samedi 17 décembre 2022

MATEO ASKARIPOUR – Buck et moi – Editions Buchet Chastel – 2022

 

L'histoire

Darren, 22 ans vit dans le ghetto noir de Brooklyn et est barista dans un Starbucks de Manhattan. Il se fait remarquer et embaucher dans une start-up prometteuse, qui vend du bien-être par web interposé à ces clients. Après une formation expresse et difficile, Darren renommé Buck par l'entreprise devient un vendeur d'excellence, gravit l'échelle sociale mais en oublie ses valeurs, sa mère qu'il ne voit pas mourir, ses potes et sa petite amie. Mais le succès est parfois éphémère et le monde merveilleux des affaires n'est pas celui que l'on croit.



Mon avis

Élu meilleur roman de l'année par le New-York Times, et best-seller aux USA, le phénomène Mateo Askaripour arrive tout juste en France.

Avec une forme originale et amusante. Déjà l'auteur nous « admet » dans son monde et nous donne des conseils (écrits en gras) parmi les chapitres, nous prenant pour son ami, son client, son fidèle. L'humour est aussi présent que la violence qui habite Darren.

Ce jeune homme, intelligent et sorti major de sa promotion se la coulait douce, entre son travail certes peu rémunérateur mais à l'ambiance sympathique, ses potes et sa petite amie de son quartier « Bed Stuy » à Brooklyn, quartier réputé pauvre mais où tout le monde se connaît, s'entraide et vit dans cette communauté noire et arabe. Mais tout bascule quand Darren est repéré par un manager d'une start-up en vogue et se fait embaucher pour un salaire de rêve. La formation est difficile, il est le seul noir (métis en fait et très bel homme) dans cet univers. Malgré la difficulté du métier de vendeur d'un produit qui promet aux salariés des grandes entreprises d'avoir un coatch personnel joignable par internet à tout moment, Warren se fait sa place et devient même un excellent vendeur. Sumwun devient sa raison de vivre. Il croit que le boss fondateur est son ami, et il se voit vivre une vie de rêve : beaux costumes, appartement de luxe donnant sur l'Hudson, alcool (alors qu'il ne buvait jamais). Le voilà qui se met à mépriser son quartier. Il ne se rend pas compte que sa mère qu'il adore pourtant est malade (et hélas va mourir), il se fâche avec le père de sa fiancée, et même avec celle-ci, se bat avec son meilleur ami et vire l'homme qui cohabitait dans le petit immeuble qui appartenait à sa mère.

Bref il se met son quartier à dos. Lui qui avait été élevé dans le culte des Marthin Luther King, dans une certaine défiance des blancs ne se rend même pas compte qu'il est le « black » de service, que ses nouveaux amis de Manhattan n'en sont pas vraiment. Il perd ses valeurs, son âme même tant il se croit devenu quelqu'un de bien. Et Darren est violent. Il se retient en permanence de casser la tronche tout d'abord au manager débile qui lui inculque les règles de base d'un bon vendeur, puis envoie à l'hôpital son ami d'enfance, qui n'a pas réussi, vivant de petits deals, sans chercher à le comprendre. Bref il se conduit comme le parfait petit arriviste.

Mais à trop vouloir le succès et l'argent on finit par se brûler les ailes et oublier ce que l'on est vraiment.

Satire implacable des entreprises actuelles, dépendantes des actionnaires, où le mot travail est un mode de vie, avec pour compenser les soirées trop arrosées, la coke pour tenir, ce roman de 407 pages est vif, bourré d'humour mais aussi de violence. Celle du héros qui finit par ne supporter aucune critique de la part de ses amis, de sa mère. Le gentil mec cool de Starbucks qui vivait tranquille, sans grandes ambitions mais heureux se transforme sous nos yeux en monstre d'égoïsme, de monsieur-je-sais-tout. Jusqu'à la faille.

