lundi 27 novembre 2023

JONATHAN COE - Expo 58 – Gallimard 2014 -

 

L'histoire

Londres, début 1958, au BGI, Bureau Général de l'Information. Thomas Foley, petit fonctionnaire se voit proposer une opportunité dans sa carrière : celle de superviser le pavillon restauration anglais pour l'Expo Universelle organisée par la Belgique pour l'été 1958, dans un contexte de Guerre Froide (entre le bloc communiste et le bloc occidental). Il va donc passer 6 mois en Belgique, d'où sa mère est originaire, abandonnant sa femme, une épouse distante, et son bébé de quelques mois. Certes il aura des permissions, mais il doit surveiller le bon fonctionnement du restaurant le Britannia qui sert de la bière à profusion, des fish & chips et un peu de whisky. Mais le voilà pris dans une folie où se mêle le désir pour la très belle hôtesse Anneke, et une histoire tordue d'espionnage où malgré lui, il en sera l'un des protagonistes.


Mon avis

Un véritable délice de lecture dans ce pastiche de roman d'espionnage où les rebondissement s'enchaînent dans un tourbillon de malices.

Ici, notre héros n'a rien d'un James Bond on pourrait même dire qu'il est toujours à coté de la plaque.

Nous sommes en 1958, et c'est la première Exposition Universelle organisée par la Belgique, dans une idée de paix retrouvée et d'union des peuples. Mais la guerre froide commence aussi insidieusement.

Et voilà comment un simple fonctionnaire, plutôt beau gosse, se retrouve propulsé à la noble fonction de diriger le pub nommé Britannia qui sert en abondance, bières, paquets de chips, fish'n chips, whisky et où se retrouve une joyeuse bande de copains formée par les circonstances. La très belle Anneke, une hôtesse belge dont Thomas s'éprend, puis Emily, une jeune américaine qui vient d'une famille assez riche dans la Wisconsin et tient un stand sur le pavillon américain, le journaliste russe Tchersky et quelques autres.

Mais voilà, les 2 agents secrets, véritables Dupont et Dupond, confient à Thomas une mission top secrète. Tout le monde a remarqué que la jeune Emilie, extravertie et sujettes à des amours nombreuses s'est entichée de ee journaliste russe qui est en fait un espion à la solde du KGB, et qu'elle risque de lui livrer sans le vouloir des renseignements précieux.

Hors lors d'une rare permission à Londres, où son retour ne semble pas être fêté comme il se doit par sa femme, Thomas se persuade que celle-ci a une aventure avec leur proche voisin. Il en conclut que leur mariage est mort, et se met à rêver d'une nouvelle vie, pourquoi pas aux USA, en compagnie d'Emily. Bien que toujours très émoustillé par Anneke, Thomas tente de mener sa mission à bien, et un jeu de séduction commence en franche rivalité avec le russe.

Mais les destin est ainsi fait que la mission de Thomas a été une réussite et que sa présence sur le stand du Britannia ne s'impose plus. Il doit retourner à Londres, et reprendre un travail de bureau peu stimulant. Finalement, Thomas trouve une emploi ailleurs en Angleterre, plus proche de la famille de sa femme, qui se transforme ainsi en charmante épouse et qui ne l' a jamais trompé, discrètement surveillée par la mère de Thomas.

Hilarant du début à la fin, on sent tout le plaisir de Jonathan Coe a écrire ce pastiche où l'on s'amuse énormément. Bien sur, je ne vais pas vous spoiler la fin de l'histoire, qui donne tout son sel au roman.

Mais Coe n'écrit pas seulement une pochade. Il s'est soigneusement documenté sur l’exposition de 1958, et sur le devenir du pub Britannia qui fier de son succès s'est installé à Manchester, pour finir totalement abandonné et détruit.

C'est aussi l'occasion de jouer sur les clichés que l'on attribue à la fois aux anglais mais aussi aux autres peuples. Nous sommes aussi en plein débat sur le nucléaire aussi bien civil que militaire qui est vu comme un véritable progrès pour certains. L'Angleterre met au point sa première centrale nucléaire qui doit être le clou de son pavillon, mais hélas quelques incidents ne permettent pas de l'exposer. Tout ce que raconte l'auteur est véridique sauf pour l'intrigue et les personnages, tous aussi hilarants les uns que les autres.

