vendredi 17 février 2023

CHRIS OFFUT – Les gens des collines – Gallmeister 2022

 

L'histoire

Mick, un inspecteur des armées profite d'une permission dans son village natal du Kentucky pour rendre visite à sa femme. Celle-ci, enceinte de 8 mois d'un autre homme, la pression de son travail le laissent dans un état déplorable. Il enchaîne bouteilles de bourbon sur insomnies dans la vieille cabane insalubre de son père.

Mais sa sœur Linda, la shérif de la ville a besoin de son aide pour élucider un meurtre. C'est alors un parcours dans les collines des contreforts des Appalaches qui va redonner un peu de sens à a vie d'un homme cabossé.


Mon avis

Ce livre n'est pas du tout un polar au sens suspens du mot. C'est une occasion pour Chris Offutt de nous parler de ce Kentucky de moyenne montagne où le temps semble s'être figé, d'un siècle. Ici tout le monde connaît tout le monde, il y a des clans qui s'allient, s'opposent, se détestent et surtout règlent les différents à coups de fusil. Pas simple pour la première femme shérif, que l'homme fort du coin (qui possède aciérie, scieries, charbon, il fait vivre la région et rêve d'en être le prochain gouverneur) déteste par pur machisme.

Les gens sont des taiseux, des éleveurs et des fermiers, nichés dans les vastes collines du coin, et qui savent disparaître dans la nature fertile. Il ne s'agit pas seulement de « nature writing », même si il y a de nombreuses références à la faune (notamment les oiseaux) et la flore (notamment les pacaniers qui donnent la noix de pécan si appréciée des américain. Les gens ne sont pas très riches. Le plus souvent, malgré l'ouverture promise d'une université, ils ne sont pas allés à l'école, n'ont jamais ouvert un livre, et se contentent des potins devant une bière. C'est encore une vision d'une Amérique rurale, sans convictions. La politique n'intéresse personne, les délits sont souvent des excès de vitesse, un peu de marijuana, des querelles entre voisins. Mais les meurtres presque jamais. Et les informations pour retrouver le coupable que tout le monde connaît (et surtout les habitants et la famille qui compte bien régler le problème à sa façon se monnaient par des services rendus. Si Mick a une bonne réputation parce que c'est un chef dans l'Armée, c'est un homme brisé. Par l'infidélité de sa femme, mais il n'est jamais là, toujours en mission dans les zones de conflit, et ce travail lui pèse. Des morts ils en voit par wagons, il n'a aucune chance d'avoir un travail de bureau près de chez lui parce que c'est un des meilleurs enquêteurs. Un roman qui alterne des pages des poésie sur la nature de ce coin perdu et le pessimisme d'un héros qui doit faire ses choix de vie.

Pas un chef d’œuvre comme d'autres titres de Gallmeister, mais qui rentre bien dans leur catalogue. Son roman « les nuits Appalaches » est bien plus fort.


Extraits :

  • Un oiseau moqueur entonna son chant.L'inadapté par excellence:il ne savait qu'imiter les autres et espérer qu'on le comprenne. Mick s'était senti comme ça toute sa vie.

  • Elle riait toujours pareil, un éclat soudain. Ça la déridait, mais après elle se durcissait d'autant plus, comme si la vulnérabilité avait un coût inscrit sur une feuille de comptage invisible.

  • Partout ailleurs, les gens vivent un peu plus longtemps chaque année. Nous, nos vies raccourcissent. Ça arrive nulle part ailleurs dans le pays. Il y a vingt ans de ça, l’espérance de vie était plus élevée ici. Les collines nous tuent à petit feu.

  • Tous les griefs de Peggy sur la vie à Morehead étaient les mêmes raisons pour lesquelles Linda aimait cette ville. Le sentiment réconfortant de voir les mêmes gens, parfois trois fois en une seule journée dans différents magasins. Il y avait un protocole pour ces rencontres. La première fois, on posait des questions sur la famille. La deuxième, on souriait et on plaisantait sur le fait d’avoir le même emploi du temps. La troisième fois on souriait et on faisait un signe de main. Cela créait une intimité rassurante. Une des raisons pour lesquelles elle avait rejoint les forces de l’ordre était de maintenir l’ordre pour tout le monde, un ordre dont Peggy ne voulait plus

  • Il voulait mesurer le temps à la croissance des arbres.

