L'Histoire
Cela fait 8 ans que Cooper et sa fille Flint vivent cachés dans un coin reculé des Appalaches. La raison de cet exil : après la mort accidentelle de sa femme, Cooper, vétéran des guerres en Afghanistan s'est vu retiré la garde de sa fille, étant jugé comme perturbé, et surtout étant détesté par sa belle-famille riche et surpuissante. Alors il a enlevé le bébé pour se réfugier dans la cabane de Jake, son meilleur ami qui vient le ravitailler chaque année en denrées alimentaires et autres. Cette année-là Jake ne vient pas. De plus Cooper doit cohabiter avec un vieil homme vivant plus bas dans la vallée qui connaît son secret et qui sous des airs amicaux, semble peu fiable à Cooper. Mais combien de temps pourront-ils restés ainsi loin de tout ?
Mon avis
Sélectionné par le Grand Prix des Libraires 2023, voilà une histoire tout à la fois inquiétante, poétique, qui retrace l'amour infini pour sa fille par un homme en totale fuite du monde.
Cooper nous raconte son histoire par petites touches, et surtout son quotidien avec sa fille de 8 ans, habituée à vivre dans une cabane sans confort, mais avec des livres et surtout dans les bois où elle connaît tout, chaque espèce de la faune et de la flore. Elle est mignonne Flint, curieuse de tout, mais commence à se poser des questions sur la vie qu'elle mène. Son père lui a donné de fausses explications pour la rassurer. Il s'occupe d'elle en l'éduquant grâce à la bibliothèque fournie de la maison, se préoccupe de son alimentation saine, lui confie des tâches pour l'occuper, mais ne la laisse pas sans surveillance.
Plus bas dans la vallée, il y a un vieux type qui se fait appeler Scotland, qui a lu les journaux et connaît la vraie histoire de Cooper, et essaye de gagner son amitié. Il a en tout cas les faveurs de Flint, qui voit en lui un gentil grand père. C'est vrai que Scotland a toujours un petit cadeau pour elle, mais Cooper n'a aucune confiance en cet homme qui semble les surveiller.
Et cette année là, Jake, l'ami inconditionnel ne vient pas faire le ravitaillement alors que l'hiver approche et que l'hiver au nord des Appalaches peut-être très difficile. Alors Cooper prend le risque de se rendre dans un supermarché assez éloigné de sa cabane, et rempli à ras-bords son pick-up de nourritures, vêtements pour sa fille, livres, cahiers, jeux en tremblant à l'idée d'être reconnu. Ensuite il y a la saison de la chasse, car il faut des protéines et la maison n'a ni eau courante ni électricité.
Mais un jour, alors qu'ils sont sur leur territoire de chasse, père et fille surprennent une jeune femme photographe. Et ce que redoute tant Cooper, tout en sachant que cela devait arriver un jour est en train d'arriver, dans une tension subtilement entretenue par l'auteure donc c'est le 3ème roman.
Ici la part belle est faite à la nature mais surtout à la relation unique d'un père et de sa fille, l'amour infini qu'il lui porte, même si il sait qu'il ne la scolarise pas, qu'il la prive de beaucoup de choses qu'une enfant de son âge devrait avoir. Cooper n'est pas dupe, il sait très bien qu'il ne fait pas vivre à sa fille une existence normale, parce qu'il n'a plus qu'elle, peu doué pour se faire des relations, qu'on ne lui en confiera jamais officiellement la garde. Même si il s'est promis de lui dire la vérité quand elle aura 18 ans, même si elle se remet en cause son autorité, il arrive encore à la canaliser, la calmer, mais le temps est compté. Entre suspense et émotion, avec une part belle de « nature writing » qui a ici une importance fondamentale, ce troisième roman aborde d'autres thèmes que les 2 précédents.
Extraits :
Pour quelqu'un qui, depuis près de dix ans, n'a pas mis les pieds dans un autre bâtiment qu'une petite cabane nichée au milieu de cinquante hectares de forêt, un supermarché est un lieu surprenant et déroutant. Les lumières, enfilades interminables de néons, brillent d'un éclat accablant. Les rangées et rangées de gigantesques téléviseurs qui diffusent tous à fond les mêmes scènes, à des degrés divers de résolution... (…) Vertigineux et troublant. Des panneaux bleu et jaune sont suspendus partout : Prix bas ! Énormes remises sur le rayon électronique ! Ça n'aide pas que les fêtes approchent à grands pas, il y a évidemment des sapins, des décorations, un renne en plastique et un immense Père Noël gonflable qui s'agite d'avant en arrière. La profusion absolue : trop, beaucoup trop de tout. L'absence totale de modération, de retenue.