Totalement addictif, sans prétention, ce livre est parfait pour une bonne détente, et pourquoi pas à offrir aussi.


Extraits

  • Je suis peut- être bornée mais, pour moi, l'artiste est celui qui embellit le monde au lieu de l'enlaidir. Quand la musique évoque deux chats en train de s'étriper sur une décharge, quand la sculpture ressemble à un pâté de glaise qui aurait giclé sur un plancher, quand la peinture vous donne la migraine - deux yeux du même côté de la figure, trois nez sur l'autre...

  • Finalement vous n'avez toujours pas vu le Pavillon du Congo belge?- Toujours pas non. J'avais l'intention d'y aller dans les jours qui viennent.- Vous ne pourrez pas, ils sont rentrés chez eux. - Pourquoi? - Ils se plaignaient de la façon dont les visiteurs les traitaient. Ils passaient la journée dans leurs huttes, à travailler à leur artisanat indigène, et il paraît que certains visiteurs leur criaient des choses insultantes, et même, qu'on leur tendait des bananes à manger, vous voyez; Ils ont dit qu'ils se faisaient l'effet d'être des animaux dans un zoo. Et alors ils sont presque tous rentrés chez eux.

  • Vous savez ce qui leur plaît chez nous ? Ils disent que nous ne nous prenons pas au sérieux. Que nous savons nous moquer de nous-mêmes, que nous comprenons la plaisanterie. Curieux tout de même, non ? Toute cette science, cette culture, cette histoire, et finalement, c'est notre bon vieux sens de l'humour britannique qui emporte l'adhésion. Il y a une leçon à en tirer, mon jeune ami.

  • C'est le Pavillon américain, expliqua Anneke. Et voici le Pavillon soviétique, juste à côté. Leur voisinage vous donne une idée de l'humour belge.

  • Il y a des gens qui forcent l'attention, pensait Thomas, et il y en a d'autres qui se fondent dans le décor quel que soit l'intérêt de ce qu'ils racontent.

  • Foley, vous nous avez écouté, oui ou non ? Mr Ellis vient de vous l’expliquer, nous avons besoin de quelqu’un du BCI pour superviser la gestion du Britannia. Nous avons besoin de quelqu’un sur place, sur site, pendant les six mois que dure la Foire. Et ce quelqu’un, ce sera vous.

  • Ici, pendant les six prochains mois, convergeraient tous les pays dont les relations complexes entre conflits et alliances, dont les histoires riches et inextricablement liées avaient façonné et continuaient de façonner la destinée du genre humain. Et cette folie éblouissante était au cœur du phénomène, gigantesque treillis de sphères interconnectées, impérissables, chacune emblématique de cette minuscule unité mystérieuse que l’homme venait si récemment d’apprendre à fissionner : l’atome. Cette vue seule lui fit battre le cœur.

  • Imaginons-nous vivant en 2058.
    Les frontières entre travail manuel et travail intellectuel se sont émoussées.
    Les conditions sont désormais réunies pour que le développement physique et psychique de l'homme se fasse dans un équilibre harmonieux.....l'homme est toujours de bonne humer, il se sent à l'aise partout, et - au risque de vous déconcerter - il mange et boit relativement peu.........jeunes et vieux pratiquent la culture physique et le sport. Toutes les villes sont des cités jardins, dotées de piscines, de stades.... Mieux encore, l'on ne rencontre plus de vieillards chenus ou gâteux dans ces villes. Tous marchent très droit, d'un pas élastique, le teint frais, et les yeux brillants de vigueur et de joie de vire.

