vendredi 29 avril 2022

Arnaldur Indridason – Les fantômes de Reykjavík – Poche points – 2021

 


Konrad, policier à la retraite, est chargé par deux retraités de savoir ce qui est arrivé à Danni, leur petite fille, droguée notoire. Retrouvée morte (overdose ou assassinat), l'enquête est confiée à sa collègue Marta toujours en poste.

Par ailleurs, à la demande d’une amie, il va se pencher sur un cols case datant des années 1960, la mort suspecte d'une petite fille de 12 ans.

On ne présente plus Indridason, le roi du polar islandais. Qui a déjà publié 13 polars traduits en français, et d'autres ouvrages. Né en 1961, il suit des études d'histoire , puis travaille pour un grand quotidien islandais et écrit des scénarios de films. Depuis 2005, il publie régulièrement des polars, qui mettent en avant des enquêteurs tourmentés mais aussi des cols case qui lui permettent de faire le point sur la société islandaise, loin de la carte postale et du bon vivre qu'on imagine.

Il y a toujours un coté social chez Indridason : dans ce roman comme dans d'autres, les plus démunis vivent dans des caves ou des sous-sols de la capitale islandaise, voire dans des ghettos vétustes. La ville évolue avec ses gratte-ciels, ses lieux touristiques, mais les démunis ont du mal à s'adapter à la société numérique, à trouver un emploi, la pêche industrielle est plus rentable. Les hommes s'enivrent, les jeunes se droguent. Le sort des femmes pauvres n'est guère reluisant, gérer un maigre budget, subir les violences des maris ivres. Mais chez les plus riches, on peut tout se permettre pour sauver sa réputation, son petit confort bourgeois et vivre comme si rien n'avait jamais changé. Petite nouveauté dans l'univers plutôt noir de l'auteur, le personnage d'Eyglo, médium dont les intuitions sont justes et qui apporte un peu de magie dans le monde si sombre.

Tous les romans d'Indridason ne se valent pas (j'en ai lu plusieurs), celui-ci est un bon cru. Konrad est un inspecteur qui succède au célèbre policier Erlendur, et son personnage est donc plus approfondi.

Mais il reste attaché à ces thèmes de prédilection : l'évocation de la société islandaise, son histoire et les violences faites aux femmes.


Extraits :

  • Un matelas crasseux était accolé au mur, le sol jonché de restes de
    nourriture et de saletés. Au milieu de ces détritus, une jeune fille d’une
    vingtaine d’années en jeans et T-shirt avait une seringue fichée dans le
    creux du bras.
    Konrad s’agenouilla auprès d’elle et chercha son pouls. Elle
    était morte, sans doute depuis un certain temps. Allongée sur le côté, les
    yeux fermés, elle avait l’air apaisé. On aurait dit qu’elle dormait.
    Il laissa échapper quelques jurons en se relevant et sortit la photo de sa
    poche pour s’assurer qu’il s’agissait bien de la gamine pour laquelle le
    couple se faisait du souci.

  • Malfridur n'avait aucun doute sur l'existence d'un au-delà et parlait régulièrement du monde de l'éther, cette dimension parallèle où les âmes se retrouvaient après avoir quitté les corps. Une foule de gens en quête de réponses sur la vie après la mort s'étaient adressés à son époux.
    Malfridur avait été témoin d'un grand nombre d'événements que seuls reconnaissaient ceux qui croyaient aux phénomènes surnaturels.

  • La lune flottait en surplomb, comme un conte de fées issu d'un monde lointain. C'est en baissant les yeux qu'il vit la poupée dans l'eau.
    Cette vision éminemment poétique toucha la sensibilité du jeune écrivain. Il sortit de sa poche son petit calepin et le stylo-plume qu'il avait toujours sur lui et griffonna quelques mots sur la perte de l'innocence, la fragilité de l'enfance et l'eau, à la fois source de vie et force destructrice.


En savoir plus :

jeudi 28 avril 2022

Tony puis Anne HILLERMANN – les enquêteurs Navajos.

