L'histoire
1954, Nebraska, USA. Emmett Watson, 18 ans, rentre chez lui après avoir purgé une peine de 15 mois pour le meurtre involontaire d'un jeune homme. Mais en fait de chez lui, la ferme de son père, récemment décédé, est saisie par la Banque et le jeune homme n'a plus que sa voiture et son petit frère Billy qui a été placé chez des gentils voisins. Billy, bon lecteur et très curieux intellectuellement persuade son frère qu'ils doivent aller en Californie, retrouver leur mère qui a disparu mais a envoyé 9 cartes qui longent la Lincoln Highway, la seule route qui traverse les USA de la côte est à la côte ouest. Sachant qu'il sera mal reçu dans son village du Nebraska, Emmett accepte le plan. Il a appris le métier de charpentier et compte bien trouver du travail là-bas. Mais c'est sans compter sur 2 petites frappes, évadés de la prison qui débarquent chez lui. Eux n'ont pas les mêmes projets. Duchess le fourbe et Wolly, garçon instable psychologiquement, veulent rejoindre New-York puis les Adirondaks presque à la frontière canadienne pour récupérer l'héritage de Wolly.
Ils « empruntent » la voiture d'Emmett déjà en route pour rejoindre la Highway, et les quelques économies que le père du garçon a laissé. S'ensuit alors une course-poursuite à l'inverse de la destination initiale pour récupérer la voiture et le peu d'argent ? Un road-movie passionnant.
Mon avis
Gros best-seller aux États-Unis, le dernier roman d'Amor Towles nous propose un road-movie entraînant.
L'originalité du livre est que l'on fantasme beaucoup sur cette Lincoln Highway constuite en 1912 et qui parcourt les USA d'est en ouest, traversant 11 états américains et dont le départ officiel se fait à New-York. Hors cette route ne sera que peu empruntée par les différents protagonistes.
De plus l'histoire est raconté au « je » par Duchess, pas bien âgé mais roublard en diable et par Sally (la gentille voisine d'Emmett dont elle est follement amoureuse). Les chapitres numérotés à l'envers (le premier chapitre s'intitule 10) renforcent cette notion d'une inversion dans un projet qui n'aboutira qu'à la toute fin du livre.
Les personnages sont à la fois attachants et ambigus. Emmett est un garçon posé, pris dans les tourments de la vie. Il est profondément loyal et toute sa vie il se reprochera d'avoir causé la mort d'un homme, mais peu se montrer parfois naïf. Son petit frère Billy, parfois gaffeur mais très attaché à son frère a le chic pour attirer la sympathie autour de lui, quitte à commettre quelques imprudences. Duchess est le personnage ambigu par excellence. Pas très cultivé mais malin, il aime régler ses comptes à coups de poings, et surtout dans sa tête, il n'a fait qu'emprunter la voiture d'Emmett, et se promet de lui remettre la voiture et le rembourser de l'agent volé. Il s'en persuade même mais le lecteur comprend bien que si une autre opportunité se présente, les belles promesses seront vite oubliées. Et puis Wolly, légèrement handicapé mental, est un personnage lunaire et manipulable à souhait par Duchess. C'est d'ailleurs lui qui le persuade d'aller récupérer sa part d'héritage, puisqu'il est devenu majeur. Lequel héritage est de 200 000 dollars, une véritable fortune pour l'époque que Wolly a bien l'intention de diviser en 4 : une part pour lui, une pour Duchess, une pour Emmett et une pour Billy qu'ils considère comme ses amis et sa famille.
S'en suit un lot de personnages secondaires, hauts en couleurs, qui viennent en aide aux frangins puis disparaissent.
Mais sous cette intrigue bien ficelée, c'est un portrait de l'Amérique des pauvres, des vétérans de la guerre souvent abandonnés, des oubliés et des mal lotis. Ce dont le lecteur ne se rend pas compte de suite, car l'intrigue et ses rebondissements sont captivants.Avec une écriture fluide, des petits passages humoristiques, c'est vrai que cela se lit tout seul, « page turner comme on dit ». Même si c'est un peu prévisible, je regrette quelques longueurs qui ralentissent l'action. On aurait aimé un peu moins de digressions pour laisser place à plus d'actions. Mais on se prend quand même au jeu de ce pavé de 635 pages.
Extraits
Ainsi pour son père, déchirer une page d'un livre était sacrilège. D'autant plus choquant en l'occurence que la page en question provenait des Essais de Ralph Waldo Emerson - le livre que Charlie Watson admirait plus que tout autre. Au bas, il avait soigneusement souligné deux phrases à l'encre rouge.
Il arrive dans l'éducation de tout homme où il en vient à la conclusion que l’envie, c'est l'ignorance, que l'imitation, c'est le suicide, qu'il doit s'accepter tel qu'il est, pour le meilleur et pour le pire, que même si le vaste monde regorge de bienfaits, pas un grain de blé ne viendra le nourrir si ce n'est par la vertu du travail qu'il accomplira sur ce lopin de terre qui lui a été accordé pour qu'il le laboure. Le pouvoir qui réside en lui est d'une nature nouvelle, et personne d'autre que lui ne sait ce qu'il est capable de faire, pas plus que lui-même ne le sait tant qu'il n'a pas essayé.Si la culture choisie réclamait beaucoup d'eau, alors suivaient deux années de sécheresse. S'il passait à une autre nécessitant beaucoup de soleil, les nuages et les orages s'accumulaient à l'ouest. On pourrait dire que la nature est sans pitié. Qu'elle est indifférente et imprévisible. Mais que penser d'un fermier qui change de culture tous les deux ou trois ans ? Même enfant, Emmett comprenait que cela signalait un homme qui ne savait pas ce qu'il faisait.
