dimanche 13 août 2023

CEDAR BOWERS – Astra – Éditions Gallmeister - 2023

 

L'histoire

La vie d'Astra, de sa naissance dans une ferme expérimentale de Colombie britannique (Canada), à son 3ème âge, vu et raconté par les personnes qui ont croisé son chemin.


Mon avis

Une nouvelle héroïne chez Gallmeister ! Mais ici il ne s'agit plus d'adolescentes comme Turtle (Gabriel Talent), Tracy (Jamey Bradbury), Fay (Peter From), Nell et Eva (Jean Hegland) mais de la vie d'une femme de sa naissance à sa vieillesse.

Astra née dans la ferme de Célestial, un projet utopique de vivre en totale autonomie, pour échapper à la société consumériste, crée par la riche Doris et son ami Raymond. Lequel est le père d'Astra dont il n'assume pas du tout la paternité. Alors que Gloria meurt en couches, Astra est élevée par les femmes de la ferme, puis laissée vagabonder à travers les champs, où elle se casse parfois la figure, ce qui lui vaut une cicatrice au coin de la bouche. Sans éducation, vivant totalement libre, vêtue de vêtements sales, elle même d'hygiène, Astra grandit dans un monde qui ne ressemble plus du tout aux idéaux fondateurs. Les familles sont parties en ville, retrouver une vie normale, reste des hommes et alors qu'Astra devient une très jolie femme, a 17 ans, elle fuit Celestial pour la première ville venue. Elle obtient un emploi de vendeuse, puis enceinte, elle est recueillie par Chris dans une sublime maison. Mère maternelle à souhait, elle n'a aucune autorité sur son fils Hugo. On la retrouve comme baby sitter, logée et nourrie par la jalouse Lauren qui pourtant lui fait reprendre un cursus universitaire. Puis chez Doris, devenue une vielle femme qui ne peut plus supporter les caprices d'Hugo à qui sa mère passe tout. Enfin elle se retrouve mariée à Nick, un brave homme follement amoureux d'elle, dont elle finira par se débarrasser avec la complicité involontaire de sa psychologue, d'autant qu'elle hérite d'une petite fortune car elle est la seule légataire de Doris.

Qui est donc Astra ? Une pauvre gosse laissée à l'abandon dans l'enfance et qui cherche à tout prix à survivre ? Une manipulatrice surtout avec les hommes ? Une mère trop liée à son fils ? Une femme qui cherche encore un geste d'amour de son père ? Une égoïste ? Pourtant Astra a aussi beaucoup d'empathie, quand il s'agit de consoler Sativa, une autre enfant de Celestial, boudée par sa mère. Elle accompagne avec ferveur les derniers moments de Doris, tout comme elle s'occupera de son père Raymond devenu important et atteint d’Alzheimer, en espérant toujours un geste d'amour profond de celui-ci. Elle ne rompra jamais le lien avec le père biologique d'Hugo, juste pour donner des nouvelles.

L'originalité du roman consiste à décrire Astra à travers les personnages qui ont croisé sa vie, brièvement ou pas. Astra a la ténacité et sait toujours se sortir de mauvaises situations. Quand elle n'est plus la bienvenue, elle part sans faire d'histoires. Seul le dernier chapitre donnera la parole à Astra pour qu'elle nous donne enfin sa vérité.

Ce roman, à l'écriture simple, nous renvoie à nos petits défauts, nos petits mensonges avec nous-mêmes ou avec les autres, mais sans intention de nuire délibérément. Finalement c'est notre condition d'humain, faite de paradoxe qui donne de la force à ce roman, pour une femme qui quoiqu'il en coûte mènera une vie libre, sans aucun regard sur l'avis de la société.



Extraits :

  • Il ne retournera pas au pick-up tant qu’il n’aura pas pris une décision. Le jour où elle lui a annoncé sa grossesse, Gloria a demandé s’il accepterait de la suivre à Vancouver pour fonder une famille – une proposition qu’il a refusée tout net. L’idée de redevenir un citoyen lambda le terrifie. La ferme est son sanctuaire, sa destinée. Cependant, il ne tient pas non plus à cohabiter avec Gloria et le bébé ici. Tous les trois, serrés dans sa cabane en hiver, à feindre d’être ce qu’ils ne sont pas ? Les compromis, les conventions : la voie choisie par ses parents, pour finir déprimées, le cœur brisé. Non. Il ne veut pas de cette vie-là.
    Une autre option consisterait à fuir. Filer avant que le bébé prenne sa première respiration. Ne jamais poser les yeux sur lui. Ne jamais le tenir. Ne jamais connaître son nom. Disparaître, tout simplement. Il suffirait de laisser Wesley à la ferme et de s’engager sur l’autoroute, seul. Constituer une nouvelle équipe d’électrons libres, dans une autre petite ville triste, et tout recommencer à zéro.

  • Dans chaque maison, chaque communauté, chaque endroit à la con où elle a vécu, elle a croisé des filles exactement comme Astra, des femmes exactement comme elle-même. Le plus souvent sans argent ni foyer. Invisibles et préposées aux tâches les plus ingrates : la cuisine, le ménage, les enfants. Pendant ce temps, les hommes péroraient sur l’indépendance, l’amour sans contraintes, le nouveau monde merveilleux qu’ils étaient en train de bâtir, persuadés qu’on pouvait être “libre” – à condition d’en avoir les couilles, bien sûr. Quel ramassis de conneries.

  • Sitôt qu’il comprit qu’elle en voulait plus, il la somma d’emménager dans la yourte avec les autres. Il ne croyait pas aux relations monogames, avança-t-il avec précaution. Il chérissait son indépendance et refusait de s’engager. Raison pour laquelle, selon Gloria, elle n’annonça pas sa grossesse avant le mois de juin, en pleine réunion matinale, au lieu d’attendre qu’ils soient en tête à tête.

  • Doris est loin d’être sentimentale, et pourtant, quelque chose dans ces marches creusées par le temps, la preuve du passage de tant de pieds – dont les siens, ceux de son père et ceux de Raymond – lui procure un sentiment de satisfaction chaque fois qu’elle les gravit. Elle ne saurait dire pourquoi. Peut-être apprécie-t-elle le silence laissé par les disparus, ou peut-être se sent-elle pareille à ce perron, piétinée, patinée. Quoi qu’il en soit, et tant pis pour l’excès de sensiblerie, elle l’aime, cette entrée.

  • Tout comme Gloria, Astra n’était pas prête à devenir mère. Tout comme Gloria, Astra était loin de sa famille et ne bénéficiait d’aucun vrai soutien. Auquel cas, n’avaient-ils pas échoué ? Celestial ? Le féminisme ? C’était presque la fin du siècle, pourtant les femmes continuaient de souffrir, à la merci des hommes.

  • Je vais rester. Mais je ne peux pas faire semblant d’être quelqu’un que je ne suis pas. Je ne peux pas mentir.

  • Clodagh les détestait, ces pleurs, si intenses, si déconcertants. Tout comme elle détestait ce qu’ils révélaient sur la mère qu’elle était. Elle se rappelle avoir regardé le visage contorsionné de son fils et regretté que les enfants n’aient pas été tués. Elle avait vingt-deux ans, sa vie aurait été infiniment plus simple si elle n’avait eu personne à charge, si elle avait pu plonger dans la rivière, la laisser l’emporter à la mer.

  • N’est-ce pas ce que nous faisons tous ? Nous ne sommes pas des grains de poussières. Nous ne sommes pas des putains d’astres dans le putain de cosmos. Nous sommes des vies humaines empilées sur les traumatismes et les tragédies d’autres vies humaines.

  • Si Doris essaye de poser des limites, soit Astra fait une crise, soit elle l’ignore. Les rares fois où Doris a osé donner un conseil, elle l’a aussitôt regretté. Astra est toujours sur la défensive. À vrai dire, il n’y a pas trente-six manières de le formuler : elle est épuisante.

  • Ses yeux sont froids, inexpressifs. Elle recule, la main tendue devant elle, paume en avant, un geste qui arrête Brendon net. Il est surpris. Apparemment, elle s’est déjà retrouvée mille fois dans cette situation. Un constat dérangeant. Qui est cette fille, au fond ? Comment est-elle devenue ce qu’elle est ?

  • Loin d’être un havre de paix, ces terres ne pouvaient ni les sauver ni effacer le passé. Elles ne protégeaient certainement pas leurs enfants. Dès lors, l’utopie Celestial commença de s’étioler. Ce jour-là, dans le champ, tandis que Raymond pansait les blessures d’Astra sous ce ciel.

  • Et les types qu’on a en ce moment, c’est de la merde. Même pas, la merde vaut mieux qu’eux. La merde aide les plantes à pousser.

  • À l’idée d’être si loin de sa mère, son estomac se noue. Que ferait-elle si une abeille la piquait ou qu’elle se tordait la cheville ou qu’elle voyait un serpent ? Comment Astra est-elle devenue si courageuse ?

  • La liberté s’obtient par la force ou le mérite. Elle ne vous est pas offerte sur un plateau.