 

Tony Hillerman (1925 – 2008)

Journaliste de formation, Tony Hillerman a vécu toute sa vie à Albuquerque (Nouveau Mexique USA). Il est très connu pour ses polars ethniques se passant sur la Grande réserve Navajo et grâce aux enquêteurs Joe Leaphorn, Jim Chee et plus tard la femme de Jim Chee, l'adjudante Bernie Manolito.

Chaque enquête détaille un point de la culture navajo ou de son histoire. Les enquêteurs n'utilisent pas L’ADN, ou les techniques policières classiques mais sont des fins observateurs de la faune, la flore, et connaissent par cœur un territoire immense qui regroupe « les four corners) : Arizona, Utah, Nouveau Mexique et Colorado, les territoires de la Grande Réserve qui comptent le peuple navajo (semi-nomade) mais aussi les tribus Hopis et Zunis.

Chaque livre peut se lire indépendamment des autres, mais il vaut mieux les suivre dans l'ordre si on les trouve encore (cette manie du pilori quand les œuvres ont fait leur temps). A chaque roman on trouve une carte où se situe l'action et en fin de livre un dictionnaire qui vous apprendre ce qu'est une mesa, un wash ou des mots navajos.

On suit ainsi l'évolution de la police tribale navajo (qui malgré ses pouvoirs limités ne peut s'empêcher de résoudre les enquêtes qui sont assez dynamiques) et surtout mette en avant les lieux incroyables où vivent ses peuples primitifs.

Tous les romans ont été publiés chez rivage noir (et aussi en poche).

Dans l'ordre de parution (mais qui correspond bien aux enquêtes des policiers).

  • La Voie de l'ennemi (1970)

  • Là où dansent les morts(1986)

  • Femme qui écoute (1988)

  • Le Peuple des ténèbres (2004)

  • Le Vent sombre (1986)

  • La Voie du fantôme (1984)

  • Porteurs-de-peau (1986)

  • Le Voleur de temps (1988)

  • Dieu-qui-parle (1989)

  • Coyote attend (1990)

  • Les Clowns sacrés (1993)

  • Un homme est tombé (1999)

  • Le Premier Aigle (1999)

  • Blaireau se cache (2002)

  • Le Vent qui gémit (2004)

  • Le Cochon sinistre (2006)

  • L'Homme squelette (2008)

  • Le Chagrin entre les fils (2008).

Tony Hillerman a aussi écrit d'autres romans et des nouvelles.

En savoir plus :

https://vimeo.com/59396896?embedded=true&source=vimeo_logo&owner=4666040

https://www.dailymotion.com/video/xfakk2

Anne HILLERMAN
Fille de Tony, elle est est aussi journaliste et spécialiste du peuple navajo. Elle a décidé de reprendre les personnages crées par son père pour continuer à la faire vivre.

Elle a publié 3 romans navajo

  • la fille de femme araignée en 2014 (Rivage noir et Poche Pocket)

  • Le rocher avec des ailes en 2017 (Rivages noir)

  • la longue marche des navajos en 2021 (Rivage noirs).

La longue marche des navajos

Nous retrouvons le lieutenant Leaphorn à la retraite et se remettant difficilement de son accident dans le 1er roman « la fille de la femme araignée). Il enquête sur la disparition mystérieuse d'une tunique navajo de grande valeur. Bernie enquête elle sur la mort étrange d'un homme non identifié et son mari sur une série de cambriolages. Ici l'auteure met l'accent sur la perte de la pratique de la langue navajo. Les jeunes parlent anglais, vont travailler en ville, ils ont fait des études supérieures et les vieilles traditions ne les intéressent plus vraiment. Reste sur la Grand Réserve, les plus pauvres, les anciens, ceux qui n'ont pas la chance de vivre dignement, mais qui restent encore fidèles aux traditions et à la religion animique navajo.

Un roman qui se lit tout seul et avec plaisir.

Depuis le début de ses romans navajos, Anne Hillerman met l'accent sur l'adjudante Bernie, la femme de Jim Chee, une jeune femme au caractère bien trempé mais qui en pure navajo s'occupe de sa mère et de sa sœur dysfonctionnelle. Un beau portai de femme qui tranche dans l'univers très masculin de son père.