Et puis il y a aussi en très sous-jacent, la place des gens de couleurs dans les grandes entreprises américaines. Même en 2022, accéder à un haut poste est difficile pour les minorités américaines (où d'ailleurs). Il y a aussi cette méfiance chevillée au corps dans le quartier dont vient Darren envers les blancs. Triste constat après les mouvements Black Lives Matter. Mais au final, peu importe la couleur de peau, les amis, les vrais le resteront toujours. Et parfois se contenter de ce que l'on a est bien suffisant.



Extraits :

  • Alors soyons clairs sur ce que nous ne ferons pas. Nous ne vendrons pas des plaques en carton de merde comme si c’était du mobilier. On n’est pas chez IKEA, ici ! On ne vendra pas de la merde en bâton, pleine de graisse et mauvaise pour le cœur qui tue des milliards de personnes chaque jour. On n’est pas chez McDonald’s, ici ! Et on vendra encore moins dix fois son prix de la toile de jute de mauvaise qualité, assemblée en sacs dans des ateliers de misère à l’autre bout de la planète. On n’est pas chez American Eagle, Hollister, Aéropostale ou une de ces putains de marques à la con qui font du monde un endroit horrible.
    On est chez Sumwun, ici. Et ce que fait Sumwun, c’est contribuer à une vie meilleure pour chacun d’entre nous.

  • De mon temps, quand un Blanc vous donnait une chance, il y avait un prix à payer. On pouvait devenir son chauffeur, mais il fallait être tout le temps disponible, qu’on ait prévu d’aller quelque part avec sa famille ou pas. On avait le droit de vote, mais on nous cassait les jambes si on ne votait pas pour un certain candidat. En tout cas, une chance restait une chance et si on la saisissait et qu’on jouait le jeu, on pouvait réussir. 

  • Pas étonnant qu’elle ne se soit pas fait étriller pendant le jeu de rôle. Elle avait des relations. Les relations, comme les bons du Trésor, sont attribuées à tout riche blanc dès qu’il sort du ventre de sa mère. Chaque fois que l’un d’entre eux est défoncé et fracasse la bagnole de papa maman, chaque fois qu’il se fait pincer en train d’acheter de la coke par un flic sous couverture, chaque fois qu’il fricote avec de mauvaises fréquentations en vacances, il passe un coup de fil, envoie un texto, ou sort son AMEX.

  • Et c’est là, en sortant de son bureau sous le regard de centaines de vendeurs riant de la déchéance de leur courageux chef, que j’ai compris que c’était la liberté qui m’avait motivé depuis le tout début. Pas l’argent, pas le pouvoir, pas le besoin de me prouver des choses, ni même de rendre Maman fière de moi, mais la liberté de respirer où je veux, quand je veux, comme je veux, et avec qui je veux dans ma belle peau noire.

  • L’avantage d’être avec quelqu’un depuis plus de la moitié de sa vie, c’est qu‘elle nous connaît mieux qu’on ne se connaît soi-même. L’inconvénient, c’est qu’elle nous connaît mieux qu’on ne se connaît soi-même.

  • C’est marrant à quel point les riches finissent toujours par devenir encore plus riches.

  • Croire que l’on peut s’empêcher de changer est la plus sûre façon d’échouer. Dans la vie comme dans les affaire, rien ne reste jamais pareil.

  • Les pauvres et Dieu vont en général main dans la main parce qu’il est plus facile d’expliquer pourquoi certains ont tant et d’autres si peu quand il y a un grand dessein.

  • Uber est une société prédatrice qui profite des immigrés, néglige les règles de sécurité pour ses clients, surtout les femmes, et incarne tout ce qui ne tourne pas rond dans un monde dirigé par des hommes blancs étroits d’esprit et guidés par la seule recherche du profit.

  • u viens de Greenwich, une des villes les plus riches d’Amérique. J’ai grandi à Bed-Stuy, frérot, où la plupart des gens se battent, luttent et s’arrachent pour payer leur loyer en hausse parce que des morveux dans ton genre qui bossent pour des fonds d’investissement veulent se payer des appartements plus grands à moitié prix. Alors ne viens pas me dire que tu me connais, parce que c’est pas vrai.