J’ai toujours été convaincu que si une chose était écrite, et qu’elle n’advenait pas la première fois, alors on avait une seconde chance. Mais je n’ai jamais eu l’audace de croire à la possibilité d’une troisième ou même d’une quatrième chance. D’imaginer que le monde pourrait vous offrir un peu de bonheur après vous avoir, toute votre vie, accablé de peines, comme s’il avait changé de position sur celui que vous êtes et sur ce que vous méritez. Appelez ça comme vous voulez : chance, karma ou, peut-être davantage, grâce.
Je lui prends la main pour la serrer, puis je me cale contre le tronc, tout près d'elle, et je crois bien que n'importe qui dans ce monde serait bien en peine de faire l'expérience d'un moment plus idyllique que celui-ci. Le soleil de décembre, chaud et encore haut dans le ciel mais qui commence à décroître, sa lumière qui se diffuse entre les jeunes arbres. La brise. L'air chargé de pin, de terre et de cerf de Virginie aussi : la promesse contenue dans cette odeur, un espoir pour l'avenir.
Cette maison composée de deux pièces contient quatre couvertures, une vieille table et une bibliothèque. Elle est équipée d'une bouilloire, une cocotte et une poêle en fonte. D'un évier avec une petite fenêtre qui donne sur la longue route de gravier menant ici. De deux étagères au-dessus de la cuisinière à bois. Dans ce petit monde isolé, rien qu'à nous, il règne une telle simplicité qu'il est difficile d'expliquer la complexité de la vie.
Je lui dirai un jour. Toute la vérité. Ce que le monde au-delà de cette cinquantaine d'hectares de bois nous a fait. Ce qu'il nous ferait encore.
Ce qui me console malgré tout, ce qui m’empêche de m’empêtrer dans un sentiment de culpabilité, c’est que la vie que je lui offre, si elle n’a rien de conventionnel, est fondamentalement une bonne vie. Une vie saine. En ce qui concerne ses besoins essentiels, elle ne manque de rien. Elle est prise en charge. Aimée.
On vous dit : c’est la guerre, c’est différent. Mais ça ne l’est pas, en réalité. On vous dit ça pour que vous puissiez tenter de vivre avec vous-même. L’ennui, c’est que vous savez ce que vous avez fait, ce que vous avez pris et ce que vous avez perdu, et ça devient votre existence, une part de vous, que ça vous plaise ou non. Et vous ne pouvez jamais complètement vous en dissocier.
J’étais prêt à n’importe quoi. Je n’avais aucune limite parce que j’avais déjà franchi toutes celles qu’on peut imaginer. Le truc, c’est qu’une fois qu’on est passé de l’autre côté, une fois qu’on a fait presque tout ce qu’on s’était juré de ne jamais faire, on perd aussi une forme de confiance, l’assurance qu’on ne recommencera pas.
Dans l’immédiat, la tristesse prend toute la place. Tu as peut-être l’impression qu’elle pèse si lourd à l’intérieur de toi qu’elle va t’entraîner sous terre et que tu ne te sentiras plus jamais légère. Mais tu retrouveras de l’insouciance le moment venu, je te le promets.
C'est ce qui est bien avec les livres. On peut faire l'expérience de différentes existences et de différents endroits à travers eux.
le ciel est une explosion de roses et d'oranges, les silhouettes des arbres prennent appui sur la lumière.
Mais quelque part ce qui me trouble autant que le reste c'est le changement dans le regard que Finch porte sur moi. Je n'y lis plus émerveillement et admiration. Ce truc magique dans les yeux des gosses qui, même s'ils ne vous le disent pas, pensent, vous le savez, que vous êtes la personne la plus intelligente, la plus forte et la plus intéressante à la surface de la planète. Qui vous font confiance. Pour qui votre existence est une garantie de sens et de sécurité.
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Biographie
Kimi
Cunningham Grant est une romancière. Elle est également poétesse,
ses textes ont été publiés dans plusieurs revues et elle a reçu
deux fois le prix commémoratif Dorothy Sargent Rosenberg pour sa
poésie.
Elle est l'auteure de trois livres. "Silver Like
Dust" (2012) est un mémoire relatant ses grands-parents
japonais-américains et leur internement pendant la Seconde Guerre
mondiale. Son deuxième livre, "Fallen Mountains" (2019),
est un roman à suspense qui se déroule dans une petite ville de
Pennsylvanie, où la fracturation hydraulique vient de commencer. "Le
silence des repentis" ("These Silent Woods"), son
troisième livre, paraît en 2021.
Ses poèmes et essais ont été
publiés dans Literary Mama, RATTLE, Poet Lore et Whitefish Review.
Diplômée d'Anglais de l'Université Messie (2002) et de
l'Université Bucknell, elle vit, écrit et enseigne en Pennsylvanie.
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