En savoir plus :

https://www.youtube.com/watch?v=offajxci7BI

https://www.youtube.com/watch?v=Vn7tgaHBh9k



dimanche 24 avril 2022

Wendy Delorme – Viendra le temps de feu – Éditions Cambourakis - 2021

 

Eve, Louise, Rosa, Grâce, l'enfant et Raphaël vivent dans une société totalitaire régit par le Grand Pacte, aux frontière closes, en totale désinformation des habitants. Seuls les livres et films de divertissement sont autorisés, les autres détruits ; La police contrôle tout et surtout ceux qui oseraient franchir la ville, on vit avec des bons et tickets (des bonus si on a comportement exemplaires), et être mère est considéré somme un bienfait pour cette nation.

Dans ce récit polyphonique, se mêlent les voix de ses femmes résistantes, qui savent qu'un autre monde existe, qu'un passé plus libre a existé. Elles sont des guerrières, elles luttent pour leur survie, pour retrouver un monde libre. Chacune son histoire mais elle se retrouvent das une petite communauté secrète où l'on peut parler librement et vivre librement aussi.

L'écriture de Wendy Delorme est à la fois poétique, émotive et cette histoire d'un futur inquiétant nous renvoie à nos heures sombres ou l'actualité de ces derniers mois.

Ce roman, c’est aussi un véritable cri d’amour pour les mots, pour les livres, pour les histoires. Multiples portraits, récits de notre temps, récits d’un futur possible, ce roman est le témoignage du mal d’une époque et une alerte pour tous les lecteurs que nous sommes.

Wendy Delorme rappelle avec justesse l’importance de la littérature et de la transmission pour maintenir en vie celles et ceux qui ont vécu et fait vibrer nos âmes, pour ne pas trahir l’histoire et pouvoir penser l’avenir. C’est apporté avec beaucoup de justesse par une plume élégante, teintée d’une émotion communicative qui peut bousculer en dedans tant pour la justesse des mots choisis que pour leur force évocatrice. Je suis peut-être à fleur de peau en ce moment mais chaque mot faisait éclore en moi des sentiments forts..  

Parce que les messages sont superbes et à encourager, parce que les sentiments qui se dégagent de cette plume poétique et puissante sont aussi tranchants qu’une lame et aussi doux qu’une caresse désirée, je me suis faite pleinement réceptacle des histoires de ces femmes et de ces hommes qui ne désirent qu’une seule chose : vivre libres. C’est un ouvrage poignant, qui nous rappelle la fragilité des utopies mais aussi la force d’un peuple qui s’unit et se soulève. Et j’espère vous donner envie de les découvrir à votre tour.


Extraits :

- « D’ordinaire on se glisse, comme des passe-murailles, saluant brièvement, soldant en quelques mots un échange de vêtement, d’objet ou nourriture avant de nous hâter vers nos entresols. Mais hier nous levions le visage pour nous voir, nous saluer mutuellement. Des visages hâves de gens qui ne mangent pas assez, des visages las, creusés, dans la lueur des flammes, et dans tous ces visages des yeux bien allumés de revanche et d’espoir. »

  • Le terme de librairie, je ne l'ai pas appris de toi ni de l'école, c'est un mot de langue morte, tu le sais comme moi.

  • Souvent, c'est moins le sens des mots qui rend pleinement ce qu'ils tentent de décrire, que le rythme qu'ils prennent à l'oreille qui entend, sans même qu'on les prononcent. Car les mots qu'on écrit présentent ceci d'étrange qu'ils s'égrènent en musique résonnant seulement pour l'être qui les lit. Et c'est cette musique silencieuse et secrète qui dessine le mieux la forme de ce qu'ils disent.

En savoir plus

Repères bibliographiques 

Wendy Delorme, née en 1971, est une docteure en sciences de l’information et de la communication, enseignante à Paris IV, perfomeuse, et féministe française. Auteure de romans, de nouvelles et de traductions depuis l'anglais, elle se produit sur scène depuis les années 2000 en Europe et aux États-Unis.



ROMAIN PUERTOLAS – La police des fleurs, des arbres et des forêts – Albin Michel – ou livre de poche. 2019

 

Pendant l'été 1961, un très sérieux inspecteur de police est envoyé enquêter dans le petit village de P. par la procureure : Joël 16 ans est retrouvé mort et coupé en 4. Si l'inspecteur finit par résoudre l'enquête, celle-ci est particulièrement hilarante.

