mercredi 26 juillet 2023

HENRI LOEVENBRUCK – Les disparus de Baltimore – Editions XO - 2023

 

L'histoire

1925, Île de Baltimore, une petite île perdue dans la Manche entre Jersey et Guernesey. La jeune diplômée de criminologie française, Miss Chapelle est appelée par un lointain parent, un vieil homme qui vit dans une des plus belles maisons de l’île. Il demande son aide pour retrouver sa petite-fille, disparue étrangement quelques semaines auparavant. De son coté, le détective anglais Pierce reçoit une lettre de son ami, le prêtre du village qui lui demande son aide. A son arrivée, l'homme a disparu. Face à des habitants hostiles, les 2 détectives ne seront pas de trop pour mettre à jour la folie de quelques hommes qui veulent faire revivre une très ancienne religion.



Mon avis

Les Américains ont Dan Brown, les français ont Loevenbruck, auteur passionné de polars à caractère mystique ou de sagas fantasy/écologique. Des titres comme l'Apothicaire où le Syndrome de Copernic n'ont rien a envier au Da Vinci Code.

Le voilà de retour avec un polar dans la veine de ceux qu'il écrit le mieux, le polar mystique. Ici, nous baignons dans un univers étrange, pluvieux sur une île isolée. Le début peut être un peu rebutant, il s'agit de présenter l'île et les deux principaux personnages. La jeune Lorraine qui est une femme qui n'a pas la langue dans sa poche, et le plus retenue Pierce, très british. De rebondissements en rebondissements, nous avançons avec les enquêteurs, sans jamais avoir une « longueur d'avance », si ce n'est proche du dénouement.

Je regrette un peu les trop nombreuses descriptions que ne nous apprennent rien, mais il y a un coté ludique à jouer nous aussi aux détectives.

Petit à petit les détectives personnalités complémentaires vont partir sur les traces d'une très ancienne religion qui inspirera les légendes celtiques, tout cela étant inventé par l'auteur qui a une belle imagination en ce qui concerne le mysticisme, et d'étrange. Un plan de l’île et un plan de la ville de Blackmore (en fait il s'est inspiré d'une petite île, celle d'Aurigny.

Loevenbruck dit aimer Sir Conan Doyle, mais aussi Lovecraft, Agatha Christie, Maxime Chattam. Si vous aimez les univers très étranges, ce livre est pour vous. J'ai personnellement beaucoup plus aimé l’Apothicaire, mais pour une lecture estivale avec un petit frisson ce livre-là est parfait. Avec une mention spéciale pour son héroïne, la plus jeune et première femme diplômée en criminologie de France, qui est inventive, courageuse, pleine de ressorts et qui revendique haut et fort un tout nouveau féminisme pour l'époque et pour la mentalité quelque peu abrupte des îliens.


Extraits :

  • L'immense édifice, accroché en terrasses successives au sommet de la petite île, était déjà visible de la mer. Quand, en débarquant sur l'île, on arrivait enfin à son pied, sa silhouette devenait saisissante. On se sentait alors comme sous son emprise, comme aspiré par elle . A cet instant précis, Edward eut l'impression que, si le murmure des brumes - ce mystérieux sifflement que le vent poussait à travers les montagnes - devait prendre naissance quelque part, c'était peut être là, dans les sous-sols du sanatorium de Bragbury. n en cherchant ce qu'il veut, et vous pouvez savoir ce qu'il veut en cherchant ce qu'il poursuit.

  • Les livres sont comme les hommes, mon ami : Quand on les aime, on ne les parque pas en fonction de leurs dénominateurs communs, car alors ils s'appauvrissent. On les laisse se mélanger à leur guise, d'où qu'ils viennent, afin qu'ils s'enrichissent de leurs différences.

  • Pour les sages, il n'est d'autre repos que la mort … - Dans ce cas, permettez-moi, Edward, d'aller mourir quelques heures. Nous ressusciterons pour le petit déjeuner.

  • Du droit de toute femme et de tout homme à combattre par le raisonnement ce qui lui paraît nuisible, à défendre par les actes ce qui lui paraît juste et utile , et à opposer au droit du plus bruyant celui du plus capable.

  • Mais en ce moment j'ai un petit faible pour Wilkie Collins, dont les romans à suspense me tiennent tellement en haleine que j'ai l'impression de les lire en feuilleton, comme ils étaient publiés en leur temps.

  • Et alors ? Vous n'arrivez pas à régler ça tout seul, cornegidouille ?

  • Il n'y a rien de tel qu'une foule euphorique pour me rappeler à quel point je déteste mon prochain.

  • out doux, mademoiselle ! Nous ne savons pas jusqu'où cela peut descendre. Nous devrions peut-être aller chercher un équipement de circonstance, avant de jouer aux spéléologues. Des lampes, des cordes, des grappins, ce genre de choses... - Du whisky ? - Évidemment. - Alors soit.

  • ls s’en amusèrent à voix basse tandis qu’ils montaient les marches, plaisantant notamment au sujet du faible taux de remplissage de l’hôtel, dont la cause n’était pas compliquée à établir… N’ayant croisé personne d’autre dans ces murs depuis la veille, ils se demandèrent même s’ils n’étaient pas les seuls clients du triste établissement. - Je crois bien que c’est la première fois de ma vie que j’invite une femme à entrer dans ma chambre d’hôtel, annonça Pierce en glissant la clef dans la serrure. - Vous filez un mauvais coton, mon garçon…À peine Edward avait-il ouvert la porte qu’il se pétrifia. - Saint Christ ! s’exclama-t-il avant de se mettre à courir soudain à travers la pièce, dont la fenêtre était grande ouverte. Lorraine lui emboîta le pas. - Là ! Il s’enfuit ! s’écria le détective en pointant le doigt vers le parc de l’hôtel. L’empaffé ! Il a pris les documents ! Pierce fit volte-face et retourna vers le couloir.- Que faites-vous ? s’exclama la jeune femme, perplexe.- Il faut le rattraper, pardi !- Mais, enfin, ça irait plus vite de… Lorraine n’eut pas le temps de lui expliquer qu’il était plus logique d’emprunter le même chemin que le cambrioleur : Edward avait déjà disparu dans l’escalier. Dans un haussement d’épaules, elle ôta ses chaussures, enjamba la fenêtre pour descendre la façade et s’agrippa à la large conduite d’évacuation qui courait le long du mur.

  • endant la demi-heure que dura sa course folle, Melle Chapelle éprouva une plénitude dont aucun être sur terre n'eût pu comprendre la profondeur, car, à la vérité, elle n'avait plus ressenti plaisir si intense depuis de très longues années. Et alors plus rien n'exista en son cœur blessé que le défilé des arbres, les successions de collines bienveillantes que sa chevauchée avalait l'une après l'autre, la révérence complice que lui adressaient, sur son passage, les phares haut perchés, les ruines lointaines et les voûtes de granite, les claquements délicieux des cylindres que les gorges de roche grise lui renvoyaient en écho, comme autant d'ovations miséricordieuses. Plus rien n'exista que la terre et le ciel, et aussi longtemps que continua cet instant suspendu, ils lui appartinrent tout entiers.

  • Tenez, par exemple : levez les yeux, Edward, et regardez la taille de l'école des filles, où nous nous apprêtons à entrer. Elle ne fait pas même le quart de celle des garçons, là-bas, à l'autre bout de la rue de la Vallée. Comment voulez-vous que j'aime une espèce qui, elle-même, néglige la moitié de ses individus ?

  • Les historiens modernes, cédant à la celtomanie de ces dernières années, font désormais silence sur les pratiques les plus primitives de cette civilisation antique. Les druides n'étaient pas d'inoffensifs érudits, amoureux de la nature, mais, stricto sensu, les grands prêtres de la mort. Tenez, par exemple, savez-vous que les druides se livraient à ce que l'on appelle des sacrifices « chthoniens », c'est-à-dire adressés aux divinités infernales ? Lors de cérémonies funestes, ils sacrifiaient de jeunes personnes, auxquelles ils coupaient la tête, puis laissaient leur corps pourrir, pendant six mois, dans une fosse circulaire. Ils offraient ensuite leur chair pourrissante aux divinités souterraines, dans l'espoir que celles-ci rendraient les terres plus fertiles.

  • Mais non ! Tout va bien se passer. - En général, quand quelqu'un prononce cette phrase, cela finit mal...

  • Si l'ordinaire consiste à ne pas oser verbaliser ses pensées de peur de heurter son interlocuteur, en effet, je ne m'y inscris guère. Les filtres sociaux m'ont toujours paru être une terrible perte de temps.


Biographie

Né à Paris en 1972, Henri Lœvenbruck est écrivain, parolier et scénariste. Auteur de thrillers et de romans d'aventures, il est traduit dans plus de quinze langues.
Après le bac, hésitant entre la musique et la littérature, il tente d’allier ses deux passions : la semaine, il étudie en khâgne au lycée Chaptal et le week-end il se défoule en concert ou en studio avec de nombreux musiciens. Après avoir étudié la littérature américaine et anglaise à la Sorbonne, l’heure du service national venue, il fait une objection de conscience et passe 17 mois comme maquettiste aux Éditions Francophones d’Amnesty International, il épouse d'ailleurs une Anglaise, puis il part vivre en Angleterre, près de Canterbury, où il enseigne le français dans un collège.
De retour en France, il exerce divers métiers, de barman à web-designer en passant par professeur d’anglais, avant de se diriger vers le journalisme littéraire. Après quelques pas dans le journalisme et la musique (il chantait et jouait de l’orgue Hammond dans divers groupes de rock parisiens), au milieu des années 90, il fonde Science-Fiction Magazine avec Alain Névant, un ami d'enfance. Après être resté rédacteur-en-chef de ce titre de 1996 à 2000, il publie son premier roman en 1998 aux éditions Baleine, sous le pseudonyme de Philippe Machine. Il décide ensuite de se consacrer pleinement à l'écriture.
Il publie alors deux trilogies de Fantasy, "La Moïra" (2001-2002) et "Gallica" (2004), lesquelles rencontrent un succès inédit pour un auteur français ("La Moïra" dépasse en France les 300 000 exemplaires, toutes éditions confondues, et les droits sont vendus dans 11 pays). Suivront de nombreux thrillers aux éditions Flammarion ("Le Syndrome Copernic", 2007, "Le Rasoir d’Ockham", 2008…) qui lui vaudront d’être qualifié par le Nouvel Observateur de "nouveau maître du thriller français". Auteur-compositeur-interprète, il écrit des chansons pour lui-même et pour d'autres artistes français. De 2013 à 2015, il rejoint le groupe de rock Freelers.Membre fondateur du collectif d'artistes La Ligue de l'Imaginaire, en juillet 2011, il est nommé Chevalier de l'Ordre des Arts et des Lettres. En 2015, son roman "Nous rêvions juste de Liberté", salué par la critique, est en cours d'adaptation pour le cinéma.