  • Les Appalachiens obéissaient à des codes anciens qui les forçaient à agir. Les affronts étaient toujours personnels. Les actes de vengeance se perpétuaient d’une génération à l’autre. Quand il était à l’école, Mick récitait tous les matins le serment d’allégeance au drapeau et le Notre Père. Tous les enfants apprenaient les mots “Comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés”, un message fort et généreux qui ne prévoyait pas de calendrier spécifique. Dans les collines il était plus pratique de pardonner les offenseurs après les avoir tués.

  • Ne cherche pas les champignons, regarde là où ils poussent. La nuit, ne cherche pas la piste d’un animal, va juste là où il n’y a pas d’arbres. Vois des formes et des couleurs, pas la chose elle-même.

  • Il avait lu l'histoire d'un scientifique qui parlait à l'eau, puis la congelait et examinait les cristaux. Les mots gentils prononcés avec douceur donnaient de meilleurs cristaux. L'idée paraissait tirée par les cheveux mais peut-être que c'était vrai. Les humains étaient composés d'environ soixante pour cent d'eau et ça ne pouvait pas faire de mal d'essayer. Rien ne risquait de faire plus mal que sa tête, de toute façon. Il enfonça sa tête dans l'eau et parla.

  • Mick songea à plusieurs réponses, puis décida de laisser couler. Inutile de débattre de l'espérance de vie des bêtes sauvages ou de ce que qu'entendait Tucker par "connaître un écureuil". Comment pouvait-on connaître un écureuil ? C'était à peine si on pouvait connaître un humain, même sa propre femme.

  • Rien chez Tanner ne trahissait un tueur, ce qui signifiait qu’il pouvait être sociopathe ou innocent. Ou les deux. Ses yeux brillaient d’une intelligence enfouie, un trait que partageait Mick. Les gens des collines apprenaient tôt à ne pas montrer à quel point ils étaient futés. 

     

Biographie

Né en 1958 à Lexington dans le Kentucky, Chris Offutt est un écrivain américain de roman policier. Fils de l'écrivain Andrew J. Offutt (1934-2013), il suit les cours de l'Université d'État de Morehead. Diplômé, il entreprend un voyage à travers les États-Unis et exerce différents métiers pour vivre.
Il publie, en 1992, un premier recueil de neuf nouvelles, intitulé "Kentucky Straight", qui dépeint le quotidien rural du Kentucky. Il commet par la suite deux romans semi-autobiographiques: "Le Fleuve et l'Enfant" ("The Same River Twice", 1993) et "Les hommes ne sont pas des héros" ("No Heroes: A Memoir of Coming Home", 2002), un roman de fiction: "Le Bon Frère" ("The Good Brother", 1997) et un second recueil de nouvelles: "Sortis du bois" ("Out of the Woods", 1999).
En 2018, il publie son deuxième roman, "Nuits Appalaches" ("Country Dark").

Principalement connu pour ses romans et ses recueils de nouvelles, il a également collaboré, de manière épisodique, comme scénariste à plusieurs séries télévisées américaines dont "True Blood" (2008), "Weeds" (2009) et "Treme"(2012).
En parallèle à sa carrière d'écrivain, Chris Offutt a été professeur dans plusieurs universités américaines et a collaboré avec différentes revues et journaux américains (New York Times, Men's Journal …).

En savoir plus : https://www.etonnants-voyageurs.com/OFFUTT-Chris.html

 

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vendredi 10 février 2023

INGA VESPER – Un si long long après-midi – Éditions de la Martinière- 2022

 

L'histoire

Ruby, jeune afro(américaine vient faire le ménage dans un très chic quartier de Los Angeles. Nous sommes en août 1959 sous un soleil de plomb. Mais ce jour-là, la jeune fille ne trouve pas son employeuse, Joyce, mais sa fille aînée de 6 ans en pleurs et la petite sœur couchée, la couche souillée. Du sang dans la cuisine, et pas de maîtresse de maison suffisent à alerter les forces de police et le lieutenant Ranke, un inspecteur chevronné mais placardisé en raison d'une supposée bavure. Avec l'aide de Ruby et alors que le combat pour les droits civiques, ils vont mener l'enquête et découvrir l’impensable vérité. .


