L'histoire
Ghjulia Boccanera, détective privée, accompagne son ancien compagnon, le commissaire Jo Santucci pour les obsèques de la nièce de celui-ci, Letizia, assassinée dans des conditions atroces. Si il doit repartir pour Nice, Jo demande à « Diou » le surnom de Ghjulia de mener l'enquête de son coté, en Corse, dans le haut maquis des montagnes de l'Alta Rocca. Dans un village où les gens sont taiseux, parfois désagréables, mais rien ne pourra arrêter l'obstinée détective, ayant toujours l'intuition et malgré la 50ne son look indéfectible de rockeuse.
Mon avis
Des polars j'en lis énormément, des polars purs et durs, ou seule compte l'enquête. Mais là j'ai été agréablement surprise par le travail de Michèle Pedineilli. Pas un mot de trop, la magnifique nature corse, loin de la carte postale, une écriture soignée mais qui ne mâche pas non plus ses mots et ses idées.
Déjà, présentons notre héroïne « Diou », Ghjulia Boccanera. Cette cinquantenaire, qui porte toujours des docks-marteens aux pieds et un blouson de cuir, est détective de métier et parfois encore un peu « adulescente ». Corse d'origine, elle a quitté sa vallée pour Nice, où elle s'épanouit dans son travail. Ce retour en Corse, sa terre natale va la confronter à une enquête difficile. Ou plutôt deux enquêtes qui sont liées.
A la demande de Jo, son ancien compagnon, qui doit repartir à Nice, elle doit trouver des pistes pour comprendre comment Letizia, présentatrice du JT de F3 Corse et journaliste d'investigation a été retrouvée brûlée post-mortem dans sa voiture. Dans quoi s'était-elle fourrée ? De plus cette méthode ne ressemble pas à la maffia corse qui exécute plutôt en plein jour un gêneur pour bien faire comprendre qui règne en maître. Mais dans ce hameau de quelques maisons, une petite église et un bar, il n'y a pas grand monde pour aider Diou et surtout pas la police locale qui est surtout gangrenée par des arrivistes. Grâce à l'aide d'un petit carnet trouvé en fouillant la maison de Letizia, et à l'amitié de quelques bonnes âmes, Diou va découvrir des drôles de pratiques agricoles. La très belle région de l'Alta Rocca, par endroit on a une vue magnifique sur les plages Propriano. Hors la loi Littoral interdit des constructions sur la côte. Mais il y a une solution facile : provoquer un petit incendie de forêt dans le maquis, 2 à 3000 ha, ce qui fera baisser sa vente, et pourra être racheté par un promoteur malgré une loi rendant le terrain inconstructible pendant 10 ans, il suffit de graisser quelques mains avides. Il y a aussi les oliviers millénaires qui disparaissent. Déjà un parasite mortel les menace, mais la nuit sur certains terrains agricoles où il y a des plantations d'oliviers, ceux-ci sont purement et simplement arrachés du sol, pour être revendus à des particuliers qui ont des belles villas. Et le prix d'un tel arbres se vend entre 10 et 15000 euros, ce qui n'est pas rien. C'est que Diou apprend d'un élagueur et militant écologiste Simon, confirmé par une autre militante. Hélas ils n'ont pas de preuves tangibles, entre la mauvaise volonté des autorités, parce que le tourisme cela rapporte et que des sociétés écrans apparaissent et disparaissent comme par magie. Hors Diou va se rendre compte que son ex-belle famille, avec lesquels les rapports sont tendus n'est pas étrangères à ces pratiques. Mais quand le mari de Letizia, déjà soupçonné par la police s'évapore tout d'un coup, l’enquête prend une autre tournure. Et là tout le mot vengeance au féminin corse prend son sens.
