dimanche 30 octobre 2022

TONY HILLERMAN – Le voleur de temps – Rivages noir N°110 - 1988

 

L'histoire

Un trafic de poteries anasazis, une pelleteuse et un camion volés, une anthropologue disparue depuis plus de 3 semaines, voilà les ingrédients de cette nouvelle enquête menée par le sergent Jim Chee et le lieutenant Leaphorn qui se passent en plein pays Anasazi, au-delà de la réserve indienne.


Mon avis

Pour son 7ème polar des enquêtes navajos, Tony Hillerman nous envoie dans le pays anasazi, ces amérindiens probablement arrivés par le détroit de Béring, puis descendus vers le Colorado en 900 et subitement disparu vers1300 pour des raisons encore inconnues.

Les anasazis vivaient dans des maisons troglodytes à flanc de montagne, dans des canyons bordant la Mexico Water (affluent de la San Juan). Or les fouilles archéologiques et anthropologiques sont très protégées par le Bureau des Affaires Indiennes qui donne des permis d'exploitation des zones, et le pillage pour la revente est totalement illégal. L'acquéreur doit remplir un formulaire mentionnant le lieu de la découverte, le n° du permis etc. A l'époque où Hillerman écrit ce roman, il y a une forte demande par les collectionneurs privés des poteries des premiers indiens à avoir occupé le Colorado. Les prix se chiffrent en milliers de dollars.

Une anthropologue, spécialisée dans la poterie est train de faire une découverte majeure : un ou une artiste anasazi avait découvert une façon de faire de la céramique de couleur rose avec des motifs géométriques blancs. Ce qui supposerait que les anasazis avaient découvert l'art de la céramique, alors que l'on sait qu'ils ne connaissaient pas la métallurgie ou même l'usage de la roue.

Hors, les trafics de poterie ont bien lieu et se retrouvent avec des certificats falsifiés dans les plus grandes galeries d'Art, notamment à New-York. Les 2 inspecteurs mettent à jour un petit trafic, mais aussi une violation des permis d'exploitation archéologiques, où des malfrats n'hésitent pas à piétiner à coup de pelleteuse les sites anciens.

Par ailleurs nous suivons les parcours personnels de Leaphorn qui vient de perdre sa femme taant aimée, et de Jom Chee très intéressé par une avocate navajo..

Un polar qui nous permet de comprendre un peu de la vie des anasazis. Pour cela, l'auteur a rencontré des anthropologues et archéologues du Parc National de Recherches de Chaco, mais a inventé des lieux de fouilles interdits pour préserver le vandalisme à flanc de falaises. Un roman passionnant si comme moi vous aimez et les polars et l'histoire des amérindiens.

Et comme toujours Hillerman nous dresse une carte des lieux de l'action et un glossaire des mots navajos.


Extraits :

  • A cet instant précis elle entendit à nouveau le sifflement. Juste derrière elle. Pas un oiseau de nuit. Pas une variété de reptile. C'était une mélodie que les Beatles avaient rendue célèbre. «  Hey, Jude », en étaient les premières paroles. Mais Eleanor ne la reconnut pas. Elle était trop terrifiée par la silhouette bossue qui sortait du clair de lune pour pénétrer dans cette poche des ténèbres.

  • La chemise était humide à cause de la pluie sous laquelle il avait marché pendant qu'il se rendait de son hôtel à cet immeuble de bureaux, avant de se réfugier dans un drugstore. A sa grande surprise, le magasin vendait des parapluies. Il en avait acheté un, le premier qu'il eût jamais possédé, et avait poursuivi sa route en s'abritant dessous ( affreusement conscient de l'image qu'il offrait de lui-même), tout en se disant qu'il allait posséder le seul parapluie de Window Rock, et peut être le seul parapluie de toute la réserve, si ce n'était de tout l'Arizona.