Comme cela aurait été formidable si la vie de chacun d’entre nous avait été une pièce de puzzle ! Parce que, alors, aucune n’aurait constitué une gêne pour les autres. Chaque vie se serait calée dans son petit emplacement à elle et, ce faisant, aurait contribué à la reconstitution complète de l’image complexe.
Bien sûr qu'il avait toute la vie devant lui, et qu'il devait s'occuper de son frère. Bien sûr qu'il avait été l'agent du mauvais sort, pas celui qui l'avait provoqué. Mais là où il n'était pas d'accord, c'était sur l'idée qu'il avait payé entièrement sa dette car peu importe la part du hasard dans les événements, quand vous avez de vos propres mains mis un terme à l'existence d'un autre homme ici-bas, il vous faudra, si vous voulez prouver au Très-Haut que vous êtes digne de Sa miséricorde, rien de moins que votre vie entière.
Mais, le matin, il laissait sa porte entrouverte. Et quand je toquais, il m'accueillait en soulevant le chapeau qu'il ne possédait plus. Parfois, s'il avait un peu d'argent en poche, il m'envoyait acheter du lait, de la farine et des œufs, et nous préparait de toutes petites crêpes qu'il faisait cuire sur le fer à repasser. On mangeait notre petit déjeuner assis par terre et, plutôt que d'évoquer son passé, il me parlait de mon avenir - de tous les endroits où j'irais, de toutes les choses que je ferais. Une façon de commencer la journée en beauté.
Vous ne m'avez pas dérangé du tout, répondit le vieux monsieur avec un geste de la main en direction de son lit. Je lisais. Ah, me suis-je dit en apercevant le coin d'un livre dépassant de sous les draps. Le pauvre vieux, il souffre de la plus dangereuse de toutes les addictions.
Ce qu’il y a de drôle avec une photo, c’est qu’elle sait tout ce qui s’est passé avant qu’on la prenne, mais rien de ce qui va ses passer après. Pourtant, une fois encadrée et accrochée à un mur, ce qu’on y voit quand on regarde de près, ce sont ces choses sur le point de se produire…
Quand on a besoin qu'un homme vous aide, une fois sur deux il a disparu. Parti quelque part s'occuper de quelque chose dont il aurait tout aussi bien pu s'occuper le lendemain, et ce quelque part se trouve juste assez loin pour qu'il ne vous entende pas l'appeler. En revanche, si jamais vous voulez qu'il fiche le camp, impossible de s'en débarrasser.
Pour ce qui est d'attendre, les has-been ne manquent pas de pratique. Ils ont attendu leur jour de gloire, le jour où ils tireraient le numéro gagnant. Quand il est devenu clair qu'il n'arriverait jamais, ils ont commencé à attendre d'autres choses. L'heure de l'ouverture des bars, par exemple, ou le jour de l'arrivée du chèque des allocations. Puis, très vite, à attendre de voir ce que ça faisait de dormir dans un parc de tirer deux taffes d'une cigarette trouvée par terre. De voir à quelle nouvelle indignité ils pouvaient s'habituer tout en attendant d'être oubliés par ceux qu'ils avaient autrefois aimés. Mais, surtout, ils attendent la fin.
Quand tu es noir,que tu charries une sacoche de courrier ou que tu fasses le liftier ,que tu fasses de l'essence pour un client ou que tu te retrouves en taule ,tu portes toujours un uniforme .
Billy a lu les vingt premières plaques d'une voix énergique et gaie, comme si chacune d'elles constituait une agréable surprise. Pour les vingt suivantes, son enthousiasme a diminué. Puis sa voix s'est faite traînante. On pouvait presque entendre l'effet de la réalité enfonçant son pouce dans cet endroit de l'âme d'où jaillit l'enthousiasme de la jeunesse. Ce soir, la réalité allait très certainement laisser son empreinte su Billy Watson.
Quand tu voyageais de ville en ville, comment tu faisais pour aller à l'école ?
- Ce qui vaut la peine d'être appris ne se trouve pas toujours dans les pages d'une encyclopédie, jeune homme. Disons simplement que la route fut mon école, l'expérience mon manuel, et le destin capricieux mon maître.Une seconde plus tard, un portier se penchait vers moi. - Tu peux pas te garer ici, mon vieux. - Cinq minutes, pas plus, ai-je répondu en lui glissant un billet de cinq dollars. En attendant, je te suggère d'aller faire ami-ami avec le président Lincoln. Alors, au lieu de me dire où je n'avais pas le droit de me garer, il a ouvert la portière de Woolly et nous a fait entrer dans l'immeuble en touchant son chapeau. On appelle ça le capitalisme.
Il coupa le contact. Sacrée baraque ! Combien de personnes vivent ici, tu disais ? demanda Duchess. - Seulement ma sœur et son mari. Mais elle est enceinte. - Enceinte de quoi ? De quintuplés ?
Biographie
Né en 1964, Amor Towles
a grandi dans la banlieue de Boston, Massachusetts. Il est diplômé
de l'Université Yale et a un master en littérature anglaise de
l'Université de Stanford. Descendant d'une des grandes familles wasp
du Mayflower, il a fait une brillante carrière dans la finance.
Amor Towles est directeur d'une entreprise à Manhattan, où il
vit avec sa femme et ses deux enfants.
Rules of Civility (2011)
(Les règles du jeu) est son premier roman. Son deuxième roman, "Un
gentleman à Moscou" sort en France en 2018. Lincoln Highway est
donc son troisième roman publié à ce jour.
En savoir plus ici : https://fr.wikipedia.org/wiki/Amor_Towles
son site ici : https://www.amortowles.com/

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