- Son site : https://www.henriloevenbruck.com/



samedi 22 juillet 2023

BENJAMIN WHITMER – Les dynamiteurs – Gallmeister 2020 ou poche Totem.

 

L'histoire

Denver 1895. Celle qui fut la ville la plus prospère aux pieds des Rocheuses, grâce à l'exploitation des mines d'or n'est plus que l'ombre d'elle-même. Ceux qui n'ont pas pu partir ailleurs sont devenus des SDF, la maffia locale règne en maître tout comme la corruption. A 15 ans, Cora, jeune fille fluette mais à la détermination intacte recueille des enfants dans un lieu désaffecté nommé l'Usine. Lieu où vit également Sam, 11 ans, amoureux de Cora sans le lui dire. Les enfants se nourrissent de déchets, de vols, de mendicité et arrivent à maintenir leur territoire intact contre les violences des SDF. Mais voilà que Sam et Cora, après avoir soigné un homme défiguré et force de la nature se voit proposer un boulot par Cole, qui n'est autre que l'un des chefs de gangs maffieux les plus cruels de la région. Et Sam va alors entrevoir les ravages des luttes sans pitié entre gangs rivaux, police locale complice, jusqu'à ce que Denver soit reprise en main par des hommes non-corrompus et que les ligues de vertus fassent leurs œuvres.



Mon avis

Le dernier opus de Benjamin Whitmer vient de sortir en poche Totem et ce n'est pas de la lecture pour âmes sensibles. La violence est omniprésente, entre quelques moments de tendresse.

Commençons par la douceur donnée par Cora, cette enfant qui depuis des années déjà recueille les orphelins et leur offre un toit et de la nourriture. Cora a un cœur immense et elle mène à la baguette sa petite tribu. Chacun sauf les petits ont une mission, comme ramener à manger, mendier, voler, et protéger l'usine contre les attaques incessantes des SDF en face. Si le lieu est misérable il offre un toit et avec des couvertures, des cartons, les talents de couturières de Cora et son énergie permettent aux enfants de ne pas être livrés à eux-mêmes ou finir à la merci des gangs : prostitution, trafic de drogues, jeux clandestins. Elle est épaulée par Sam, trouvé dans la rue et qui est follement amoureux de Cora sans jamais lui dire et elle, si elle le devine, a du mal à lui interdire notamment de s'engager auprès de la pire bande de truands de la ville.

L'histoire commence avec l'arrivée sur le toit de l'usine qui permet un panorama à 360° de la ville d'un homme défiguré et muet, une force de la nature qui, en voulant écarter une bande de SDF a été blessé. Cora le soigne et les enfants qui au départ en ont peur deviennent ses protégés. Car souvent Goodnight, c'est son nom, vient dormir sur le toit. Bien que muet, Sam se rend compte que l'homme n'est pas un idiot et le suit jusqu'à se faire embaucher à l'Abattoir, le club de Cole qui gère les tables de faro clandestins, des bordels, le trafic de drogue. Cole vit dans une belle maison aux abords de la ville avec sa femme Betty, un amour tumultueux de deux alcooliques, mais Cole respecte ses filles et les protège avec son équipe de gros bras.

Mais Cole est gênant, pour les autorités qui sont bien impuissantes et les concurrents qui ont quelques agents de police à leur solde. Cole, homme irascible, refuse une proposition de fermer ses tables de jeu, en échange d'une protection par des policiers corrompus. Mais on ne dicte aucune loi à Cole. C'est alors un déchaînement de violences, où le moindre faux pas, la parole de trop vaut un coup de fusil où un écrabouillage en bonne forme par les molosses qui entourent Cole. Qui va jusqu'à lyncher en public le flic ripoux de la ville. Une vraie guerre s'organise. Sam assiste à tout cela, il est trop jeune pour manier les armes, pas assez costaud pour tabasser à mort les ennemis désignés. Son rôle est de surveiller Goodnight, dynamiteur de profession, qui ne se remet pas de la perte de sa fiancée, probablement dans une explosion ou une bagarre.

Cette vie à 100 à l'heure, ponctuée sans cesse de rebondissements souvent macabres, lui fait oublier Cora, laquelle a finalement rejoint le pasteur Tom, un homme qui lui aussi recueille les sans-abris, et aménage pour elle une aile dans son monastère pour les enfants, enfin bien nourris, habillés de linge propre, toilettés et en sécurité. Je vous laisse lire l'épilogue pour ne pas spoiler.

Whitmer connaît Denver comme sa poche et y a fait des recherches sur le passé trouble de la ville, il connaît son histoire par cœur et si il la romance dans le style brut et violent qui est le sien, c'est pour mieux souligner ces exclus, ces enfants dont personne ne veut, analphabètes, livrés à eux-même, à qui personne ne vient en aide. « Les crânes de nœuds » comme ils nomment les adultes, hormis le pasteur, ne font rien pour eux, pas plus qu'ils ne font pour les SDF. La svie américaine est déjà fracturée : d'un coté la bonne société qui vit dans des beaux quartiers, dont les femmes se font grandes dames des ligue de vertu (mais pas pour les plus crados et ceux qui ont vraiment besoin) et où les hommes se battent pour le pouvoir, tout en fréquentant les bordels chics de la ville. Alors Cora crée son univers avec rien, juste son grand cœur, et personnellement je trouve que le personnage n'est pas assez exploité. Sam lui est un jeune foufou qui fonce tête baissée dans les emmerdes, même si il s'en sort toujours, mais n'utilise pas sa finesse de pensée et le fait qu'il est le seul lettré de la bande d'enfants. Le monde sombre des voyous le fascine et il n'anticipe pas l'avenir et surtout finit par oublier totalement Cora, la seule qui pouvait lui apporter la paix. Il est aussi le narrateur de cette histoire cruelle, bestiale presque où la tendresse des duos formés par Sam/Cora, Sam/Goodnight, Cole/Goodnight, Cole/Sam sont noyés par la violence, la survie, la totale perte d'humanité face à un monde qui se défait (Denver sera reprise en main en 1902 par l'élection d'un maire non corrompu mais il faudra attendre les années 1970 et l'arrivée du pétrole pour que la ville redevienne une grande ville américaine, avec son université, et plusieurs institutions fédérales). Un roman qui se tient mais qui ne vous épargnera pas.



Extraits :

  • Vous ne pouvez jamais croire ce que les gens vous disent d’eux-mêmes. Je n’ai jamais rencontré une seule personne qui se connaisse un tant soit peu elle-même. Quand quelqu’un vous dit qu’il est honnête, ça ne vous renseigne pas du tout sur le fait qu’il soit honnête ou non, ça vous dit juste que ça lui plaît de penser qu’il est. Et c’est la seule chose que vous puissiez apprendre de ce que les gens vous disent. Ce qu’ils aimeraient être.

  • La vérité, c'est que je ne pense pas que la plupart des gens veuillent réellement l'amour. L'amour fait exploser votre vie en mille morceaux, et il les réarrange selon ses propres lignes. Et il est éphémère. Si vous le manquez, vous le manquez. Il a son temps à lui, et vous n'en êtes pas maître. Si vous ne le prenez pas dans votre filet quand la chance s'en présente, il disparaît. Et même si vous l'attrapez, il finira toujours par vous briser le cœur. Même quand il dure une vie entière, il finit par laisser l'un de vous deux seul dans un monde si vide que c'en n'est pas supportable.

  • Dans le centre-ville, des hommes en cravate se pressaient les uns contre les autres pour monter dans les trams en disant des trucs débiles comme "Je vous prie de m'excuser" ou "Comment allez-vous ?". Dans le centre-ville, des femmes à taille de guêpe marchaient à petits pas sur les trottoirs, coiffées de chapeaux à plume. J'aurais donné n'importe quoi pour voir tous ces gens-là se nourrir comme nous de poules sauvages et de cactus. Il n'y en avait pas un seul capable de tenir dix minutes sans vivre sur le dos de quelqu'un d'autre.

  • Il y a des débuts et il y a des fins. Mais si vous vivez assez longtemps, vous savez qu'il n'y a pas du tout de vrai début, que tout est seulement le début d'une fin.

  • Presque aucune lumière ne brûlait dans Denver, et la ville s'étendait comme une flaque de cendre étalée sur la plaine.

  • Les gens essaient toujours d'obtenir ce qu'il veulent , et font toujours les choix qui, pensent-ils, leur permettront d'y parvenir. Toujours. Vous pouvez savoir qui est quelqu'un en cherchant ce qu'il veut, et vous pouvez savoir ce qu'il veut en cherchant ce qu'il poursuit.

  • Tu sais ce que Jesse James faisait, quand il cambriolait une banque ? - Non. - Il demandait à toutes les personnes présentes dans la banque de montrer leurs mains. Tous ceux qui avaient les mains calleuses, il les laissait partir. Il ne dévalisait que les fils de putes aux mains douces. Les hommes qui ne travaillaient pas pour vivre.

  • Les lumières de Denver brillaient devant nous comme des soleils lointains. Toutes ces lumières, je me sentais toujours perdu quand je les regardais. Ça me mettait les nerfs en boule de savoir que chacune d'elles contenait le monde entier de quelqu'un. Des mondes dont je ne savais rien, dont je ne saurais jamais rien.