  • Lecteur : Contrairement à la croyance populaire, la "justice" n'a pas sa place dans la vente. Ce n'est pas une méritocratie. Chaque vendeur participe au jeu avec des qualités et des défauts, et c'est en apprenant à optimiser ce qui nous rend unique qu'on réussit.

  • Il est du devoir de chaque homme et femme qui a réussi dans la vie de transmettre sa réussite, parce que, après notre mort, ce qui compte le plus n'est pas ce que l'on a accompli, mais ceux que nous avons aidés.

  • Lecteur : On trouve souvent deux catégories de vendeurs : ceux qui adorent gagner et ceux qui détestent perdre. Avant de rejoindre Sumwun, je faisais partie de ces derniers. Une fois qu'on connaît. Le goût de la victoire, qu'on gagne vraiment quelque chose d'important. - comme sa place au sein d'une équipe de rêve - , on fait tout pour la préserver. Prenez garde à la victoire, c'est une des choses les plus dangereuses qui puissent vous arriver.


Bibliographie

Mateo Askaripour est né aux Etats-Unis, d'un père jamaicain et d'une mère iranniene. Après avoir été directeur d'une start-up à l'âge de 24 ans, il s'est tourné vers l'écriture et œuvre aujourd'hui à l'intégration des minorités dans le monde de l'entreprise. Son premier roman, "Buck & moi" a reçu les éloges de la critique, entrant dés sa sortie sur la liste des best-sellers du New York Times. 

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En savoir Plus :

Sur le roman

Sur l'intégration des minorités à des postes de responsabilité aux USA


Sur New- York


Play-list  (suggérée par l'auteur)

Nota : ceux qui détestent le rap, le hip-hop et le r'&b peuvent toujours écouter la musique de leur choix ou le silence qui est toujours la plus belle des musiques.

 

Galerie photo New-York

Park avenue où est le siège de Sumwun


Park Avenue

 
West village, quartier paisible chic Manhattan

West Village

Brooklyn Quartier BED STUY  où vit Warren

Station du métro de Bed Stuy

Vue sur l'Hudson quartier chic de Manhattan

Quartier Bed Stuy

Quartier Bed Stuy

Quartier Bed Stuy     

mardi 13 décembre 2022

DAVID PARK – Voyage en terre inconue – Editions de la Table Ronde – 2022

 

L'histoire

Cet hiver là, en Grande Bretagne la neige et le froid bloquent toutes activités humaines. Avions annulés, trains inexistants à 3 jours de Noël, Tom, photohraphe de métier, doit pourtant aller chercher son fils Luke à Sunderland (port et université dans le Nord-est de l'Angleterre, dans la région du Tyne and Wear).Malgré les conditions météo désastreuses, Le père va faire l'aller-retour en Belfast (Irlande du Nord où vit la famille) et le Nord-est gelé de l'Angleterre. Un voyage où il y a penser à son rapport avec ses enfants, sa famille, son métier.



Mon avis

Magnifique roman écrit avec sobrieté et poésie par David Park l’un des auteurs anglais les plus en vue.

Ce voyage au cœur d'un hiver glacial est aussi le parcours intérieur d'un homme, déchiré entre l'amour qu'il porte à sa famille, et son intériorité ou sa pudeur d'homme. Il pense avoir fait du mieux possible pour élever ses 3 enfants. La petite dernière Lilly 10 ans est une enfant aimante et enjouée. Luke le cadet, 20 ans est un garçon solitaire qui passe de passions en passions sans en avoir une, et qui fait une fac d'audio-visuel, sans que l'on sache ses véritables motivations. Lorna, la femme de Tom, mère poule, en léger froid avec son mari depuis la mort de Daniel, l'aîné. Tout ce passé avec ce fils difficile, fugueur et drogué remonte à la surface dans ce voyage solitaire, dans les immensités blanches de l'hiver. Le titre anglais « Travelling to a strange land » veut plutôt dire dans un monde étrange, peuplé de souvenirs aussi diffus que les flocons de neige.

