mercredi 17 juillet 2024

Ian MANOOK – Askja – Albin Michel 2019 – ou Livre de poche 2020 -

 

 

L'histoire

L'inspecteur Kornélius Jacobson de la police criminelle de Reykjavík est appelé dans la région du centre de l »Islande, où un jeune homme a filmé avec son drone le corps d'une femme nue et rousse. Mais sur place, le corps à disparu. Alors qu'il a un témoin/suspect atteint d'Alzheimer qu'il compte emmener au poste de police le plus proche, un sniper mitraille, sans faire de victime, un pont où quelques randonneurs venus admirer le paysage dont le célèbre mont Heroubrio, et le témoin s'est envolé. De son coté, deux jeunes randonneurs trouvent une culotte rouge tachée mais aucun corps. Ce qui intrigue fortement Botty qui est chargée de cette enquête.

Quelques heures plus tard, c'est dans la capitale que le sniper vise un vieux navire de guerre qui fait une sorte de monument historique. Les « Vikings », unité spéciale de la police (l'équivalent de notre GIGN ou du RAID) sont sur le dents. Car le sniper continue à tirer sur des cibles touristiques sans jamais faire de victimes. Konélius, aidé par la légiste Ida, par ailleurs sa petite amie en titre et Botty, une autre inspectrice auront bien du mal à éclaircir cette étrange affaire.


Mon avis

Des steppes de Mongolie aux paysages sauvages de l'Islande, il n'y a qu'un pas littéraire à franchir pour Ian Manook, écrivain voyageur qui a aussi bien vécu en Mongolie qu'en Islande.

On retrouve les personnages d'un premier roman (Heimay) mais on peut lire celui-ci sans avoir lu le premier tome. Kornélius, excellent flic mais aux méthodes discutables, se trouve confronté à deux énigmes. La disparition d'une femme et un sniper dont on se demande quelles sont les motivations. Fausses pistes, rebondissements à chaque chapitre, le tout dans une Islande désertique, entre « hot spot » (ces sources d'eau chaude appréciées pour leurs vertus apaisantes) et montagnes de lave fissurées de crevasses profondes, l'auteur sait nous tenir en haleine tout au long de ces 427 pages. Avec les personnalités hilarantes des deux flics surnommés Komsi et Spinoza (qui philosophe tout le temps), une bouffée de fraicheur s'insinue dans cette enquête complexe à souhait.

Même si il manque ce petit coté exotique que l'on retrouvait dans Yeruldelgger par les légendes mongoles. Ici peu d'allusions aux légendes norroises, tout est concentré sur une enquête, entre bande de petits plaisantins, faux amis et aussi méchants mais pas trop.

Au passage Kornelius va renouer avec son père qui lui révèle enfin les vraies raisons du suicide de sa mère, et aussi sa fille Alma qu'il n'a pas vu depuis 15 ans et qui est devenu la mère d'un petit garçon.

Mais Manook nous démontre aussi qu'en Islande, ce pays dont on vante les mérites de la politique, il peut y avoir aussi des petits dérapages, et des complots pour éliminer quelques ambitieux. Malgré tout, Manook n'a pas son pareil pour nous faire découvrir une autre Islande, moins touristique, faite des déserts de laves, de crevasses et de personnages rugueux. Totalement page turner, un livre à déguster pour un peu de fraîcheur estivale.



Extraits

  • Le Thrihnukavigur est un cône volcanique d’une centaine de mètres de haut à peine. Un tout petit volcan, mais très spécial. Sa silhouette se détache, avec deux autres pitons, au milieu d’un vaste plateau pierreux au cœur des Montagnes bleues. Sa réputation, unique au monde d’après les prospectus, vient d’une éruption avortée. Quatre mille ans plus tôt, la terre a régurgité des flots de lave pour les vomir à la gueule du monde. Mais, par un caprice sismique encore inexpliqué, une faille s’est ouverte au même moment en profondeur sous le volcan et la terre a ravalé toute sa lave incandescente, comme un enrhumé qui renifle, vidant brusquement la chambre magmatique du volcan. La seule au monde, donc, à ne pas avoir été obstruée par les laves refroidies, ou comblée par l’effondrement du cône. La seule au monde, vide et intacte, après avoir été vitrifiée par une lave à mille degrés qu’elle n’a jamais expulsée et qui a disparu. n aptitude à communiquer n'avait pas progressé.