  • Vous avez déjà vu un homme adulte pleurer? - Pas depuis le jour où j'ai planté une fourchette dans le cou de mon père, dit Cole.

  • C'est une sensation qui ne m'a jamais quitté, que je continue à éprouver, et c'est toujours la nuit que je me sens le plus petit. Quand c'est une mauvaise nuit, je suis prêt à tout pour réussir à la passer. Je suis prêt à boire n'importe quoi, à prendre n'importe quoi. Tout ce qui est susceptible de m'anéantir. Je me suis brisé la tête à force de la frapper contre tout ce qui existe pour survivre à une mauvaise nuit.

  • Bon Dieu, je déteste quand il s’exprime par citations, dit Cole. Je peux pas faire confiance à un homme qui parle avec les mots d’un autre.

  • Parce que les riches vont leur tomber dessus comme une tonne de boulets de canon. Et pas pour avoir fait fermer leurs putes et leurs tables de jeu. Pour avoir fait valoir qu'ils devaient eux aussi obéir aux mêmes lois que nous autres.

  • Il était rare de croiser quelqu’un de plus de vingt ans qui n’ait pas perdu quelque chose. Le monde tordait les corps aussi salement qu’il tordait les esprits.

  • Pour le reste d’entre nous, en revanche, les Crânes de Nœud étaient zone interdite. C’étaient des Crânes de nœud précisément parce qu’ils avaient le crâne plein de nœuds. Ce n’était pas compliqué. Ils s’étaient fait embrouiller par tout ce qui les entourait. Par Denver, par leur propre vie. Ils avaient pourri de l’intérieur.

  • Nous restâmes des semaines dans cette cabane. Des mois peut-être. Je perdis le sens du temps. Au début, c’était une sorte de luxe, tout ce temps qu’on avait. Il y avait des livres, et plein de provisions, et pas une seule foutue personne au monde dont je doive m’occuper. Et au début, c’était parfait. Je lisais. J’étais tranquille. En fait, il est possible de vivre sans personne, si vous croyez le faire pour quelqu’un.
    Jusqu’à ce que vous vous rendiez compte que c’est parce que la personne en question se porte mieux sans vous. Ça, ça vous bouffe le cœur à petites becquées de moineau.

  • Il y a une forme de salut dans le fait de haïr la merde qui est à l’extérieur de vous plutôt que la merde qui est à l’intérieur de vous.

  • Les nuits s’étaient un peu réchauffées. Ça commençait à sentir l’été. The Line se vautrait dans l’opium, et nous marchions à cinq de front. Moi, Goodnight, Cole et deux autres gars parmi les plus rudes que Cole avait. Eat ‘Em Up Jake, ancien boxeur professionnel dont les traits se mouvaient avec la viscosité sirupeuse d’un homme qui se serait récemment pris un coup de sabot de mule en plein tête, et Magpie Ned, qui avait un visage comme une vieille lame usée et une tache permanente sur la joue, noire comme un cancer. L’un comme l’autre tuait des hommes comme les petits garçons tuent des fourmis. Tout le monde s’écartait de notre passage. Un chariot de prêcheurs s’était garé dans la rue pour répandre la bonne parole dans The Line ; lorsqu’ils nous virent, leur chant s’étouffa en plein milieu d’une note.

  • Vous commencez par un mauvais choix. Un petit. Vous ignorez peut-être même qu’il est mauvais au moment où vous le faites. Mais une fois que vous l’avez fait, il vous amène à un choix pire. Alors vous faites ce choix.

  • On est dans le journal, dit-il. T'as manqué ça. On a envoyé un gamin courir dans Union Station en criant "pickpocket", et tous les hommes présents ont tout de suite porté la main à la poche dans laquelle ils avaient mis leur portefeuille. Ensuite, sachant où ils gardaient leur argent, nos vrais pickpockets les ont tous détroussés. Je t'ai apporté ta part.

  • e croyais Cole parce que j’avais envie de le croire. Vous avez envie de croire qu’ils savent ce qu’ils font. Qu’ils ont un peu de maîtrise sur les choses. Cole et Goodnight paradaient dans le Monde des Crânes de Nœud comme s’ils l’avaient construit eux-mêmes. Comme s’il n’y avait pas un seul morceau de ce monde qu’ils ne pourraient pas s’approprier. Et vous avez envie de croire que c’est possible. Parce que ça voudrait dire qu’il existe un moyen pour grandir et entrer dans le Monde des Crânes de Nœud sans devenir un Crâne de Nœud soi-même. Mais il n’en existe pas.

  • Pour le papier, il y avait toujours des groupes de dames patronnesses qui distribuaient des bibles sur le trottoir. Elles ne se disaient jamais qu'on pouvait avoir besoin de nourriture, mais il y avait toujours des bibles. Alors je roulai une cigarette dans une page de l'Exode, je l'allumai, la donnai à Cora, puis en roulai une autre pour moi.

  • je n'arrivais à penser à rien d'autres qu'à retourner auprès d'elle. C'était toujours cette sensation qui remontait dans ma poitrine, l'envie de rentrer, l'envie d'être avec elle.
    Il ne se passait pas une minute sans que je brûle de la toucher, de la serrer contre moi, de la sentir, d'enfouir le visage dans le creux de son cou et de humer son odeur, comme une odeur de feu de forêt éteint depuis longtemps, plaquée par la pluie de la nuit précédente.

  • La corruption, la prostitution, l'opium, les bagarres, la guerre et le meurtre, tout ça avait du sens pour eux. Mais pas la dynamite. Ils n'y voyaient aucune logique. C'était impossible de trouver un quelconque sens à une bombe qui saute dans un café. C'était soudain, absurde et brutal. Ils s'en chiaient dessus de peur.

  • L’été, quand l’atmosphère était si chaude et si marécageuse en bas, on vivait sur le toit. Il y avait un cabanon que nous avions construit avec du bois de récupération, du papier goudronné, et des vieux bouts de tuyau de poêle que nous avions coupés en deux et aplatis à coups de semelle. À l’intérieur, on faisait notre feu sur une plaque de fer qu’on avait trouvé en bas, de sorte que nous pouvions cuisiner même quand il pleuvait ou qu’il y avait du vent.


Biographie

Né en 1972dans le Colorado, Benjamin Whitmer est un écrivain américain. Iia publié des récits dans divers magazines et anthologies avant que ne soit publié son premier roman, "Pike", en 2010. Traduit en français en 2012, ce texte a immédiatement séduit tous les amateurs du genre. En 2015, il sort "Cry father". En 2018, son roman "Évasion" ("Old Lonesome") paraît en France en avant-première mondiale. Il est lauréat du prix Libr'à Nous 2019. "Les dynamiteurs" ("The Dynamiters") est publié en 2020.
Ses romans, tous traduits par Jacques Mailhos, ont la particularité d'avoir été publiés en France mais pas aux États-Unis.
Il est également coauteur, avec le chanteur Charlie Louvin (1927-2011), de "Satan Is Real: The Ballad of the Louvin Brothers" (2012).Son roman "Pike" est en cours d'adaptation cinématographique d'après un scénario de François Médéline.
Benjamin Whitmer vit avec ses deux enfants dans le Colorado.

- https://fr.wikipedia.org/wiki/Benjamin_Whitmer

- http://benjaminwhitmer.com/



mardi 18 juillet 2023

LORI NESLON SPIELMANN – Un doux pardon – Poche Pocket – 2016 réédition 2023.

 

L'histoire

Hannah, est présentatrice star de la télé de La Nouvelle Orléans. A 34 ans, elle est fiancée au maire de la ville, mais sa carrière est menacée par des taux d'audience en baisse et l'ambition d'une jeunette prête à tous les bas coups. En même temps, un phénomène fait fureur dans le pays, les pierres de pardon. Hannah en a reçu 2, une à envoyer à quelqu'un que l'on pardonne pour un tort qu'il nous a fait et l'autre à envoyer à une personne à laquelle on a fait du mal. Et voilà que ces pierres vont tout changer dans sa vie,



Mon avis

Un livre qui me laisse mitigée. Aborder le thème du pardon, celui qui l'on offre et celui que l'on reçoit est en soi un thème difficile, qui relève plus de la philosophie (ou de la religion) que du roman.

Alors oui c'est bien écrit, mais c'est sans surprise. Hannah, l'héroïne qui nous raconte son histoire a quelque chose de difficile à faire pardonner, une accusation d'attouchements de la part d'un beau -père qu'elle déteste, et qui a nuit à celui-ci. Encore qu'elle ne soit pas certaine c'était il y a longtemps, et elle en a toujours voulu à sa mère d'avoir quitté son père, un homme manipulateur. Elle vit une relation amoureuse, avec le maire de la ville, en campagne pour sa réélection et traverse une passe difficile dans son travail.

Hors ici tout n'est que mensonge : son amoureux n'a aucune envie de l'épouser, et elle se fait manipuler en beauté par une jeune concurrente arriviste, qui va lui faire commettre des bourdes à l'antenne. Elle perdra son métier, son amoureux mais retrouvera d'autres valeurs, des retrouvailles heureuses avec sa mère.

Un happy end facile pour une lecture facile.

Certes il y a ces petites pierres (des galets, des pierres sans valeurs) qui symbolisent le pardon mais l'autrice qui a mis au point cette idée et qui est devenue une star n'a pas pensé qu'une simple pierre pouvait effacer des souffrances enfouies, des trahisons impardonnables. Ce qui doit nous interroger sur notre capacité de pardon, nos petits mensonges ou faiblesses. Faut-il toujours tout dire ? Faut-il toujours pardonner ? Est-ce que je pardonnerais à Hitler ou a des dictateurs pour les horreurs commises ? Certainement pas en ce qui me concerne. Par contre je peux pardonner des petites erreurs, si la personne m'est proche, sinon je pars sans me retourner. C'est donc une approche très personnelle et je ne crois pas qu'une petite pierre soit bien utile.