Mon avis

Pour ce premier roman, Inga Vesper dit s'être souvenue d'une publicité des années 50 montrant l'Américan Way of Life, avec sa maison soigneusement décorée, sa cuisine toute moderne avec les innovations techniques de l'époque, le mari, les 2 enfants blondinets et la femme qui avait l'air absente. Cela lui a donné l'envie d'écrire ce livre qu'elle revendique comme féministe, surtout après le mouvement « Me too ».

Quelle était donc cette génération de femmes américaines, bien habillées, avec leurs petits jardins bien entretenus, les beaux enfants polis et les barbecue le samedi. On en croise des femmes dans ce roman. Des femmes qui ne travaillent pas ou peu, des femmes qui ont une bonne, noire, peu payée et mal traitée, qui passent leur temps à aller dans les supermarchés qui prennent leur essor, bref des femmes qui s’ennuient sans s'en rendre compte dans ces petites vies étriquées.

Joyce pourtant n'était pas de ce monde là. Enfant adoptée, elle épouse un homme très bien pour les normes de l'époque : bonne situation, jolie maison, confort dans un quartier paisible. Joyce, qui cache un lourd secret, est aussi une excellente peintre et elle aimerait bien percer dans ce domaine, encouragée par Geneviève, l'animatrice éveillée du club des femmes du quartier. Joyce n'aime pas son mari, n'a pas vraiment d'amies, si ce n'est une serveuse mal lotie qui a rejoint le club, et Ruby, avec laquelle elle papote (ce qui est totalement méprisable pour cette communauté de femmes bien pensantes) en toute discrétion. Joyce ne connaît pas le racisme ordinaire et veut enfin vivre sa vie. Disparition ? Homicide ? Pendant ce temps, dans les quartiers pauvres de la ville, occupés par les afro-américains et les latinos, une prise de conscience se fait et amorce aussi la lutte pour les droits civiques, que Ruby, associée à l’enquête, regarde de loin, trop occupée à chercher la vérité et éviter qu'un innocent ne soit condamné à la peine de mort.

Derrière le joli confort et les robes élégantes, se cache le sexisme ordinaire où la femme n'est là que pour s'occuper de la maison et des enfants, se faire belle pour l'honneur de son mari. Le pire est que ces femmes désœuvrées, qui ont pour seul diplôme celui des arts ménagers (si si cela existait dans les années 50/60) s'épient, se surveillent et déversent leurs frustrations en ragots ou mensonges face à un policier obstiné.

Les portraits en miroir de Joyce, femme qui veut être libre de vivre sa vie et de Ruby qui économise pour aller à l'Université, sont très réussis. Mais il manque à ce livre aux chapitres courts, bien structuré, un petit quelque chose qui aurait pu en faire un excellent livre. L'emploi alterné du présent et de l'imparfait me semble plus plomber le livre que de l'alléger. Peu ou pas de touches d'humour, et comme une impression de déjà vu. Mais c'est le tout premier roman de la britannique Vesper qui en prépare un autre dit-on


Extraits :

  • Ta gueule, grogne Mme Ingram. Tu crois que c'est si facile? Tu crois que toutes les femmes devraient désirer être libres? Mais être libre, c'est sacrément difficile, Geneviève. C'est... c'est tellement difficile, putain.

  • - Je connais un restaurant à trois blocs d'ici, dit-il. Le Tropicana. - Je ne peux pas aller là-bas. L'inspecteur a l'air étonné. - Pourquoi pas ? La réponse est simplement parce que. Parce qu'elle n'est pas la bienvenue. Parce que le proprio va sortir son fusil. Parce qu'ils vont la regarder avec tant de haine qu'elle ne pourra pas avaler la moindre bouchée. Ils pourraient même empoisonner son burger à la pisse et à la strychnine. L'inspecteur ne comprend pas. - Allez, insiste-t-il en rigolant. On n'est pas en Alabama. - Seigneur, encore heureux. La colère monte dans le ventre de Ruby. Ce type est parfois vraiment, vraiment idiot. - Vous pensez que ça va aller parce qu'il n'y a aucune pancarte sur la porte qui m'oblige à aller dehors ? Allez donc interroger le gars qui dirige le Tropicana. Ils n'ont pas besoin de pancarte.... Je... Je ne peux pas y aller. Il soupire et détourne le regard, un peu mal à l'aise. Elle connaît cette attitude. Joyce avait la même, quand elles s'approchaient trop près de la vérité.

