dimanche 21 juillet 2024

Celestine HITURIA VAITE – Chroniques de Tahiti – Frangipanier – Poche 10/18 - 2022

 

 

L'histoire

Tahiti, début des années 2000. Pour ce tome 2 (sur 3), on retrouve Materena, en disgrâce avec son mari Pito, et enceinte de leur deuxième enfant qui sera une fille pour la plus grande joie de Materena. Mais Pito qui boit l'argent de sa paye sans donner un sou à sa femme oblige celle-ci à travailler comme femme de ménage pour une française exilée et seule. Materena a bien l'intention d'élever sa fille pour en faire une femme forte et indépendante. Un peu trop indépendante finalement...


Mon avis

Vous ne pouvez pas vous offrir un voyage à Papeete ? J'ai la solution en lisant les 3 tomes qui constituent « les chroniques de Tahiti », avec un charme et un humour désarmant.

On y retrouve la famille de Materena qui vit dans une sorte de paillote dans les quartiers pauvres de la ville. Son sempiternel bon a rien de mari dépense sa paye en bière quand il ne reste pas avachi sur le canapé. Après une énième dispute, celui -ci part, alors que sa femme découvre qu'elle est enceinte. Une petite fille qu'elle nommera Leilani et qu'elle est bien décidée à éduquer pour en faire une femme forte. Mais même enceinte, Materena, « la plus professionnelle » des femmes de ménage trouve un emploi auprès de Colette, une française de métropole qui a perdu tous ses repères sur l’île.

Le temps passe avec le petit monde qui entoure l'héroïne, les mères, les tantes, les cousines et les ragots vont bon train dans cette grande famille. Et au grand dam de sa mère, Leilani fait sa crise d’adolescente : elle veut aller à une boum, choisi une robe bien trop courte aux yeux de sa mère, et pire que tout, à presque 18 ans, elle va vivre dans une maison avec son amoureux, un jeune dentiste qui vient d'une très bonne famille et qui est très amoureux de la belle Leilani. Obligée de travailler comme secrétaire médicale, voilà la jeune fille qui se passionne pour la médecine et annonce à sa mère, qui a déjà l'aîné parti en France pour l'armée, qu'elle va faire 7 ans de médecine en métropole. Mais à tout malheur quelque chose est bon. Après 20 ans comme femme de ménage chez Colette, une opportunité d'un travail bien différent s'offre à Materena.

Mais ce qui fait le charme de ce livre c'est l'écriture, vivre et sans superflus parsemée de mots en tahitien, une langue maorie qui ressemble à l'espagnol dans sa façon de prononcer les mots avec des expressions très amusantes (heureusement un lexique en fin d'ouvrage vient nous aider à comprendre les expressions utilisées). Les personnages sont quand même un peu loufoques, et c'est une immersion dans le Papeete des petites gens, pas celui des plages paradisiaques que vantent les magasines. Et puis il y a les us et coutumes, la tradition. Mais avec la jeune génération, et de plus en plus concernée par la situation des femmes tahitiennes (qui si elles ne sont pas très riches ont le choix entre un mari volage ou violent ou alcoolique ou les 3 réunis. Elles veulent d'habiller à l'européenne, avoir un bon emploi. C'était bien dans ce sens que Materena voulait élever sa fille, mais il y reste encore chez notre héroïne une emprise de la culture traditionnelle tahitienne. La peur de « radio cocotier » qui pourrait déshonorer une famille bien vue dans sa communauté. Battante, courageuse, toujours à l'écoute des problèmes des autres, mais sans jamais se laisser faire, Materena est une héroïne pleine d'empathie, qui masque ses pleurs sous sa force de caractère. Entre émotion et rires, un bien joli voyage au bout du monde.

Frangipanier vient de l'arbre que l'on plante lors de la naissance des enfants dans les coutumes tahitiennes. C'est donc cet arbre qu'on a planté pour la naissance de Leilani. Et si un arbre va mal, c'est que l'enfant va mal, ce qui donne lieu à des conseils de famille exclusivement féminins.

Les 3 tomes de la série connaissent un succès incroyable auprès du public. Traduit en 27 langues, son autrice qui vit en Australie et écrit en anglais, est une véritable star en Océanie.

On en redemande et je suis en train de dévorer le dernier tome « Tiaré ».



Extraits

  • Un enfant, d'un sexe ou de l' autre, c'est toujours une responsabilité. C'est vrai ça : pour Materena, quand on sème, on assume. Du jour où l'enfant est conçu au jour où il quitte la maison, on est responsable de son bien-être. En fait, on se sent même responsable jusqu'au jour où i'on meurt. Et même là, c'est pas garanti que les gosses auront plus besoin de vous et vont enfin vous ficher la paix. Un enfant, c'est un cadeau pour l'éternité.