  • Quelle que soit la raison qui l’avait fait agir, il était là, sur la frange de la réserve navajo, tout à l’est, à plus de cent cinquante kilomètres de chez lui. Quand les circonstances le lui permettraient, il irait parler à un homme dont l’existence même lui était désagréable. Il lui poserait des questions auxquelles cet homme refuserait peut-être de répondre, et qui, s’il répondait, ne lui apprendraient peut-être rien. La seule autre solution consistait à rester assis dans leur salon, télévision allumée pour servir de bruit de fond, à essayer de lire. Mais l’absence d’Emma l’en empêchait toujours en se faisant palpable. Quand il levait les yeux, il voyait la gravure de R.C. Gorman qu’elle avait accrochée au-dessus de la cheminée. Elle avait été le sujet de discussions entre eux. Emma l’aimait, lui pas. Les mots prononcés résonnaient à nouveau à ses oreilles. Et le rire d’Emma. C’était la même chose quel que soit l’endroit où il regardait. Il devrait vendre cette maison, ou la brûler. C’était dans la tradition du Dineh. Abandonner la maison contaminée par la mort, éviter que la maladie du fantôme ne s’empare de vous et ne vous mène à la mort. Sages étaient les anciens de son peuple, et le Peuple Sacré qui leur avait enseigné les règles de vie et les coutumes navajos. Mais au lieu de le faire il allait se livrer à ce jeu futile. Il allait retrouver une femme. Si elle était vivante, elle devait souhaiter qu’on la trouve. Si elle était morte, cela n’avait pas d’importance.

  • Le canyon tourna sous la falaise et quitta le clair de lune. Elle alluma sa torche. Il n’y avait aucun risque que quelqu’un la voie. Et cela l’amena à penser à la distance qui devait la séparer de l’être humain le plus proche. Pas très grande à vol d’oiseau, peut-être vingt-cinq ou trente kilomètres à tire-d’aile. Mais il n’y avait pas d’accès direct. pas de routes pour traverser ce paysage constitué de roches presque continues, et aucune raison d’en construire. Aucune raison non plus d’ailleurs pour que les Anasazis soient venus là sinon pour échapper à quelque chose qui les menaçait. Aucune raison que les anthropologues aient réussi à imaginer… pas même les spécialistes de l’anthropologie culturelle avec leur célèbre talent pour échafauder des théories sans preuves. Mais ils étaient bien venus. Et avec eux était venue leur artiste. Elle avait abandonné Chaco Canyon. Elle était venue ici pour créer ses nouveaux pots et pour mourir.
    De l’endroit où le docteur Friedman-Bernal marchait, elle pouvait voir l’une de leurs ruines sur sa droite, vers le bas de la paroi de la falaise. Si ça avait été le jour, se souvient-elle, elle aurait pu en distinguer deux de plus dans l’immense amphithéâtre situé plus haut à flanc de falaise sur sa gauche. Mais pour l’instant la niche était envahie d’une ombre noire : elle ressemblait à une immense bouche entrouverte.

  • Aucune raison non plus d'ailleurs pour que les Anasazis soient venus là sinon pour échapper à quelque chose qui les menaçait. Aucune raison que les anthropologues aient réussi à imaginer...pas même les spécialistes de l'anthropologie culturelle avec leurs célèbre talent pour échafauder des théories sans preuves.

  • .Et plus important que tout ça, elle était en train de découvrir que cette femme avait dû quitter Chaco et fabriquer des poteries dans un autre endroit.
    - Cette femme ? répéta Luna en levant les sourcils. Elle t'a dit que son potier était une femme ?
    - Qui d'autre pourrait avoir abattu un tel boulot !

  • La réserve s'étendait sur une superficie supérieure à celle de la Nouvelle Angleterre prise dans son ensemble, mais sa population n'atteignait pas les 150 000 habitants. Tout au long de la vie qu'il avait passée à y pratiquer le métier de policier, il avait rencontré, d'une manière ou d'une autre, beaucoup de ses habitants.

  • C'est une anthropologue, expliqua Arnold dont le gloussement était redevenu sourire.Vous retraduisez ce mot du langage universitaire à la langue anglaise et voila ce qu'il signifie : un pilleur de ruines, quelqu'un qui écume les tombes, de préférence les plus anciennes. Une personne qui a reçu une bonne éducation et qui vole des objets d'art avec beaucoup de dignité.
    Arnold, ne pouvant résister à l'esprit de ce qu'il venait de dire, rit avant de poursuivre :
    - Si c'est quelqu'un d'autre qui fait la même chose ils le traitent de vandale. C'est le mot qu'ils emploient pour leurs concurrents.Y a quelqu'un qui arrive en premier, qui fiche le camp avec tous ces trucs avant que les archéologues puissent mettre la main dessus, ils l'appellent un Voleur de Temps.