  • C'est un bon gars, ce Joseph, dit-il. Mais il s'emporte trop facilement. Ils sont tous comme ça, ces jeunes. Et ça ne conduira à rien de bon. Vous devriez vous rabibocher. Il a besoin d'une fille comme toi. Quelqu'un qui lui permette de se poser. De s'ancrer.
    Ruby essaie de croiser le regard de son père sans y parvenir. Ce n'est pas qu'il ait tort - au contraire. Mais le coeur de Ruby joue une autre mélodie, ces derniers temps.

  • C'est pour ça qu'on doit continuer le combat. Ils disent que l'esclavage est terminé et que la ségrégation est en train de disparaître. Mais tu as eu une ambulance pour ta mère ? Tu vois des écoles mixtes ? Tu vois des noirs avec des cravates et des carrières, qui vont au bureau tous les jours ? Hein ? Tu vois tout ça ?

  • Il y a tant de couleurs différentes. Le vert du gazon de mai. Le rose saumon des tomettes du patio. La palissade blanche qui entoure la maison. Les géraniums pourpres dans leurs pots en terre cuite. Le ciel aux frontières troubles, comme mon esprit rendu brumeux par la fatigue. Le bleu de la piscine est si profond et vif que je voudrais y tomber, y couler et me dissoudre comme une aspirine.

  • Vous ne comprenez pas. Elle était folle. Je vous ai dit qu’elle ne voulait plus de moi, qu’elle ne m’aimait plus. Elle me traitait d’idiot et de crétin, elle disait que j’avais gâché sa vie...des trucs qu’une femme normale ne dirait jamais à son mari. J’ai dû en parler aux médecins. Ils l’ont mise sous traitement. Un traitement fort.

  • En disposant les appareils ménagers indispensables de la manière la plus efficace, une femme au foyer peut gagner un temps considérable. Nos tests en laboratoire ont montré qu'avec une bonne configuration, le nombre de pas nécessaires à la préparation d'un gâteau de Savoie peut être réduit de cent sept à soixante-dix-neuf. Imaginez à quel point vous économiserez votre énergie et éviterez d'user vos chaussons.

  • Pa dit que les façades en pierre coûtent plus cher - c'est pour cette raison que les habaitants de Sunnylakes ont choisi ces ornements quand ils ont fait construire leurs maisons, avec leurs dollars durement gagnés. Mettez-moi de la fausse pierre, monsieur. Que ça ressemble à une forteresse qui protège mes biens des cocos, des Japs et des Nègres. Ruby laisse échapper un petit rire. " C'est trop tard. Je suis déjà dans votre maison, monsieur."

  • C'est toujours une histoire d'hommes. Ils guident leur existence, et elles n'en tirent aucune leçon. Elles se relèvent, remettent du rouge à lèvres et courent après le suivant.

  • Je ne devrais pas peindre. Franck n’aime pas ça, bien que Genevieve Crane dise que j’ai un talent incroyable. C’est un mauvais exemple pour les enfants, une mère qui se fait plaisir, quand il y a des repas à prévoir, des tapis à aspirer et des bouquets de fleurs à arranger.

  • - Comment était-elle à l'école ? - Oh, plutôt intelligente. Nous l'avons rapidement détournée des sciences pour l'inscrire en arts ménagers. Elle a insisté pour aller à l'université, mais Dieu merci, c'est à ce moment-là qu'elle a rencontré Frank.

  • Les géraniums ont besoin d’eau ; ils vont devoir patienter. Ruby n’arrivera pas avant l’après-midi et c’est le dernier jour de mes règles. Franck n’aime pas quand j’arrose mes fleurs pendant mes règles. Il dit que les émanations féminines les feraient faner. Mieux vaut laisser la bonne s’en charger.
    Je me range à son avis, bien sûr. Je ne lui fait pas remarquer qu’il dit aussi que les Noirs n’ont aucun talent pour faire pousser les choses, ce qui explique qu’ils n’aient pas de jardinières et que leurs bébés meurent souvent. 