Certes l'auteur nous balance quelques petits indices ici ou là, mais nous suivons les aventures (racontées par des lettres au style particulièrement ampoulées de l'inspecteur, ce qui rend encore plus jubilatoire ce polar totalement fantaisiste. A lire pour se remonter le moral.

On se replonge dans les petits villages des années 1960 qui semblent figés dans le temps, avec leur patois, leur traditions.



Extraits

  • Je connais un peu la mentalité de la campagne, où les enfants commencent à fumer à dix ans, où on leur apprend à conduire à douze, où on les envoie travailler en toute impunité pendant les vendanges, la récolte des pêches ou des poires. Je suis un produit cent pour cent de la ville, mais mon oncle, qui avait une exploitation (le mot veut tout dire) dans le sud de la France, ne se gênait pas, durant les grandes vacances, pour m'envoyer, en dépit de ma jeunesse, cueillir ses tomates pour pas un sou, avec les mêmes horaires que ses ouvriers adultes et salariés.

  • Je n'ai jamais connu mes parents biologiques, et je doute de les connaître un jour.
    - T'as pas la curiosité de le savoir ?
    - Disons que je considérerais cela comme un manque de respect vis-à-vis de ceux que j'appelle papa et maman, qui m'aiment et qui m'ont toujours tout donné comme ils l'auraient fait pour leur propre fils de sang. Pour l'instant, disons que je suis heureux sans savoir. Je n'éprouve pas le besoin de savoir.

  • Ne vous inquiétez pas, les ouvriers des Postes et Télégraphes (P & T) sont à la tâche et la communication devrait être rétablie en fin de semaine. Mais avouez qu'il y a un certain charme à retrouver le plaisir d'une bonne lecture, d'une conversation entretenue au rythme du courrier et un peu de lenteur dans ce monde au tempo effréné.



Repères bibliographiques

Né en 1975,à Montpellier dans une famille de militaires connaît de multiples déménagements durant sa jeunesse.

Romain Puértolas fut capitaine de police, professeur de langues, traducteur, steward.

Romain Puértolas est né le premier jour de l’hiver 1975 à Montpellier. Conscient de la brièveté de la vie, il décide de devenir dresseur de poupées russes et de vivre plusieurs vies en une seule. Tour à tour professeure de langues, traducteur, DJ, nettoyeur de machines à sous, employé dans le contrôle aérien. Il se consacre depuis les succès des romans à l'écriture.Tous ses livres sont des petites merveilles d'humour et d’exercices de style, pour notre plus grand bonheur.

En savoir plus

- https://www.youtube.com/watch?v=h-Opi7e4FsQ

- https://www.youtube.com/watch?v=8rsFBnQ5848

- son site : https://romainpuertolas.com/

- https://www.franceculture.fr/emissions/du-jour-au-lendemain/romain-puertolas


mardi 19 avril 2022

ABBY GENI – Farallon Islands – Actes sud - 2017


 

Miranda, la trentaine est une photographe de l'extrême. Elle a parcours le globe, de l’Arctique glacial aux déserts du monde pour ramener des clichés insolites. Elle est tous le temps en voyage et elle décide de passer un an aux Îles Farallon, archipel inhospitalier où vivent des biologistes peu avenants à 50 kùm de San Franscico.

L’île principale est le repère des requins blancs, des baleines à bosse, des phoques macareux et goélands qui profitent de ce sanctuaire classé pour se reproduire. La vie est simple, frugale, entre les attaques d'oiseaux, les conditions rudimentaires, une maison peu entretenue. Chacun est à son poste, sans se soucier des autres sauf en cas de danger ou de blessures.

Fragilisée depuis la mort de sa mère quand elle avait 14 ans, Miranda lui écrit des longues lettres qu'elle ne postera jamais comme un journal intime.Mais tout ne se passe pas comme prévu dans cet univers où la nature règne et ou les humains n'ont pas d'empathie.

Ce qui est frappant dans ce premier roman d'Abby GENI c'est la faculté de l’auteure à analyser humains et animaux. Inimitiés ou amitiés, Miranda se sent parfois bien seule dans ce monde étrange et magnifique.