Mais Lori N. Spielmann semble avoir conquis un public essentiellement féminin. Ce n'est qu'un roman mais on aurait aimé plus d'émotions fortes et vibrantes, ici tout est « ouaté », on ne s'identifie jamais à l'héroïne, non pas qu'elle ne soit pas sincère, mais elle n'est pas crédible, et elle ne semble par avoir lu les philosophes qui se sont emparés du sujet, mais reste dans l'optique du pardon vu du coté de la religion qui le prône (mais à titre individuel, à travers le péché et la rédemption pour les religions monothéistes, pour l'harmonie du monde selon le bouddhisme. C'est donc une lecture très « girly » sur un thème qui aurait pu être fort, dans une autre intrigue et sous une autre plume.


Extraits :

  • J'ai toujours envisagé la vie comme une pièce sombre et caverneuse emplie de bougies. Quand on naît, la moitié des bougies est allumée. A chacune de nos bonnes actions, une nouvelle flamme jaillit et crée une lumière supplémentaire. Mais tout au long de notre chemin, des flammes sont éteintes par notre égoïsme et notre cruauté. Vois-tu, nous allumons des bougies et en soufflons d'autres. Au final, nous pouvons simplement espérer avoir créé plus de lumière que d'obscurité en ce monde.

  • Les excuses n'effacent jamais les mensonges. C'est comme si on les rayait, plutôt. On a toujours conscience que l'erreur est là, juste sous la ligne noire qu'on a tracée. Et si on la cherche bien, on peut encore la lire. Mais au fil du temps, nos yeux finissent par regarder au-delà de l'erreur, on ne voit plus que le nouveau message, bien plus clair, rédigé avec beaucoup plus d'attention

  • Nous autres, les humains, avons un trait de caractère merveilleux - la capacité de pouvoir changer d'avis. Et oh, quel immense pouvoir cela nous confère !

  • Certains amis sont comme un pull préféré. La plupart du temps, nous choisissons un tee-shirt ou un chemisier. Mais le pull est toujours là, au fond du placard, confortable, rassurant, prêt à nous réchauffer par ces journées ventées.

  • Il m'a dit un truc que je n'oublierai jamais. Il m'a dit :On n'abandonne jamais ceux qu'on aime.

  • Chacun de nous est un être humain avec ses défauts, ses peurs, son besoin désespéré d’amour. Des gens déraisonnables qui préfèrent le confort des certitudes.

  • Je me sens soudain extrêmement vieille. Ai-je manqué ma chance, ma présentation en société ? Chaque année, un nouveau lot de femmes fraîches entre sur la scène des relations amoureuses, des femmes plus jeunes, plus intéressantes.

  • De jeunes beautés pleines d’espoir sourient à leur reflet dans le miroir, nourries de rêves et d’ambitions. Je me sens soudain extrêmement vieille. Ai-je manqué ma chance, ma présentation en société ? Chaque année, un nouveau lot de femmes fraîches entre sur la scène des relations amoureuses, des femmes plus jeunes, plus intéressantes. Comment peut-on rivaliser, à trente ans passés ?

  • L’espoir, c’est souhaiter qu’il soit pardonné. La foi, c’est avoir la certitude qu’il le sera.

  • Tu as toujours le choix, Hannah. Ne l'oublie jamais. Avoir le choix, c'est notre plus grand pouvoir.

  • Quand les gens brûlent la baraque, c’est pour une bonne raison, Hannabelle. C’est une décision calculée. Ils veulent être certains de ne plus jamais pouvoir faire machine arrière.

  • Ma chérie, tu n'as pas compris ? Nos aveux nous ont libérées. La prochaine fois, il nous faudra être plus prudentes en mettant à nu les morceaux fragiles de nos cœurs. La tendresse ne peut être partagée qu'avec ceux qui offrent à ton cœur un atterrissage en douceur.

  • Nous taisons nos secrets pour deux raisons : Pour nous protéger ou protéger les autres.

  • Il faut du courage pour revendiquer sa honte. Chez la plupart d’entre nous, faire preuve de vulnérabilité est source de malaise. Nous préférons dissimuler notre sentiment de culpabilité dans l’espoir que personne ne voie ce qui se terre au plus profond de nous. Exposer sa honte peut s’avérer libérateur.

  • Nous n’aurons jamais de longs débats politiques, philosophiques, littéraires, ou philanthropiques. Ma mère n’est pas une femme instruite et savante qui me dispensera des conseils bouleversants, et des perles de sagesse.
    Au lieu de cela, elle m’apporte autre chose. Elle offre à mon cœur et à ses fragiles éclats un lieu moelleux et sûr où atterrir.


Biographie

Née en 1961 dans le Michigan, Lori Nelson Spielman est une romancière. Titulaire d'un B.A. de l'Université de Central Michigan et d'un master de l'Université d'État du Michigan, elle a travaillé en tant que orthophoniste, conseiller en orientation et enseignante.
Son premier roman, "Demain est un autre jour" ("The Life List", 2013), obtient un immense succès critique et public. Il est traduit dans 27 langues et les droits d’adaptation cinématographique en ont été achetés par la Fox. Après la publication de son deuxième roman, "Un doux pardon" ("Sweet Forgiveness", 2015), elle démissionne de son poste d'enseignante pour se consacrer à l'écriture à plein-temps. Après le succès de ses deux romans, Lori Nelson Spielman revient avec "Tout ce qui nous répare" ("Quote Me", 2018), un roman poignant, où une femme doit faire la paix avec son passé pour surmonter le deuil et aller vers la sérénité. Elle vit à East Lansing, Michigan, avec son mari.

Son site : http://lorinelsonspielman.com/
- https://en.wikipedia.org/wiki/Lori_Nelson_Spielman


Sur le pardon


samedi 15 juillet 2023

CHLOE ESPOSITO – Mad – Fleuve Noir ou Poche Pocket 2017

 

L'Histoire

Alvie Knithly, 26 ans, pourrait être jolie, avoir un bon métier et un chouette compagnon de vie, à 'instar de sa jumelle Beth. Si elles se ressemblent à s'y méprendre, Alvie vient de se faire virer d'un job peu satisfaisant à Londres et par ses colocataires, pourtant pas des vedettes. Mais Alvie n'a aucun sens de la propreté, elle picole sérieux, adore le sexe mais pas forcément vivre en couple, elle chaparde des trucs sans même sans rendre compte et elle est totalement fauchée. Mal fringuée, peu à cheval sur l'hygiène, son seul truc c'est son sens de l'humour totalement foldingue. Aussi accepte-t-elle l'invitation de sa sœur qui vit en Sicile. Beth est aussi distinguée, habillée en vêtements de luxe, que riche grâce à son mari, le très bel Ambrogio, vendeur d'art et elle vit dans une villa de rêve, comme on en voit dans les magasines très chics, des domestiques et une nourrice pour son petit garçon de 18 mois. Pourtant Alvie déteste Beth qui a toujours été la petite chouchoute de la famille.

Éblouie par le charme de la villa, la voiture de luxe, les cadeaux luxueux de sa sœur, les bons vins, elle accepte vu leur ressemblance totale de passer pour elle une demi-journée, Beth refuse de lui en donner la raison. Marché de dupes en fait. Et là tout dérape, rebondissements sur rebondissements et un final explosif.



Mon avis

Voici le 1er tome (sur 3) des aventures de la terrible Alvie Knithly, la fille qui n'a peur de rien et qui commence ici dans son apprentissage du crime.

Inutile de vous raconter l'intrigue sans spoiler, c'est rebondissements sur rebondissements, le tout dans le charme délicat d'une villa de rêve, de robes Dior, Chanel, Prada, de chaussures à talons vertigineux, de cocktails à volonté et de sexe (chastes personnes abstenez-vous même si vous avez sûrement lu bien pire. Alvie possède une collection sympathique de sex-toys, elle a un goût pour les hommes virils qui savent s'y faire comme on le dit.

En plus l'écriture de Chloé Esposito qui est anglaise est un délice : entre burlesque et grotesques, entre rires et frissons, vous avez le parfait manuel pour devenir une parfaite criminelle. Non pas qu'Alvie soit foncièrement mauvaise, mais une fois qu'on a goûté aux petits frissons d'un premier meurtre, en fait un accident, et que pour protéger sa peau, on en commet d'autres, avec les soutiens du moment (le propre mari de Beth dont Alvie a toujours été amoureuse, un amant de passage, un homme de main de la maffia locale), on finit par trouver la vie très amusante, et en plus on devient riche. Pourtant Alvie est aussi la reine de boulettes, mais elle se rattrape toujours. Sa culture se limite aux magasines féminins et à la télé où elle se rêve en mannequin ou en star de cinéma, et où elle fantasme joyeusement sur les beaux mecs, acteurs ou mannequins. Pour le reste, elle ne sait rien faire de ses dix doigts, à part viser et tirer en plein dans le mille, a des tendances pyromanes, adore conduire à 300 à l'heure une lamborghini flambant neuve.

Avec humour mais sans aucune pudeur de la part de l'autrice (et ça finalement on aime bien quand une autrice se lâche), Miss Esposito serait un mélange de Helen Fielding (Bridget Jones, le physique de rêve en prime), de Virginie Despentes et d'Agatha Christie.

Le roman est structuré en 7 chapitres au nom des 7 péchés capitaux, et écrit dans l'ordre chronologique, parfois entrecoupé de flash-back sur l'enfance et l'adolescence d'Alvie, avec une mère odieuse qui ne lui a jamais montré la moindre affection, et sa jumelle sachant tirer partie de la situation. Et non, pour une fois les jumelles monozygotes (celles qui physiquement sont quasi indifférenciables) ne sont pas fusionnelles.

Donc soit on adore et on le lit (l'autrice sait aussi distiller un léger sentiment de malaise) soit ce n'est pas ce qu'on aime.

Cela n'est pas un chef d’œuvre de la littérature bien sur, c'est très amusant, cela se lit tout seul, mais cela ne restera pas dans notre mémoire. Par contre la trilogie est devenue un phénomène en Grande-Bretagne et aux USA. Il a été adapté en série télé.