L'écriture sobre, sans fioriture et poétique de l'auteur nous enchante et nous emmène avec lui dans ce voyage où l'amour familial est au centre et aussi celui de la rédemption. Faire la paix avec ce fils trop indéchiffrable et qui n'est plus, ressouder la famille, éluder les non-dits.

Quels sont nos rapports avec nos enfants ? Croyons-nous les connaître et bien faire ? Peut-on aussi se pardonner à soi-même ? David Park explore cette part de notre inconscient dans un texte d'une grand pureté, comme cette neige qui semble tout recouvrir de son manteau, à la fois ennemie et amie, apaisant les tourments intérieurs et nous révèle notre supplément d'âme. Un road-movie que l'on ne quitte plus, tant la magie opère.



Extraits :

  • Un défi à relever, mais ces pierres sont larges et planes, solides sous les pieds, et comme ce n’est pas assez difficile, vous vous lancez d’autres défis, d’abord traverser à cloche pied ; malgré les mises en garde de vos parents, vous êtes résolus à montrer votre courage et, même quand Lorna vous demande d’arrêter, Daniel déclare qu’il va le faire les yeux fermés, et j’ai beau lui dire que c’est idiot et qu’il va tomber, il s’exécute à pas parfaitement mesurés, et nous ne savons pas si nous devons nous fâcher ou applaudir.

  • Je pénètre un territoire gelé, bien que je ne puisse dire à quel pays il appartient. Parfois, je le vois comme d'un drone : en bas se déploie un relief enneigé de montagnes, de ravins et de lacs, de forêts qui s'élèvent soudain et effleurent mes yeux de leurs branchages blancs. D'autres fois, je suis enfoncé jusqu'aux genoux dans ses profondeurs, sans horizon visible, luttant pour poursuivre un voyage au but incertain, je ne sais ni d'où je viens, ni où je vais.

  • Je sais que je dois garder l'histoire de Daniel proche, ne laisser personne d'autre trouver un récit différent, imposer une lecture différente, parce que c'est moi qui dois lui donner un sens. J'essaie encore chaque jour, chaque jour de le faire, et peut-être qu'avec le temps, même si je ne peux pas l'imaginer facilement, cela pourrait devenir une histoire qui peut être partagée parce que je n'ai pas besoin d'un psy pour me raconter que le tenir si près sera corrosif et m'empêchera d'être pleinement ce que je dois être pour mes enfants. Ce sont des choses que je connais dans ma tête mais que je n'ai pas encore ressenties dans mon cœur, ou dans mon être, ou partout où vous avez besoin de les expérimenter. Je voyage dans un pays étranger.

  • So I suddenly understand that biology and genes don’t actually bestow a connection, that whatever finally exists is only through what has been made with these same hands that grip the wheel and not just by a name on a birth certificate.

  • La neige cache tout mais je ne sais pas si je peux continuer à couvrir ce qui pour le moment est caché et je ne suis pas toujours une personne forte à l'intérieur donc j'ai peur que comme un dégel soudain je le laisse sortir quand elle est ne s'y attend pas et quand ce n'est pas le bon moment pour le publier

  • Et élever un enfant, ce n'est pas comme conduire cette voiture où j'ai la voix pour me guider et, malgré la neige, les traces des autres voitures à suivre, des signaux pour me dire quand m'arrêter et quand partir, des avertissements sur d'éventuels dangers . Au lieu de cela, ce que vous avez est une sorte de blizzard d'idées contradictoires et déroutantes où, bien que vous pensiez connaître la meilleure direction à prendre, il devient vite évident que vous vous êtes égaré et que les repères familiers auxquels vous attachiez tant d'importance ont disparu dans un blanc-en dehors.

