L'histoire
Le Roques, le musée d'Art contemporain de Los Angeles est en ébullition. Le vernissage de l'artiste peintre Kim Lord, une jeune femme qui défraye souvent la chronique doit y présenter 11 toiles qui représentent 11 féminicides (soit la restitution en peinture de la scène de crime, soit des images de la victime, sur à chaque toile, la jeune artiste glisse un autoportrait d'elle. Hors le soir du vernissage, où toute l'intelligentsia, les artistes, collectionneurs et autres est présente, Kim Lord ne se présente pas, mais laisse une lettre au controversé directeur du Musée dans laquelle elle fait don de ses 11 toiles. Coup de pub ? Caprice d'une artiste qui bouleverse les codes ? Mais les jours passent et la star montante des arts, alors que l'exposition bat son plein est toujours absente. Maggie, la rédactrice des catalogues du musée se met à enquêter de son coté...
Mon avis
Maria Hummel qui a déjà publié des poèmes et 2 romans se lance dans le polar et le polar féministe.
Elle commence très fort par la description de son artiste, une jeune femme de 23 ans, qui s'empare des féminicides en les représentant (et se représentant aussi parfois dans certains tableaux). Scènes de crime reconstituées à partir des photos qu'elle a récupéré, ou à défaut portrait des ces femmes qui ont défrayé en leur temps la chronique lors des ces faits divers atroces, mais aussi héroïnes de fiction, puisqu'elle met en scène la victime du roman de James Ellroy « Le Dahlia Noir ». Avec un réalisme cruel, et une scénographie bien étudiée par le musée, l'exposition est supposée faire réfléchir le public à la violence et notamment les violences faites aux femmes.
Mais alors que l'exposition bat son plein, la jeune peintre, habituée aux scandales a totalement disparu. Connaissant son caractère affirmé, aussi bien dans ses créations que dans la vie, son entourage ne s'inquiètent pas trop. Son absence au vernissage est-il un coup de pub ? Elle lègue toutefois l'ensemble des 11 tableaux au Roques Muséum, une aubaine pour ce musée qui connaît des problèmes financiers et dont le nouveau directeur se réjouit. D'autant que l'exposition est un succès, le tout Los Angeles se presse pour découvrir, critiquer ou encenser l'artiste.
Mais voilà Kim Lord ne réapparaît pas et il semble impossible que la jeune artiste prometteuse se soit enfuie. Il faut tout de même atteindre la page 289 soit après avoir lu les 2/3 du roman que Kim Lord a été assassinée ainsi que l'enfant qu'elle portait.
Que se passe-t-il avant la découverte du corps. La police a mené une enquête, mais de son coté Maggie, la narratrice aidée par un détective privé, mènent aussi leur enquête.
Le milieu de l'art, ses compromis et les petites magouilles des collectionneurs privés sont bien exposés, mais hélas fagocités par la propre histoire personnelle de Maggie, ses souvenirs avant de venir s’installer à LA, avec son amoureux de l'époque qui se trouve aussi être l'amant actuel de Kim Lord. Un bon tiers du roman se noie donc dans la vie de Maggie, ses émotions, son passé, ce qu'elle veut faire de sa vie et masque donc le sujet principal qui semblait important : pourquoi a-t-on tué cette jeune artiste ? Y a-t-il un rapport avec son art dérangeant et la fascination morbide qu'il suscite ?
Il faut encore attendre une trentaine de pages pour que l'enquête soit résolue et bouclée. Et l'autrice en se focalisant sur Maggie, la narratrice, passe à coté de son sujet : pourquoi les scènes violentes et les crimes nous passionnent-il ? Où est passée l’empathie pour la victime ?
Si ce polar se veut féministe en dénonçant des féminicides et la mort de Kim Lord, la fin brouille aussi le message. Reste des descriptions assez intéressante de la Cité des Anges, loin des clichés de Sunset Boulevard, des studios Hollywood, mais une ville plus confidentielle, faite de petits restos, de petites places où il fait bon vivre.
Bref un avis très mitigé par ce polar dont l'écriture est assez monotone aussi. Peu ou pas beaucoup d'humour, pas d'émotions assez fortes pour susciter l'intérêt.
Extraits
Après les inquiétudes concernant la soirée et son refus de participer au catalogue de Natures mortes, je commence à penser qu'elle a de bonnes raisons de ne pas parler de son passé. On sent en elle une histoire de violence. Nous avons peut etre en commun plus que ce que je ne le pensais.
Nous sommes tellement différentes, parfois je me demande ce qui nous unit. Est-ce seulement ce moment de jeunesse prolongée ? Parce que nous ne savons pas comment vieillir ? Ou pourquoi nous le devrions ? Aucune de nous n'est mariée, ni mère, aucune n'a grimpé assez haut dans sa carrière, aucune n'a moins de trente ans. A cet âge, nos propres mères élevaient déjà leurs enfants, et leurs amies encore célibataires choisissaient pour la plupart dans une liste assez courte d'occupations : enseignante, infirmière, secrétaire ou religieuse. Notre génération sait - nous le savons depuis l'enfance - que nous pourrions être n'importe qui. Nous sommes des pionnières dans cette nouvelle ère que le féminisme et le contrôle des naissances ont ouverte : libre sexuellement, sans le fardeau des enfants, capables de payer nous-mêmes. Nous n'avons pas exactement besoin des hommes, ils le comprennent et, qui sait, comptent dessus, d'une façon qui était inconcevable pour leurs pères.