     

Biographie

Inga Vesper est journaliste et écrivaine, auteure de roman policier.
Elle a déménagé d'Allemagne au Royaume-Uni pour travailler comme aide-soignante, avant que l'envie d'écrire et d'explorer ne l'amène au journalisme scientifique. Elle est titulaire d'une maîtrise en gestion du changement climatique du Birkbeck College à Londres. Inga a travaillé et vécu en Syrie et en Tanzanie, mais est toujours revenue à Londres, car il n'y a pas de meilleur endroit pour trouver une bonne histoire que le pont supérieur d'un bus. "Un long, si long après-midi" ("The Long, Long Afternoon", 2021) est son premier roman. Elle vit à Glasgow.

En savoir plus : son site : https://ingavesper.com/

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lundi 6 février 2023

PIERGiORGIO PULIXI – L’illusion du mal – Gallmeister 2022

 

L'histoire

Pour cause de prescription, un pédophile est relaxé par la cour d'appel de Cagliari (Sardaigne). Deux jours plus tard, des millions de citoyens sardes et italiens reçoivent une vidéo : un homme déguisé présente le pédophile ligoté sur une chaise de dentiste, il lui a arraché 28 dents. Il rappelle l’acquittement et les méfaits de son otage puis propose aux internautes de juger eux mêmes : peine de mort ou acquittement. La vidéo devient virale et en masse, le public savamment manipulé par celui qu'on surnomme vite le Dentiste votent pour la mort. Le cadavre est retrouvé dans un coin perdu dans la campagne sarde . Mais le Dentiste ne s'arrête pas là. De quoi donner des sueurs froides aux deux inspectrices Eva et Mara qui seront épaulée par un criminologue réputé, le charismatique et très bel homme, le vide-questeur Strega. .


Mon avis

Nous retrouvons le romancier sarde Pulixi pour un deuxième polar où il reprend ses deux enquêtrices, Eva Croce, la rebelle et Mara Rais la distinguée. Deux femmes que tout oppose mais qui sont les meilleures inspectrices de Cagliari. On leur adjoint un bel homme, Strega vice-questeur à Milan, un génie de la criminologie et de profilage mais aussi un homme détruit par la mort de son co-équipier.

Il s'agit de traquer un «sérial killer » qui se prend pour un justicier. Un homme invisible mu par l'idée que la Justice Italienne est fautive et qui veut changer le système. Il prépare méthodiquement ses crimes et fait voter le public à travers des liens intraçables puisqu'ils transitent par certains pays peu fréquentables, dans une totale impunité. Si on a une idée vague de son physique, l'homme est introuvable et sème la panique jusqu'au sommet de l’État

Un défi pour ce trio d'enquêteurs chevronnés, qui en plus doit faire face à une émission de télé-poubelle qui se saisit de l'affaire pour influencer aussi le public.

Ici, notre écrivain s'attaque aux dangers des réseaux sociaux, où l'anonymat permet à chacun de laisser cours à ses pulsions violentes sans se rendre compte qu'il y a une manipulation derrière. On pense bien évidement aux affaires de harcèlement informatique qui tournent parfois au drame (suicide d'adolescents) ou à des fraudes tout genre.

La lenteur de la justice (tout comme chez nous) devient la cible. Se faire justice soi-même est interdit en France et en Italie, mais face à un système défaillant en Italie, le débat est relancé. Que voterions-nous dans l’anonymat le plus total face à un criminel relaxé alors qu'il a commis des horreurs ? Quelles sont nos limites entre le bien et le mal ?

Mais l'auteur tacle aussi ces émissions de télé qui n'informent pas, mais sont là pour pousser l'audience à coup de fake-news, de désinformations et de reportages bidons. En France, on pourrait penser aux chaines CNEWS, C8 avec TPMP.

Pulixi dont j'avais déjà beaucoup aimé le premier livre « l'iles de âmes » a une écriture très cinématographique. Des chapitres courts, des dialogues ciselés qui mélangent le patois corse, sarde, lombard, le petit coté onirique qui sont ses marques de fabrique. Bref on est totalement happé par cette enquête qui laisse quelques surprises et pas mal de rebondissement. Pulixi joue avec nos nerfs et la fin est totalement inattendue.


Extraits :

  • On a la lumière et les ténèbres qui dansent ensemble, échangeant les rôles. La lutte éternelle entre le bien et le mal.