  • L’idée de redevenir un citoyen lambda le terrifie. La ferme est son sanctuaire, sa destinée. Cependant, il ne tient pas non plus à cohabiter avec Gloria et le bébé ici. Tous les trois, serrés dans sa cabane en hiver, à feindre d’être ce qu’ils ne sont pas ? Les compromis, les conventions : la voie choisie par ses parents,pour finir déprimés, le cœur brisé. Non. Il ne veut pas de cette vie-là.

  • La première fois que Doris et Raymond ont eu l’idée de la ferme, ils avaient à peine seize ans. Ils voulaient quitter la ville, préserver la planète, bâtir une oasis pour tous ceux qui souhaiteraient les rejoindre. À Celestial, on aimerait qui on voulait et on s’habillerait à sa guise. Il n’y aurait ni chef, ni patron, ni gouvernement – adieu société de surveillance.



Biographie

Née sur l'ile de Galiono, Cedar Bowers est une écrivaine canadienne. Avec son mari, le romancier Michael Christie, et leurs enfants, elle partage son temps entre l’île de Galiano, où elle a grandi, et la ville de Victoria au sud de Vancouver.
Astra est son premier roman traduit en France par les Editions Gallmeister.
En plus d' Astra , Bowers a publié des nouvelles dans divers magazines littéraires.


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vendredi 11 août 2023

JONATHAN COE – La vie très pivée de Monsieur Sim – Editions Gallimard 2011 ou poche Folio

 

L'histoire

Maxime Sim (comme la carte ou l'humoriste) a 48 ans et fait le bilan de sa vie, qui n'est guère brillant. Élevé dans un foyer avec une mère-poule trop vite disparue et un père fantasque qui vit depuis 30 ans en Australie, Max n'a pas fait d'études prestigieuses, il se contente d'emplois comme Vrp ou vendeur affecté au service après-vente. Divorcé de sa femme, il ne voit jamais sa fille. D'ailleurs ils n'ont rien à se dire. Max n'est pas non plus doué pour les rapports sociaux, il n'a pas de vrais amis et à chaque fois qu'il essaye de communiquer c'est un désastre. Mais un voyage promotionnel va tout changer dans sa vie, avec des prises de consciences tardives.


Mon avis

Jonathan Coe n'a pas son pareil pour analyser un individu lambda, et au passage éreinter le consumérisme de masse, et les dégâts des années Thatcher.

Son héros Max n'est ni plus bête ni plus intelligent que la moyenne. Il n'aime pas se cultiver, et surtout ce gaffeur hors pair rate toutes les occasions de se faire des amis, encore plus des petites amies. Il ne sait pas analyser la situation sous d'autres angles que le sien, et raconte sa vie monotone où chaque petit détail qui sort du quotidien aussi infime soit-il, le laisse cogiter pendant des heures. Car des méprises et des gaffes il en commet pas mal, et du coup, il passe totalement à coté de sa vie.

Dépressif, alors que son congé maladie prend fin, il va accepter l'offre d'un ami perdu de vue : à savoir parcourir la distance entre Reading et les îles Shetland (Est de l’Écosse) pour promouvoir une nouvelle marque de brosse à dents écologique (en bois et à tête changeante, une idée qui n'existait pas lors de la parution du livre d'ailleurs mais qui est aujourd'hui reconnue comme une alternative au plastique). Avec une Toyota tout neuve et un GPS dont il va tomber amoureux de la voix. Mais sans respecter l'itinéraire il va devoir faire des détours, passer par l'appartement de son père resté dans son jus pour y récupérer un dossier, retrouver un amour de jeunesse, revoir sa fille qui est devenue accro à son smart-phone, oublier au passage les règles de diététiques pour préférer les rassurantes chaînes de burgers ou de pizzas. Max crève de solitude, mais découvre des vérités sur son père, sur lui-même aussi. A cela s’entrelace l'histoire vraie d'un marin qui devait participer à un tour du monde (en 1967) et qui a triché en tenant un faux journal de bord et un vrai où il note ses angoisses, son errance quelque part en Atlantique et dont les noms ont une résonance familière avec l'histoire de Max.... Étrange. D'autant que Jonathan Coe a un autre tour dans son sac sur une fin inédite.

Le tout écrit avec, on le ressent, le plaisir d'écrire, l'humour so british mais aussi, une mine de réflexions. Sur la société ultra connectée et sur le hasard. Car Max ne sait pas saisir les opportunités (et il le fait presque consciemment en plus), La société ultra connectée, Max ne la connaît pas vraiment : il a bien son compte sur FB (70 amis qui ne lui écrivent jamais), un smart-phone qu'il oublie de recharger, une voiture équipée de super-gadgets dont il ne se donne pas la peine de comprendre le bon fonctionnement. Sa solitude lui pèse mais en même temps il ne supporte pas trop de bavardages inutiles selon lui.

Et tout cela est sans compter sur la perversité de l'auteur qui par une subtilité littéraire nous fait tout remettre en question. Et là c'est très bien joué, cela apporte la dernière dose d'un humour qui finalement fait d'une personne banale un héros qui nous tient en haleine sur 450 pages.

A lire absolument pour plonger dans les campagnes anglaises, le monde merveilleux du business et autres travers de notre société.


Extraits :

  • Je lui ai dit : tu te rends compte que s'il y a une chose qui insupporte les gens de mon âge, c'est bien que les gens du vôtre leur fassent des sermons ? Regarde le monde autour de toi. Ce monde-là, c'est vous qui nous l'avez légué. Vous croyez qu'on peut se payer le luxe d'avoir des principes ? J'en ai marre d'entendre dire que ma génération a perdu ses repères, qu'elle est matérialiste, qu'elle n'a plus de projet politique. Tu sais pourquoi on est là ? Vas-y, au hasard. Ben oui, c'est parce que vous nous avez élevés comme ça. Pour vous, nous sommes peut-être la génération Tatcher, mais ce qu'on voit, nous, c'est que c'est vous qui l'avez élue, et réélue, et qui avez élu après elle des gens qui marchaient sur ses traces. C'est la faute de votre éducation si nous sommes des zombies consuméristes. Vous avez bazardé toutes les autres valeurs, non ? Le christianisme, rien à foutre. La responsabilité collective, on voit où ça mène. Produire, fabriquer ? C'est bon pour les losers. Ouais, on n'a qu'à aller les chercher en Asie : ils vont tout faire à notre place et on n'aura plus qu'à rester le cul devant a télé pour voir le monde partir en vrille, le tout sur grand écran et avec la HD, bien sûr .

  • On aurait dit que la lecture était devenue une obsession, chez Caroline. Elle dévorait régulièrement deux ou trois livres par semaine; des romans, surtout; des romans "littéraires" ou "sérieux", comme on dit (je crois). "C'est pas un peu répétitif, au bout d'un moment? Ils se mélangent pas tous dans ta tête?" je lui ai demandé, une fois. Mais elle m'a répondu que je parlais sans savoir. "Tu es le genre de personne qui ne verra jamais un livre changer sa vie", disait-elle. "Pourquoi veux-tu qu'un livre change ma vie? Ce qui change ta vie, c'est la réalité, c'est se marier, avoir des enfants. - Moi, je te parle d'élargir son horizon, d'élever son niveau de conscience."

  • Les voitures, c'est comme les gens. On va, on vient dans le grouillement du quotidien, on passe à deux doigts les uns des autres, mais le vrai contact est très rare. Tous ces ratages de peu, tous ces possibles irréalisés, c'est effrayant quand on y pense. Mieux vaut éviter soigneusement d'y penser .

  • En tout cas, a dit Clive, l'une des choses dont nous sommes en train de prendre conscience, tous tant que nous sommes, c'est qu'un objet donné, une maison, mettons, ou", avec un coup d’œil dans ma direction, "une brosse à dents, n'a finalement aucune valeur en soi ! Sa valeur n'est que l'amalgame des diverses estimations de divers membres de la société à un moment précis. On est dans l'abstraction, l'immatériel. Et pourtant, ces entités absolument vides qu'on appelle les prix sont la base même de la société. C'est toute une civilisation qui est bâtie sur... du vent, en somme. Du vent, et rien d'autre."

  • Vous savez ce que j’adore en avion ? C’est le dernier endroit où l’on soit injoignable. Totalement libre.

  • Quarante-huit ans, jamais été plus au nord qu'Edimbourg. Il faudrait que je fasse une liste. Une liste des choses à faire avant cinquante ans : sauter à l'élastique, en delta-plane, lire une de ces vacheries de bouquins dont Caroline me rabâchait que ça me ferait du bien, "Anna Karenine, Le Moulin sur la Floss". Trouver quelqu'un à épouser, des gens avec qui coucher, apprendre à ne plus avoir peur de l'intimité, ne plus être aussi solitaire, faire le tour du monde à la voile sur un trimaran.

  • Allez, allez, qu'est-ce que tu en dit? Epouse-moi, viens vivre avec moi et sois ma femme.Qu'est-ce que tu me réponds? Continuez tout droit sur l'autoroute !