Biographie :

Voir Ici

En savoir Plus :

Sur le roman


Sur les anasazis

Photos :


Sur les autres amerindiens de l'époque et de la région


JULIEN M. - L'étonnant voyageur qui n'aimait pas les mots

 


Hiver 2008, Paris.

Je ne me souviens plus du livre en question, mais, alors que je le tenais ouvert dans ma main forte, totalement pris dans sa lecture, mon regard sembla se dérégler : d'un coup, je voyais flou. 

Je me secouais la tête comme pour débarrasser mon objectif de sa poussière, puis reposais mes yeux
sur la page : rebelote, les mots bavaient, fuyaient, se déformaient. Je fermais les yeux plusieurs fois avec vigueur, me massais les paupières, puis posais mon regard hors de la page : le lit, le papier peint, le micro-ondes, tout était clair, net, précis, les lignes, droites, et les angles, assurés. Alors que je reposai les yeux sur la page, je commençais à paniquer : les mots dansaient, les phrases ondulaient, et cette suite ininterrompue de signes ordonnés m'apparaissait alors comme un pâté ductile de tâches d'encre grossières et indéchiffrables. 

Le texte était toujours le même : c'étaient mes yeux, qui se refusaient dorénavant à le lire.

Qu'est-ce que je cherchais dans ces lignes ? Qu'est-ce que cette suite de signes, ces pattes de mouches agglutinées, avaient bien à m'apprendre ? Rien de ce qu'on avait appelé « vie » ne pourrait plus s'y trouver : on m'avait fait croire que l'imprimé contenait l'impression, mais aujourd'hui mes impressions avaient violemment pris possession de mon corps, et il me semblait tout à fait impossible de les enfermer à nouveau dans le livre : elles s'étaient libérées, à jamais. Sur la page, ce n'étaient plus des signes noirs sur fond blanc, mais du blanc, du vide, de l'espace, imprimé sur fond noir ; pourchassé par des lignes et des lettres désireuses de l'enfermer dans leurs courbes et leurs crochets. 

Pour la première fois je distinguais l'espace entre les mots et le silence entre les sons. Le mot, la phrase, la page, le livre, n'étaient que limitations. J'étouffais, je paniquais, devant le vide à perte de vue de cette crevasse qui s'ouvrait sous mes pieds. Ma main se mit à trembler, et mes doigts, hagards, s'écartèrent, et laissèrent le livre tomber au sol.

C'était le jour décisif, où je n'avais plus d'autre choix, que de vivre ma vie hors du mot, de la page, du livre. C'était le jour où je n'étais plus un intellectuel. Et cette brutale ex-communication des peuples du Livre n'était que le début de mes (nouvelles) peines, car je n'allais pas tarder à sombrer dans la terreur : comment dorénavant interpréter le vivant ? Qui étaient à présent mes alliés, mes ennemis, mes frères ? Quel nouvel alphabet remplacerait l'ancien pour m'aider à décrypter le réel ?

J'étais dans l'antichambre du langage, un entre-deux infernal dans lequel tout me paraissait insaisissable, étranger, hostile, car plus rien n'avait de nom, et je n'avais pas été éduqué pour faire face à une réalité nue : la nudité, de chair comme de langage, était, chez mes instructeurs, chez les tenants des sagesses officielles, au mieux un tabou. 

Je criais en dedans de moi toute ma peur, de me trouver brutalement expulsé de ma bulle amniotique, tout forcé de respirer, digérer, regarder par moi-même. Des mots des autres, je n'arrivais plus qu'à ressentir les intentions. J'étais enfin de nouveau né.
 
son site ICI

samedi 29 octobre 2022

TRISTAN CABRAL – La poésie de l'absence


 

