lundi 6 février 2023

PIERGiORGIO PULIXI – L’illusion du mal – Gallmeister 2022

 

L'histoire

Pour cause de prescription, un pédophile est relaxé par la cour d'appel de Cagliari (Sardaigne). Deux jours plus tard, des millions de citoyens sardes et italiens reçoivent une vidéo : un homme déguisé présente le pédophile ligoté sur une chaise de dentiste, il lui a arraché 28 dents. Il rappelle l’acquittement et les méfaits de son otage puis propose aux internautes de juger eux mêmes : peine de mort ou acquittement. La vidéo devient virale et en masse, le public savamment manipulé par celui qu'on surnomme vite le Dentiste votent pour la mort. Le cadavre est retrouvé dans un coin perdu dans la campagne sarde . Mais le Dentiste ne s'arrête pas là. De quoi donner des sueurs froides aux deux inspectrices Eva et Mara qui seront épaulée par un criminologue réputé, le charismatique et très bel homme, le vide-questeur Strega. .


Mon avis

Nous retrouvons le romancier sarde Pulixi pour un deuxième polar où il reprend ses deux enquêtrices, Eva Croce, la rebelle et Mara Rais la distinguée. Deux femmes que tout oppose mais qui sont les meilleures inspectrices de Cagliari. On leur adjoint un bel homme, Strega vice-questeur à Milan, un génie de la criminologie et de profilage mais aussi un homme détruit par la mort de son co-équipier.

Il s'agit de traquer un «sérial killer » qui se prend pour un justicier. Un homme invisible mu par l'idée que la Justice Italienne est fautive et qui veut changer le système. Il prépare méthodiquement ses crimes et fait voter le public à travers des liens intraçables puisqu'ils transitent par certains pays peu fréquentables, dans une totale impunité. Si on a une idée vague de son physique, l'homme est introuvable et sème la panique jusqu'au sommet de l’État

Un défi pour ce trio d'enquêteurs chevronnés, qui en plus doit faire face à une émission de télé-poubelle qui se saisit de l'affaire pour influencer aussi le public.

Ici, notre écrivain s'attaque aux dangers des réseaux sociaux, où l'anonymat permet à chacun de laisser cours à ses pulsions violentes sans se rendre compte qu'il y a une manipulation derrière. On pense bien évidement aux affaires de harcèlement informatique qui tournent parfois au drame (suicide d'adolescents) ou à des fraudes tout genre.

La lenteur de la justice (tout comme chez nous) devient la cible. Se faire justice soi-même est interdit en France et en Italie, mais face à un système défaillant en Italie, le débat est relancé. Que voterions-nous dans l’anonymat le plus total face à un criminel relaxé alors qu'il a commis des horreurs ? Quelles sont nos limites entre le bien et le mal ?

Mais l'auteur tacle aussi ces émissions de télé qui n'informent pas, mais sont là pour pousser l'audience à coup de fake-news, de désinformations et de reportages bidons. En France, on pourrait penser aux chaines CNEWS, C8 avec TPMP.

Pulixi dont j'avais déjà beaucoup aimé le premier livre « l'iles de âmes » a une écriture très cinématographique. Des chapitres courts, des dialogues ciselés qui mélangent le patois corse, sarde, lombard, le petit coté onirique qui sont ses marques de fabrique. Bref on est totalement happé par cette enquête qui laisse quelques surprises et pas mal de rebondissement. Pulixi joue avec nos nerfs et la fin est totalement inattendue.


Extraits :

  • On a la lumière et les ténèbres qui dansent ensemble, échangeant les rôles. La lutte éternelle entre le bien et le mal.

  • La haine est comme un orchestre. Elle a besoin de quelqu’un qui la dirige, qui fait monter la tension et la cadence, pour laisser ensuite exploser toute cette impétuosité dans une chevauchée majestueuse. Le Dentiste était en train d'éduquer les gens à la haine. Et la haine est toujours l'antichambre de la violence.