  • La haine est comme un orchestre. Elle a besoin de quelqu’un qui la dirige, qui fait monter la tension et la cadence, pour laisser ensuite exploser toute cette impétuosité dans une chevauchée majestueuse. Le Dentiste était en train d'éduquer les gens à la haine. Et la haine est toujours l'antichambre de la violence.

  • Au bas de l’écran défilaient les messages envoyés par les téléspectateurs : la teneur des propos aurait fait pâlir un officier de la SS.

  • Milan ou Inter ? demanda-t-il au vice-questeur. - Ni l'un ni l'autre. Je suis allergique au foot.- Quelle horrible maladie. Mais vous n'êtes pas supporter de la Juventus, c'est déjà cela.

  • Il y avait une phrase qu’il aimait à répéter à ses étudiants en criminologie, et qui constituait la règle d’or du profilage criminel : « Si vous voulez comprendre un peintre, étudiez ses tableaux ; ils vous en diront beaucoup plus sur lui que n’importe quel témoignage. » Le même principe, expliquait-il, valait pour les tueurs en série. En analysant leurs crimes, en découvrant comment et pourquoi la victime avait été tuée, on avait beaucoup plus de chances de déterminer qui l’avait tuée.

  • Pour revenir à l'affaire, c'est précisément ça qui me préoccupe, dit-il. Dans cette époque de haine numérique, avec cette hostilité diffuse et la rage sociale qui anime les gens, la situation risque d'exploser, si on ne l'arrête pas à temps

  • Le facteur critique, c’est que ce raisonnement part d’un constat malheureusement exact : l’Italie est un pays où il est courant de poursuivre les victimes, surtout si ce sont des femmes, tandis que les coupables courent en liberté.

  • Il songea que les réseaux sociaux étaient devenus le nouveau valium spirituel, un anesthésiant pour survivre à l'aliénation urbaine. La connexion numérique comme antidote à la déconnexion identitaire.

  • Cchiù scuru di mezzanotti nun pò fari [Il ne peut pas faire plus sombre qu’à minuit], pensa Palamara. Mais contrairement à ce que soutenait le proverbe sicilien, la situation pouvait encore empirer.

Biographie

Né en 1982 à Cagliari, Piergiorgio Pulixi est un écrivain italien, auteur de romans policiers et de romans noirs, membre du collectif Mama Sabot, créé par Massimo Carlotto, dont il est l'élève.
Après une expérience d’écriture collective de romans noirs, il s’est lancé dans une saga policière en 4 volumes, primée par le prix Glauco Felici et le prix Garfagna. Il est aussi l’auteur d’une série intitulée I canti del male (Les Chants du mal). L’Île des âmes est son dernier roman, publié en 2019 par Rizzoli, et le premier traduit en France.

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Sur le roman


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Sur la Sardaigne

Sur Milan (Italie)


Sur Cagliari (Sardaigne)


Chez le dentiste (pure sadisme de l'auteure de ce site)


Play list

L'inspecteur Strega est grand amateur de jazz. Alors je vous proprose les titres suivants.

Muse : https://www.youtube.com/watch?v=d55ELY17CFM

Jazz NewOlreans : https://www.youtube.com/watch?v=gIPIB60DtqM

Coltrane : https://www.youtube.com/watch?v=HNnM2iRwHLE

Mina : https://www.youtube.com/watch?v=RN8IenPlQmo

The Boss : https://www.youtube.com/watch?v=129kuDCQtHs

Ron Smithe Quarter : https://www.youtube.com/watch?v=Ub24CgSedS4

Monk : https://www.youtube.com/watch?v=-yg7aZpIXRI

Clann : https://www.youtube.com/watch?v=w_ZTEKk8Ml0

Beath Hart : https://www.youtube.com/watch?v=w_ZTEKk8Ml0

A. Whinhouse : https://www.youtube.com/watch?v=CxYRbzGi8Rg&list=PLnrezQ1h5sNXKkBV4CGMQLld0Ze0VC5MZ


Photos

Cagliari 

Centre de Cagliari


 
Port de Cagliari

La magnifique plage Poetto où va surfer Eva

Le parc Monte Urppinu où se balade le Dentiste

Le village de Villarcidrooù vivait le Dentiste

La Questure de Cagliari

La Pierda Fitta, sculpture primitive représentant la déesse mère

L'ancien complexe industriel du Mixeddu, refuge du tueur

La vallée de Compidano aux alentours de Cagliari


Pinces anciennes pour les arracheurs de dents

vendredi 3 février 2023

JOHN BROWN – Lady Chevy – Albin Michel - 2022

 