  • Il a les joues rondes et de petites pupilles sombres, la peau chiffonnée tel du papier mouillé, le visage comme emballé sous film plastique. Le plus incroyable, ce sont ses mains, de parfaites sculptures modelées dans l’argile encore humide, si bien que quand j’en touche une, j’ai peur qu’elle fonde et se déforme, mais alors ses doigts se referment sur le mien, et je n’ai jamais rien ressenti de comparable ni avant ni depuis.

  • Oui, les journaux avaient raison : la neige était générale sur toute l'Irlande. Il tombait doucement sur le marais d'Allen et, plus à l'ouest, tombait doucement dans les sombres vagues mutineuses de Shannon. Il tombait aussi sur chaque partie du cimetière solitaire où Michael Furey était enterré. Il gisait en épaisseur sur les croix tordues et les pierres tombales, sur les lances de la petite porte, sur les épines stériles. Son âme s'évanouit lentement lorsqu'il entendit la neige tomber faiblement à travers l'univers et tomber faiblement, comme la descente de leur dernière fin, sur tous les vivants et les morts.

Bibliographie

David Park est né à Belfast en 1953 et vit maintenant dans le comté de Down, en Irlande du Nord.
Il a fait ses études à l'Université Queen's de Belfast et a mené une brillante carrière dans l'enseignement secondaire, contribuant notamment au développement de la créativité dans le programme d'études.
Il est l'auteur d'un recueil de nouvelles et de plusieurs romans
En juin 2008, David Park a reçu le American Ireland Fund Literary Award.

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Sur le roman

Sur Belfast

Play-list qui accompagne Tom pendant son voyage

         Titres additionnels

samedi 10 décembre 2022

KARSTEN DUSSE – Des meurtres qui font du bien – Éditions du Cherche Midi - 2022

 

L'histoire 

Björn la quarantaine est avocat pénaliste, marié et père d'une petite fille qu'il aime plus que tout. Mais sa relation de couple a du plomb dans l'aile. Débordé par son travail, il n'a plus le temps nécessaire pour s'occuper de sa femme et de sa fille pourtant adorée. Il décide donc de consulter, sans trop y croire, un coach spécialisé dans la méditation de pleine conscience et autres techniques qu'il pourra mettre à profit pour déstresser. Et cela marche, il trouve un accord avec sa femme dont il se sépare et prend un week-end par mois pour s'occuper uniquement de sa fille. Sous la menace de l'épouse car Björn a pour clients les pires voyous de Berlin, notamment un maffioso redoutable qui gère ses affaires plus à coups de battes que des conseils avisés de son avocat.

Et par un étrange hasard de circonstances, Björn se retrouve à commettre en meurtre. Qui va en appeler d’autres. Mais toujours sous le principe de la « pleine conscience »


Mon avis

Premier roman d'une série future « les meurtres zen », ce polar a été en tête des ventes pendant un an en Allemagne.

Rien que le titre, on se doute bien que l'on va rentrer dans un univers hilarant, et innovant dans le genre du polar : le suspens sous le signe du bien-être.

Le héros qui nous raconte son histoire est au départ un avocat médiocre, embauché mais pas associé (son grand regret) dans un cabinet d'avocat. E plus son principal client est le pire voyou de tous les temps. Drogues, prostitution, trafic tous genres et illégaux, Dragan s'est pourtant enrichit grâce aux conseils judicieux de son avocat spécialiste des optimisations fiscales, des sociétés fictives etc. Mais Dragan a le chic pour se mettre dans pétrin.

De son coté, la femme de Björn n'apprécie pas du tout ce type de clientèle dont elle pressent un danger pour elle et sa fille. Sur ses conseils, notre héros va consulter un coach spécialisé en méditation de pleine conscience adaptée aux cadres supérieurs. Les préceptes sont vite assimilés trop bien même ! Un meurtre par « inattention » puis quelques autres bien planifiés en toute zénitude, voilà qui devient de l'art.

A la fois désopilant et totalement irrévérencieux, vous vous amuserez bien avec cet ouvrage à l'écriture parfaite et bien rythmée.