  • Au bas de l’écran défilaient les messages envoyés par les téléspectateurs : la teneur des propos aurait fait pâlir un officier de la SS.

  • Milan ou Inter ? demanda-t-il au vice-questeur. - Ni l'un ni l'autre. Je suis allergique au foot.- Quelle horrible maladie. Mais vous n'êtes pas supporter de la Juventus, c'est déjà cela.

  • Il y avait une phrase qu’il aimait à répéter à ses étudiants en criminologie, et qui constituait la règle d’or du profilage criminel : « Si vous voulez comprendre un peintre, étudiez ses tableaux ; ils vous en diront beaucoup plus sur lui que n’importe quel témoignage. » Le même principe, expliquait-il, valait pour les tueurs en série. En analysant leurs crimes, en découvrant comment et pourquoi la victime avait été tuée, on avait beaucoup plus de chances de déterminer qui l’avait tuée.

  • Pour revenir à l'affaire, c'est précisément ça qui me préoccupe, dit-il. Dans cette époque de haine numérique, avec cette hostilité diffuse et la rage sociale qui anime les gens, la situation risque d'exploser, si on ne l'arrête pas à temps

  • Le facteur critique, c’est que ce raisonnement part d’un constat malheureusement exact : l’Italie est un pays où il est courant de poursuivre les victimes, surtout si ce sont des femmes, tandis que les coupables courent en liberté.

  • Il songea que les réseaux sociaux étaient devenus le nouveau valium spirituel, un anesthésiant pour survivre à l'aliénation urbaine. La connexion numérique comme antidote à la déconnexion identitaire.

  • Cchiù scuru di mezzanotti nun pò fari [Il ne peut pas faire plus sombre qu’à minuit], pensa Palamara. Mais contrairement à ce que soutenait le proverbe sicilien, la situation pouvait encore empirer.

Biographie

Né en 1982 à Cagliari, Piergiorgio Pulixi est un écrivain italien, auteur de romans policiers et de romans noirs, membre du collectif Mama Sabot, créé par Massimo Carlotto, dont il est l'élève.
Après une expérience d’écriture collective de romans noirs, il s’est lancé dans une saga policière en 4 volumes, primée par le prix Glauco Felici et le prix Garfagna. Il est aussi l’auteur d’une série intitulée I canti del male (Les Chants du mal). L’Île des âmes est son dernier roman, publié en 2019 par Rizzoli, et le premier traduit en France.

En savoir plus :


En savoir Plus :

Sur le roman


Dans l'univers du roman

Sur la Sardaigne

Sur Milan (Italie)


Sur Cagliari (Sardaigne)


Chez le dentiste (pure sadisme de l'auteure de ce site)


Play list

L'inspecteur Strega est grand amateur de jazz. Alors je vous proprose les titres suivants.

Muse : https://www.youtube.com/watch?v=d55ELY17CFM

Jazz NewOlreans : https://www.youtube.com/watch?v=gIPIB60DtqM

Coltrane : https://www.youtube.com/watch?v=HNnM2iRwHLE

Mina : https://www.youtube.com/watch?v=RN8IenPlQmo

The Boss : https://www.youtube.com/watch?v=129kuDCQtHs

Ron Smithe Quarter : https://www.youtube.com/watch?v=Ub24CgSedS4

Monk : https://www.youtube.com/watch?v=-yg7aZpIXRI

Clann : https://www.youtube.com/watch?v=w_ZTEKk8Ml0

Beath Hart : https://www.youtube.com/watch?v=w_ZTEKk8Ml0

A. Whinhouse : https://www.youtube.com/watch?v=CxYRbzGi8Rg&list=PLnrezQ1h5sNXKkBV4CGMQLld0Ze0VC5MZ


Photos

Cagliari 

Centre de Cagliari


 
Port de Cagliari

La magnifique plage Poetto où va surfer Eva

Le parc Monte Urppinu où se balade le Dentiste

Le village de Villarcidrooù vivait le Dentiste

La Questure de Cagliari

La Pierda Fitta, sculpture primitive représentant la déesse mère

L'ancien complexe industriel du Mixeddu, refuge du tueur

La vallée de Compidano aux alentours de Cagliari


Pinces anciennes pour les arracheurs de dents

vendredi 3 février 2023

JOHN BROWN – Lady Chevy – Albin Michel - 2022

 