  • Mais avec l'âge, je crois qu'il y a des amitiés qui paraissent de plus en plus superflues. On se prend à se demander : A quoi bon ? Et c'est là qu'on arrête.

  • Un visage étroit aux pommettes saillantes (désolé, je ne suis pas très fort pour décrire les gens). [...] Elle portait des vêtement coûteux, avec un foulard en soie-chiffon noir (je ne suis pas non plus très fort pour décrire les vêtements - vous avez toujours envie de lire les 400 pages qui suivent ?).

  • Dans cette aire de services, les services eux-mêmes étaient un microcosme de la société occidentale dans ce qu'elle a de plus fonctionnel.
    On y pourvoyait à tous les besoins vitaux de l'homme : le besoin de communiquer (une boutique vendait des téléphones mobiles avec leurs accessoires), le besoin de s'amuser (il y avait une zone de jeux pleine de machines à sous), le besoin de consommer boissons et aliments, et celui de les pisser ou de les chier subséquemment ; et, bien entendu, le besoin éternel et fondamental d'acheter des tas de trucs, magazines, CD, doudous, barres chocolatées, DVD, bonbons gélifiés, livres, gadgets en tout genre Avec ça, un hôtel de la chaîne Days Inn situé en face du parking pratiquait des tarifs étape, il était donc théoriquement possible d'entrer dans cette aire de services sans avoir jamais besoin d'en sortir. On pouvait même y passer toute sa vie, si on voulait.

  • Ah, je ne vous avais pas dit qu'elle s'appelait Emma ? Je venais de passer près d'une heure à décider comment j'allais l'appeler. J'avais choisi Emma parce que ça a toujours été un de mes prénoms préférés. Ça tenait en partie au souvenir de Jane Austen que j'avais dû lire pour le brevet : je l'avais détesté, ce livre (un des romans favoris de Caroline, soit dit en passant), et je n'avais pas eu la moyenne à l'examen mais, allez savoir pourquoi, le prénom de l'héroïne s'était imprimé dans ma mémoire comme un emblème de classe et de raffinement.

  • Même pour quelqu'un comme moi, qui s'était contenté de passer les quinze derniers jours à parcourir des journaux et survoler des sites d'info, il était clair que nous étions en train de nous planter dans les grandes largeurs, et que démolir nos usines pour mettre des boutiques à la place n'était pas une idée géniale, à l'usage, enfin qu'il n'était guère raisonnable de bâtir toute une société sur du vent.

  • S'il est rare de parvenir à éviter tous les tunnels de la vie, d'ordinaire quelque chose nous permet de retrouver la lumière. Celui que je traversais... disons qu'il était finalement plus long et plus noir que je ne l'aurais imaginé.

  • Je lui ai expliqué que le principe de la banque moderne, c'est d'emprunter de l'argent, un argent qui ne vous appartient pas, et de trouver un investissement qui rapporte d'avantage que les intérêts payés au prêteur. Quand je lui ai dit ça, il a réfléchi un moment, et puis il m'a fait cette réflexion très intéressante : "mais les banquiers, en fait, c'est des gens qui gagnent plein d'argent en trichant."

  • L’humanité, vous l’aurez remarqué, multiplie désormais avec une grande ingéniosité les moyens d’éviter de se parler.

  • Qu’est-ce qu’elle avait, ma génération ? Pourquoi mettait-elle si longtemps à grandir ? Pour nous, la petite enfance s’étirait jusque vers l’âge de vingt-cinq ans, et à quarante ans nous n’étions pas encore sortis de l’adolescence. Pourquoi mettions-nous si longtemps à assumer nos responsabilités personnelles – et a fortiori nos responsabilités familiales ?

  • e me suis entendu dire à Caroline qu'il était flagrant qu'elle ne m'aimait plus. Comme elle ne s'en défendait pas, j 'ai ajouté " il m'arrive même de penser que tu n'as aucune affection pour moi " , et savez- vous ce qu'elle m'a répondu ? " comment avoir de l'affection pour un homme qui ne s'aime pas lui-même ? "
    Alors là, si elle se mettait à parler par enigmes, on n'irait nulle part.

  • Everything that gives a community its own identity - the local shops, the local pubs - it's all being taken away and replaced by this bland, soulless, corporate-

  • You always expect the defining, most precious expériences in your life to be stamped indelibly on the memory; and yet for some reason, these often seem to be the first ones to fade and blur.

  • Cars are like people. We mill around every day, we rush here and there, we come within inches of touching each other but very little real contact goes on. All those near misses. All those might-have-beens. It's frightening, when you think about it. Probably best not to think about it at all.

  • it's not difficult to stay in touch with people nowadays, there are so many different ways of doing it. But as you get older, I think that some friendships start to feel increasingly redundant. You find yourself asking, 'What's the point?' And then you stop.

  • Why did people have children in the first place ? Was it a selfish act, or a supremely unselfish one ? Or was it just a biological instinct that couldn't be rationalized or analysed ? [...] My own theory - one of them - was that once you started to hit middle age, you becameso jaded and unsurprised by life that you had to have a child in order to provide yourself with a new set of eyes through which to view things, to make themnew and exciting again.

  • Mankind has, as you may have noticed, become very inventive about devising new ways for people to avoid talking to each other, and I'd been taking full advantage of the most recent ones. I would always send a text message rather than speak to someone on the phone. Rather than meeting with any of my friends, I would post cheerful, ironically worded status on Facebook, to show them all what a busy life I was leading. And presumably people had been enjoying them, because I'd got more than seventy friends on Facebook now, most of them complete strangers.


Biographie

Néen 1961 à Birmingam (Royaume Uni), Jonathan Coe a étudié à la King Edward's School à Birmingham et au Trinity College à Cambridge avant d'enseigner à l'Université de Warwick. Il s'intéresse à la littérature ainsi qu'à la musique et fait partie d'un groupe musical, expérience qu'il utilisera dans son troisième roman "les nains de la mort".
Il doit sa notoriété à l'étranger à son quatrième roman "Testament à l'anglaise". Cette virulente satire de la société britannique des années du thatchérisme a connu un important succès auprès du public.
Jonathan Coe a reçu le Prix Médicis étranger en 1998 pour "La Maison du sommeil".

En 2001 et 2004, le diptyque "Bienvenue au Club" (The Rotters' Club) suivi par "Le Cercle fermé" (The Closed Circle) suit les aventures d'un même groupe de personnages pendant leur dernière année de lycée dans le premier roman puis vingt ans plus tard dans le second. Ces deux romans servent l'auteur dans sa fresque du Royaume-Uni des années 70 et début des années 2000, pour mieux observer les mutations profondes qu'a subi la société entre ces deux dates, avec les réformes de Margaret Thatcher et de Tony Blair. Il le fait avec tendresse pour ses personnages et un regard acéré sur cette évolution annonçant l'avènement de la mondialisation.

"La pluie, avant qu'elle tombe" (2007) est l'expression d'une veine très différente, privilégiant la sphère intimiste en abordant les destins brisés de trois femmes. Il publie en 2012 un recueil de nouvelles "Désaccords imparfaits" chez Gallimard. Avec "la vie privée de Mr Sims" (2010) et "Expo 58" (2013) il retrouve le sens de la satire, qui constitue en général sa marque de fabrique. Il a été l'un des membres du jury de la Mostra de Venise.

En 1999. Passionné aussi de cinéma, il a publié des articles pour « les cahiers du cinéma ».

En savoir plus ici :

mardi 8 août 2023

LISA JACKSON – Linceuls de Glace – Éditions Harper-Collins Poche - 2014

 

L'histoire

Grizzly Falls, petite ville du Montana à quelques semaines des fêtes de Noël. Cette période est détestée par les deux enquêtrices Selena et Regan, la solitude pour l'une, la difficulté de gérer 2 adolescents pour l'autre, sans parler du travail du aux accidents de la route en cette période glaciale et neigeuse. Et voilà soudain qu'au beau milieu de la crèche fièrement dressée par la paroisse locale, apparaît une statue de glace renfermant en fait une femme dont la disparition avait été signalée à la police. C'est le début d'une longue enquête car d'autres disparitions et d'autres cadavres enveloppés de glace sculptée vont apparaître et menacer directement Selena Alvarez.


Mon avis

Lisa Jackson ne recevra sûrement jamais un prix littéraire prestigieux aux USA ou ailleurs. Elle caracole pourtant en tête des ventes à chaque nouvelle sortie d'un de ces livres, une sorte d’Agatha Christie américaine. Certes, il y a tous les éléments du polar et du suspense : l'enquête originale, le personnalité des deux inspectrices opposées mais complémentaires, des révélations sur le passé de Selena et un tueur sadique et totalement fou. Mais le tueur n'est découvert que dans les dernières pages du roman et c'est un quasi inconnu dans le scénario.