Extraits :

  • J'ai un gros faible pour les Italiens [...]. C'est surement dû à la langue. Je me sens toute chose quand j'entends ces sonorités. Écoutez : "figlio di puttana", mélodieux, pas vrai ? Ça veut dire : "fils de pute". "L'anima de li mortacci tua", magnifique ! Traduction : "Tu commences vraiment a me gonfler." "Vaffanculo", ce mot sort-il d'un poète de Pétrarque ? Non, c'est : "Va te faire foutre." Une discussion à propos de prostituées et de merde sonnera aux oreilles du profane comme un sonnet sur l'amour courtois. Mieux vaut que vous ne sachiez pas ce que signifie : "Ti prego, scopami in culo"... (J'ai appris plein de grossièretés en regardant du porno italien.)

  • Je m'imaginais plus tard en poète mondialement connue, mariée à un mannequin/acteur beau comme un dieu ( Channing Tatum ? ), ou - mieux encore - à Ambrogio. J'aurai un bébé, une fille, aussi mignonne que sur un cliché d'Anne Geddes, une Range Rover, un teckel et un hôtel particulier à Chelsea.
    A quel moment c'est parti en vrille ?

  • Quel thé tu veux ? Earl Grey, Ceylan, Rooibos, Darjeeling ? J’ai aussi un excellent oolong tibétain en feuilles.— Euh, tu en as du normal ?— Je vais nous faire du oolong.— Super.Beth s’éclipse dans la cuisine, sa brillante crinière blonde flottant derrière elle. Elle ressemble à une poupée Barbie, à Brigitte Bardot. Elle a l’air d’une nouvelle version de moi-même, améliorée : Alvina Knightly 2.0. Ce n’est pas une impression agréable. Je pose les fesses au bord du fauteuil crème en tâchant de ne rien toucher pour ne pas salir, et à bonne distance de la table basse en verre qui me paraît terriblement fragile. J’ai la poitrine comprimée, comme si j’étais ligotée dans du scotch, incapable de gonfler ma cage thoracique. J’enfonce les ongles dans mes paumes moites en guettant le retour de ma sœur. Je me demande ce qu’elle attend de moi… je me demande ce que je fous ici.

  • Je me demande ce qu'elle manigance . Un braquage de banque ? Une fusillade ? Un casse chez Prada ? Non, pas Beth, pas cette sainte nitouche. Elle est beaucoup trop sage. Elle prévoit sans doute d'aller rendre des livres à la bibliothéque pour esquiver les pénalités de retard.

  • J'ouvre le tiroir de ma table de chevet et sors le numéro 1 de ma liste, mon amant et meilleur ami. J'hésite un instant à le coller contre le mur (il est doté à sa base d'une puissante ventouse permettant de le fixer en un tournemain au carrelage ou aux portes ), mais je ne m'en sens pas l'énergie. - Désolée, Dick chéri, je suis pas d'humeur. Un petit bisou et je le replace dans son tiroir.

  • Moi, je suis diplômée de l’université de la Vie, avec mention. On appelle ça être une « autodidacte », quand on aime employer les grands mots, mais nul besoin de jouer les polymathes.

  • De toute manière, à quoi bon aller à l’école ? Ça n’a plus aucun intérêt aujourd’hui, à l’ère d’Internet. Le Web sait tout sur tout. C’est incroyable tout ce qu’on peut y apprendre, et ce, sans avoir à se coltiner les poux, l’uniforme et la cantine dégueulasse.

  • J’aurai peut-être aussi besoin d’une manucure… et d’un soin du visage, d’un massage, ou même d’un de ces enveloppements de feuilles d’aluminium qui vous donnent l’air d’une dinde sortant du four. 

  • Je me trompe ou il est encore plus beau qu'avant ? Comment c'est possible, au bout de deux ans ? Enfin, c'est comme ça, chez les hommes : ils se bonifient avec l'âge, de la même façon que le fromage, le vin ou George Clooney.

  • Je m'extirpe péniblement du lit et pose le pied en plein sur ma pizza d'hier, dont je n'ai mangé que la moitié avant de m'écrouler vers quatre heures du matin. Me voilà avec de la sauce tomate partout sur le pied et une rondelle de salami entre les orteils. Je la prends et l'enfourne dans bouche avant d'essuyer la sauce avec une chaussette. Puis je m'habille avec ce que je trouve par terre ; une jupe en nylon ne nécessitant aucun repassage et un tee-shirt en coton qui en aurait eu besoin. Je me regarde dans le miroir et fronce les sourcils. Pas génial. Je me frotte les yeux pour effacer le mascara qui a coulé, j'ajoute une touche de rouge à lèvres prune, coiffe mes cheveux gras avec mes doigts. Je pars au travail. Je relève le courrier à la porte et je l'ouvre tout en marchant, une Malboro au bec. Des factures, des factures, des factures, une carte d'une entreprise de VTC, une broche pour des pizzas à emporter. " DERNIER APPEL", "AVIS D'HUISSIER","RÈGLEMENT EN URGENCE". Toujours le même refrain. Taylor Swift n'a pas à s'emmerder avec ça, elle. Je fourre les lettres dans les mains d'un sans-abri posté près de la bouche métro : maintenant, ce n'est plus mon problème.

  • Un octogénaire au bronzage berlusconien roupille, un cigare éteint entre les lèvres. Une soirée "bunga bunga" de trop, peut-etre ?

  • Je repose le livre sur la table. Je stresse suffisamment comme ça, autant éviter de lire des tragédies. Je commanderai un recueil de recueil de poèmes [...] demain matin ; un truc joyeux, Baudelaire par exemple.

  • Les deux moments les plus importants d’une vie sont le jour oú on vient au monde et le jour oú on découvre pourquoi. 


Biographie

Chloé Esposito est titulaire d'un BA et d'un MA d'anglais de l'Université d'Oxford. Elle est également diplômée de la Faber Academy. Elle a été consultant senior en management, professeur d'anglais dans deux des meilleures écoles privées du Royaume-Uni et styliste de mode à Condé Nast. "Mad" (2017) est son premier roman et le premier tome d'une trilogie. Originaire de Cheltenham, elle vit à Londres. Les deux autres livres de la série sont Bad et Dangerous.

mercredi 12 juillet 2023

KIMI CUNNIGHAM GRANT – Le silence des repentis – Poche 10/18 - 2023

 

L'Histoire

Cela fait 8 ans que Cooper et sa fille Flint vivent cachés dans un coin reculé des Appalaches. La raison de cet exil : après la mort accidentelle de sa femme, Cooper, vétéran des guerres en Afghanistan s'est vu retiré la garde de sa fille, étant jugé comme perturbé, et surtout étant détesté par sa belle-famille riche et surpuissante. Alors il a enlevé le bébé pour se réfugier dans la cabane de Jake, son meilleur ami qui vient le ravitailler chaque année en denrées alimentaires et autres. Cette année-là Jake ne vient pas. De plus Cooper doit cohabiter avec un vieil homme vivant plus bas dans la vallée qui connaît son secret et qui sous des airs amicaux, semble peu fiable à Cooper. Mais combien de temps pourront-ils restés ainsi loin de tout ?



Mon avis

Sélectionné par le Grand Prix des Libraires 2023, voilà une histoire tout à la fois inquiétante, poétique, qui retrace l'amour infini pour sa fille par un homme en totale fuite du monde.

Cooper nous raconte son histoire par petites touches, et surtout son quotidien avec sa fille de 8 ans, habituée à vivre dans une cabane sans confort, mais avec des livres et surtout dans les bois où elle connaît tout, chaque espèce de la faune et de la flore. Elle est mignonne Flint, curieuse de tout, mais commence à se poser des questions sur la vie qu'elle mène. Son père lui a donné de fausses explications pour la rassurer. Il s'occupe d'elle en l'éduquant grâce à la bibliothèque fournie de la maison, se préoccupe de son alimentation saine, lui confie des tâches pour l'occuper, mais ne la laisse pas sans surveillance.

Plus bas dans la vallée, il y a un vieux type qui se fait appeler Scotland, qui a lu les journaux et connaît la vraie histoire de Cooper, et essaye de gagner son amitié. Il a en tout cas les faveurs de Flint, qui voit en lui un gentil grand père. C'est vrai que Scotland a toujours un petit cadeau pour elle, mais Cooper n'a aucune confiance en cet homme qui semble les surveiller.

Et cette année là, Jake, l'ami inconditionnel ne vient pas faire le ravitaillement alors que l'hiver approche et que l'hiver au nord des Appalaches peut-être très difficile. Alors Cooper prend le risque de se rendre dans un supermarché assez éloigné de sa cabane, et rempli à ras-bords son pick-up de nourritures, vêtements pour sa fille, livres, cahiers, jeux en tremblant à l'idée d'être reconnu. Ensuite il y a la saison de la chasse, car il faut des protéines et la maison n'a ni eau courante ni électricité.

Mais un jour, alors qu'ils sont sur leur territoire de chasse, père et fille surprennent une jeune femme photographe. Et ce que redoute tant Cooper, tout en sachant que cela devait arriver un jour est en train d'arriver, dans une tension subtilement entretenue par l'auteure donc c'est le 3ème roman.

Ici la part belle est faite à la nature mais surtout à la relation unique d'un père et de sa fille, l'amour infini qu'il lui porte, même si il sait qu'il ne la scolarise pas, qu'il la prive de beaucoup de choses qu'une enfant de son âge devrait avoir. Cooper n'est pas dupe, il sait très bien qu'il ne fait pas vivre à sa fille une existence normale, parce qu'il n'a plus qu'elle, peu doué pour se faire des relations, qu'on ne lui en confiera jamais officiellement la garde. Même si il s'est promis de lui dire la vérité quand elle aura 18 ans, même si elle se remet en cause son autorité, il arrive encore à la canaliser, la calmer, mais le temps est compté. Entre suspense et émotion, avec une part belle de « nature writing » qui a ici une importance fondamentale, ce troisième roman aborde d'autres thèmes que les 2 précédents.