C'est un roman initiatique. L'évolution d'une femme sans attaches qui va finalement trouver sa voie. C'est aussi une réflexion sur l'art et notamment la photographie, ce qui plaira aux amateurs.

Ce roman aussi une réflexion sur la mort. Les biologistes ne sont pas là pour sauver un animal en danger, mais répertorier. Les morts humaines dues à des accidents sont chassées des esprits, le chagrin est intériorisé.

J'ai lu beaucoup de livres mais celui-ci détonne par son sujet, le choix de l'action sur une minuscule bout de terre qui semble loin de tout, La fascination de l'héroïne qui croit y trouver un refuge, encore une échappatoire pour fuir la mort tragique de sa mère, sa famille avec laquelle elle n'a pas beaucoup de liens, ses amours sans lendemain. Mais quelque chose va se fissurer et je vous laisse lire le livre pour comprendre.


Extraits :

- Les seuls souvenirs fiables, j’imagine, sont ceux qui ont été oubliés.

  • A bord du ferry se trouvait une carte postale pour mon père. J‘étais sur les îles depuis presque deux mois et, durant ce temps, je n’avais que cela à envoyer sur le continent. Au dos, j’avais écrit, Preuve de vie.

  • Chaque fois que nous nous souvenons de quelque chose, nous le transformons. Ainsi fonctionne notre cerveau. J’envisage mes souvenirs comme les pièces d’une maison. Je ne peux pas m’empêcher de les modifier quand j’entre à l’intérieur – je laisse des traces de boue par terre, je bouscule un peu les meubles, crée des tourbillons de poussière. Avec le temps, ces petites altérations s’additionnent.
    Les photos accélèrent ce délitement. Mon travail est l’ennemi de la mémoire. Les gens s’imaginent souvent que prendre des photos les aidera à se souvenir précisément de ce qui est arrivé. En fait, c’est le contraire. J’ai appris à laisser mon appareil au placard pour les événements importants parce que les images ont le don de remplacer mes souvenirs. Soit je garde mes impressions à l’esprit, soit j’en fait une photo – pas les deux.
    Se souvenir c’est réécrire. Photographier, c’est substituer. Les seuls souvenirs fiables, j’imagine, sont ceux qui ont été oubliés. Ils sont les chambres noires de l’esprit. Fermées, intactes, non corrompues.

  • Plus que toute autre forme artistique, la photographie requiert d’être froid et dépassionné. (…)
    Ce travail exige un esprit qui sache se tenir à distance. (…)
    Le traumatisme et la souffrance sont les fondements de l’art. J’y crois. Mais confronté à la tragédie, un peintre spécialisé dans les fresques ou dans les aquarelles peut vivre ce moment en être humain et redevenir artiste après. Face à la mort d’un être cher, un sculpteur ou un portraitiste peut d’abord souffrir, faire son deuil, guérir – puis créer. La plupart des artistes traversent l’existence de cette manière. Ils peuvent avoir des réactions normales face aux vicissitudes de l’expérience humaine. Ils peuvent traverser le monde avec compassion et camaraderie.
    Ils peuvent créer plus tard. En dehors, ailleurs, au-delà.
    Mais la photo est immédiate. Elle n’offre pas le luxe du temps. Confronté au sang, à la mort ou au changement, un photographe n’a pas d’autre choix que de saisir son appareil. L’artiste vient en premier, l’être humain en second. La photo est la captation neutre des événements, la chronique du sublime comme de l’effroyable. La nécessité veut que ce travail soit effectué sans émotion, sans attache, sans amour.

Repères bibliographiques

Abby Geni est une jeune écrivaine américaine. Après des études littéraires, elle alterne atelier d'écritures et romans et nouvelles. Abby Geni est fascinée par le rapport que l’homme entretien avec son environnement, les liens que l’homme tisse avec la nature constitue ainsi le fil rouge de toute sa création littéraire.

Ses deux autres romans Zoomania et The last animals (ce dernier n'est pas encore traduit en français) sont publiés chez Actes Sud. Elle a aussi écrit des nouvelles qui ne sont pas traduites en français pour le moment.