Extraits d’œuvres

Quand j'étais de ce monde (Montmartre – Passage des Brumes – 1984 ) - extrait 

quand j'étais de ce monde

je serrais sur mon cœur des poignées de mains ivres

des bouquets de couteaux et des épingles d'eau

je lançais des paillettes

à des sources magiques

et mes mille ans tout neufs à des orgues fanées

j'avais organisé l'évasion des lumières

dénoncé les serrures posées contre les nuits

pour me retrouver seul

avec une grande plaie

en ce temps-là

je n'ai pas eu le temps d'être un enfant dans la femme

en ce temps-là

j'habitais en silence dans les siècles à venir

je me couchais sous les orages

je me couchais sous les trains fous en serrant mon amour

j'étais un romantique

j'avais l'âme incomplète

on m'appelait Matthias du château des Carpates

j'avais les bras plus plus grand que les révoltes

j'étais le roi d'un monde absent

cherchant l'homme à abattre

dans la grande maladie des hommes désemparés

et je portais ma chair à l'épaule du jour

vêtu d'une autre peau

volée un soir de de fête dans le vestiaire d'un bal

. 

quand j'étais de ce monde

je descendais des hommes

j'habitais cette rue

où naissent les organistes en deuil

au pied du Sacré Cœur

les couleurs tenaient mal sur ma peau

je semais sur la neige des yeux de fleurs fanés

et je fuyais les maladies de ma naissance

en cherchant une tombe où passerait la mer

en ce temps-là

je cachais sous la terre mes vieux doigts de sourcier

des oiseaux morts tombaient du ciel

.

et les arbres tombaient de sommeil

je serrais sous l'eau blanche un enfant échoué

avec au fond du cœur

un grand soleil de fin du monde

en ce temps-là

je cherchais l'or du rêve

le cadavre du feu

et je cherchais mes morts dans la mémoire des puits

je déchirais la peau des torches

en jouant du piano pour des vagues défuntes

j'allais aux chambres délirantes

boire des fleurs d'acacia en costume de larmes

et les soirs de veuvage

j'allais dans les éclipses

des veines dans les miroirs avec de longues ophélies

et puis j'allais m'abattre à des portes de sable

.

quand j'étais de ce monde

j'ouvrais des veines dans les miroirs

pour voir couler le sang sur des livres anciens

je mimais les aveugles pour qu'il me vienne des yeux

et quand venaient les équinoxes

je me couchais devant les vagues

en refermant les yeux pour continuer la nuit

je ne quittais la mer

qu'à l'heure de recevoir une pierre de lumière

entre les deux épaules

.

********************

Et soit cet océan

Il y a longtemps que je ne vis plus ici
je ne prends plus le bras de la pluie pour sortir
et que pourrais-je dire des étés invisibles où je sauvais la mort sur les restes du jour

certains jours je mettais des années de côté
et mes yeux repoussaient à chaque démesure
je donnais des oublis au fond des parcs sombres
et j’ai su quelquefois ressembler à ma voix

j’ai même accompagné les invasions secrètes
et des blessures m’ont fait la peau
quand on fêtait les guerres
je me joignais aux grands défigurés

je marchais dans ma chute
je ne changeais jamais les murs
et parfois j’ai confié mon visage à l’abîme
surtout ces temps de chien où j’étais mis à prix

je n’avais de pitié pour les terres habitées
et quand les jours ne m’allaient plus
je mettais mon passé pour traverser vos rues
je n’avais plus que mon silence à vous donner

il y a longtemps que je ne vis plus ici
l’oiseau s’est séparé de son vol inutile
alors après ma mort
ne fouillez pas mes poches

vous n’y trouveriez rien qu’une barque fantôme

Le passeur du silence

Quand un enfant blessé se prend pour un navire
et regarde la mer de son lit de poussière
quand le filin des jours vous glisse entre les doigts
quand le vent tient ouverts même les yeux des morts
quand les pierres se détachent de nos années perdues
quand la douleur ressemble à quelqu’un qui approche
alors on aimerait bien pour mourir l’un à l’autre
trouver une maison où l’on oserait vieillir