Extraits :

  • Pour quelqu'un qui, depuis près de dix ans, n'a pas mis les pieds dans un autre bâtiment qu'une petite cabane nichée au milieu de cinquante hectares de forêt, un supermarché est un lieu surprenant et déroutant. Les lumières, enfilades interminables de néons, brillent d'un éclat accablant. Les rangées et rangées de gigantesques téléviseurs qui diffusent tous à fond les mêmes scènes, à des degrés divers de résolution... (…) Vertigineux et troublant. Des panneaux bleu et jaune sont suspendus partout : Prix bas ! Énormes remises sur le rayon électronique ! Ça n'aide pas que les fêtes approchent à grands pas, il y a évidemment des sapins, des décorations, un renne en plastique et un immense Père Noël gonflable qui s'agite d'avant en arrière. La profusion absolue : trop, beaucoup trop de tout. L'absence totale de modération, de retenue. 

  • J’ai toujours été convaincu que si une chose était écrite, et qu’elle n’advenait pas la première fois, alors on avait une seconde chance. Mais je n’ai jamais eu l’audace de croire à la possibilité d’une troisième ou même d’une quatrième chance. D’imaginer que le monde pourrait vous offrir un peu de bonheur après vous avoir, toute votre vie, accablé de peines, comme s’il avait changé de position sur celui que vous êtes et sur ce que vous méritez. Appelez ça comme vous voulez : chance, karma ou, peut-être davantage, grâce.

  • Je lui prends la main pour la serrer, puis je me cale contre le tronc, tout près d'elle, et je crois bien que n'importe qui dans ce monde serait bien en peine de faire l'expérience d'un moment plus idyllique que celui-ci. Le soleil de décembre, chaud et encore haut dans le ciel mais qui commence à décroître, sa lumière qui se diffuse entre les jeunes arbres. La brise. L'air chargé de pin, de terre et de cerf de Virginie aussi : la promesse contenue dans cette odeur, un espoir pour l'avenir.

  • Cette maison composée de deux pièces contient quatre couvertures, une vieille table et une bibliothèque. Elle est équipée d'une bouilloire, une cocotte et une poêle en fonte. D'un évier avec une petite fenêtre qui donne sur la longue route de gravier menant ici. De deux étagères au-dessus de la cuisinière à bois. Dans ce petit monde isolé, rien qu'à nous, il règne une telle simplicité qu'il est difficile d'expliquer la complexité de la vie.

  • Je lui dirai un jour. Toute la vérité. Ce que le monde au-delà de cette cinquantaine d'hectares de bois nous a fait. Ce qu'il nous ferait encore.

  • Ce qui me console malgré tout, ce qui m’empêche de m’empêtrer dans un sentiment de culpabilité, c’est que la vie que je lui offre, si elle n’a rien de conventionnel, est fondamentalement une bonne vie. Une vie saine. En ce qui concerne ses besoins essentiels, elle ne manque de rien. Elle est prise en charge. Aimée.

  • On vous dit : c’est la guerre, c’est différent. Mais ça ne l’est pas, en réalité. On vous dit ça pour que vous puissiez tenter de vivre avec vous-même. L’ennui, c’est que vous savez ce que vous avez fait, ce que vous avez pris et ce que vous avez perdu, et ça devient votre existence, une part de vous, que ça vous plaise ou non. Et vous ne pouvez jamais complètement vous en dissocier.

  • J’étais prêt à n’importe quoi. Je n’avais aucune limite parce que j’avais déjà franchi toutes celles qu’on peut imaginer. Le truc, c’est qu’une fois qu’on est passé de l’autre côté, une fois qu’on a fait presque tout ce qu’on s’était juré de ne jamais faire, on perd aussi une forme de confiance, l’assurance qu’on ne recommencera pas.

  • Dans l’immédiat, la tristesse prend toute la place. Tu as peut-être l’impression qu’elle pèse si lourd à l’intérieur de toi qu’elle va t’entraîner sous terre et que tu ne te sentiras plus jamais légère. Mais tu retrouveras de l’insouciance le moment venu, je te le promets.

  • C'est ce qui est bien avec les livres. On peut faire l'expérience de différentes existences et de différents endroits à travers eux.

  • le ciel est une explosion de roses et d'oranges, les silhouettes des arbres prennent appui sur la lumière.

  • Mais quelque part ce qui me trouble autant que le reste c'est le changement dans le regard que Finch porte sur moi. Je n'y lis plus émerveillement et admiration. Ce truc magique dans les yeux des gosses qui, même s'ils ne vous le disent pas, pensent, vous le savez, que vous êtes la personne la plus intelligente, la plus forte et la plus intéressante à la surface de la planète. Qui vous font confiance. Pour qui votre existence est une garantie de sens et de sécurité.



Biographie

Kimi Cunningham Grant est une romancière. Elle est également poétesse, ses textes ont été publiés dans plusieurs revues et elle a reçu deux fois le prix commémoratif Dorothy Sargent Rosenberg pour sa poésie.
Elle est l'auteure de trois livres. "Silver Like Dust" (2012) est un mémoire relatant ses grands-parents japonais-américains et leur internement pendant la Seconde Guerre mondiale. Son deuxième livre, "Fallen Mountains" (2019), est un roman à suspense qui se déroule dans une petite ville de Pennsylvanie, où la fracturation hydraulique vient de commencer. "Le silence des repentis" ("These Silent Woods"), son troisième livre, paraît en 2021.
Ses poèmes et essais ont été publiés dans Literary Mama, RATTLE, Poet Lore et Whitefish Review. Diplômée d'Anglais de l'Université Messie (2002) et de l'Université Bucknell, elle vit, écrit et enseigne en Pennsylvanie.

en savoir plus :

lundi 10 juillet 2023

TESS SHARPE – Mon territoire – Editons Sonatine - 2019

 

L'Histoire

Harley McKenna n'est pas la fille de n'importe qui. Elle est celle de Duke, un homme redoutable qui vit du trafic de la drogue (la meth) qu'il fabrique dans ses propres labos. Tout le conté est à sa botte, sauf la famille rivale les Spingfield qui ont tué sa mère sous ses yeux alors qu'elle n'avait que 8 ans. Maintenant adulte, elle doit gérer les affaires de son père. Mais à sa manière.



Mon avis

Une jeune héroïne de plus au catalogue des éditions américaines et pas n'importe laquelle. On ne rigole pas avec Harley, éduquée par son père à la dure. A 8 ans elle perd sa mère, une femme engagée dans la lutte féministe en créant un centre d'accueil « Les Ruby » qui vient en aide aux femmes maltraitées par les conjoints. Elle hérite donc des « rubinettes » qu'elle doit protéger avec sa fidèle comparse Mo, la gâchette facile.

A 11 ans elle sait tirer, démonter et remonter un fusil, et c'est la meilleure tireuse de la région, ce conté du Californie du Nord où son père, baron de la drogue, emploie pas mal de monde. Pour ses activités maffieuses notamment la production et le trafic de meth, une drogue puissance, mais aussi directeur de motels, cafés, et banquier qui prête à taux zéro, la région est pauvre et les banques ne font pas de crédit. Duke règne sur un empire qu'il est en train de léguer à sa fille, son héritière, sa chair, la prunelle de ses yeux. Duke ne connaît pas la pitié et a la gâchette facile, et une équipe d'hommes fiables pour faire disparaître des corps encombrants. Mais il a aussi un rival, Carl Springfield et ses fils, le frère de l'homme qui a tué sa femme. Si une paix est conclue depuis un moment, Harley sait qu'elle est la cible de cette famille de brutes épaisses.

Partagée entre deux identités, celle de sa mère, pacifique et trop vite disparue et celle de son père intransigeant quand il s'agit de business, elle va régler les choses à sa manière. Le père est mourant mais elle fait croire à tous qu'il est en virée au Mexique. Et elle met en place son plan très intelligent, sans un meurtre, mais qui va envoyer derrière les barreaux les traites et les méchants.

Entourée de l'amour parfois étouffant de Will, le fils de la meilleure amie de sa mère qui est métis, de Cooper et Wayne, fidèles lieutenants, de Mo, une indienne qui sait se servir d'un fusil, de ses deux meilleures amies, des gamines qui ont connu des violences, Harley même si elle prend des coups se relève toujours. Avec un but : débarrasser le conté de toute drogue, et surveiller aussi un groupe de suprématistes blancs qui a bien envie d'en découdre avec les amérindiens ou autres latinos, noirs, métis.

Le roman est structuré par chapitres sur son enfance et sur la situation actuelle façon western, met en relief les relations père-fille (ici faites d'amour et de haine) et surtout ce que l'on fait de son héritage. Harley choisit le bien, après avoir aussi fait le mal, non pas comme rédemption mais comme seul moyen d'assurer sa survie. Dans une nature semi-montagneuse, parfois inquiétante, Harley en connaît tous les recoins, tous les arbres où se réfugier, toutes les maisons abandonnées. C'est cela son territoire, une nature difficile, des gens peu instruits, des types qui tabassent leurs femmes ou leurs propres enfants, parce que c'est comme cela, ou qui les droguent tellement certains de leur puissance et leurs bons droits. Avec Harley et une poignée de filles, le territoire va changer. Un roman qui mêle l'action endiablée et un féminisme qui est de mise dans ce conté où les autorités sont défaillantes.

Très page turner, ce roman se lit tout seul, et mélange les émotions d'Harley qui finalement se demande qui elle est mais surtout quelle femme elle veut devenir.