Au passage soit vous tirerez profit des cours de méditation et autres conseils relaxants tirés du «Ralentir la voie du dépassement – Manuel de pleine conscience pour cadres dirigeants » écrit par un certain Joshua Breitner( en tête de chaque chapitre), soit vous appliquerez, ce que je vous conseille pas vraiment une utilisation plus radicale de la méthode, sauf si vous prévoyez de passer la fin de votre vie dans un endroit sympathique comme les Baumettes, ou Fleury-Mérogis.

Ici sous son humour décapant et sa galerie de personnages qui par une écriture très drôle ne sont pas trop clichés, Dusse porte un regard un peu amer sur les vagues « new-âge » qui défilent tous comme les super-aliments selon les modes, les enjeux du pouvoir à tout prix, et le sens de la justice et une certaine critique d’une société où la réussite est un devoir. Très « page turner » (addictif en bon français), ce livre vous changera des traditionnels polars, mais ce n'est pas un chef d’œuvre non-plus. Netflix doit adapter en série ou en film ce roman franchement réjouissant.



Extraits :

  • Par manque d'expérience, je n'avais aucune idée de l'endroit où sectionner un doigt pour pouvoir l'utiliser comme tampon.

  • Mais les téléphones sont comme les armes : ce n'est pas de l'objet lui-même que vient le danger, mais de celui qui l'utilise. Contrairement à un revolver, le smartphone nuit exclusivement à son propriétaire. OK, il est possible de braquer un pistolet sur sa propre tête. Sauf qu'on fait ça pour en finir avec une vie bousillée, pas pour se la bousiller d'abord.

  • Tandis que ses principales sources de revenus restaient la drogue, les armes et la prostitution, je faisais désormais passer les gains par différentes franchises, entreprises de transport, établissements commerciaux ou de bars-restaurants dont j’avais acquis des parts en son nom. Je lui montrai aussi comment empocher de l’argent en détournant des subventions européennes pour des plantations d’aubergines inexistantes en Bulgarie, et ponctionner le système d’échange de quotas d’émission en vendant des bons d’option, deux méthodes au moins aussi criminelles que le trafic de drogue, mais qui ne nécessitaient pas de broyer les os de quelqu’un. Et soutenues par l’État qui plus est.

  • Rétrospectivement, c'était clair comme de l'eau de roche : si la vie d'une personne représente un problème, sa mort est la solution. Mais sur le moment, la solution la plus évidente nous échappe en général.

  • Et je n'ai tué mon premier homme qu'à quarante deux ans . Ce qui dans mon milieu professionnel actuel, est plutôt tardif. Bon , il est vrai qu'une semaine après, j'en étais déjà à presque six meurtres.

  • La pleine conscience, ce n'est pas "vivre et laisser vivre". La pleine conscience dit : "Vivez !", et il peut arriver qu'un tel impératif affecte la vie dissipée d'autres gens.

  • Cet été, Emily serait en âge d'aller à l'école. Il faut savoir que les critères d'attribution de places en maternelle sont bien plus opaques que ceux des licences de débit de boissons pour les bordels.

  • C’était un excellent avocat de la défense. Employé dans un des cabinets d’affaires les plus renommés de la ville. Opérationnel vingt-quatre heures sur vingt-quatre.C’était stressant, c’est clair. Et difficilement conciliable avec la vie de famille. (...) Il faut dire qu’en contrepartie du stress, j’avais droit à pas mal de choses : une voiture de fonction, des costumes sur mesure, des montres de luxe. Avant ça, je n’avais jamais vraiment accordé beaucoup d’importance aux signes extérieurs de richesse. Mais quand vous représentez le crime organisé, vous vous devez d’en afficher. Ne serait-ce que parce que en tant qu’avocat, vous êtes le signe extérieur de richesse de votre client.