L'écriture est dans fioriture, bien rodée à l'exercice. Mais une fois de plus il n'y a aucun ambition de dénoncer quoi que ce soit, à part un traumatique viol refoulé par une des deux enquêtrices. Et beaucoup trop de page à mon avis pour une intrigue finalement bien mince. On y parle beaucoup de Selena, ses émotions, sa vie passée, sa situation actuelle avec un flirt, mais sans finalement pousser la psychologie des personnages dans leurs retranchement. Peu d'humour, une atmosphère glaciale, des rebondissements qui ne tiennent qu'à la découverte d'autres cadavres et quelques faits qui renforcent l'intrique. Bref du pur polar de suspense, avec des bonnes scènes d'horreurs, une love story qui effleure la sexualité en toute bonne pudeur puritaine. Ça se lit, si on aime avoir un petit frisson mais ce n'est pas de la littérature de grande valeur. Un peu logique quand on sait que Harper & Collins sont les éditeurs des livres Harlequin (romans à l'eau de rose bonbon). Cela plairait aux lectrices, le public cible des éditions, mais ceux qui aiment la littérature forte, porteuse de messages, dénonciatrice des méfaits de nos sociétés, ou révélant des faits marquants et choquant de l'Histoire, peuvent passer leur chemin et se tourner vers d'autres ouvrages aux fortes résonances (voir ma rubrique « Indispensable » sur ce blog ou « j'adore ». Certes on n'est jamais objectif dans une critique littéraire, selon son humeur, ce qu'on a lu avant, son propre ressenti. Mais pour moi ce n'est pas le genre d'ouvrage que j’achèterais.


Extraits :

  • Le lendemain, la journée démarra de travers. Pour commencer, le réveil de Selena ne sonna pas - elle avait dû y aller un peu fort, la veille, en lui tapant dessus pour l'arrêter. Puis ,après avoir fait sortir Roscoe, elle se rendit compte, mais trop tard qu'elle avait manqué sa séance d'arts martiaux. Son professeur n'avait pas appelé mais envoyé un texto, auquel elle répondit pour s'excuse. Décidément ,elle n'était pas dans son assiette! Qu'est-ce qui ne tournait pas rond chez elle? D'habitude ,elle n'était jamais en retard. Ne manquait jamais un rendez-vous. N'acceptait jamais l'étourderie des autres comme excuse. Certes, elle avait mal dormi. La pensée des deux femmes disparues n'avait pas arrêté de tournoyer dans son cerveau. Mais tout de même, de là à se retrouver si totalement à côté de la plaque !

  • Elle actionna l'ouverture automatique de son garage et regarda la neige tomber devant ses phares .Que n'aurait-elle donné pour pouvoir aller chez lui séance tenante ,accepter son invitation à prendre un verre et dîner, puis passer la nuit avec lui ! Mais le devoir l'appelait en la personne de ses enfants, où qu'ils soient, nom d'un chien! -Je t'appelle plus tard. -C'est ça... Regan, fit-il alors qu'elle s'apprêtait à raccrocher. - Oui ? - Tu as le droit de vivre ta vie, toi aussi. -Et comment ! Sur ce point ,elle l'approuvait à cent pour cent. Et il n'avait pas tort à propos de ses enfants non plus et de la présence d'un homme dans leur vie au quotidien. Seulement, elle n'était pas prête à l'admettre.

  • Seigneur,ce qu'elle pouvait détester cette saison !
    A Grizzly Falls, il semblait que la période des fêtes apportait immanquablement son lot de malheurs. Malgré les couronnes de Noel accrochées aux portes ,les sapins décorés étincelants derrière les fenêtres et le flot incessant des chants de Noël déversé par les radios locales, des drames menaçaient, tapis derrière toute cette joie exubérante. Non seulement les cas de violences domestiques augmentaient en flèche pendant la saison des fêtes, mais ces dernières années, des tueurs détraqués avaient terrorisé les habitants de la région...

  • Sa peau s'était teintée de bleu. Sa chair se rigidifiait, ce qui était parfait. Ses yeux, à travers la glace, regardaient fixement vers le haut. Pourtant ,ils ne voyaient rien. Dommage qu'elle ne soit plus capable d'apprécier à leur juste valeur l'amour, l'affection et la considération qu'il mettait dans son travail... Son souffle léger ne faisait plus fondre la glace autour de son nez, et sa bouche, Dieu merci, s'était fermée, ses lèvres impeccablement soudées, d'un bleu plus foncé... Comme la Belle au Bois dormant, songea-t-il en répandant une nouvelle nappe d'eau glacée.

  • - Il faut que j'y aille, dit Regan en pointant la tête dans le bureau de Selena. Ça fait deux jours que je n'ai pas vu mes gosses. Je ne compte pas hier matin, parce que je n'ai fait qu'entrevoir Jeremy au moment où il est rentré pour s'affaler sur son lit. - On est samedi soir. Tu crois qu'ils seront à la maison ? - Au moins brièvement. Regan changea son sac d'épaule et esquissa un sourire las. - Juste le temps de me demander de l'argent. J'espère juste qu'ils se seront occupés du chien.

  • Elle avait adopté Roscoe sur un coup de tête ,décision d'autant plus inconsidérée qu'elle était intervenue juste après l'achat de cette maison mitoyenne. Mais il était trop tard pour le regretter, car le stupide petit chien avait su trouver le chemin de son cœur.

  • Cependant, elle savait tout au fond de son cœur que ce qui l'attendait dans la nuit, quoi que ce fût, lui serait funeste. Par-dessus les accords de la chanson de Noël, la voix de Mildred résonna dans son cerveau, terrifiante dans la justesse de ses prédictions : " Le diable se cache derrière tout ça ! Il est toujours là, vous savez, juste derrière votre épaule, prêt à bondir..."

  • Cette femme me rend dingue avec tout son cirque de Noël, marmonna-t-elle à l'adresse de Selena, mais je dois reconnaître qu'elle sait faire des macarons à tomber par terre.


Biographie

Née en 1952, Lisa Jackson est un écrivain américain de romans d'amour.
Elle a grandi dans une petite ville de l'Oregon. Elle sort diplômée de l'Université d'État de l'Oregon et travaille quelques temps plus tard dans le secteur bancaire.
En 1983, son premier roman, "A Twist of Fate", est publié par Silhouette Books. Lisa Jackson écrit des suspenses romantiques contemporains pour Kensington Books et des romans d'amour historiques "Moyen-Âge" pour Onyx Books. Ses romans se placent habituellement sur les listes des meilleures ventes de livres du New York Times, USA Today et Publisher's Weekly. En 2001, elle obtient le Reviewer's Choice Award du meilleur suspense romantique, du magazine Romantic Times, pour "Un danger dans la nuit" (Hot Blooded, 2001). Elle est membre de Mystery Writers of America et de International Thriller Writers.

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lundi 31 juillet 2023

JAKUB SZAMALEK – Tu sais qui – Métaillé Noir - 2019

 

L'histoire

Varsovie, de nos jours. Un véhicule qui roule beaucoup trop vite bascule d'un pont. A son bord la victime est un animateur télé pour enfants très populaire dans le pays, Buczek. La nouvelle arrive avant tout le monde au journal Meganews diffusé uniquement par le web. Le journal n'a rien de glorieux, il se contente de faire des révélations sur les stars, les derniers potins, sorte de Voici que tout le monde regarde dans le pays. La direction confie la rédaction à Julita, une jeune journaliste qui aurait rêvé mieux que ce travail dans ce journal qui a les yeux fixés sur les clics, qui ne paye pas très bien. En examinant les photos de près, Julita se rend compte d'un détail qui ne colle pas. Les mains du conducteurs sont ensanglantées, et rongées alors que l'animateur avait toujours les mains manucurées. Cela l'intrigue et elle décide d'enquêter, elle est persuadée, tout comme l'un des témoins de l'accident qu'elle réussit à contacter que cet accident est plutôt un meurtre. Julita publie aussitôt un article à ce sujet avec les éléments qu'elle a. Mais à peine l'article en ligne, elle reçoit un mail lui demandant de supprimer l'article illico. Ce qu'elle ne fait pas. Aussitôt le site Méganews est piraté et des vieilles photos de nus de Julita apparaissent sur tous les écrans et smartphone. Aussitôt licenciée, insultée par tout le monde, Julita décide malgré tout de laver son honneur et de continuer l'enquête. Elle fait alors la connaissance d'un mystérieux Jan, qui est un expert en cyber criminalité et qui va l'aider en sécurisant son pc et son smart phone et en l'initiant au dark web.


Mon avis

« Tu sais qui » est le premier polar traduit en français de Jacub Szamalek sur une trilogie de 3. Le premier polar 2.0 aussi.

D'emblée de jeu, l'auteur nous affirme qu'il ne s'agit pas d'un écrit de science-fiction et note qu'il s'est fait aider de spécialistes en cyber criminalité.

Sa journaliste-détective Julita rêvait d'être une journaliste d'investigation, mais le métier est difficile, les embauches ne sont pas facilement. Elle va donc devoir passer par la case apprentissage, alors qu'elle a tout perdu. Son travail, puis son logement (elle est hébergée par sa sœur qui voit d'un très mauvais œil le travail de sa sœur), elle frôle la mort dans un accident de voiture.