Extraits :

  • J’ai huit ans la première fois que je vois papa tuer un homme. Je ne suis pas censée voir ça. Mais ces dernières semaines, depuis que maman est morte, chaque fois que tonton Jake s’absente, je suis complètement livrée à moi-même. Je passe beaucoup de temps dans les bois ; je me perche dans les abris de chasse au cerf pour jouer ou je grimpe aux arbres pour voir jusqu’à quelle hauteur je peux arriver sans l’aide de personne. Parfois je pleure, parce que maman me manque. Parfois je ne peux pas m’en empêcher. Mais je m’efforce de ne pas le faire en présence de papa.
    J’aime les bois. Ils sont à la fois très bruyant et très silencieux, la bande-son et la berceuse de ma vie, d’aussi loin que je me souvienne. Lorsque j’escalade les grands chênes, me hissant de toutes mes forces, lorsque je me cramponne, saute et me balance le long des branches et de l’écorce tel un écureuil, je suis forcée de faire attention, sans quoi je risquerais de glisser et de tomber. Quand je grimpe, je n’ai pas à penser à l’absence de maman. Ni à papa, qui ne sait plus que tempêter dans un nuage de whisky, nettoyant ses fusils en marmonnant des imprécations contre les Springfield en réclamant du sang.

  • note de l'auteure en fin de roman : « Les personnages néonazis représentés dans ce livre correspondent aux stéréotypes que l'on associe généralement aux suprémacistes blancs dans notre société : un homme sans éducation, pauvre, délinquant, dans un milieu rural. (...)il serait irresponsable de ne pas souligner que ce type d'individus ne représente qu'une facette de la peste suprématiste blanche profondément ouvertement et insidieusement enracinée dans notre pays et notre société. Il n'y a pas que les hommes blancs ruraux qui portent des tatouages de swastikas, qui adoptent ces croyances haineuses et les appliquent. Il peut s'agir d'un collègue. D'un voisin. D'un membre de votre famille.Du politicien pour lequel vous avez voté. Du fils des voisins, ce jeune garçon bien habillé qui tond votre pelouse. Cette haine ne se limite pas au Sud, ni aux régions rurales minées par la pauvreté de ce pays. Elle est partout, un poison cousu dans la matière même de ce pays ; sa fondation, son passé et son présent. Et il faut la combattre, la dénoncer et l'éradiquer partout, en particulier lorsque vous bénéficiez de la puissance conférée par le privilège blanc, comme moi. »

  • Elle vient de l'une de ces familles archi-fondamentalistes où les femmes ne sont guère plus que des pondeuses. Ils les éduquent à la maison, les marient jeunes, et s'arrangent pour qu'elles soient continuellement enceintes. […] Si un homme viole une fille, tout ce qu'il a à faire, c'est se repentir, et tout est arrangé aux yeux de l'idée qu'ils se font de Dieu… Les femmes représentent des tentations si terribles, après tout. Ils glissent l'affaire sous le tapis, rejettent la faute sur la femme, et puis ça recommence encore et encore et encore.

  • J'allume la lumière, une ampoule nue pendue au plafond, qui dispense une faible lueur dans la pièce. Chaque centimètre du mur est occupé par des rangées d'armes à feu dans des vitrines en acier protégées par des cadenas. Fusil de chasse, fusils de sniper, fusils d'assaut, armes de poing, mitrailleuses, pistolets, revolvers.
    Je connais chaque modèle, chaque marque. Je peux tous les démonter et les remonter avec un bandeau sur les yeux. Cet endroit était ma salle de classe, quand j'étais petite.

  • Je deviendrai un murmure inquiet dans la nuit. Une rumeur que seuls les courageux viennent chercher. Une silhouette floue, dans les bois, qui protège les siens, qui garde la terre.

  • Je ne lui inspirerai jamais ce genre de crainte, parce que je suis une femme. C'est une bénédiction et une malédiction. Mais c'est la raison principale pour laquelle je crois que mon plan va fonctionner. Ils me sous-estiment tous.

  • Seize ans, dans notre famille, c'est aussi important que dix-huit chez les gens qui respectent la loi. Ça veut dire que c'est fini, l'école. Ça veut dire que je suis adulte.Ça veut dire que le temps est venu pour moi de commencer à travailler pour papa.

  • La différence entre nous ? Ce qui a pesé sur lui pendant toute son enfance, c'est une rancune. Ce qui a pesé sur moi, c'est une mission.

  • Ça ne lui plaît pas que Will travaille dans les plantations. Elle pense que c'est trop dangereux, et elle a raison. L'herbe, c'est un truc d'hommes blancs, parce qu'ils ne se font pas choper aussi facilement. Alors que les flics n'ont pas besoin de prétexte pour aller chercher des crosses à un Indien - ils y vont, point.

  • Mo connaît chaque histoire, chaque détail, chaque ecchymose et chaque os brisé sur le corps de chaque femme qui a un jour habité là. Parfois, je crois que je comprends, mais là, il se passe quelque chose, comme aujourd'hui, et je réalise que je n'ai fait qu'effleurer la surface. Du mal dans ce monde. Du bien. De la force de chaque femme. Mon père m'a peut-être appris qui je dois être pour commander. Mais Mo est la femme qui m'apprend qui je dois être pour guider.

  • Quand mes doigts se sont refermés dessus, quand je l’ai levé et que j’ai visé la cible, tout le reste s’est effacé, si bien qu’il n’y avait plus que moi, l’arme, et le cercle rouge au loin, et c’était comme si je trouvais le premier vrai morceau de moi-même.

  • Je pense à maman, à ce dont je me souviens d’elle. Des éclairs de robes colorées et de santiags, des bijoux volumineux argent et turquoise, le discret parfum de lys qui flottait autour d’elle. Son amour de la forêt et les petits trésors qu’elle récoltait ici : une brindille tordue ressemblant à un point d’interrogation, une mousse en forme de cœur sur une pierre. Son sourire, sa manière de me prendre dans ses bras et de me soulever de terre. Avant je me demandais ce qui se serait passé si elle avait survécu. Mais plus je vieillis, plus c’est difficile. Ma vie est ce qu’elle est. Mon destin est écrit depuis le jour de sa mort. Et il est temps de le reprendre en main.

  • Nous restons assis là, côte à côte, sans être du même bord, et je me demande combien de temps il pourra tolérer ça. Combien de temps avant qu'il décide de me donner une nouvelle leçon. Combien de temps avant qu'il se rende compte que j'ai appris tout ce dont j'ai besoin. Combien de temps avant qu'il comprenne que l'élève a dépassé le maître.

  • Tu veux vraiment savoir comment j'ai fait ? Comment j'ai réussi à prendre le dessus sur ces hommes que personne n'avait jamais réussi à atteindre ? Comment je l'ai fait sans en tuer un seul, et sans les laisser porter la main sur moi ? " Elle fait oui de la tête. - "J'ai utilisé ma cervelle. J'ai attendu. J'ai écouté. Et j'ai appris. J'ai appris la leçon la plus importante : même l'homme qui t'aime, qui a consacré sa vie à t'élever pour faire de toi une femme puissante, cet homme te sous-estimera comme c'est pas permis, rien que parce que tu es une femme. Et l'homme qui te hait ? Qui a peur de toi au plus profond de lui, même s'il refusera toujours de l'admettre ? Cet homme fer encore plus d'efforts pour te rabaisser. Je n'aurais jamais pu remporter une guerre ouverte. Alors, je les ai fait marcher. Tous, jusqu'au dernier. "

  • Il y aura des nuits où je ne rentrerai pas à la maison à l’heure prévue. Des nuits où Will se demandera si je reviendrai vivante. Des nuits ou je pourrais pas tout lui raconter, où il m’aidera à nettoyer le sang.


Biographie

Tess Sharpe est une écrivaine, romancière et nouvelliste née en Californie.
Fille de deux rockeurs punk, elle est née dans une cabane au fond des bois et a grandi dans une campagne reculée de Californie. Après un stage au Festival Shakespeare de l'Oregon, elle suit des études de théâtre puis se reconvertit en cuisinière professionnelle.
Après un premier roman Young Adult, "Si loin de toi" ("Far From You", 2014), elle a participé à "Toil & Trouble : 15 Tales of Women & Witchcraft" (2018), une anthologie de récits féministes. En 2018, elle s’est lancée dans un préquel de Jurassic World, qui s’intitule "The Evolution of Claire" avant de publier son premier roman adulte, "Mon territoire" ("Barbed Wire Heart"), qui a reçu le Grand prix des lectrices de Elle, catégorie policier, en 2020.

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dimanche 9 juillet 2023

FAZIA GUENE – La discrétion – Points pocket – 2021

 

L'Histoire

 La vie de Yamina, femme pauvre née en Algérie en 1949, qui avec sa famille devra s'exiler au Maroc pendant la guerre d’Algérie. Mariée sur le tard, elle part vivre en France avec son mari, ouvrier, et élève ses quatre enfants dans la tolérance et la bonté.


Mon avis

Un très beau portrait d'une femme discrète. Yamina a deux vies. La première en Algérie, minée par la guerre. Âgée de 8 ans, elle doit quitter son village pour se réfugier au Maroc et éviter la guerre. Puis elle revient dans son village, miné par la pauvreté, la famine. Aînée de 7 enfants, elle n'ira pas à l'école, son grand regret, car elle doit aider sa mère à la maison, s'occuper des petits derniers, garder les chèvres et de son temps libre, elle coud non seulement pour la famille mais aussi pour des autres personnes. A trente ans, son père décidé de la marier à un homme plus vieux qu'elle de 10 ans. Un homme qui veut aller vivre en France où il est sur d'obtenir un poste d'ouvrier. Yamina arrive donc dans un pays étranger, vit d'abord dans un appartement humide et toujours sale, puis dans un HLM à Aubervilliers, où elle peut élever ses 4 enfants, trois filles et un garçon. Dans la tolérance. Yamina « ignore » le racisme qui se développe, elle est bonté et amabilité, auprès d'un mari qui la respecte et l'aime de tout son cœur et qui ont élevé leurs enfants dans la dignité. C'est difficile pour ses enfants de trouver un bon emploi. Malika travaille dans l'administration, Imane a son studio à Paris où elle est vendeuse et Hannah, la rebelle, cumule des petits boulots. Omar, le petit dernier est chauffeur Uber et a bien du mal à séduire des jeunes filles, sauf quand il rencontre Nadia, déterminée et joyeuse.

Le récit mêle le passé de Yamina en Algérie, les difficultés de vivre dans la pauvreté puis un peu moins lors que des petits bouts de terre sont attribués aux habitants des villages. Mais Yamina ne sait pas lire et écrire. En tant que fille aînée, elle devient une mère de substitution en élevant ses autres frères et sœurs et en s'occupant de la maison.