_____________________________________________

L'amer nous guide

Je suis né d’une erreur du vent et de la mer
 c’est pourquoi j’ai vécu au rythme des marées
 entre les hommes et dieu je n’ai pas pu choisir
 poisson-lune égaré sur un trottoir vitreux
 je n’ai fait que passer sans pouvoir respirer

un enfant replié s’est pris dans ma mémoire
 qui m’empêche d’atteindre au pays d’où je viens
 quand trouverai-je enfin de quoi crever mes yeux
 sur le plancher glissant d’une barque fantôme

si je viens à mourir qu’on me jette à la mer
 dans l’aube bleue des sables je trouverai ma route
 j’arriverai enfin à cette grande fête
 où mon corps fait face à l'intérieur du sel

Somnambule corps fait surface à l’intérieur du sel Je suis né d’une erreur du vent
Dans un désert de peau je guette un enfant fou
je vois dans les bûchers des émeutes de miroirs
et le même visage à toutes les fenêtres....

de la mer
où mon corps fait surface à l’intérieur du sel

Dans la nuit survivante

J'apprends très lentement à vivre à ciel ouvert

j'enterre la face humaine sous des gangrènes d'or

et j'ai abandonné des tessons de soleil

dans la chair oubliée des hommes inutiles

 

dans la nuit survivante les hommes sont contagieux

il y a des fusils plus lourds que les épaules

j'ai vu tomber la neige grise des phalènes

et le corps maternel excisé sous les arbres

 

mais quand l'écorce enfin aura pitié de l'arbre

quand les oiseaux aveugles chanteront malgré tout

les vagues arriveront jusqu'aux maisons ardentes

 

alors nous irons seuls dans nos vêtements de pierre

nues sous leur peau les femmes allumeront l'aurore

et j'irai parmi vous comme un  crime qui revient

Au mur

J'ai peut-être perdu tous mes yeux dans la mer...

venue comme un ancien pressentiment d'étoiles

une femme soudain m'a donné un visage

qu'elle semblait avoir ramassé dans les cendres

 il m'arrivait d'avoir des dimanches de vagues

j'écoutais sur le sable de vieilles détonations

les femmes portaient des masques pour allumer l'aurore

et je dilapidais l'obscurité des mondes

 les maisons fortes tombaient lentement dans la mer

un enfant commandait un feu invisible

et je voyais rouiller des hommes privés de gestes

ces femmes recouvraient le visage des jours

elles roulaient dans leurs doigts un peu de ciel rouge

qu'on découvre parfois dans les plis de la mort...

Du pain et des pierres

J'investis mes étoiles dans un  ciel toujours vide

et la nuit

je promène sur la mer

mes ongles de cellule

 dans une enfance couchée à mort

je marche le long d'une autre vie

et j'ai noué mes poings au vol des cormorans

 et les éclats de voix croissent et se multiplient quand la métaphore se fait cri

 mon corps est d'un autre âge mon sang d'une autre mer

j'habite les révoltes et les révolutions

*******************

Je garde sous la peau mon costume de mort
avec à l'intérieur le long poignard de l'aube
ma voix se couvre mon ombre et moi nous sommes seuls
et je laisse sur l'eau des blessures insensées

Je suis à bout de peau je fais des métiers d'absence
je descends dans le corps des oiseaux somnambules
j'éteins les ombres blanches sur le miroir des morts
et la couleur du monde s'est perdue en chemin

Je vois le ciel pendu à des crochets de plomb
je vois des marées mortes dans le sang blanc des algues
et sur les seuils de pierre des bracelets d'oiseaux

Dans un désert de peau je guette un enfant fou
je vois dans les bûchers des émeutes de miroirs
et le même visage à toutes les fenêtres....

de la mer
où mon corps fait surface à l’intérieur du sel



Biographie


En savoir Plus



Poèmes en lignes



vendredi 28 octobre 2022

Les Hommes qui marchent - Malika Mokkedem

Que te raconte-t-il de si beau, le mutisme de ces papiers, pour te tenir ainsi éloignée de nous, Kehdi ?
- Ils disent la vie et le monde, Honna, les au-delà des ergs ergs des océans. Tu, tu dis que tu n'as plus que tes mots et tes contes pour continuer à respirer, à faire revivre ton univers nomade et ne pas te laisser mourir. Pour moi, la mort est dans l'immobilité des esprits. Et pour que mes pensées puissent continuer à avancer, j'ai besoin des mots des autres, de leurs écrits.
 