Mais Julita a aussi des alliés : elle peut compter sur un ancien collègue Piotr pour l'héberger, et surtout sur Jan, un spécialiste de la cybersécurité. Néophyte totale, Julita va apprendre à sécuriser ses pc, à se connecter via un VPN, à utiliser Tor, un navigateur qui permet d'avoir accès au dark net, mais aussi à envoyer à son tour des malwares (logiciels malveillants qui permettent de prendre le contrôle de votre pc à votre insu a des degrés divers), à sécuriser son téléphone. Ici l'auteur glisse une critique féroce sur le web et ce que nous en faisons. Car rien ne se perd sur le net. Des vieilles photos de 10 ans sont toujours présentes quelques part. Les programmes sont pour la plupart incomplets, les éditeurs les améliorent alors qu'ils ont déjà été utilisés depuis 1 an ou deux par des millions de personnes. Les anti-virus sont de la rigolade par rapport à ce qu'un hacker peut faire. On peut pirater une voiture électrique ou munie d'un mini-ordinateur de bord (celui qui vous donne le GPS, la caméra de recul, la musique etc) à l'aide d'un boîtier que l'on peut bricoler ou qu'on achète sur le dark web et un téléphone portable.

Quant à l'enquête, elle est bien fichu. Les ignares en informatique auront quelques notions et notamment celle de ne pas trop exploser leur vie privée. Les pros remarqueront ou pas si l'auteur a commis des erreurs.

Bien évidement l'enquête est une réussite pour Julita, et Jan. Mais le roman anticipe déjà le prochain, car si les coupables sont identifiés, il reste un mystère à éclaircir et on imaginera que ce sera pour les prochains tomes.

Un polar assez original, mené tambour battant écrit tout de même par un homme (une vedette dans son pays) qui a travaillé sur des jeux vidéos. Ici pas d'effets de style, ni de poésie, l'humour juste ce qu'il faut pour ne pas noyer le lecteur, des informations claires. Parfait pour l'été. Et on a très envie de lire les autres tomes déjà parus.



Extraits :

  • Quoi qu’il en soit, le texte sur la mort de Buczek générait une tonne de clics, un vrai démarrage en trombe. Le sujet avait été repris par des sites concurrents, tous ces Gala, Viva ! , Potin et Talons aiguilles, mais aussi par Super Express et Fakt, jusqu’à des titres sérieux comme Gazeta Wyborcza, Newsweek ou Polityka. Et même si on précisait rarement ou cette information était apparue pour la première fois, sans parler de mentionner le nom de l’auteure, la conscience que c’était elle, Julita Katarzyna Wojcicka de Zukowo, qui avait mis toute cette machine médiatique en branle la remplissait de fierté. Malgré tout.

  • Dans le temps, on pouvait discuter avec les passagers. Parfois de choses sérieuses, parfois de broutilles, il fallait bien l’admettre, mais au moins il y avait un contact humain, un lien. Et maintenant rien, ils fixaient leurs satanés téléphones comme s’il n’était pas là, comme si le taxi se conduisait tout seul. Ce client-ci ne dérogeait pas à la règle et ne lui avait pas adressé un mot, pour quoi faire ? Il restait là et cajolait son portable comme s’il voulait percer un trou dans l’écran. Pourtant, il avait l’air de ne pas avoir fermé l’œil de la semaine.

  • Julita se demandait quoi écrire. Elle avait déjà découvert que ce qui se cliquait le mieux, c’était des articles qui appartenaient à l’une des trois catégories suivantes : “viser, bâcher, détruire”, “incroyable et choquant” ou “deviner et compléter”. Le plus facile, c’était d’écrire des textes de la première catégorie. Il suffisait de prendre un commentaire sulfureux, amusant ou au moins grossier, par exemple d’un politicien sur un autre politicien ou d’un people sur un autre people. Puis on affublait la citation choisie d’une formule toute faite : “X a bâché Y dans son style habituel. Sans pitié !”, “Vous devez lire ça ! X a détruit Y !

  • On lui a volé ses photos NUES. Qu’est-ce qu’elle en dit ? Vous n’allez pas le croire !!!”, “Un maître chanteur l’a menacée de DÉTRUIRE SA VIE ! En faisant quoi ? Elle ne s’attendait pas à ça…”, “Ceux d’entre vous qui sont venus sur cette page dans l’espoir de voir d’autres photos de nu… Julita Wójcicka, la SEXBOMBE, répond aux amateurs de ses charmes !” Le choix des illustrations ne l’étonna pas non plus : bien entendu, le portrait officiel qui ornait son blog n’apparaissait nulle part – chemise à rayures, collier et boucles d’oreilles en fausses perles –, mais à la place il y avait partout ses clichés nus floutés.

  • Je suis là pour présenter à mes lecteurs des faits à partir desquels ils se forgeront leur propre opinion. Je suis là pour que vous soyez informés de façon fiable… parce que, même s’il est difficile de le remarquer dans la cohue du quotidien, dans l’agitation de la politique querelleuse… nous nous trouvons à un moment clé de l’Histoire. Les nouvelles technologies permettent non seulement la discrétion et l’anonymat, mais aussi une surveillance totale à côté de laquelle 1984 apparaît comme un scénario optimiste.

  • Ne joue pas à Monsieur Parfait, répliquait-elle, toi aussi, tu m’as bernée, et plus d’une fois. Oui, mais à l’époque, personne n’en est mort. Puis le bip, bip, bip d’une communication interrompue. Depuis ce jour-là, il ne décrochait plus son téléphone, ne répondait ni aux mails ni aux SMS. Bien entendu, elle avait suivi son parcours. Rétabli dans ses fonctions. Promu. Interviewé.

  • Et c’est exactement en cela que consiste le spear phishing. Ce n’est pas une pêche au gros où tu jettes tes filets à la mer au hasard dans l’espoir d’attraper quelque chose, mais au contraire où tu dardes ton harpon avec précision. D’où le mot spear, lance. Quelqu’un a rédigé ce mail précisément pour toi, de façon à t’intriguer assez pour que tu cliques sur la pièce jointe.

  • Écrire avec sa propre langue, avec des mots de plus de trois syllabes, sans points d’exclamation, sans titres stupides ni le reste de ces accroches dont elle usait d’ordinaire pour appâter les lecteurs.

  • Je dois vivre avec les conséquences de mon choix : soit me cacher la tête dans le sable ou me terrer la queue entre les jambes, soit faire ce que j’ai à faire.

  • D’une manière ou d’une autre, il avait pris le contrôle de son ordinateur, il avait épié ce qu’elle faisait, il la voyait et l’entendait. En plus, il avait dû entrer par effraction dans sa messagerie privée et en déterrer jusqu’à ses photos compromettantes. Que pouvait-il y avoir trouvé d’autre ? Les lettres qu’elle envoyait ou recevait ces dernières années, les historiques de ses chats en ligne, ses factures, ses résultats d’analyses médicales… En un mot : tout.

  • Elle aurait aussi voulu demander : puisque le journalisme de caniveau vous indigne tant, comment en êtes-vous venue à visiter notre site ? Par hasard ? Ou parce que vous aimez quand même lire des potins de temps à autre ? À moins que vous ayez justement voulu vous indigner ? En fin de compte, elle ne répondit pas. Un peu parce que les arguments qu’elle avançait pour sa défense ne la convainquaient pas elle-même.

  • Elle n’avait pas envie de le boire : elle se sentait toujours nauséeuse, sa gorge était crispée. Elle l’avait acheté parce qu’elle avait besoin d’un laissez-passer pour ce monde de canapés moelleux, de murs beiges et de pâtisseries saupoudrées de sucre glace. Ici, dans ce simulacre peu convainquant de salon américain, elle pouvait plonger dans les conversations et les rires d’autrui, ce qui lui procurait l’illusion f'une compagnie.

  • Dire qu’elle avait les meilleurs résultats. Qu’elle passait parfois ses nuits au bureau. Que lorsqu’il le fallait, elle travaillait les week-ends. Que tout le monde disait parfois un truc stupide, mais que ça ne se reproduirait plus. Qu’ils n’avaient pas à la reconduire manu militari, comme une vulgaire criminelle. Qu’après toutes ces années, elle méritait peut-être un meilleur traitement.

  • Elle avait conscience que son article en soi n’était qu’un condensé de formules toutes faites et d’adjectifs dramatiques. À la fac, on aurait raillé un tel texte… Pire, même sa prof de polonais de l’école primaire, paix à son âme, lui aurait donné un zéro pointé avec un point d’exclamation, voire avec trois… Enfin bref, comme le disait sa rédac-chef Ula Mackowicz, le devoir d’un journaliste, c’est d’écrire des articles que les gens lisent et pas que les gens devraient lire.

  • Une autre solution subsistait encore : l’avortement. Un mot qui, en Pologne, n’était prononcé qu’à voix basse, à la maison, sans se regarder dans les yeux et en tournant le dos au crucifix accroché au mur. Hier encore, Radek était un fervent opposant à cette pratique.