L'histoire

Amy, 18 ans est surnommée Chevy car elle n'est pas filiforme mais bien en chair. Alors qu'elle doit envoyer des dossiers pour l'Université, elle s'intéresse plus à la fracturation hydraulique dont elle est persuadée qu'elle rend malade les gens et notamment son petit frère. Avec un ami, Paul, elle va se lancer dans un acte « d’écoterrorisme », mais le plan de se déroule pas comme prévu Avec son fort caractère, elle va pourtant déjouer les mailles de la police qui se tricotent autour d'elle.


Mon avis

Décidément, la tendance littéraire de ces dernières années est aux jeunes héroïnes, ce que confirme ce roman qui a été considéré comme un best-seller aux USA.

Amy est une personnalité sombre. Méprisée au lycée parce qu'elle est trop grosse, elle vit aussi dans la pauvreté dans un mobile-home dans une vallée perdue de l'Ohio. Son père est alcoolique, sa mère absente, son frère difforme et largement handicapé. Pour survivre, le père a vendu ses terres à une entreprise de forage de gaz de schiste, par fracturation hydraulique. Mais Miss Chevy a du caractère et une force puisée dans la colère et l'injustice. Elle n'oublie pas que son grand-père fut un membre actif du Ku Klux Klan, un oncle néo nazi qui a fait la campagne d'Irak. Une famille qui est un carcan dont Amy doit se libérer. Elle accepte donc d'aider Paul, son ami/amoureux dans un acte de sabotage. Paul lui pense que les mines de charbon ont tuées son père.

A coté du récit à la première personne d'Amy, il y a les policier Hasting, un homme cultivé, qui a transformé la médiocrité de sa vie de petit flic en haine raciste et en méchanceté gratuite.

C'est l'Amérique de Trump qui ici se révèle. En faisant semblant de prendre le parti des « rednecks », ces blancs qui pensent « grand remplacement », fin du monde et qui ne sont que des faibles, face à des histoires personnelles qu'ils n'ont pas su gérer et pris dans le tourbillon de la Grande Histoire.

Pour contrebalancer ce roman noir, il y a heureusement la présence lumineuse de Lady Chevy avec humour qui rejette les idées d'une Amérique sans repères, fracturée politiquement et socialement, et où l'écologie n'est qu'un mot qui ne fait pas sens. Dans ce monde violent, désabusé, cynique, l'auteur nous pose cette question fondamentale : qu' adviendra-t-il demain si la haine, le non respect de la terre et les fractures sociales grandissent insidieusement ?

Ici on parle des petits blancs qui se sentent déclassés, de l'Amérique rurale qui se laisse piétiner pour les dollars de l'industrie sale. Les personnages sont ambivalents, complexes, perdus mais sans caricature qui aurait plombé ce premier roman. Et cette anti-héroïne bien plus intelligente que tous les autres saura analyser, comprendre (sans approuver) les autres : sa famille, sa supposée meilleure amie, l'ambigu Paul et le flic tordu qui ne la coincera pas.

Un roman qui ne laisse pas indifférent. Soit on l'adore dès les premières pages soit on déteste parce qu'on ne rentre pas dans l'intrigue qui se dénoue lentement. Mais pour un premier roman c'est une réussite totale, en plein écho avec les remous de nos sociétés, et sans basculer dans l'illégalité nous invite à la plus grande vigilance face aux extrêmes.