  • Me serais-je lancé dans cette aventure de la pleine conscience s’il n’avait été question que de nous deux, de ma femme et de moi ? Je ne sais pas. Mais nous avons une petite fille, Emily, et, pour elle, j’aurais accepté d’aller de Sodome à Gomorrhe s’il y avait eu dans une de ces villes une chance pour nous et notre famille.

  • Pour moi, la nourriture russe m’évoquait un Chinois qui aurait mangé chez un Italien avant de tout revomir sur une assiette de spécialités allemandes.

  • C’était quoi encore le truc avec la liberté ? Aujourd’hui, j’en avais enfin fait l’expérience : la liberté consistait à na pas faire ce qu’on ne veut pas.

  • Il existe deux types de douleur: celle de la plaie et celle du couteau qu'on remue dans la plaie. On ne peut pas effacer une plaie. Mais si on renonce à remettre sans cesse le couteau dans la plaie, elle guérira beaucoup plus vite.

  • Une journée n’a pas assez d’heures, je n’arrive pas à déconnecter, je suis irritable, stressé, ma femme m’énerve, je ne vois jamais mon enfant qui me manque. Quand je trouve du temps pour ma fille, je suis systématiquement ailleurs en pensée. Ma femme méprise mon boulot, mon boulot ne me mérite pas…


Bibliographie

Né en 1973 à Essen (Allemagne), Karsten Dusse est avocat." Des meurtres qui font du bien" est son premier roman. Sa série s'est déjà vendue à plus de deux millions d'exemplaires.


En savoir Plus :

Sur le roman

Sur la méditation de pleine conscience :

Play-list :

jeudi 8 décembre 2022

CRAIG JOHNSON – Western Star – Gallmeister 2021

 

L'histoire

Engagé comme adjoint du Shérif d'un comté du Wyoming, Walt Longmire la trentaine, est convié à l'annuel événement qui rassemble tous les shérifs de l'état : 2 jours de voyage dans le mythique train « Western Star ». Sollicité par le chef de l'association des shérifs pour mener une enquête, dans un milieu où l'omerta est aussi abondante que le whisky, le jeune Walt va devoir démasquer un inquiétant criminel. 40 ans plus tard (de nos jours), cette enquête le poursuit encore.


Mon avis

Amateur de suspens version western, voilà un polar qui joue sur les deux genres.Ce bien curieux convoi ferroviaire ressemble à un Orient Express façon Agatha Christie, le livre que justement le jeune Walt tente de lire pendant ce voyage.

Y a de la baston, mais aussi une enquête à mener où les amis ne le sont pas forcément.

Le récit vif, porté par un rythme de boogie-woogie, alterne le passé et le présent. Le passé c'est ce voyage improbable à travers le Wyoming, l'état le moins peuple des USA, entre grandes plaines et la chaîne des Rocheuses (le parc de Yellowstone s'y étale). De Cheyenne, la capitale régionale à Evanston, le mythique train avale les vallées et montagnes, alors que le crime sévir. Quarante ans plus tard, ce crime est toujours présent dans la vie de Walt mais je laisse le lecteur découvrir pourquoi.

On lira avec joie ce polar (le 9ème de la série des Walt Longmire), par son humour et par son jeu subtil des codes.

Mais tout bon polar ne le serait pas sans quelques interrogations : ici la justice entre les peines à perpétuité et la compassion, un débat qui a divisé l'Amérique, entre ceux qui son pour le maintien en prison de détenus dangereux mais très malades ou ceux qui sont pour une peine aménagée en soins.Et puis il y a la nature sauvage du Wyoming, ici près des montagnes sous le froid et la neige, qui aident à maintenir un climat de suspens.



Extraits :

  • C'est la première fois que je viens dans le Wyoming - il est connu pour quoi ?
    - Yellowstone National Park, Devils Tower Nationnal Monument... ( Elle n'eut pas l'air impressionnée, alors j'ajoutai : ) Nous sommes le premier Etat à avoir accordé le droit de vote aux femmes et le premier Etat à avoir eu une femme au poste de gouverneur. (...)- La classe.