Je me souviens d’une déclaration de Kim Lord au sujet de la peinture, le médium qu’elle a choisi pour s’exprimer : le Tueur des Femmes esseulées, le Rôdeur nocturne, le Dormeur macabre - on donne aux monstres de Los Angeles des surnoms très évocateurs. Dans le même temps, leurs victimes ressemblent à des mannequins. Il y a ce vernis de glamour sur leur souffrance et leur humanité, a-t-elle dit.
Avant longtemps le ravissant minois d’une énième femme assassinée apparaîtra à côté de celui de Laci, et celle-ci s’effacera pour rejoindre à son tour la toile de fond des autres victimes d’homicide. Nous qualifierons son cas de résolu ou non résolu, comme si connaître l’identité du meurtrier expliquait pourquoi elle a vu sa vie abrégée. Au final la raison de sa mort deviendra le cadre de toute son existence, et non pas le nombre infini de raisons pour lesquelles la défunte méritait de vivre.
Je ne comprend pas encore ces interprétations, mais j'ai une vague idée de ce que Kim cherchait à accomplir. Bonnie Lee Bakley a misé sur son physique toute sa vie, et la progression des portraits me rappelle que vieillir a dû la terrifier. Je me souviens d'une déclaration de Kim Lord au sujet de la peinture, le medium qu'elle a choisi pour s'exprimer : "le Tueur des Femmes esseulées, le Rôdeur nocturne, le Dormeur macabre - on donne aux monstres de Los Angeles des surnoms très évocateurs. Dans le même temps, leurs victimes ressemblent à des mannequins. Il y ce vernis de glamour sur leur souffrance et leur humanité, a-t-elle dit. La photographie en est partiellement responsable, je pense. C'est un moyen de communiquer l'immédiateté, qui ne capture que l'éclat à la surface des choses et des gens. C'est pour cette raison que j'ai voulu peindre ces femmes
Peut-être que les amitiés les plus précieuses naissent avec l'admiration. C'est vrai en ce qui concerne mes sentiments envers Yegina. Ce même jour où j'ai été prise de panique quand j'ai pensé à mon avenir insondable dans cette ville, elle m'a rappelé toute la valeur qu'il y a d'appartenir à quelque chose de plus grand que soi-même.
Bas Terrant est le nouveau directeur du musée. Yegina a en horreur son zèle de blondinet BCBG et sa volonté de publicité tous azimuts pour faire du Rocque une “destination incontournable” plutôt qu’un musée. Étant donné que Yegina a passé sa vie entière à mépriser les masses, et qu’elle se définit sans complexe comme élitiste, elle a failli en venir aux mains avec Bas quand il lui a parlé de son programme d’expositions et du créneau où elle pourrait insérer une nouvelle idée “populaire”, L’Art de la course automobile.
Peut-être aussi qu’à ce moment j’ai senti à quel point j’avais été naïve au sujet de Los Angeles. J’étais venue ici avec l’idée que la métropole ensoleillée serait pour moi le catalyseur d’un nouveau départ, au lieu de quoi les possibilités vertigineuses quelle offrait me tétanisaient.
Je suppose que nous nous doutions de ce qui allait arriver avec cette exposition : elle allait nous mettre en avant, et mettre en avant l'anxiété oppressante de la plupart des femmes due à notre vulnérabilité fondamentale, une peur aussi rationnelle qu'irrationnelle, comme celle née de pas qu'on entend derrière soi en pleine nuit, et qui les amplifie cent fois. Mais nous avons caché notre inquiétude sous l'excitation d'une expo à succès.
L'important, c'est que je ne sais pas vraiment, et vous non plus. Nous ne savons que ce que nous voyons, et ensuite nous laissons parler notre intuition...
Il appuie délibérément sur ce dernier mot.
Mais ce qui est intéressant avec l'intuition, reprend-il, c'est à quel point elle nous en apprend peu sur le monde extérieur, et ce qu'elle révèle sur nous-mêmes. Vous pensez qu'il est en train de la plaquer, moi qu'il lui doit de l'argent pour son enfant. Nos théories en révèlent beaucoup sur nous-mêmes.La peinture s'épaissit et s'amincit différemment autour de chacun des sujets, mais les expressions des femmes possèdent toutes cette précision inquiétante qui donne la chair de poule, comme si on les avait nettoyées. Elles observent les salles. Fixement. La ressemblance apparaît soudain aveuglante -la façon dont Kitty est également Roseann qui est également Gwen qui est également Roseann qui est également Kim. Toutes sont Kim. Dans chacune des peintures existe une femme morte -identifiée par sa coiffure, la couleur de ses yeux, ses vêtements et son attitude- mais aussi, inexplicablement, Kim Lord revêtant cette mort, à la manière dont les chamans des temps anciens mettaient en scène la mort.
Biographie
Maria Hummel est une écrivaine américaine.
Son
recueil de poésie, House and Fire, a remporté le prix APR / Hickman
First Book 2013.
Elle a écrit trois romans : Still Lives (le
musée des femmes assassinées, Motherland et Wilderness Run.
Elle
est secrétaire d'édition au Museum of Contemporary Art (Moca) de
Los Angeles. Son site :https://mariahummel.com/
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