  • Ceci générait davantage de flux non seulement sur la page qui avait publié l’article en premier, mais aussi sur les sites intermédiaires. Gagnant-gagnant, une symbiose parfaite. Dans le cas des sujets les plus porteurs, cela déclenchait une réaction en chaîne : Pudelek.pl citait Pomponik.pl qui se fondait sur Talons aiguilles qui se basait sur Potins qui postait un lien vers Fakt.pl.

  • Je m’efforce de regarder vers l’avenir, de ne jamais me tourner vers le passé. Ce qui est fait est fait. Il faut savoir se réconcilier avec soi-même, avec le monde. Il faut apprendre à pardonner. Si jamais j’ai des ennemis, je ne sais rien à leur propos. Et je leur pardonne parce que je ne porte pas de sentiments négatifs en moi. C’est toxique.


Biographie

Né à Varsovie en 1986, Jakub Szamałek est un archéologue et écrivain polonais, scénariste de jeux vidéo.
Il a fait des études d'archéologie de l'Université d'Oxford avant d'obtenir un doctorat d'archéologie méditerranéenne à celle de Cambridge.
Son premier roman "Kiedy Atena odwraca wzrok" (Quand Athéna détourne le regard), polar antique à Athènes, a reçu le Prix Grand Calibre des lecteurs en 2011. Pour "Czytanie z kości" (La Lecture des ossements), polar antique entre l'Étrurie des Étrusques et l'Italie contemporaine, il a reçu le Prix Grand Calibre pour le meilleur roman policier polonais publié en 2015.
De 2012 à 2021, il est associé au studio CD Projekt. Il prend part notamment à l'écriture du scénario des jeux "The Witcher 3: Wild Hunt" et "Cyberpunk 2077". Il rejoint ensuite l'équipe de Incredible Dream Studios.Il est également l'auteur d'une trilogie de thriller contemporain dans le monde cybernétique du web profond au XXIe siècle dont "Tu sais qui" ("Cokolwiek wybierzesz", 2019) est le premier tome.

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jeudi 27 juillet 2023

MICHELE PEDINIELLI – La patience de l'Immortelle – Entions Aube Noire – 2021.

 

L'histoire

Ghjulia Boccanera, détective privée, accompagne son ancien compagnon, le commissaire Jo Santucci pour les obsèques de la nièce de celui-ci, Letizia, assassinée dans des conditions atroces. Si il doit repartir pour Nice, Jo demande à « Diou » le surnom de Ghjulia de mener l'enquête de son coté, en Corse, dans le haut maquis des montagnes de l'Alta Rocca. Dans un village où les gens sont taiseux, parfois désagréables, mais rien ne pourra arrêter l'obstinée détective, ayant toujours l'intuition et malgré la 50ne son look indéfectible de rockeuse.


Mon avis

Des polars j'en lis énormément, des polars purs et durs, ou seule compte l'enquête. Mais là j'ai été agréablement surprise par le travail de Michèle Pedineilli. Pas un mot de trop, la magnifique nature corse, loin de la carte postale, une écriture soignée mais qui ne mâche pas non plus ses mots et ses idées.

Déjà, présentons notre héroïne « Diou », Ghjulia Boccanera. Cette cinquantenaire, qui porte toujours des docks-marteens aux pieds et un blouson de cuir, est détective de métier et parfois encore un peu « adulescente ». Corse d'origine, elle a quitté sa vallée pour Nice, où elle s'épanouit dans son travail. Ce retour en Corse, sa terre natale va la confronter à une enquête difficile. Ou plutôt deux enquêtes qui sont liées.

A la demande de Jo, son ancien compagnon, qui doit repartir à Nice, elle doit trouver des pistes pour comprendre comment Letizia, présentatrice du JT de F3 Corse et journaliste d'investigation a été retrouvée brûlée post-mortem dans sa voiture. Dans quoi s'était-elle fourrée ? De plus cette méthode ne ressemble pas à la maffia corse qui exécute plutôt en plein jour un gêneur pour bien faire comprendre qui règne en maître. Mais dans ce hameau de quelques maisons, une petite église et un bar, il n'y a pas grand monde pour aider Diou et surtout pas la police locale qui est surtout gangrenée par des arrivistes. Grâce à l'aide d'un petit carnet trouvé en fouillant la maison de Letizia, et à l'amitié de quelques bonnes âmes, Diou va découvrir des drôles de pratiques agricoles. La très belle région de l'Alta Rocca, par endroit on a une vue magnifique sur les plages Propriano. Hors la loi Littoral interdit des constructions sur la côte. Mais il y a une solution facile : provoquer un petit incendie de forêt dans le maquis, 2 à 3000 ha, ce qui fera baisser sa vente, et pourra être racheté par un promoteur malgré une loi rendant le terrain inconstructible pendant 10 ans, il suffit de graisser quelques mains avides. Il y a aussi les oliviers millénaires qui disparaissent. Déjà un parasite mortel les menace, mais la nuit sur certains terrains agricoles où il y a des plantations d'oliviers, ceux-ci sont purement et simplement arrachés du sol, pour être revendus à des particuliers qui ont des belles villas. Et le prix d'un tel arbres se vend entre 10 et 15000 euros, ce qui n'est pas rien. C'est que Diou apprend d'un élagueur et militant écologiste Simon, confirmé par une autre militante. Hélas ils n'ont pas de preuves tangibles, entre la mauvaise volonté des autorités, parce que le tourisme cela rapporte et que des sociétés écrans apparaissent et disparaissent comme par magie. Hors Diou va se rendre compte que son ex-belle famille, avec lesquels les rapports sont tendus n'est pas étrangères à ces pratiques. Mais quand le mari de Letizia, déjà soupçonné par la police s'évapore tout d'un coup, l’enquête prend une autre tournure. Et là tout le mot vengeance au féminin corse prend son sens.

Féministe, libertaire, écologiste voilà un roman que j'ai adoré. Parce qu'on le lit d'une traite, parce que le mot est juste, que les expressions du patois corses sont explmiquées et donnent un petit charme au texte, qui sait jouer d'humour et de poésien parce qu'il nous fait rêver aussi d'habiter dans un simple pagliaghu (bergerie) ou de sentir les mures sauvages et les cistes du maquis. Et qu'on aimerait aussi rencontrer un sympathique vieillard, Barto qui connaît bien des histoires sur la région, entre 2 parties de belote, quelques verres de vin, et un charme malicieux.


Extraits :

  • Est-ce que je suis la seule à considérer la nuit solitaire comme une aventure ? Attendre la moment où tout bascule. Savoir qu'elle sera peuplée de tout ce qui est interdit ou impossible le jour. Savourer les rêves. Accepter les cauchemars. Se réveiller et parier sur l'heure avant de jeter un coup d'œil à la montre. Fouiller pour retrouver le bouquin qu'on a lâché quelques heures plus tôt. Se recaler sur la voie du livre. Replonger lumières allumées. Repartir sur d'autres chemins que les siens. Savoir que de ceux-là, on en revient. Mais ce n'est pas sans risques. À chaque fois que je pose ma tête lourde, ça déboule. Ça déborde, ça se retourne, ça se presse, ça fouaille. Ça se cogne aux parois, ça rebondit, ça insiste. Tout ce que tu repousses dans la journée, qui t'assaille au moment où tu baisses la garde. Ce moment tendre où tu crois que tu vas pouvoir plonger. Et ton bide qui s'y met aussi, à décider que la fin du monde est proche et qu'il lui faut se rétracter et se dilater une dernière fois. Pas de raison que ton second cerveau te foute la paix quand le premier se prend pour un cœur et bat la campagne. Tu vois pourquoi je préfère la ville. Allez, Boccanera, ferme les volets. De force.

  • Un moment suspendu avant que la réalité des autres ne te rattrape. Une parenthèse flottante, hors du temps et des conventions. Cet espace de légèreté, interdit par ailleurs. Car le monde n'est pas léger. Il fait la gueule en permanence. Le monde est lourd comme une putain de croix à porter juste pour pouvoir vivre dans une vallée de larmes. On a tous le droit de s'évaporer de temps en temps.

  • Elle est de celles qui pensent oui ou non, sans place pour le peut-être. Ces gens pétris de certitudes et de principes. Enfin "pétris", je ne pense pas qu'on ait pu jamais les modeler, ni même les caresser après tout.

  • Putain,Nice-Ajaccio, c’est quarante minutes de vol et c’est aussi cher que pour partir à New York ! Tu étais au courant que pour aller en avion en Corse, il faut avoir vendu un rein à l’avance ? - Oui, le second, c’est pour négocier le billet retour.

  • Le soleil avait plongé dans l’eau depuis un bon bout de temps et je me suis pris les étoiles en pleine face. Des milliards d’étoiles qui se tiraient la bourre pour savoir qui brillerait le mieux et le plus longtemps. Entre celles qui palpitaient doucement comme un cœur de vieillard, celles qui faisaient semblant de disparaître pendant quelques secondes et les plus matures, solides et imposantes dans leur lumière blanche.

