un seul livre c'est déjà une belle réussite. Il vous juste vous laisser glisser dans l'histoire, suivre Gio et les siens, et ensuite prendre le temps de la réflexion qui sera propre à chacun, selon son caractère, son ressenti, et c'est une magie de plus qui s'opère. On en sort à la fois bouleversé mais sans nostalgie, heureux de cette trouvaille littéraire, composée de chapitre qui commencent tous par le mot comme : comme on se retrouve, comme on part, comme on s'échappe etc... Mais la plume magique de l'auteur, entre humour et un style bien à lui, poésie, magie et échappées surréelles nous entraîne dans la joie d'un excellent ouvrage qui touche le cœur et les tripes.


Extraits :

  • Il devine, dans les poches, des mouchoirs à carreaux et des petits couteaux pour blesser le pain et le fromage.

  • Gio est aux chevaux .Tout dort encore,parce que la nuit commence à peine à s'estomper.Le ciel joue sa guerre quotidienne et ça fait des ravages dans les nuages.Papillon est quand même venu avec lui pour observer comment on s'y prend,et le gamin ,sur une botte de paille ,se raconte des histoires.Les bêtes ont reconnu Gio quand il s'est approché. Gio les à salué selon le rituel et il a aussi senti qu'il y avait des choses possibles avec le vieil arbre,quand un frémissement a secoué son feuillage .Gio ne connaît toujours pas bien la ville ,il ne l'a goûté qu'à l'hôpital. Et il sait qu'ici ,il sera privé de certaines choses qui comptent .C'est comme ça et il ne peut pas retourner là d'où il vient .Mais quand ce sera plus clair pour tout le monde ,il pourra peut-être dégoter un champ à l'écart et s'y poser et faire venir Dolorès et Papillon et vivre tranquille avec eux ,et leur apprendre le ciel et le voyage dans les étoiles.

  • Comme on se retrouve
    --Regardez - moi cette Gueule de crasse qu'est de retour! Le père s'avance ,son visage se fend d'un sourire .Il range son canif ,jette le bout de bois qu'il était en train d'épointer,écarte les bras. --Ça ,c'est de la carne de mon sang ça s'en va pas,pour de bon à la première misère. Nom de nom mon fils,t'es beau comme si t'étais plus neuf qu'avant! Il attrape Gio et le serre contre lui. --Fais voir ton pansement, où c'est qu'ils t'ont esquinté, qu'il dit ,solennellement ,en prenant du recul.

  • Les cimes souples des pins s’agitent, bras de vieillards tendus vers un butin trop beau pour eux.

  • C'est comme aller causer au destin, alors choisis bien ton verbe.

  • Le bruit se met à courir que le géant qui cogne gribouille des choses étranges à la craie dans la cabane du Cubain, et les gens commencent à en faire une conversation et ça donne des histoires plus grosses que les dirigeables qui traversent l’Atlantique.

  • Le problème c’est que tu te sens flattée dès qu’un homme te regarde, parce que c’est toujours bon à prendre, mais ça te guérira jamais de la solitude, la vraie solitude. Celle qui te pousse à chercher un peu d’attention, quitte à faire des choses qui te font pas envie…

  • Gio se lève et il met la gamine debout et il appelle Papillon qui réagit avec sa béatitude nouvelle, et il les attrape chacun par la main et il s'agenouille, tandis que les deux autres restent debout. Il contemple leurs visages et il y a cette voix de la nuit qui reste présente en lui et qui lui dit où voir, et ce qu'il voit, c'est la beauté de ces deux gamins, et le fait qu'il faut les protéger de tout, même quand il n'aura pas la force de le faire.

  • Le géant rue et exulte et râle et il frappe et frappe encore, mais Gio a l’esprit de la chouette, et il plane en silence au-dessus de l’arène, et il encaisse des coups, et il déploie ses ailes car il ne sent rien, il ne demande rien, rien d’autre que de continuer à encaisser parce qu’il s’en fiche et dans ce moment il n’y a rien d’autres à sauver, rien à réclamer, rien à dire. Et les coups lui font une sensation ici ou là et il en redemande et il se met à crier ramène-moi, ramène-moi, parce qu’il aimerait qu’un bon coup finisse par annuler celui qu’il a pris en trop, et il commence à en vouloir à Isaac de na pas être foutu d’aller lui cogner la vie, loin en lui, si loin que ça ferait vibrer de nouveau toute la substance, et qu’il cesserait d’être un sauvage à demi mort, ou à moitié vivant, et il ne serait plus l’homme de la nuit, mais celui qui a été rendu au jour par un coup de poing.

  • Gio se lève et va observer les étoiles. Le ciel a trop de nuages, et même la lune peine à projeter une lumière diffuse. Il boit en silence, puis retourne près du chien et montre un détail de la fresque.
    — Là c’est Dolorès. Je peux pas t’expliquer Dolorès. Au départ, elle avait pas de nom, ni de parole, la gamine. Quand je l’ai rencontrée la première fois elle était en train de branler le Père. Tu sais je rentrais de l’hôpital et j’en étais sorti pas bien malin. La gamine, elle ondulait, et elle était belle, mais avec moi, comment te dire, ça marchait pas. Je voulais pas être un homme, je voulais être une chouette, je voulais me fondre dans la nuit. Ça m’a pris à l’hôpital cette histoire, c’est plus fort que juste de la survie. C’est rejoindre le vrai monde, tu vois ?
    Le chien écarte ses mâchoires. Puis la chouette disparaît et Gio continue à voler loin, plus haut et il est en joie, car il ne pensait pas qu’on pouvait aller si haut, si loin, et il y a toujours de plus en plus d’étoiles. Et puis Camarade a commencé à se débattre il n’en pouvait plus d’être porté mais Gio a tellement peur qu’il tombe mais le chien bouge et il est remuant alors il s’échappe, et il vole lui aussi.

  • Les jours d'après, il avait imaginé un fil pour le relier au ciel. Chaque soir, il vérifiait que le fil tenait, que les nurses ne l'avaient pas coupé avec les ciseaux à pansement, ou avec leur mauvaise humeur. Quand elles le laissaient tranquille, il y grimpait.


Biographie

Dimitri Rouchon-Borie est né en 1977 à Nantes. Il est journaliste spécialisé dans la chronique judiciaire et le fait divers. Il est l'auteur de Au tribunal, chroniques judiciaires (Manufacture des livres, 2018). Le Démon de la Colline aux Loups est son premier roman, pour lequel il a remporté pas moins de 12 prix littéraires

En savoir plus : https://fr.wikipedia.org/wiki/Dimitri_Rouchon-Borie

reportage ici : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/une-journee-particuliere/dimitri-rouchon-borie-ecrivain-je-m-interesse-a-la-collusion-entre-la-sauvagerie-et-l-ordinaire-6337334



 

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