Extraits :

  • Je me demandais ce qu'il trouvait de plus à Marybeth et à Olivia. Toutes deux sont plus minces que moi, bien évidemment. Toutes deux ont des seins qui remplissaient ce soir-là leurs robes splendides, avec ce sillon qui fait miroiter tant de possibilités aux yeux des hommes. De mon point de vue, ça ressemble juste à une raie des fesses, fortuitement placée entre deux boules de graisse

  • Les garçons ne tardent pas à parler de Call of Duty, à se vanter de leurs statistiques et de leurs frags. Ils jouent à la guerre et je soupçonne ces jeux vidéo de les conditionner secrètement à tuer un jour pour de vrai sur le champ de bataille. La guerre est véritablement le jeu ultime, selon mon oncle Tom, le seul où l'on peut vraiment perdre la vie ou la gagner.

  • J'ai toujours adoré l'hiver parce qu'à cette saison la forêt est silencieuse. Plus d'insectes, rien qui morde ou qui pique. Aucun autre son que celui de mes pas, le crissement de la neige, le craquement d'une grosse branche gelée. Mon haleine fait comme des volutes fantomatiques, et je m'imagine mon âme qui s'élève.

  • Cet univers se définit par une succession perpétuelle de création et de destruction, cosmos indifférent de matière bouillonnante dans la noirceur de l'espace infini. C'est de la science, des faits. C'est la seule vérité qui compte. Ce qui est visible sous le soleil n'est que l'illusion de la vie. Et la nuit le voile tombe, juste ce qu'il faut. Le jour viendra où seules les ténèbres bougeront.

  • Ils me dévisagent. Ils me scrutent pour éviter de se regarder. L’air de ma chambre est tellement saturé de foutaises et d'hypocrisie que même un courant d'air ne pourrait pas passer.

  • On m'appelle Chevy parce que j'ai le derrière très large, comme une Chevrolet. Ce surnom remonte au début du collège. Les garçons de la campagne sont très intelligents et délicats.

  • Ce sont nos différences qui nous définissent, qui nous séparent à jamais, malgré tous nos grands discours sur l’égalité.

  • Si vous ne croyez pas que la vie se résume à une lutte interraciale, demandez à un indien d’Amérique, à supposer que vous arriviez à en trouver un.

  • "C’est pour vous conditionner à vivre dans un État policier. Ça commence par la sonnerie qui retentit tous les matins, huit heures de cours, et tu deviens vite l’esclave d’une entreprise qui reste vissé à un bureau sans âme de neuf heures à dix-sept heures, paye assidûment ses impôts au complexe militaro-industriel, envoie ses enfants à la guerre, et vote pour les gens que la télévision lui dit d’élire. Tout ça en exerçant les compétences intellectuelles limitées auxquelles on t’a appris à te fier. Ils te prennent très tôt en main, dans les années les plus formatrices de ta vie. C’est la plus grosse machine à laver le cerveau de cette nation. " (oncle Tom)

  • Dans les ténèbres, je me sens à l’aise, je me sens puissante. Peut-être y’a t’il vraiment de la cruauté en moi. Acquise ou innée, je n’en sais rien. Peut-être que je voulais simplement voir ce qui arriverait. Peut-être que je voulais sortir de l’ombre et prendre part à ce combat. Peut-être que personne ne sait pourquoi les gens agissent comme il le font.

  • Il n’y a pas eu que ces connasses. Dès l’âge de six ans, me lever pour aller à l’école a constitué un acte de bravoure et de résilience. On se moquait de moi parce que j’étais grosse, parce que j’étais pauvre. On ne se lassait pas de me rabaisser. Je savais qu’ils riaient tous dans mon dos, que tout le monde avait une mauvaise blague à balancer sur mon compte.