  • Les oliviers, eux, ont la puissance e me transporter n'importe où sur les bords de la Méditerranée. A Oran, en Palestine ou en Crête, je me sentirais chez moi sous cet arbre. Installée sous sa ramure, rien ne t'empêche de voir la proue d'un bateau grec en toute pour Nikaia, une bergère de Bejaia qui ne bouge pas, le cœur fixe sur Majnoun et Leila. Ou Salvo Montalbano qui nage une dernière fois vers la plage de Vigata.

  • Le monde est lourd comme une putain de croix à porter juste pour pouvoir vivre dans une vallée de larmes.

  • Le serveur amène nos consomrmations avec un air enjoué « Et une glace pour la petite princesse ! » Je me demande à quel moment du siècle dernier les fillettes ont basculé sous le statut de princesses. Ça vient d’où ? C'est la faute à Mickey ? À la pub ? C’est si enviable que ça d'etre enfermée dans un donjon ou endormie sous une cloche de verre ? D'attendre un bellâtre en armure avant d’enchaîner les grossesses pour atteindre le bonheur officiel ?

  • Le doute, c’est bien, ça : ça permet de suspendre la pensée avant de la relancer, c’est un vrai moteur. Et dans ce monde, il y a quand même un nombre incalculable d’abrutis qui feraient bien de se suspendre tout court avant de l’ouvrir, au lieu de nous imposer leurs inepties.

  • La Corse l'hiver, c'est tellement particulier. D'abord il n'y a presque personne, enfin personne du continent. Et oui le maquis oublié qu'il est méditerranéen et offre un imaginaire d'Irlande : du vert, de la brume et de l'humidité.

  • On a tous le droit de s'évaporer de temps en temps. Pour rejoindre l'insouciance qui s'est barrée on ne sait où. Alors boire. Pour moi c'était boire. Et c'était facile. Aujourd'hui, en ces temps où prévention et tempérance sont la base de tout affichage public et de tout échange humain, braves sont les amoureux déclarés de l'excès.

  • Pierre Ferrali est mort lors d’une battue, dans ce qu’on appelle communément un « accident de chasse », c’est-à-dire qu’on l’a retrouvé le crâne explosé par une bonne giclée de chevrotine, son chien gémissant à ses côtés. Le problème de cet accident, c’est qu’on n’a jamais retrouvé le fusil qui a tiré, ni le type qui tenait le fusil. L’analyse des armes des quatre autres chasseurs n’avait rien donné.

  • Cette flamme, elle t’empêche de rester assis sur ton cul sous prétexte que tu aurais atteint la limite, que ton ticket n’est plus valable, que le monde peut se déliter devant toi… Avant de m’embaucher, il m’a posé sa question test, j’ai failli lui mettre ma main dans la gueule et on a conclu un marché. J’étais loin d’imaginer dans quoi je mettais les Docs à ce moment-là.

  • Tu sais que quelque chose ne va pas quand l’air possède une certaine vibration, une longueur d’onde inhabituelle. Parfois c’est un chuintement ténu quelque part, les mâchoires qui se crispent involontairement, le plexus qui semble vouloir s’enfoncer à l’intérieur de ta cage thoracique.

  • J'ai la chance d'avoir la tête collée contre le hublot. Parce que petit à petit se découpe la silhouette de la plus belle île du monde, cette montagne verte au milieu de la mer. Tu vois précisément les côtes se déchirer au contact de l'eau, comme une dentelle aux franges abruptes d'écume blanche, puis tu glisses le long du rivage occidental qui s'adoucit de ce sable qui se fond avec le turquoise. Difficile de résister.


Biographie

Née à Nice en 1968, Michèle Pedinielli est journaliste de formation. Après quinze années de ce métier elle est passée à la conception éditoriale web. Consultante en communication digitale, elle a formé des journalistes au web, tout en rédigeant quelques papiers, pour divers journaux.
De retour dans ses Alpes Maritimes natives, elle se destine à l’écriture faisant suite à la sélection de sa première nouvelle, "Celle que l’on ne voit pas", par le Festival Toulouse Polars du Sud. Elle obtient le troisième prix au concours de nouvelles Thierry Jonquet 2015. Sur sa lancée elle écrit le roman policier "Boccanera" qui est édité en 2018 aux éditions de l'Aube. Michèle Pedinielli a reçu le prix Lion Noir 2019 pour son roman lors du festival du Livre Policier de Neuilly-Plaisance. En mai 2019, elle a publié "Après les chiens", une nouvelle enquête menée par Ghjulia Boccanera. Rédactrice, elle collabore à retronews.fr, le site d'actualités historiques de la BNF. Michèle Pedinielli vit à Nice. « la patience immortelle est la 3ème enquête de Diou.

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mercredi 26 juillet 2023

HENRI LOEVENBRUCK – Les disparus de Baltimore – Editions XO - 2023

 

L'histoire

1925, Île de Baltimore, une petite île perdue dans la Manche entre Jersey et Guernesey. La jeune diplômée de criminologie française, Miss Chapelle est appelée par un lointain parent, un vieil homme qui vit dans une des plus belles maisons de l’île. Il demande son aide pour retrouver sa petite-fille, disparue étrangement quelques semaines auparavant. De son coté, le détective anglais Pierce reçoit une lettre de son ami, le prêtre du village qui lui demande son aide. A son arrivée, l'homme a disparu. Face à des habitants hostiles, les 2 détectives ne seront pas de trop pour mettre à jour la folie de quelques hommes qui veulent faire revivre une très ancienne religion.



Mon avis

Les Américains ont Dan Brown, les français ont Loevenbruck, auteur passionné de polars à caractère mystique ou de sagas fantasy/écologique. Des titres comme l'Apothicaire où le Syndrome de Copernic n'ont rien a envier au Da Vinci Code.

Le voilà de retour avec un polar dans la veine de ceux qu'il écrit le mieux, le polar mystique. Ici, nous baignons dans un univers étrange, pluvieux sur une île isolée. Le début peut être un peu rebutant, il s'agit de présenter l'île et les deux principaux personnages. La jeune Lorraine qui est une femme qui n'a pas la langue dans sa poche, et le plus retenue Pierce, très british. De rebondissements en rebondissements, nous avançons avec les enquêteurs, sans jamais avoir une « longueur d'avance », si ce n'est proche du dénouement.

Je regrette un peu les trop nombreuses descriptions que ne nous apprennent rien, mais il y a un coté ludique à jouer nous aussi aux détectives.

Petit à petit les détectives personnalités complémentaires vont partir sur les traces d'une très ancienne religion qui inspirera les légendes celtiques, tout cela étant inventé par l'auteur qui a une belle imagination en ce qui concerne le mysticisme, et d'étrange. Un plan de l’île et un plan de la ville de Blackmore (en fait il s'est inspiré d'une petite île, celle d'Aurigny.

Loevenbruck dit aimer Sir Conan Doyle, mais aussi Lovecraft, Agatha Christie, Maxime Chattam. Si vous aimez les univers très étranges, ce livre est pour vous. J'ai personnellement beaucoup plus aimé l’Apothicaire, mais pour une lecture estivale avec un petit frisson ce livre-là est parfait. Avec une mention spéciale pour son héroïne, la plus jeune et première femme diplômée en criminologie de France, qui est inventive, courageuse, pleine de ressorts et qui revendique haut et fort un tout nouveau féminisme pour l'époque et pour la mentalité quelque peu abrupte des îliens.


Extraits :

  • L'immense édifice, accroché en terrasses successives au sommet de la petite île, était déjà visible de la mer. Quand, en débarquant sur l'île, on arrivait enfin à son pied, sa silhouette devenait saisissante. On se sentait alors comme sous son emprise, comme aspiré par elle . A cet instant précis, Edward eut l'impression que, si le murmure des brumes - ce mystérieux sifflement que le vent poussait à travers les montagnes - devait prendre naissance quelque part, c'était peut être là, dans les sous-sols du sanatorium de Bragbury. n en cherchant ce qu'il veut, et vous pouvez savoir ce qu'il veut en cherchant ce qu'il poursuit.

  • Les livres sont comme les hommes, mon ami : Quand on les aime, on ne les parque pas en fonction de leurs dénominateurs communs, car alors ils s'appauvrissent. On les laisse se mélanger à leur guise, d'où qu'ils viennent, afin qu'ils s'enrichissent de leurs différences.

  • Pour les sages, il n'est d'autre repos que la mort … - Dans ce cas, permettez-moi, Edward, d'aller mourir quelques heures. Nous ressusciterons pour le petit déjeuner.

  • Du droit de toute femme et de tout homme à combattre par le raisonnement ce qui lui paraît nuisible, à défendre par les actes ce qui lui paraît juste et utile , et à opposer au droit du plus bruyant celui du plus capable.

  • Mais en ce moment j'ai un petit faible pour Wilkie Collins, dont les romans à suspense me tiennent tellement en haleine que j'ai l'impression de les lire en feuilleton, comme ils étaient publiés en leur temps.