L'histoire

Amy, 18 ans est surnommée Chevy car elle n'est pas filiforme mais bien en chair. Alors qu'elle doit envoyer des dossiers pour l'Université, elle s'intéresse plus à la fracturation hydraulique dont elle est persuadée qu'elle rend malade les gens et notamment son petit frère. Avec un ami, Paul, elle va se lancer dans un acte « d’écoterrorisme », mais le plan de se déroule pas comme prévu Avec son fort caractère, elle va pourtant déjouer les mailles de la police qui se tricotent autour d'elle.


Mon avis

Décidément, la tendance littéraire de ces dernières années est aux jeunes héroïnes, ce que confirme ce roman qui a été considéré comme un best-seller aux USA.

Amy est une personnalité sombre. Méprisée au lycée parce qu'elle est trop grosse, elle vit aussi dans la pauvreté dans un mobile-home dans une vallée perdue de l'Ohio. Son père est alcoolique, sa mère absente, son frère difforme et largement handicapé. Pour survivre, le père a vendu ses terres à une entreprise de forage de gaz de schiste, par fracturation hydraulique. Mais Miss Chevy a du caractère et une force puisée dans la colère et l'injustice. Elle n'oublie pas que son grand-père fut un membre actif du Ku Klux Klan, un oncle néo nazi qui a fait la campagne d'Irak. Une famille qui est un carcan dont Amy doit se libérer. Elle accepte donc d'aider Paul, son ami/amoureux dans un acte de sabotage. Paul lui pense que les mines de charbon ont tuées son père.

A coté du récit à la première personne d'Amy, il y a les policier Hasting, un homme cultivé, qui a transformé la médiocrité de sa vie de petit flic en haine raciste et en méchanceté gratuite.

C'est l'Amérique de Trump qui ici se révèle. En faisant semblant de prendre le parti des « rednecks », ces blancs qui pensent « grand remplacement », fin du monde et qui ne sont que des faibles, face à des histoires personnelles qu'ils n'ont pas su gérer et pris dans le tourbillon de la Grande Histoire.

Pour contrebalancer ce roman noir, il y a heureusement la présence lumineuse de Lady Chevy avec humour qui rejette les idées d'une Amérique sans repères, fracturée politiquement et socialement, et où l'écologie n'est qu'un mot qui ne fait pas sens. Dans ce monde violent, désabusé, cynique, l'auteur nous pose cette question fondamentale : qu' adviendra-t-il demain si la haine, le non respect de la terre et les fractures sociales grandissent insidieusement ?

Ici on parle des petits blancs qui se sentent déclassés, de l'Amérique rurale qui se laisse piétiner pour les dollars de l'industrie sale. Les personnages sont ambivalents, complexes, perdus mais sans caricature qui aurait plombé ce premier roman. Et cette anti-héroïne bien plus intelligente que tous les autres saura analyser, comprendre (sans approuver) les autres : sa famille, sa supposée meilleure amie, l'ambigu Paul et le flic tordu qui ne la coincera pas.

Un roman qui ne laisse pas indifférent. Soit on l'adore dès les premières pages soit on déteste parce qu'on ne rentre pas dans l'intrigue qui se dénoue lentement. Mais pour un premier roman c'est une réussite totale, en plein écho avec les remous de nos sociétés, et sans basculer dans l'illégalité nous invite à la plus grande vigilance face aux extrêmes.


Extraits :

  • Je me demandais ce qu'il trouvait de plus à Marybeth et à Olivia. Toutes deux sont plus minces que moi, bien évidemment. Toutes deux ont des seins qui remplissaient ce soir-là leurs robes splendides, avec ce sillon qui fait miroiter tant de possibilités aux yeux des hommes. De mon point de vue, ça ressemble juste à une raie des fesses, fortuitement placée entre deux boules de graisse

  • Les garçons ne tardent pas à parler de Call of Duty, à se vanter de leurs statistiques et de leurs frags. Ils jouent à la guerre et je soupçonne ces jeux vidéo de les conditionner secrètement à tuer un jour pour de vrai sur le champ de bataille. La guerre est véritablement le jeu ultime, selon mon oncle Tom, le seul où l'on peut vraiment perdre la vie ou la gagner.