Biographie

Né à Ely, John Woods est un auteur américain. Il a grandi dans les Appalaches de l'Ohio. Il est l'auteur du roman, "Lady Chevy", et du recueil de nouvelles liées, "Something tender" (chez l'éditeur Albin Michel en France). Sa fiction se déroule dans la vallée de l'Ohio et explore le désespoir d'une petite ville et la dégradation de l'environnement. Son écriture est un croisement entre le noir littéraire et l'horreur psychologique. Il a publié des nouvelles dans les revues Meridian, Midwestern Gothic, Fiddleblack et The Rag. Il vit à Yorktown, en Virginie.
En savoir plus :

En savoir Plus :

Sur le roman

Sur la fracturation hydraulique :

Sur l'Ohio

Sur les rednecks (ploucs)


Play List

Il existe une musique dite « redneck », sorte de country.

On trouvera quelques sites mais je déconseille

Pour contrebalancer je préfère un vrai bon jazz

PHOTOS

Barnesville

Barnesville lycée



Ohio

Maison rurale

Mobils home et puits de gaz de schiste à coté comme dans la maison de Chevy



Puits de gaz de schiste qui explose

Mine de charbon à ciel ouvert dans l'Ohio

Vue aérienne des puits de fracturation hydraulique Ohio


Affiche redneck

Famille redneck

mardi 31 janvier 2023

GULIA CAMANITO – L'eau du Lac n'est jamais douce – Gallmeister 2022 – ou Totem poche

 


L'histoire

Rome, année 2000. Gaia est la cadette d'une famille pauvre de Rome dirigée d'une main de fer par Antonia sa mère. Un personnage cette mère, qui doit gérer un mari en fauteuil roulant, un fils aîné révolutionnaire, sa fille, et les deux petits jumeaux. Il lui faut un logement social, et ça elle va l'obtenir car plus obstinée qu'Antonia cela n'existe pas. Elle dirige d'une main de fer sa famille, mue par une volonté farouche et implacable. Si Mariano l’aîné « démissionne » et va vivre chez sa grand mère à Ostie, c'est sur Gaia que se tourne sa mère. Elle fera des études supérieures, tant pis si elle est malmenée à l'école, au collège, au lycée, à la fac parce qu'elle n'est pas bien habillée, qu'elle n'a pas d'objets à la mode, qu'elle ne vit pas une adolescence heureuse. Et ça Gaia qui cultive la rancœur et la méchanceté va savoir les utiliser pour qu'on lui rende justice.


Mon avis

Encore une jeune héroïne que nous suivons de l'enfance à sa vie de toute jeune femme mais Gaia ne ressemble à personne. Ce n'est pas une Duchess, une Turtle, une héroïne américaine, mais une italienne faite de rage, de glace et de feu.

Elle est sous la coupe d'une mère autoritaire, qui sait faire régner la terreur chez elle ou ailleurs pour réparer une injustice. Elle veut un foyer pour ses enfants, autrement dit autre chose qu'une pièce en sous-sol à Rome, non un appartement pouvant accueillir dignement sa tribu. Elle en a bien un, de vrai, de beau, de cossu mais sans le savoir elle a été spoliée, mais c'est une histoire dans l'histoire (inspirée d'un fait réel nous explique l'autrice). Pour Antonia seul le savoir peut ouvrir des perspectives d'une vie sans pauvreté, et elle surveille les devoirs de sa fille, l'encourage parfois durement à lire, bref dans son raisonnement de femme très pauvre, Antonia a parfaitement raison. Mais elle n'a pas, elle ne sait pas donner de l’amour. Et en obligeant sa fille à aller dans des collège et lycée pour riches, elle la condamne à être une paria. Mal habillée, mal coiffée, parce qu'on a pas d'argent la jeune fille est ostracisée. Faire valoir de ses rares amies, trahisons amicales et amoureuses, Gaia montre alors sa cruauté, toute cette rancune accumulée qui devient violence.