En savoir plus :

jeudi 14 avril 2022

Jean Hegland – Dans la forêt – Gallmeister (poche) - 2017

 

Nell et Eva, deux sœurs de 17 et 18 ans vivent dans un autre monde. Depuis leur enfance, elles ont été élevées dans une famille assez libre, dans une grande maison en lisière de la foret de Redwood (Californie du Nord). Eva veut devenir danseuse classique et Nell envisage des études à Harvard.

Mais ces rêves sont vite devenus illusoires. Petit à petit, en raison d'une guerre quelque part dans le monde, l’électricité vient à manquer, tout comme se font rares les biens de consommations courants.

Lorsqu'elles perdent leurs parents, la maison-refuge se détériore et elles doivent apprendre à vivre dans ce monde détruit. Elles vont apprendre la survie dans cette forêt, qui si on l'apprivoise est pleine de ressources.

Ne nous y trompons Jean Hegland est une conteuse et pas une adepte ni du survivalisme ni de l’apocalypse. Si ce roman écrit en 1996 a été publié en français en 2017, il en prend encore plus de force face à l’actualité internationale. Ne nous parle-t-on pas de restrictions dues à la guerre en Ukraine ?

Mais Jean Hegland tape aussi sur le capitalisme fou, celui qui nous prive de nos valeurs primitives, mais sans agressivité, en délicatesse à travers les anecdotes que raconte Nell dans son carnet.

On suit les aventures de Nell, pragmatique et décidée à tout pour survivre et de sa sœur qui semble vivre dans un monde secret entaché par un viol et un bébé à naître.

J'aime l'écriture de l'auteure, elle n'écrit pas, elle raconte, avec des moments de poésie, d'humour, et nous fait traverser une gamme de sentiments (joie, peur, agacement, rêve) tant on s'associe aux deux héroïnes.

C'est aussi un amour indéfectible ente deux sœurs, la situation rendant impossible tout contact avec les humains qui ont fuit ou sont devenus des pillards.

Il y a aussi une réflexion sur la temporalité.Le temps comme on l’entend, n’existe plus. Ce temps mesurable, palpable qui s’écoule. Tout est flou. Plus aucun instrument n’existe pour le mesurer. La temporalité change de dimension. Nell va se raccrocher à l’environnement dans lequel elle évolue pour estimer les saisons

Et puis il y a surtout cette nécessaire reconnexion avec la nature. Connaître les ressources et identifier les dangers, Nell l'apprend très vite, Sa force de caractère nouas anime aussi d'une folle énergie. Finalement se passer du superflu pour ne garder que l'essentiel, l'amour ici ente les 2 sœurs, mais on aurait pu parler de toutes sortes d'amour.

Un roman que Gallmeister (spécialiste de la nature des grands espaces, et de la nature) a eu la très bonne idée de faire tradurte et publier.


Extraits :

  • Je fais la sieste au creux d’une souche dans un rond de lumière pâle. Je rêve que je suis enterrée jusqu’au cou, mes bras et mes jambes comme des racines. Tandis que je regarde par-dessus la terre, mon crâne enfle comme si j’absorbais le ciel à travers mes yeux. Ma tête grossit jusqu’à devenir une coquille englobant la terre entière. Je me réveille doucement, avec un sentiment de calme infini.

  • Après toute cette pluie, les bois étaient humides- vaporeux et voluptueux dans la soudaine générosité de la lumière du soleil, et je me suis sentie à la fois déroutée et emplie d'une vie nouvelle, comme si je venais de me réveiller après une longue maladie. L'eau gouttait de toutes les feuilles et brindilles, un après-la-pluie étincelant qui gazouillait tel un lointain ruisseau, tandis que celui tout proche bouillonnait à la manière d'une rivière.

  • « On tient le coup, jour après jour et tout ce qui nous manque, ce sont les souvenirs, tout ce qui me fait souffrir ce sont les regrets. 

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Repères Bibliographiques

Jean Hegland est née 1956 dans 'l'état de Whasington. Après des études littéraires, elle devient ensignante. Depuis, elle partae son temps entre éccriture et apiculture. Son prochan roman « till times » devrait bientôt sortir en éditions française. Elle écrit aussi des essais.

Son site : https://jean-hegland.com/



lundi 11 avril 2022

Piergirogio PULUXI – L'île des âmes – Gallmeister ( 221)

 

Voilà un magnifique roman signé d'un jeune écrivain (né en 1982) qui vient d’être traduit en français.