  • J'ai toujours adoré l'hiver parce qu'à cette saison la forêt est silencieuse. Plus d'insectes, rien qui morde ou qui pique. Aucun autre son que celui de mes pas, le crissement de la neige, le craquement d'une grosse branche gelée. Mon haleine fait comme des volutes fantomatiques, et je m'imagine mon âme qui s'élève.

  • Cet univers se définit par une succession perpétuelle de création et de destruction, cosmos indifférent de matière bouillonnante dans la noirceur de l'espace infini. C'est de la science, des faits. C'est la seule vérité qui compte. Ce qui est visible sous le soleil n'est que l'illusion de la vie. Et la nuit le voile tombe, juste ce qu'il faut. Le jour viendra où seules les ténèbres bougeront.

  • Ils me dévisagent. Ils me scrutent pour éviter de se regarder. L’air de ma chambre est tellement saturé de foutaises et d'hypocrisie que même un courant d'air ne pourrait pas passer.

  • On m'appelle Chevy parce que j'ai le derrière très large, comme une Chevrolet. Ce surnom remonte au début du collège. Les garçons de la campagne sont très intelligents et délicats.

  • Ce sont nos différences qui nous définissent, qui nous séparent à jamais, malgré tous nos grands discours sur l’égalité.

  • Si vous ne croyez pas que la vie se résume à une lutte interraciale, demandez à un indien d’Amérique, à supposer que vous arriviez à en trouver un.

  • "C’est pour vous conditionner à vivre dans un État policier. Ça commence par la sonnerie qui retentit tous les matins, huit heures de cours, et tu deviens vite l’esclave d’une entreprise qui reste vissé à un bureau sans âme de neuf heures à dix-sept heures, paye assidûment ses impôts au complexe militaro-industriel, envoie ses enfants à la guerre, et vote pour les gens que la télévision lui dit d’élire. Tout ça en exerçant les compétences intellectuelles limitées auxquelles on t’a appris à te fier. Ils te prennent très tôt en main, dans les années les plus formatrices de ta vie. C’est la plus grosse machine à laver le cerveau de cette nation. " (oncle Tom)

  • Dans les ténèbres, je me sens à l’aise, je me sens puissante. Peut-être y’a t’il vraiment de la cruauté en moi. Acquise ou innée, je n’en sais rien. Peut-être que je voulais simplement voir ce qui arriverait. Peut-être que je voulais sortir de l’ombre et prendre part à ce combat. Peut-être que personne ne sait pourquoi les gens agissent comme il le font.

  • Il n’y a pas eu que ces connasses. Dès l’âge de six ans, me lever pour aller à l’école a constitué un acte de bravoure et de résilience. On se moquait de moi parce que j’étais grosse, parce que j’étais pauvre. On ne se lassait pas de me rabaisser. Je savais qu’ils riaient tous dans mon dos, que tout le monde avait une mauvaise blague à balancer sur mon compte.


Biographie

Né à Ely, John Woods est un auteur américain. Il a grandi dans les Appalaches de l'Ohio. Il est l'auteur du roman, "Lady Chevy", et du recueil de nouvelles liées, "Something tender" (chez l'éditeur Albin Michel en France). Sa fiction se déroule dans la vallée de l'Ohio et explore le désespoir d'une petite ville et la dégradation de l'environnement. Son écriture est un croisement entre le noir littéraire et l'horreur psychologique. Il a publié des nouvelles dans les revues Meridian, Midwestern Gothic, Fiddleblack et The Rag. Il vit à Yorktown, en Virginie.
En savoir plus :

En savoir Plus :

Sur le roman

Sur la fracturation hydraulique :

Sur l'Ohio

Sur les rednecks (ploucs)


Play List

Il existe une musique dite « redneck », sorte de country.

On trouvera quelques sites mais je déconseille

Pour contrebalancer je préfère un vrai bon jazz

PHOTOS

Barnesville

Barnesville lycée



Ohio

Maison rurale

Mobils home et puits de gaz de schiste à coté comme dans la maison de Chevy



Puits de gaz de schiste qui explose

Mine de charbon à ciel ouvert dans l'Ohio

Vue aérienne des puits de fracturation hydraulique Ohio


Affiche redneck

Famille redneck