L'écriture est âpre et sans concession, Gaia n'est pas empathique et c'est le choix de l'autrice, mais pourtant on l'aime cette jeune rebelle, on la comprend, on ferait comme elle si notre morale n'était pas de plomb. La dureté de Gaia correspond à la dureté des pauvres et des exclus de Rome, la ville éternelle, la magnifique.

Avec ce cri de colère, Gulia Caminito nous trace le portait implacable de la pauvreté, de l'injustice sociale , des revendications féministes à travers cette fille border-line mais dont la force de caractère nous fait réfléchir à la notre, à nos conditions de vie et nos petites ou grandes soumissions et insoumissions.

La lecture n'est pas facile, parce que très concentrée sans superflu, mais parfois l'autrice se permet une petite échappée lumineuse dans une nature rêvée qui sont comme des pauses dans ce récit troublant.


Extraits :

  • Puis je le vois, droit et robuste, mon dictionnaire, il est là, placide, il ne craint ni jugements ni méchancetés, alors je l’agresse, parce qu’il a été le premier à me mentir, à me faire croire qu’avec les mots je changerais ma vie, la réécrirais, la narrerais, la narrerais à la première personne, mais non, ce sont toujours les autres qui nous racontent, ce sont eux qui trouvent nos définitions, nos crochets, nos racines.

  • Moi j'ai été un cygne, on m'a implantée ici, j'ai voulu m'adapter de force, et puis j'ai agressé, je me suis débattue et bagarrée y compris avec ceux qui s'approchaient avec leur quignon de pain dur, leur aumône d'amour.

  • Je regarde ma main ouverte, ses cheveux tombent de mes doigts, le vent les emporte et emporte mon premier amour avec eux.

  • Je devrais lui dire que c’est lui qui a tué Carlotta, lui et les garçons comme lui, ceux qui ont lavé leur conscience en se rendant à son enterrement, mais qui avaient honte quand elle leur proposait d’aller prendre une glace ensemble, ceux des cagibis, des recoins et des coulisses, ceux des touche-moi mais reste derrière moi, je ne veux pas voir ton visage.

  • J’ai une grande fascination pour les fleurs, pas pour celles, si rares, qui poussent spontanément dans notre cour, des petites marguerites printanières très fragiles, mais pour les roses des jardins des autres, le jasmin, les hortensias, que je vois pointer dans la rue et que j’ai envie de cueillir quand je passe devant avec ma mère.

  • Ma seule, mon unique mission est d’éviter les mauvaises notes, de réviser dans le train et, l’après-midi, de montrer à ma mère que je fais ce qui est bon pour moi, éviter qu’elle soit convoquée au collège, parce que sinon elle devrait expliquer pourquoi elle s’y rend seule et puis elle devrait expliquer quel travail elle fait et puis elle devrait expliquer d’où nous venons, et moi toutes ces explications je ne veux pas les donner.

  • Nous sommes assez jeunes pour ne pas être encore obsédées par notre corps et celui des autres, mais déjà assez âgées pour pressentir qu’au fil du temps notre façon de nous regarder deviendra une guerre muette, nous appartiendrons à des factions ennemies et nous nous décocherons des flèches empoisonnées dans le dos.

  • POUR GRANDIR, il faut travailler dur, l’enfance est de courte durée, on ne sera pas défendu, soigné, abreuvé, lavé, sauvé pour l’éternité, pour chacun vient le moment de prendre son existence en main, et le mien est arrivé.

  • Je pense que nous sommes du matériel de rebut, des cartes inutiles dans un jeu compliqué, des billes ébréchées qui ne roulent plus : nous sommes restés inertes par terre, comme mon père tombé d’un échafaudage inadapté sur un chantier illégal, sans contrat et sans mutuelle, et de là, de l’endroit où nous avons atterri, nous voyons les autres mettre des colliers de pierres précieuses à leur cou.