Finalement à 30 ans, elle est mariée à un homme qui va partir pour la France, là où il est sur de trouver un emploi. Yamina le rejoint, pleine de tristesse de quitter ce qui est familier, mais son mari est un homme bon, qui lui offre toujours des roses à la Saint-Valentin ou tout ce qu'elle désire. Yamina a 70 ans, et elle aime avoir ses enfants autour d'elle. Elle ne se plaint jamais Yamina, elle laisse filer le racisme dont elle est victime car cela n'a pas d'importance selon ses valeurs. Ses filles par contre ont un sacré caractère. Elles la sentent et la subissent la discrimination, et refusent de ses marier, pour ne pas perdre leur fragile indépendance. Omar, le petit dernier, est poli, timide. Il rêve d'un amour sincère avec une femme, ce qu'il finira par trouver.

La discrétion nous offre un très beau portrait de 2 générations de femmes. Car si se taire pour Yamina est aussi une façon de se révolter, elle tire sa fierté du magnifique jardin ouvrier qu'on lui a alloué, le plus beau de tous, de sa droiture en tout. Elle pratique sa religion de façon discrète, elle n'a rien à voir avec les extrémistes, a élevé ses enfants dans le respect mais ne leur impose pas de religion, elles choisiront leurs vies et leurs destins, sachant qu'il y a toujours une assiette de bonne nourriture qui les attend à la maison, du réconfort et aussi des rires.

Car si il y a bien une chose que se refuse l'autrice, c'est de tomber dans le pathos. On rit devant les réflexions des filles, on est empli de la poésie douce et Yamina, sa bonté nous donne envie d'être meilleur, même dans l'adversité, et de surtout tolérer chacun comme il est et ce qu'il est, du moment qu'il porte aussi en lui quelque chose de bon et doux.

Un ouvrage que je conseille à tous ceux qui auraient encore des clichés sur les personnes venues du Maghreb, et qui vous éclairera sur la vie et les choix de vie à mener.


Extraits :

  • Il leur sera demandé très officiellement de descendre dans la rue, mais dans un cortège à part, celui des musulmans d'apparence, pour dire : "Ne vous inquiétez pas, nous ne sommes pas comme eux".
    Il n'y a pas de Mode d'emploi à l'usage des musulmans pacifiques, pas de Manuel de désolidarisation en cas d'attentat terroriste sur le site de la FNAC.
    Pour les Taleb, et les autres, il n'y a pas de règlement. Si être simplement affecté en tant qu'être humain et que citoyen ne suffit pas à convaincre, que doivent-ils faire ?
    S'assimiler ? Revendiquer davantage leur identité française ? Chanter plus fort la Marseillaise ? Changer de prénom ? Adhérer à un parti d'extrême-droite pour gagner une légitimité indiscutable ? Quand bien même, seraient-ils au-dessus de tout soupçon ? N'est-ce pas là une démarche encore plus suspecte ?

  • C'est toujours Hannah qui tranche : "C'est une question de bon sens, quand on est légitimement français, on n'a pas besoin de le prouver, encore et encore !
    Et s'ils savent qu'il faut montrer patte blanche, c'est qu'on leur demande. Cette injonction stupide leur est faite immédiatement, en pleine émotion : "Désolidarisez-vous !". Des hommes politiques, des philosophes, des journalistes demandent aux musulmans de sortir du rang.Les Taleb, comme tant d'autres, ne partagent pas les croyances des terroristes. Eux, ça leur paraît évident. Ils n'ont rien en commun avec ces monstres, si ce n'est leur nom "à consonance", et leurs gueules de métèques, qui, elles, contrairement à leur histoire, ne s'effacent pas. Un peuple uni ne se divise pas pour pleurer ses morts. C'est même à ça qu'on devrait le reconnaître

  • Il peut enfin aimer une femme, se montrer lui-même et se laisser aimer en retour. Ce n’est pas une histoire de timing, ni d’expérience, ni de chance, c’est juste qu’il fallait attendre de la trouver elle.

  • L’idée de vieillir n’effraie pas Yamina. Depuis quelques années, elle ressent même une certaine quiétude. On dirait qu’elle n’est pas embarrassée par les petits tracas de l’âge. De toute façon, Yamina ne se plaint jamais. C’est comme si cette option lui avait été retirée à la naissance.

  • Yamina croit apaiser sa fille en lui répondant : C’est comme ça benti, on doit accepter, on est comme leurs invités, on est chez eux. Ça fout Hannah à bout, ce genre de discours : Non, on n’est pas chez eux maman ! On n’est pas des « invités » ! T’as reçu un carton d’invitation, toi ? Moi non ! Ça suffit, ça fait trente-cinq ans que j’entends ça ! Nous, on est chez nous ! On est nés ici ! Et si on est arrivés là, c’est pas par pure coïncidence ! 

  • Cela fait exactement cinquante-sept ans que Yamina a été obligée d'arrêter l'école pour aider ses parents à la ferme et élever ses frères et sœurs. Sur ses six frères cinq sont devenus professeurs, et un assureur. Quant à Yamina, à soixante-dix ans, elle se rêve encore avec un cartable sur le dos.

  • Hannah déteste par dessus tout les gens qui se détestent. Les garçons arabes dans ce genre là, elle les reconnait tout de suite, et elle a parfois envie de leur dire: "Vous êtes cons, vous nous faites perdre notre temps. Vous êtes le pire obstacle à nos luttes."

  • C'est normal, cette violence fait partie de votre histoire, vous portez en vous la violence et les humiliations vécues avant vous, d'une certaine façon, vous en héritez. C'est normal que vous soyez en colère, cette colère qui a été longtemps réprimée, tout ça, c'est très injuste, et l'injustice, de fait, ça met profondément en colère.
    Mais vous ne pouvez pas porter seule tout ce poids. Vous ne pouvez pas réparer seule l'offense.

  • Yamina dit calmement à ses gosses auxquels on essaie d'enlever toute légitimité : "Je ne sais pas pourquoi vous vous énervez comme ça. Moi, je m'en fiche, même s'ils veulent m'arracher mon foulard, ils n'arriveront jamais à arracher mon cœur, et dommage pour eux, ma foi est dedans!".

  • Il faut dire que c'est sacrément beau, la France, c'est quand même bouleversant de traverser ses villes et ses villages, ses grandes et ses petites places, c'est émouvant de comprendre son histoire et de se dire qu'on en fait partie aussi, d'une manière ou d'une autre, qu'ils le veuillent ou non, cette histoire, on en est le fruit, il faudra bien se l'avouer un jour, et ce sert plus clair pour tout le monde.

  • Les sentiments, c'est grand, ça demande de l'espace pour s'exprimer, et le problème, avec la guerre et la misère, c'est qu'elles prennent toute la place.

  • Imane en vient à une triste conclusion. Elle se croit trop particulière pour trouver quelqu'un qui lui correspond. Elle finira avec une douzaine de chats aux noms ridicules qui l'aideront à surmonter sa solitude et laisseront des poils sur ses cols roulés noirs. Trop indépendante pour certains. Pas assez pour les autres.
    Elle soutient la liberté d'expression mais n'est pas Charlie pour autant. Elle est musulmane et féministe. Elle est française et algérienne. Elle n'a ni les cheveux lisses ni bouclés. Elle est vegan quand ce n'est pas halal. Elle est moderne et réactionnaire. Elle est tout et son contraire. Imane vit dans un monde qui n'est pas prêt à accueillir sa complexité.

  • Déballer son intimité, se raconter et mettre à poil son histoire est un aveu de lâcheté à ses yeux, la preuve qu'elle est incapable de faire face, alors que son pauvre baluchon d'ennuis ne représente pas un dixième du fardeau de sa mère, qui, elle, a gardé le silence, ne s'est jamais plainte. A surmonté une vie d'épreuves avec courage.

  • Elle donnerait tout pour avoir la chance d’aller à l’école à nouveau. Yamina donnerait tout pour s’asseoir dans une classe un jour de plus, pour entendre la craie crisser sur le tableau noir, pour réciter de la poésie, c’est ce qu’elle préférait, elle donnerait tout pour écrire encore à la plume et s’étourdir en reniflant l’encrier. 

  • Brahim a encouragé ses enfants, n’a jamais levé la main sur eux, les a poussés à étudier. La seule chose qu’ils peuvent lui reprocher est d’avoir été pauvre, et épuisé par le travail. 


Biographie

Née en 1985 à Bobigny, Fazia Guène est une autrice et scénariste française. Elle a publié 5 romans dont le dernier est la discrétion. Française d'origine algérienne, elle est la cadette d'une famille de trois enfants. Elle a grandi et vit dans la cité des Courtillières à Pantin.
Au collège, elle participe aux ateliers de lecture et doit réaliser pour le journal de l'établissement un reportage sur l'association " Les engraineurs " qui propose aux jeunes du quartier un atelier d'écriture cinématographique. Faïza Guène n'a jamais quitté l'association depuis ce reportage. Grâce à l'association, elle réalise en 2002, son premier court-métrage, RTT qui raconte l'histoire de Zohra, mère célibataire joué par Mme Guène. Le film remporte trois prix dans les festivals. Cinq courts-métrages suivront et un documentaire sur le 17 octobre 1961.
Son premier roman, "Kiffe kiffe demain", a été l'une des meilleures ventes de l'année 2004. Elle publie en 2006 "Du rêve pour les oufs", puis, en 2008, "Les gens du Balto", aux éditions Hachette Littératures. En 2014, "Un homme, ça ne pleure pas" chez Fayard est lauréat du Prix littéraire des lycéens et apprentis de Bourgogne en 2015.
Faïza Guène est réalisatrice de plusieurs courts-métrages. Parmi ceux-ci, on notera : "La Zonzonnière" en 1999, "RTT et Rumeurs" en 2002 et "Rien que des mots" en 2004.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Fa%C3%AFza_Gu%C3%A8ne