  • Vous savez, le nombre de visiteurs étrangers a triplé au cours de ces dix dernières années, passant de 500 000 à 1 500 000. On estime qu’il atteindra 2 millions dans les trois ans à venir. C’est-à-dire que très bientôt nous recevrons six fois plus de visiteurs que notre pays compte d’habitants. En comparaison, un pays comme la France, première destination mondiale pour le tourisme, accueille chaque année 85 millions de visiteurs pour une population de 67 millions d’habitants. Si la France connaissait la même proportion de visiteurs que nous, ce ne sont pas 85, mais plus de 400 millions de touristes qu’elle devrait accueillir chaque année.

  • Vue du champ de lave, à quatre cents mètres de l’autre côté du lac, la façade vitrée du chalet perché sur ses pilotis s’irise de reflets moirés comme l’aile fragile et légère d’une libellule. Le ciel mauve a rosi, puis s’est nacré d’une brillance laiteuse. Sous la brise légère du matin, les eaux du lac, sombres de l’ombre du champ de lave, se marbrent en diagonale de ridules ondulées. Eiders, arlequins, macreuses, plongeons, grèbes ont réveillé la nuit dès les premières lueurs. Maintenant, ils s’ébrouent et froufroutent de leur bec leur duvet léger sous leurs plumes soyeuses, heureux de se préparer pour le monde qui renaît.

  • Ce type n’a tiré que sur des touristes qui visitaient des endroits parmi les plus iconiques du pays. L’Askja, l’épave du Dakota, et aujourd’hui la cascade des amoureux à Seljalandsfoss !
    - Deux affaires sans cadavre avec deux suspects sans mémoire, et maintenant un sniper après lequel nous ne pouvons faire que courir sans avoir la moindre idée de qui il est ni de ce qu’il veut. Tu ne trouves pas que tout ça tourne au ridicule !

  • C’est vrai que l’instinct transcende la connaissance, alors que la logique ne fait qu’utiliser le savoir.

  • Je suppose que ta fille veut parler de l’hippocampe. C’est une zone du cerveau dont une des fonctions est de graver le vécu dans la mémoire. Pour faire simple, quand l’alcool empêche l’hippocampe de bien fonctionner, c’est comme si tu enregistrais une vidéo en oubliant de mettre une carte mémoire dans ta caméra. Tu ne garderas aucune trace de ce qui a pourtant bel et bien existé.

  • Empile des pierres, du bois et du béton, et c’est l’ingéniosité de la construction. Touche mon cœur et fais-moi du bien, rends-moi heureux parce que c’est beau, et c’est de l’architecture. C’est le jeu savant, correct et magnifique de formes assemblées dans la lumière. Ce que voulait dire Le Corbusier, c’est que le premier matériau de l’architecte, c’est la lumière.

  • Elle doit avoir soixante ans. Cheveux blonds rassemblés dans un impeccable chignon. Chaussons d’intérieur en mouton retourné. Des yeux d’un bleu délavé comme les petits icebergs d’un lac glaciaire. Le regard un peu triste sous des sourcils étonnés. Elle porte un tablier de cuisine bleu sur une robe fleurie et tient une manique aux motifs traditionnels.

  • Et maintenant il longe la coulée de terres torturées sur la droite, et de l’autre côté les rives lisses du lac de Kleifar. Le lac vagabond, dont les eaux pourtant profondes de cent mètres ont disparu par une faille ouverte par un séisme en l’an 2000. Pour revenir ensuite, par un caprice de la faille qui, en dessous de la roche, sépare l’Europe de l’Amérique.

  • Comme des petites vacances pour Saphir. Il pourra voir la grotte et les orgues de basalte de Vik, les petits icebergs de la lagune glaciaire de Jökulsárlón et la statue mystérieuse qui garde l’entrée de la plage de Vestrahorn.

  • Faites de tout ça ce que vous voulez, moi ça ne me concerne plus. J'ai passé l'âge de jouer aux petits soldats. Je vous laisse. Bien le bonjour à la commissaire nationale.

  • La vie est ce que tu en fait mon garçon, si tu la compliques, elle devient compliquée !