 

 Trouvé sur l'excellent blog de mon ami Julien : ICI

jeudi 27 octobre 2022

MANUEL VASQUEZ MONTALBAN – L'homme de ma vie – Poche POINT 2002

 

L'histoire

Le célèbre détective Pépe Carvalho se retrouve à enquêter sur le meurtre d'un jeune homme membre d'une secte sataniste. Pars ailleurs alors que l'an 2000 arrive, il renoue avec Chario, disparue depuis 7 ans qui l’entraîne dans les mouvements indépendantistes catalans.

Mon avis

Ah ! Montalban et son célèbre détective privé Carvalho, une des joies de la littérature polar, tant le personnage est l'anti-héros. Sa copine de toujours Charo, une ex-prostituée s'est refait une virginité avec une bon client qui lui a offert une boutique d'herboristerie bio dans les nouveaux quartiers de Barcelone. L'amour s'éteint un peu, alors que Yes, la gamine des Oiseaux de Bangkok, réapparaît dans sa vie, et notre détective, un peu déboussolé, refuse cette histoire d'amour impossible. Car il vieillit Pépe, et il ne reconnaît plus sa Barcelone, les JO sont passés par là, et les quartiers se transforment, cèdent à la mondialisation, les petites gargotes authentiques font place à des restaurants branchés.

Écrit 2 ans avant sa mort, Montalbano dont c'est l'avant-dernier roman nous montre un héros vieillissant, fatigué de la vie, n'ayant plus goût à grand chose, même si (comme dans tous les romans du mètre espagnol, on retrouve la traditionnelle recette de cuisine, mais pas de voyages, le traditionnel brûlis de livres, et des balades dans un Barcelone agrandi).

En parallèle c'est l'histoire de la Catalogne espagnole qui se joue. Il y a les indépendantistes, les nationalistes, ceux qui s’opposent à une idée du triangle réunissant Toulouse/Barcelone/Milan, terres de la grande Catalogne qui serait un poumon économique qui réjouit les capitalistes.

Ce roman n'est qu'un prétexte pour avertir le lecteur de la dérive indépendantiste qui s'est emparée de la Catalogne il a vingt ans déjà. A travers une enquête sur l'assassinat d'un fils de la grande bourgeoisie barcelonaise, on découvre les liens insoupçonnés entre une partie de l'intelligentsia locale le clergé nationaliste et l'embryon des services secrets catalans . Sur un ton volontairement décalé, voire parfois moqueur, mais sans arrière-pensée malveillante, l'auteur démontre à quel point, province autonome d'Espagne se rêve en leader mondial des peuples sans nation. Rien que ça!

Montalban n'est ni pour ni contre la Catalogne libre, lui son combat est le capitalisme qui se croit tout permis. Même si il avertissait déjà, en 2003, que la fuite de milliers d'entreprises et les pertes d'emplois y afférentes (finalement réellement provoquées par le référendum sur l'indépendance de 2017) ne dérangeraient pas les anti-Madrid les plus farouches. Au contraire, conscient du niveau de vie privilégié de la Catalogne par rapport au reste de la péninsule ibérique, ces jusqu'au-boutistes estiment qu'un relatif appauvrissement leur serait favorable ! Selon eux, il ramènerait la population vers de supposées vraies valeurs comme la religion catholique, la langue et la culture catalanes et l'entraide à l'échelon local. Bref, un bon gros délire orchestré par des séminaristes exaltés et des fils de bonne famille qui n'ont jamais manqué de rien !

Le ton un peu différent, désabusé, montre un détective vieillissant, toujours un peu fauché, mais qui sent une fin proche. Son papa, Montalban est mort en 2005.

J'ai presque lu tous les Carvalho, je conseille à tous de lire au moins une des enquêtes du détective le plus déjanté de Barcelone, un monument littéraire. Parmi mes préférés  Les oiseaux de Bangkok, la rose d'Alexandrie, les mers du Sud.


Extraits :

  • Cela dit chef, je me réjouis de voir si nous allons gagner les élections contre Pujol et les catalanistes. Je suis personnellement plus catalan que quiconque, mais tant de nationalisme a fini par me fatiguer. Pour quelle raison les nationalistes le sont-ils autant ? Pourquoi sont-ils si lourds et si unidimensionnels ?