Féministe, libertaire, écologiste voilà un roman que j'ai adoré. Parce qu'on le lit d'une traite, parce que le mot est juste, que les expressions du patois corses sont explmiquées et donnent un petit charme au texte, qui sait jouer d'humour et de poésien parce qu'il nous fait rêver aussi d'habiter dans un simple pagliaghu (bergerie) ou de sentir les mures sauvages et les cistes du maquis. Et qu'on aimerait aussi rencontrer un sympathique vieillard, Barto qui connaît bien des histoires sur la région, entre 2 parties de belote, quelques verres de vin, et un charme malicieux.
Extraits :
Est-ce que je suis la seule à considérer la nuit solitaire comme une aventure ? Attendre la moment où tout bascule. Savoir qu'elle sera peuplée de tout ce qui est interdit ou impossible le jour. Savourer les rêves. Accepter les cauchemars. Se réveiller et parier sur l'heure avant de jeter un coup d'œil à la montre. Fouiller pour retrouver le bouquin qu'on a lâché quelques heures plus tôt. Se recaler sur la voie du livre. Replonger lumières allumées. Repartir sur d'autres chemins que les siens. Savoir que de ceux-là, on en revient. Mais ce n'est pas sans risques. À chaque fois que je pose ma tête lourde, ça déboule. Ça déborde, ça se retourne, ça se presse, ça fouaille. Ça se cogne aux parois, ça rebondit, ça insiste. Tout ce que tu repousses dans la journée, qui t'assaille au moment où tu baisses la garde. Ce moment tendre où tu crois que tu vas pouvoir plonger. Et ton bide qui s'y met aussi, à décider que la fin du monde est proche et qu'il lui faut se rétracter et se dilater une dernière fois. Pas de raison que ton second cerveau te foute la paix quand le premier se prend pour un cœur et bat la campagne. Tu vois pourquoi je préfère la ville. Allez, Boccanera, ferme les volets. De force.
Un moment suspendu avant que la réalité des autres ne te rattrape. Une parenthèse flottante, hors du temps et des conventions. Cet espace de légèreté, interdit par ailleurs. Car le monde n'est pas léger. Il fait la gueule en permanence. Le monde est lourd comme une putain de croix à porter juste pour pouvoir vivre dans une vallée de larmes. On a tous le droit de s'évaporer de temps en temps.
Elle est de celles qui pensent oui ou non, sans place pour le peut-être. Ces gens pétris de certitudes et de principes. Enfin "pétris", je ne pense pas qu'on ait pu jamais les modeler, ni même les caresser après tout.
Putain,Nice-Ajaccio, c’est quarante minutes de vol et c’est aussi cher que pour partir à New York ! Tu étais au courant que pour aller en avion en Corse, il faut avoir vendu un rein à l’avance ? - Oui, le second, c’est pour négocier le billet retour.
Le soleil avait plongé dans l’eau depuis un bon bout de temps et je me suis pris les étoiles en pleine face. Des milliards d’étoiles qui se tiraient la bourre pour savoir qui brillerait le mieux et le plus longtemps. Entre celles qui palpitaient doucement comme un cœur de vieillard, celles qui faisaient semblant de disparaître pendant quelques secondes et les plus matures, solides et imposantes dans leur lumière blanche.
Les oliviers, eux, ont la puissance e me transporter n'importe où sur les bords de la Méditerranée. A Oran, en Palestine ou en Crête, je me sentirais chez moi sous cet arbre. Installée sous sa ramure, rien ne t'empêche de voir la proue d'un bateau grec en toute pour Nikaia, une bergère de Bejaia qui ne bouge pas, le cœur fixe sur Majnoun et Leila. Ou Salvo Montalbano qui nage une dernière fois vers la plage de Vigata.
Le monde est lourd comme une putain de croix à porter juste pour pouvoir vivre dans une vallée de larmes.
Le serveur amène nos consomrmations avec un air enjoué « Et une glace pour la petite princesse ! » Je me demande à quel moment du siècle dernier les fillettes ont basculé sous le statut de princesses. Ça vient d’où ? C'est la faute à Mickey ? À la pub ? C’est si enviable que ça d'etre enfermée dans un donjon ou endormie sous une cloche de verre ? D'attendre un bellâtre en armure avant d’enchaîner les grossesses pour atteindre le bonheur officiel ?