  • Etait-il bien réel l'environnement où il se trouvait, au fait ? Le Britannia était factice : faux pub, projetant une image fausse de l'Angleterre, transporté dans un décor factice où tous les autres pays projetaient de même des images fausses de leur identité nationale. La Belgique joyeuse, tu parles ! Factice ! Tout comme l'Oberbayern ! Il habitait un monde construit sur de purs simulacres. Et plus il y réfléchissait, plus tout ce qui l'entourait lui faisait l'effet d'être fantomatique et instable.

  • Il lit trop de romans, vous savez, ces romans-là...
    _ je sais. Ils sont de qui, déjà ?
    _ De Fleming. Vous en avez lu, Foley ?
    _ Personnellement, non.
    _ Ils ont une influence déplorable, vous comprenez...
    _ Sur les types qui travaillent dans notre domaine.
    _ C'est de la pure fiction, naturellement. Arpenter le monde...
    _ En refroidissant les gens sans même leur dire "vous permettez?"
    _ Coucher avec une femme différente tous les soirs..."
    Manifestement, ce détail leur paraissait plus farfelu encore que les autres.
    _ Parce que, enfin, sapristi, à quand remonte la dernière fois que ça vous est arrivé ?
    _ De refroidir quelqu'un, vous voulez dire ?
    _ Non, de coucher avec une femme différente.
    _ Ca dépend : différente de qui ?
    _ Différente de la dernière avec qui vous aviez couché.
    _ Alors là, vous me posez une colle.
    _ De mémoire d'homme ?
    _ Ca ne me rappelle rien, mon vieux.
    _ C'est bien ce que je disais. Il n'y a pas la moindre base réelle là-dedans.
    _ Quoi qu'il en soit, nous sommes désolés de vous avoir imposé une situation inconfortable, Foley.
    _ Inconfortable ? Allons donc ! J'adore rouler pendant des heures dans une voiture avec un bandeau sur les yeux.
    _ Une voiture, avec un bandeau sur les yeux ? demanda Wayne.
    _ Vous n'êtes pas en train de nous dire que Wilkins a obligé le chauffeur à conduire les yeux bandés ?
    _ Bien sûr que non.
    _ Dieu merci.
    _ Il y a des limites à tout.
    _ Les procédures de sécurité, ça se respecte."
    Thomas se sentit prêt à demander : "Au fait, où est-ce que je suis, bon Dieu ?
    _ Ca, mon cher, on ne peut guère vous le dire.



Biographie

Né à Birmingham , le 19/08/1961, Jonathan Coe a étudié à la King Edward's School à Birmingham et au Trinity College à Cambridge avant d'enseigner à l'Université de Warwick. Il s'intéresse à la littérature ainsi qu'à la musique et fait partie d'un groupe musical, expérience qu'il utilisera dans son troisième roman "les nains de la mort".
Il doit sa notoriété à l'étranger à son quatrième roman "Testament à l'anglaise". Cette virulente satire de la société britannique des années du thatchérisme a connu un important succès auprès du public.
Jonathan Coe a reçu le Prix Médicis étranger en 1998 pour "La Maison du sommeil".

En 2001 et 2004, le diptyque "Bienvenue au Club" (The Rotters' Club) suivi par "Le Cercle fermé" (The Closed Circle) suit les aventures d'un même groupe de personnages pendant leur dernière année de lycée dans le premier roman puis vingt ans plus tard dans le second. Ces deux romans servent l'auteur dans sa fresque du Royaume-Uni des années 70 et début des années 2000, pour mieux observer les mutations profondes qu'a subi la société entre ces deux dates, avec les réformes de Margaret Thatcher et de Tony Blair. Il le fait avec tendresse pour ses personnages et un regard acéré sur cette évolution annonçant l'avènement de la mondialisation.

"La pluie, avant qu'elle tombe" (2007) est l'expression d'une veine très différente, privilégiant la sphère intimiste en abordant les destins brisés de trois femmes.
Il publie en 2012 un recueil de nouvelles "Désaccords imparfaits" chez Gallimard.
Avec "la vie privée de Mr Sims" (2010) et "Expo 58" (2013) il retrouve le sens de la satire, qui constitue en général sa marque de fabrique.
Il a été l'un des membres du jury de la Mostra de Venise 1999.

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