  • Les temps sont durs. La mondialisation nous frappe de plein fouet. Les multinationales ont pris le contrôle du marché de la police privée et on commence à considérer les indépendants comme une curiosité anthropologique. Il n’y a jamais eu autant de théologie sécuritaire ni autant de voyous et d’assassins sur le marché, mais la concurrence des multinationales de la répression est déloyale. Ce qui se passe avec l’OTAN est innommable. Pour l’instant, ils bombardent avec des missiles intelligents, mais ils vont bientôt arrêter les gens à distance et mettre en prison au moyen d’aimants sensibles à la chair humaine vaincue.

  • Les meilleurs tueurs à gage viennent des régions où l'on ne mange pas à sa faim ou de celles ravagées par la guerre. Or, ces pauvres ne sont pas stupides: ils savent pertinemment que les élites des pays riches ont toujours besoin d'assassins.

  • J’ai toujours vu dans les mathématiques un produit éthéré, séraphique, sujet aux plus stricts préceptes, sans tache, sans fissures, virginal, aussi solide et consistant que… c’était dégoûtant ; jusqu’à l’apparition à l’horizon, pour les tirer de leur goût de rance, de leur rigidité, de leur odeur de vertu (des mites ?), l’apparition, donc, desdites équations (tel le septième de cavalerie en panavision, avec la bande sonore qu’il faut à ce moment-là), et grâce à elles les mathématiques devinrent : magiques, imprévues, surprenantes, indéterminées, ambiguës ; en un mot : déconcertantes.

  • Si l’amour est une roulette russe, pourquoi pas le sexe ? Quand on me met une capote, on me fait prendre tellement de distance que je ne bande plus. C’est comme si on m’avait mis un stigmate sur la queue. Je comprends qu’il soit important pour les athlètes sexuels de ton âge de ne choper aucune infection pour pouvoir voter aux prochaines élections et aux suivantes, tenir le pays à bout de bras, faire des enfants et agiter des drapeaux jusqu’à ce que la mort nous sépare.

  • On peut mourir de froid parce qu’on n’a pas un rond, et on peut aussi avoir le froid en dedans parce qu’on n’a pas un sentiment, une affection, même pas le souci de soi.

  • Tout être humain devrait pouvoir faire un enfant, écrire un livre, planter un arbre et déposer une recette de poulet fricassé à l’américaine.

  • Je ne crois pas à la modernisation. Tout est moderne, en permanence. Aujourd’hui est un jour plus moderne qu’hier. Et ne parlons pas de demain.

  • Los individuos pueden tener compasion, los pueblos no. Ser una nacion me complicaria demasiado la vida. Pero adoro las naciones de los otros.

  • Todo ser humano deberia poder tener un hijo, escribir un libro, plantar un arbol y patentar una receta de pollo en pepitoria.

Biographie :

Manuel Vázquez Montalbán (1939 - 2003) est un romancier, essayiste, poète et journaliste espagnol. Il est surtout connu pour les romans policiers de Pepe Carvalho.

Il fit des études de philosophie et de lettres à l'Université Autonome de Barcelone, et fut diplômé de l'école de journalisme de Barcelone.
Il s'engage politiquement dans les mouvements de gauche catalans, milite au PSUC et devient même membre du Comité Central. Ces activités le mènent dans les prisons franquistes. En 1962, un conseil de guerre le condamne à trois ans de prison pour ses activités dans la résistance antifranquiste. C'est dans la prison de Lérida qu'il écrit son premier essai, "Informe sobre la información".

Après être sorti de prison, il commence sa carrière de journaliste dans la revue Triunfo, et collabore à plusieurs publications, telles que Siglo XX, Tele/Xprés, Por Favor. Par la suite, il écrit également dans des journaux réputés tels qu'El País, Interviú ou Avui, dans lesquels il signe des articles jusqu'à sa mort.