Le doute, c’est bien, ça : ça permet de suspendre la pensée avant de la relancer, c’est un vrai moteur. Et dans ce monde, il y a quand même un nombre incalculable d’abrutis qui feraient bien de se suspendre tout court avant de l’ouvrir, au lieu de nous imposer leurs inepties.
La Corse l'hiver, c'est tellement particulier. D'abord il n'y a presque personne, enfin personne du continent. Et oui le maquis oublié qu'il est méditerranéen et offre un imaginaire d'Irlande : du vert, de la brume et de l'humidité.
On a tous le droit de s'évaporer de temps en temps. Pour rejoindre l'insouciance qui s'est barrée on ne sait où. Alors boire. Pour moi c'était boire. Et c'était facile. Aujourd'hui, en ces temps où prévention et tempérance sont la base de tout affichage public et de tout échange humain, braves sont les amoureux déclarés de l'excès.
Pierre Ferrali est mort lors d’une battue, dans ce qu’on appelle communément un « accident de chasse », c’est-à-dire qu’on l’a retrouvé le crâne explosé par une bonne giclée de chevrotine, son chien gémissant à ses côtés. Le problème de cet accident, c’est qu’on n’a jamais retrouvé le fusil qui a tiré, ni le type qui tenait le fusil. L’analyse des armes des quatre autres chasseurs n’avait rien donné.
Cette flamme, elle t’empêche de rester assis sur ton cul sous prétexte que tu aurais atteint la limite, que ton ticket n’est plus valable, que le monde peut se déliter devant toi… Avant de m’embaucher, il m’a posé sa question test, j’ai failli lui mettre ma main dans la gueule et on a conclu un marché. J’étais loin d’imaginer dans quoi je mettais les Docs à ce moment-là.
Tu sais que quelque chose ne va pas quand l’air possède une certaine vibration, une longueur d’onde inhabituelle. Parfois c’est un chuintement ténu quelque part, les mâchoires qui se crispent involontairement, le plexus qui semble vouloir s’enfoncer à l’intérieur de ta cage thoracique.
J'ai la chance d'avoir la tête collée contre le hublot. Parce que petit à petit se découpe la silhouette de la plus belle île du monde, cette montagne verte au milieu de la mer. Tu vois précisément les côtes se déchirer au contact de l'eau, comme une dentelle aux franges abruptes d'écume blanche, puis tu glisses le long du rivage occidental qui s'adoucit de ce sable qui se fond avec le turquoise. Difficile de résister.
Biographie
Née
à Nice en 1968, Michèle Pedinielli est journaliste de formation.
Après quinze années de ce métier elle est passée à la conception
éditoriale web. Consultante en communication digitale, elle a formé
des journalistes au web, tout en rédigeant quelques papiers, pour
divers journaux.
De retour dans ses Alpes Maritimes natives, elle
se destine à l’écriture faisant suite à la sélection de sa
première nouvelle, "Celle que l’on ne voit pas", par le
Festival Toulouse Polars du Sud. Elle obtient le troisième prix au
concours de nouvelles Thierry Jonquet 2015. Sur sa lancée elle
écrit le roman policier "Boccanera" qui est édité en
2018 aux éditions de l'Aube. Michèle Pedinielli a reçu le prix
Lion Noir 2019 pour son roman lors du festival du Livre Policier de
Neuilly-Plaisance. En mai 2019, elle a publié "Après les
chiens", une nouvelle enquête menée par Ghjulia Boccanera.
Rédactrice, elle collabore à retronews.fr, le site d'actualités
historiques de la BNF. Michèle Pedinielli vit à Nice. « la
patience immortelle est la 3ème enquête de Diou.
En savoir plus ici :