  • Materena avait un chien qui s'appelait Prince et elle l'adorait. Mais un beau matin, il s'est enfui. (…) Un jour, elle a posé la question à sa mère et Loana a dit : "Hein ? Quoi ? (…) " Aue ! Arrête un peu avec Prince... Prince t'a jamais abandonnée... C'est Richard Lexter qui l'a vendu à des Chinois, ils voulaient le manger seulement."

  • Aué, les enfants é ! On pense, quand ils sont grands, on n'a plus besoin de se faire du souci, mais les soucis, ça n'arrête jamais !"

  • Bon, elle va aller faire un bisou à sa fille... et lui donner des sous pour s'acheter un "escrime" chez le Chinois. (escrime veut dire ice-cream)

  • Elle pleure à chaudes larmes parce qu'elle est heureuse, mais en même temps elle est catastrophée. Encore un gosse, mais toujours la même paye !

  • Le travail, c'est la santé, dit la chanson. N'a pas travail, manger cailloux.

  • Il n'y a rien de plus beau qu'un garde-manger plein à craquer.

  • Mais comme dit la chanson : If you love somebody, set them free. Il y a des fois on est faits l'un pour l'autre, mais on ne se rencontre pas au bon moment.

  • Il ne faut jamais porter Bébé avec sa tête sur ton épaule et ses yeux ouverts sur la nuit parce que le diable est là qui rôde dans le noir.

  • Oh, dit Leilani […] les femmes ont quand même une vie plus dure, tu peux pas dire le contraire. » « Je ne dis pas le contraire. Mais à ton avis, pourquoi le Bon Dieu nous a mis tous ces bâtons dans les roues ? Tu crois pas que c’est parce qu’il sait bien qu’on est capable de surmonter les difficultés ? Parce qu’on est fortes ? Qu’on ne se laisse jamais abattre ?

  • Quand on meurt, ça veut pas dire on n'existe plus. C'est vrai, on est enterré, on devient un squelette, et après on devient poussière, mais tout ce qu'on a laissé derrière nous, ça continue à vivre. Chaque fois que les gens parlent de nous, on ressuscite.

  • Les filles , c'est plus difficile à mettre au monde parce qu'elles résistent. Elle ne veulent pas naître. Elles savent bien ce qui les attend dans ce monde de malheur."

  • Materena est en train d'épingler une chemise sur le fil et glousse : "Pour la messe ? Ah bon ? Tu vas à la messe ce dimanche ?" Ca fait des mois que Leilani ne va plus à la messe."Peut-être" murmure Leilani avec un sourire charmant. "Alors ? Je peux aller à la boum ? J'ai presque seize ans.""Leilani, ton anniversaire, c'est dans neuf mois.""Mais oui, je sais. Seulement j'ai déjà seize ans dans ma tête."

  • On dit toujours la pluie c'est bon pour les plantes et c'est vrai; mais la pluie, surtout quand elle tombe pas trop fort, c'est une musique qui fait du bien à l'âme quand on est une femme. Quand elle tambourine sur le toit de tôles; elle te rend un peu mélancolique, elle te fait rappeler les jours heureux, ou bien les années noires où tu as été capable de survivre, parce que tu es une femme et que survivre, c'est un mot que les femmes du monde entier connaissent bien.
    Quand tu regardes tomber la pluie, c'est magique. Ca calme les angoisses de l'esprit et les tourments de l'âme. Ca donne l'espoir aux femmes. Ca nous rappelle qu'on est fortes. Décidées. Courageuses. Compréhensives. Et qu'on a tellement d'amour à donner. La pluie, c'est un miracle. Comme la femme, c'est un miracle.

  • Mamie, est-ce que quelquefois tu te demandes quel est ton but dans la vie ?". Oh là là, se dit Materena. Je suis trop fatiguée pour une discussion intellectuelle. Néanmoins, elle commence par dire que les gens n'ont pas qu'un seul but dans la vie, et que les buts peuvent être aussi simples qu'aider un gosse à traverser la route; faire sourire quelqu'un qui est triste; écouter l'histoire que quelqu'un a envie de raconter. Pour Materena, le but qu'on devrait avoir dans la vie, c'est de rendre le monde meilleur et ça, on en a l'occasion tous les jours. Voilà, Materena espère qu'elle a répondu à la question de Leilani.

  • Ce qui est sûr, c'est qu'elle n'a pas un cocotier dans la main. Personne ne peut dire qu'elle est paresseuse.



Biographie

Célestine Hitiura Vaite est une écrivaine polynésienne , née à Papeete, en Polynésie française, en 1966 qui vit en Australie.

En savoir plus ici : https://fr.wikipedia.org/wiki/C%C3%A9lestine_Hitiura_Vaite





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