En 1967, il publie son premier recueil de poésie, "Une éducation sentimentale", suivi en 1969 de "Movimientos sin éxito". La même année parait son roman "Au souvenir de Dardé". Mais c'est en 1972 qu'il crée le célèbre personnage du détective Pepe Carvalho.
Manuel Vázquez Montalbán reçoit plusieurs prix dont le Premio Nacional de Narrativa pour "Galindez" en 1991, le prix Europa en 1992 et le Premio Nacional de las Letras Españolas en reconnaissance de toute son œuvre en 1995.
Il meurt d'une crise cardiaque à l'aéroport de Bangkok, de retour d'une tournée littéraire en Australie.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Manuel_V%C3%A1zquez_Montalb%C3%A1n


En savoir Plus :

Sur l'auteur :

Sur la Catalogne

Sur Barcelone


Photos des lieux du roman

Barceloneta, quartier populaire

Barrio Chino, quartier populaire et ouvrier

La horchata, boisson au lait d'amande glacée et sucrée

Ville Olympique, devenue quartier chic de Barcelone (Montjuic)

San Cuga, dans l'arrière pays


Vallvidreda, quartier où réside Carvahalo

Cimetière de poblenou - Quartier gothique

Mémorial de Walter Benjamin

Parc Guell, autour de la Sagrada Familia de Gaudi

Quartier gothique du vieux Barcelone

Ramblas de Raval, quartier dangereux réhabilité depuis

Le parc Tibérola, un des poumons verts de Barcelone

Chapelle Guell inachevée de Gaudi dans la banlieue de Barcelone à Santa Coloma

mercredi 26 octobre 2022

RUMI - le grand poète soufi

 

Tout est un, la vague et la perle, la mer et la pierre. Rien de ce qui existe en ce monde n'est en dehors de toi. Cherche bien en toi-même ce que tu veux être puisque tu es tout. L'histoire entière du monde sommeille en chacun de nous.

Il est bon de franchir chaque jour une étape.Comme l'eau vive qui ne stagne pas.Hier s'est enfui, l'histoire d'hier elle aussi est passée. Il convient aujourd'hui de conter une histoire nouvelle 

Je t’aime ni avec mon cœur, ni avec mon esprit
Le cœur peut s’arrêter, l’esprit peut oublier
Je t’aime avec mon âme
L’ Âme jamais ne s’arrête ni n’oublie…
- Djalâl-od-Dîn Rûmî Le livre de Chams de Tabriz

J'étais mort, puis vivant.
Pleurant, puis riant.
Le pouvoir de l'amour est entré en moi,
et je suis devenu féroce comme un lion,
puis tendre comme l'étoile du soir.

La blessure est l’endroit où la lumière entre en vous.

Certaines nuits,
Reste debout jusqu’à l’aube.
Sois un grand seau,
Tiré des obscures profondeurs d’un puits,
Et porté vers la lumière.
Quelque chose ouvre nos ailes.
Quelque chose fait disparaître l’ennui et la peine.
Quelque chose remplit notre coupe
Nous goûtons alors au sacré.

J’ai regardé dans mon propre cœur :
C’est là que je L’ai vu.
Il n’est nulle part ailleurs.
Je ne suis ni chrétien, ni juif, ni parsi, ni même musulman.
Je ne suis ni d’Orient ni d’Occident, ni de la terre, ni de la mer.
J’ai abdiqué la dualité, j’ai vu que les deux mondes ne sont qu’un.
Un Seul je cherche, Un Seul je contemple, Un Seul j’appelle.
Il est le premier, Il est le dernier, l’extérieur et l’intérieur.
Je ne sais rien d’autre que « Ô Toi », « Ô Toi qui est ».Je suis enivré par la coupe de l’Amour.

On meurt dans la pluie.
La Douleur du Nord
Aime ce décor
En saisons pourries.
Pégase y est mort
Une nuit de pluie.
Pourquoi, Poésie,
Ce cri vers le Nord ?
Les ailes cassées
Dans des cheminées
Saigne l'ange lourd :
Ô ville épuisée
Qui t'es couronnée
Du corps de l'Amour.

La Ville est dans ma chambre
Ce fauteuil est un port.
Avez-vous vu mes lampes
Mes mâts et mes bateaux ?
Le tabac et les vagues
Chantantes du ciel noir,
Le jeu, le bruit des algues
Aux vitres, mes miroirs,
Tout m'y plaît, m'y agrée :
J'y respire un bon air
Léger comme un beau vers.
Ô ville ravagée
Restez dans ma maison
Qui n'a qu'une saison.

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