La Sardaigne, ces jolies plages de sable fin, ses paradis pour touristes, son image de de carte postale... Mais ici nous somme dans la Sardaigne profonde, agricole dans la région montagneuse  de la Barbagia où l'on parle encore le vieux patois sarde et où les familles ont le culte de l'omerta et de la vie en autarcie.

En 1975 puis en 1986, 2 corps de jeunes filles ont été retrouvés, sur des sites nuragiques, des meurtres rituels semble-t-il. Et un troisième cadavre est également retrouvé alors que les 2 inspectrices Rais et Croche se plongent justement dans ces affaires jamais résolues.

Un livre totalement inattendu. Parce qu'il nous parle de la Sardaigne et de ses paysages magnifiques, mais fait aussi référence à l'ancienne religion païenne des nuraghes (datant de l'âge de bronze), ces très lointains ancêtres des Sardes qui croient en la Déesse Mère, et qui lui vouent un culte dévoyé. L'auteur nous éclaire sur un mode de vie agropastoral, sur les vieilles traditions jamais totalement perdues, et sur cette Sardaigne inconnue.

On aime les descriptions poétiques où les paysages, les odeurs, les silences, les lumières, leur beauté mais aussi leur violence sous-jacente, sont finement exprimés. Ils créent l’ambiance. Celle d’un temps suspendu, où le passé envahit le présent, où la frontière entre les morts et les vivants est infiniment ténue. L'écriture somptueuse et riche se met au service d'une enquête difficile, animées par 2 femmes que tout oppose mais qui doivent apprendre à faire front. Un polar envoûtant. bien différent de ceux que nous lisons.


Extraits :

Elle était face contre terre au seuil du temple, à proximité de l’escalier qui descendait au sous-sol, à côté d’un autel où, à l’époque tragique, étaient pratiqués les sacrifices d’animaux et les rites ordaliques requérant l’usage de l’eau.

Billa cilla plusieurs fois, comme s’il était victime d’un mirage. Mais il eut beau cligner des yeux, la figure humaine était toujours là, à genoux, comme en position de prière, recouverte d’une toison de mouton, les mains nouées derrière le dos, le visage caché par un masque en bois aux longues cornes bovines.   
Rassemblant son courage, il s’approcha lentement et, en voyant la flaque de sang presque sèche à côté de l’ancien trou destiné à l’écoulement des fluides autour de laquelle les mouches s’en donnaient à cœur joie, il se retourna brusquement et porta une main à sa bouche. Aux rondeurs du corps nu sous le manteau ovin et aux longs cheveux noirs qui dépassaient du masque, il comprit qu’il s’agissait d’une fille.


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En Sardaigne, le silence est presque une religion. L’île est composée de distances infinies et de silences ancestraux qui ont quelque chose de sacré. Tout en est imprégné : les collines de maquis qui se découpent jusqu’à l’horizon, les champs de blé à perte de vue, les plaines recouvertes de ciste, de lentisques, de myrte et d’arbousiers qui saturent l’air de parfums enivrants ; les montagnes qui se dressent timidement vers le ciel, comme par peur de le profaner. Les hauts plateaux et les pâturages où paissent les troupeaux et souffle le mistral.

Partout règne un silence pénétrant.

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L'homme ne cherche pas à dominer la nature, car il la craint. C'est une peur inscrite dans son sang, fille d'époques révolues. Il sait d'instinct que la nature gouverne le destin des hommes et des animaux, et il apprend vite à connaître et à traduire tous les faits naturels qui l'entourent, car, aussi étrange que cela puisse paraître, ce silence parle. Il instruit et met en garde. Il conseille et dissuade. Et malheur à celui qui ne témoigne pas la déférence attendue.


Bibliographie

Piergiorgio Puluxi est né en 1982 à Cagliari (sud de la Sardaigne. Arès une carrière de libraire il se tourne vers l'écriture. Il a déjà écrits plusieurs romans et poèmes. L’Île des Âmes est son premier roman traduit en français. Il est possible que le duo d'enquêtrices au caractère bien trempé se retrouvent dans de prochaine publications.


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