  • Dans le désert de l'Askja, assis sur le toit de sa voiture, cerné d'horizons noirs de lave boursoufflées sous des nuages blancs, aveuglants, Kornélius s'en veut d'avoir trahi Botty. Aucun Viking dans le ciel encore. Que des corbeaux. Alors il entonne le Krumavisur, pour se mettre au sinistre diapason de cette journée morose.

  • Viktor, vous empestez tellement la vodka à la vanille de Borgarnes, que j'ai craint une combustion spontanée quand vous avez allumée votre cigarette!

  • Des frimeurs de ce nouveau business du tourisme "extrême ", comme ils disent. Pas pour l'extrême beauté du pays, non, ni pour l'extrême émotion que peut provoquer sa contemplation. Simplement pour d'extrêmes sensations artificielles auxquelles l'Islande ne sert plus que de décor.

  • Parce qu'il faut épargner les mousses, monsieur. Ce sont des végétaux pionniers. Elles poussent sur des supports sans terre pour devenir elles-mêmes le substrat qui nourrira, un jour, d'autres plantes. Elles leur préparent le terrain, en quelque sorte. En même temps, elles constituent un environnement de survie pour de minuscules êtres vivants indispensables à la diversité biologique.

  • De tous côtés, les laves pétrifiées depuis des milliers d'années ne sont qu'un flot immobile de houle noire et plissée. On croirait la peau d'un sharpeï sorti du goudron.

  • Dans les clubs de couture, on ne tricote pas la laine , on détricote la vie des autres.

  • Dehors, l'horizon s'enflamme d'un faux couchant. A cette période, le soleil ne fait que frôler la nuit. Les nuages tissent sur la lande pétrifiée un ciel de lit ridé de velours côtelé, incendié par en dessous de bourrelets cinabre et écarlates. Un océan inversé au-dessus du monde, de houle régulière et immobile, flamboyant. Un ciel de lave.



Biographie

Né à Meudon , le 13/08/1949, Ian Manook est journaliste, éditeur et écrivain dont le vrai nom est Patrick Manoukian. Il a écrit sous les pseudonymes de Manook, Paul Eyghar, Ian Manook et Roy Braverman. Il signe également, avec Gérard Coquet, sous le pseudonyme collectif de Page Comann.
Grand voyageur, dès l’âge de 16 ans, il parcourt les États-Unis et le Canada, pendant 2 ans, sur 40 000 km en autostop. Après des études en droit européen et en sciences politiques à la Sorbonne, puis de journalisme à l’Institut Français de Presse, il entreprend un grand voyage en Islande et au Belize, pendant quatorze mois, puis au Brésil où il séjournera treize mois de plus.

De retour en France au milieu des années 1970, il devient journaliste indépendant et collabore à Vacances Magazine et Partir, ainsi qu’à la rubrique tourisme du Figaro. Journaliste à Télémagazine et Top Télé, il anime également des rubriques "voyage" auprès de Patrice Laffont sur Antenne 2 et de Gérard Klein sur Europe 1. Il devient ensuite rédacteur en chef des éditions Télé Guide pour lesquelles il édite, en plus de leur hebdomadaire, tous les titres jeunesse dérivés des programmes télévisés : Goldorak, Candy, Ulysse 31. Patrick Manoukian écrit en 1978 pour les éditions Beauval deux récits de voyage : "D’Islande en Belize" et "Pantanal".

En 1987, il crée deux sociétés : Manook, agence d’édition spécialisée dans la communication autour du voyage, et les Éditions de Tournon qui prolongent son activité d’éditeur pour la jeunesse (Denver, Tortues Ninja, Beverly Hill, X-Files…).
De 2003 à 2011, il signe les scenarii de plusieurs bandes dessinées humoristiques. Son roman pour la jeunesse "Les Bertignac : L'homme à l’œil de diamant" (2011), obtient le Prix Gulli 2012.
En 2013, il publie un roman policier intitulé "Yeruldelgger". Les aventures du commissaire mongol éponyme lui ont valu pas moins de seize prix dont le Prix SNCF du polar 2014. Lesdites aventures se poursuivent dans "Les temps sauvages" (2015) récompensé par un nouveau prix et "La mort nomade" (2016). Son roman "Hunter" (2018) est suivi de "Crow" (2019) , deuxième titre d'une trilogie qui attend sa conclusion. 

Voir ici : https://fr.wikipedia.org/wiki/Patrick_Manoukian


 


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