  • Je me suis défendue,reprenant possession de cette rédaction où j’avais définitivement mis au pilori la jeune moi, l’enfance sans défense des jeux salubres, cette époque où je ne savais pas frapper et où j’attendais qu’Antonia me défende, où je pourrais la voir ou voir Mariano pour les informer des atteintes subies par ma petite personne garnie de mies de pain.

  • Quand une menace vient de l’extérieur, nous serrons les rangs, nous brandissons nos boucliers, nous nous défendons, nous mentons pour les autres, feignons des malaises, livrons bataille contre des parents oppressants, des enseignants tyranniques et des mauvaises langues.

  • En outre, je ne suis pas faite pour les amitiés, je ne comprends pas leurs dynamiques, leurs malentendus, je ne sais pas quand il faut répondre, quand rester à l’écart, je ne peux pas les inviter chez moi, personne ne peut me déposer chez elles, ma mère dit qu’elle ne m’autorisera pas à sortir l’après-midi avant l’année prochaine, je ne suis pas séduisante, je n’ai rien de nouveau à apporter, je n’ai pas de jeux, pas de maquillage, pas de robes à prêter, je ne peux partager que les sweats de mon frère, les couches des jumeaux, le fauteuil roulant de mon père.

  • Ici, les gens ont la manie de donner des surnoms, ils ont besoin de te rebaptiser, tous ceux qui comptent y passent, le surnom peut venir du travail que tu fais, de l’endroit où tu vis, de l’histoire de ton grand-père, tu peux être le Poissonnier, la Grenouille, le Souillon, et jamais personne ne pourra t’enlever le nom qui t’a été donné, ce sera pour toujours ton habit taillé sur mesure.

  • Chacune de nos caractéristiques est pour moi un atroce défaut. Nos taches de rousseur sont pires que de l’acné, nos yeux ne savent être ni vraiment verts ni vraiment marron, notre peau trop claire semble maladive et, surtout, nos cheveux portent la poisse.

  • Selon la théorie maternelle, ceux qui ne te connaissent pas ne t’aident pas, alors nous restons là où les gens savent qui nous sommes, où ma mère peut tisser des liens de protection et d’identification, petits et grands.

  • La professoressa....viene a insegnare educazione fisica in gonna di tweed e stivaletti, ha sempre le unghie fucsia e un basco in testa, è più il tempo in cui fuma che quello in cui corre. La prof vient faire le cours d'éducation physique en jupe de tweed et bottes, a toujours les ongles vernies couleur fuchsia et un béret sur la tête, et passe plus de temps à fumer qu'à courir.


Bibliographie

Née à Rome en 1988, Giulia Caminito est diplômée en philosophie politique.
Son premier roman, "La grande A" (2016) a reçu plusieurs prix littéraires prestigieux. "Un jour viendra" ("Un giorno verrà", 2019), son deuxième roman et le premier traduit en France, se déroule dans le village d’origine de sa mère, à Serra de’ Conti dans les Marches italiennes, sur les hauteurs d’Ancône.
En savoir plus :


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Sur le roman

Sur la pauvreté à Rome


Sur les quartiers de Rome

Sur Anguillara ( ville au nord est de Rome).

Anguillara présenté dans le roman est une ville dans le Latinum à 50 km de Rome. A coté du village traditionnel, il y avait une zone HLM défavorisée. Pour la beauté du lac Martignano, un « effort » a été fait par la Mairie. Les populations pauvres sont revenues vers Rome, notamment dans les quartiers du Subure et du Tratesvere

Play List

La famille de Gaia n'écoute qu'une petite radio, surtout les infos, mais Antonia la ère aime la chanson italienne :


 Photos

 

Quartier pauvre deSubburra

Suburra

Suburra



Hlm banlieue romaine



Anguillara et le lac Martignano

Rue du village d'Anguillara

Le Corto Treste quartier ultra chic de Rome

Corto Trieste

Corto Trieste dans le quartier riche Parioli

Le lycée Cassia à Rome où étudie Gaia.