  • Autrefois, on pouvait voyager en train avec classe, mais depuis qu'ils réduisent le budget, tout ça… Je ne sais pas combien de temps le chemin de fer va continuer à exister. Bientôt, on sera plus qu'un autobus sur des rails.

  • On a tout le temps de rếfléchir dans un train... C'est peut-être pour ça que les gens ne le prennent plus.

  • Comment se fait-il qu'en présence de ces gens des médias, j'ai toujours l'impression d'entendre une nuée de criquets en bruit de fond ?

  • Les arbres nous enseignent la patience, mais l'herbe nous apprend la ténacité.

  • Autrefois, on pouvait voyager en train avec classe, mais depuis qu'ils réduisent le budget, tout ça… Je ne sais pas combien de temps le chemin de fer va continuer à exister. Bientôt, on sera plus qu'un autobus sur des rails.

  • Et au cas où tu n'aurais pas remarqué non plus, John est mort, Bobby est mort et Martin est mort, et rien, absolument rien, n'a changé - les gens restent toujours dans leur tribu. On n'est pas autre chose que ça, une juxtaposition de tribus.

  • Dans les hautes plaines régnait la certitude que quel que soit le problème, le whiskey était le reméde - peu importait la distillerie d'origine.

  • Il paraissait beaucoup plus fragile que dans le souvenir que j’avais de notre dernière rencontre à Cheyenne, quatre ans auparavant, et je me demandai ce qui le maintenait en vie, lui qui aurait dû mourir il y avait bien longtemps. Bien entendu, quand on s’assoit enfin à la table, les jeux sont déjà faits. La banque décide, et elle ne perd jamais, à la fin. Jamais.

  • Je finis de remplir le réservoir et entrai dans la boutique - je fais rarement confiance aux machines, et encore moins à celles qui vous prennent votre argent. En plus, les machines ne répondent pas quand on leur pose une question.

  • Lorsqu’il est passé à côté de moi en remontant, il a dit qu’il allait probablement te refaire le portrait bientôt, et je lui ai dit qu’il ferait bien de venir accompagné parce que la probabilité la plus probable était que tu allais lui botter le cul tellement profond qu’il aurait l’haleine parfumée au cirage Kiwi.

  • En prenant le temps d’essuyer soigneusement l’extérieur du pistolet, je me surpris à contempler le feutre vert sapin, couvert de taches d’huile laissées par des milliers d’armes à feu qui avaient été démontées et remontées là. Je me demandai combien d’hommes en avaient profité pour démonter et remonter leur cerveau.

  • Je contemplai la couverture, essayant de me remettre du fait que le clochard venait d’utiliser le mot « combinatoire » - les choses avaient bien changé depuis que j’étais parti.


Bibliographie

Né en 1961 à Huntington, West Virginia, Craig Johnson est un écrivain américain, auteur d'une série de quinze romans policiers consacrés aux enquêtes du shérif Walt Longmire.
Craig Johnson est titulaire d'un doctorat d'études dramatiques. Il a exercé des métiers aussi divers qu'officier de police à New-York, chauffeur routier, professeur d'Université, cow-boy, charpentier et pêcheur professionnel.

Outre la série Walt Longmire, il a publié une dizaine de nouvelles isolées et recueils de nouvelles. Longmire a été adaptée à la télévision américaine sous le titre Longmire, avec l'acteur australien Robert Taylor dans le rôle-titre.
Il vit avec son épouse Judy, dans les contreforts des Bighorn Mountains, dans le Wyoming.
Craig Johnson est lauréat de nombreux prix littéraires, dont le Tony Hillerman Mystery Short Story Contest pour la nouvelle "Un vieux truc indien", le Prix NouvelObs/BibliObs du Roman noir étranger, 2010 pour "Little bird" ou encore le prix Critiques Libres 2013 dans la catégorie Policier - thriller pour "Le Camp des morts".

Voir aussi :


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Sur le roman

Sur le Westen Star :


Sur le Wyoming


Play-list :