  • Et alors ? Vous n'arrivez pas à régler ça tout seul, cornegidouille ?

  • Il n'y a rien de tel qu'une foule euphorique pour me rappeler à quel point je déteste mon prochain.

  • out doux, mademoiselle ! Nous ne savons pas jusqu'où cela peut descendre. Nous devrions peut-être aller chercher un équipement de circonstance, avant de jouer aux spéléologues. Des lampes, des cordes, des grappins, ce genre de choses... - Du whisky ? - Évidemment. - Alors soit.

  • ls s’en amusèrent à voix basse tandis qu’ils montaient les marches, plaisantant notamment au sujet du faible taux de remplissage de l’hôtel, dont la cause n’était pas compliquée à établir… N’ayant croisé personne d’autre dans ces murs depuis la veille, ils se demandèrent même s’ils n’étaient pas les seuls clients du triste établissement. - Je crois bien que c’est la première fois de ma vie que j’invite une femme à entrer dans ma chambre d’hôtel, annonça Pierce en glissant la clef dans la serrure. - Vous filez un mauvais coton, mon garçon…À peine Edward avait-il ouvert la porte qu’il se pétrifia. - Saint Christ ! s’exclama-t-il avant de se mettre à courir soudain à travers la pièce, dont la fenêtre était grande ouverte. Lorraine lui emboîta le pas. - Là ! Il s’enfuit ! s’écria le détective en pointant le doigt vers le parc de l’hôtel. L’empaffé ! Il a pris les documents ! Pierce fit volte-face et retourna vers le couloir.- Que faites-vous ? s’exclama la jeune femme, perplexe.- Il faut le rattraper, pardi !- Mais, enfin, ça irait plus vite de… Lorraine n’eut pas le temps de lui expliquer qu’il était plus logique d’emprunter le même chemin que le cambrioleur : Edward avait déjà disparu dans l’escalier. Dans un haussement d’épaules, elle ôta ses chaussures, enjamba la fenêtre pour descendre la façade et s’agrippa à la large conduite d’évacuation qui courait le long du mur.

  • endant la demi-heure que dura sa course folle, Melle Chapelle éprouva une plénitude dont aucun être sur terre n'eût pu comprendre la profondeur, car, à la vérité, elle n'avait plus ressenti plaisir si intense depuis de très longues années. Et alors plus rien n'exista en son cœur blessé que le défilé des arbres, les successions de collines bienveillantes que sa chevauchée avalait l'une après l'autre, la révérence complice que lui adressaient, sur son passage, les phares haut perchés, les ruines lointaines et les voûtes de granite, les claquements délicieux des cylindres que les gorges de roche grise lui renvoyaient en écho, comme autant d'ovations miséricordieuses. Plus rien n'exista que la terre et le ciel, et aussi longtemps que continua cet instant suspendu, ils lui appartinrent tout entiers.

  • Tenez, par exemple : levez les yeux, Edward, et regardez la taille de l'école des filles, où nous nous apprêtons à entrer. Elle ne fait pas même le quart de celle des garçons, là-bas, à l'autre bout de la rue de la Vallée. Comment voulez-vous que j'aime une espèce qui, elle-même, néglige la moitié de ses individus ?

  • Les historiens modernes, cédant à la celtomanie de ces dernières années, font désormais silence sur les pratiques les plus primitives de cette civilisation antique. Les druides n'étaient pas d'inoffensifs érudits, amoureux de la nature, mais, stricto sensu, les grands prêtres de la mort. Tenez, par exemple, savez-vous que les druides se livraient à ce que l'on appelle des sacrifices « chthoniens », c'est-à-dire adressés aux divinités infernales ? Lors de cérémonies funestes, ils sacrifiaient de jeunes personnes, auxquelles ils coupaient la tête, puis laissaient leur corps pourrir, pendant six mois, dans une fosse circulaire. Ils offraient ensuite leur chair pourrissante aux divinités souterraines, dans l'espoir que celles-ci rendraient les terres plus fertiles.

  • Mais non ! Tout va bien se passer. - En général, quand quelqu'un prononce cette phrase, cela finit mal...

  • Si l'ordinaire consiste à ne pas oser verbaliser ses pensées de peur de heurter son interlocuteur, en effet, je ne m'y inscris guère. Les filtres sociaux m'ont toujours paru être une terrible perte de temps.


Biographie

Né à Paris en 1972, Henri Lœvenbruck est écrivain, parolier et scénariste. Auteur de thrillers et de romans d'aventures, il est traduit dans plus de quinze langues.
Après le bac, hésitant entre la musique et la littérature, il tente d’allier ses deux passions : la semaine, il étudie en khâgne au lycée Chaptal et le week-end il se défoule en concert ou en studio avec de nombreux musiciens. Après avoir étudié la littérature américaine et anglaise à la Sorbonne, l’heure du service national venue, il fait une objection de conscience et passe 17 mois comme maquettiste aux Éditions Francophones d’Amnesty International, il épouse d'ailleurs une Anglaise, puis il part vivre en Angleterre, près de Canterbury, où il enseigne le français dans un collège.
De retour en France, il exerce divers métiers, de barman à web-designer en passant par professeur d’anglais, avant de se diriger vers le journalisme littéraire. Après quelques pas dans le journalisme et la musique (il chantait et jouait de l’orgue Hammond dans divers groupes de rock parisiens), au milieu des années 90, il fonde Science-Fiction Magazine avec Alain Névant, un ami d'enfance. Après être resté rédacteur-en-chef de ce titre de 1996 à 2000, il publie son premier roman en 1998 aux éditions Baleine, sous le pseudonyme de Philippe Machine. Il décide ensuite de se consacrer pleinement à l'écriture.
Il publie alors deux trilogies de Fantasy, "La Moïra" (2001-2002) et "Gallica" (2004), lesquelles rencontrent un succès inédit pour un auteur français ("La Moïra" dépasse en France les 300 000 exemplaires, toutes éditions confondues, et les droits sont vendus dans 11 pays). Suivront de nombreux thrillers aux éditions Flammarion ("Le Syndrome Copernic", 2007, "Le Rasoir d’Ockham", 2008…) qui lui vaudront d’être qualifié par le Nouvel Observateur de "nouveau maître du thriller français". Auteur-compositeur-interprète, il écrit des chansons pour lui-même et pour d'autres artistes français. De 2013 à 2015, il rejoint le groupe de rock Freelers.Membre fondateur du collectif d'artistes La Ligue de l'Imaginaire, en juillet 2011, il est nommé Chevalier de l'Ordre des Arts et des Lettres. En 2015, son roman "Nous rêvions juste de Liberté", salué par la critique, est en cours d'adaptation pour le cinéma.

- Son site : https://www.henriloevenbruck.com/



samedi 22 juillet 2023

BENJAMIN WHITMER – Les dynamiteurs – Gallmeister 2020 ou poche Totem.

 

L'histoire

Denver 1895. Celle qui fut la ville la plus prospère aux pieds des Rocheuses, grâce à l'exploitation des mines d'or n'est plus que l'ombre d'elle-même. Ceux qui n'ont pas pu partir ailleurs sont devenus des SDF, la maffia locale règne en maître tout comme la corruption. A 15 ans, Cora, jeune fille fluette mais à la détermination intacte recueille des enfants dans un lieu désaffecté nommé l'Usine. Lieu où vit également Sam, 11 ans, amoureux de Cora sans le lui dire. Les enfants se nourrissent de déchets, de vols, de mendicité et arrivent à maintenir leur territoire intact contre les violences des SDF. Mais voilà que Sam et Cora, après avoir soigné un homme défiguré et force de la nature se voit proposer un boulot par Cole, qui n'est autre que l'un des chefs de gangs maffieux les plus cruels de la région. Et Sam va alors entrevoir les ravages des luttes sans pitié entre gangs rivaux, police locale complice, jusqu'à ce que Denver soit reprise en main par des hommes non-corrompus et que les ligues de vertus fassent leurs œuvres.



Mon avis

Le dernier opus de Benjamin Whitmer vient de sortir en poche Totem et ce n'est pas de la lecture pour âmes sensibles. La violence est omniprésente, entre quelques moments de tendresse.

Commençons par la douceur donnée par Cora, cette enfant qui depuis des années déjà recueille les orphelins et leur offre un toit et de la nourriture. Cora a un cœur immense et elle mène à la baguette sa petite tribu. Chacun sauf les petits ont une mission, comme ramener à manger, mendier, voler, et protéger l'usine contre les attaques incessantes des SDF en face. Si le lieu est misérable il offre un toit et avec des couvertures, des cartons, les talents de couturières de Cora et son énergie permettent aux enfants de ne pas être livrés à eux-mêmes ou finir à la merci des gangs : prostitution, trafic de drogues, jeux clandestins. Elle est épaulée par Sam, trouvé dans la rue et qui est follement amoureux de Cora sans jamais lui dire et elle, si elle le devine, a du mal à lui interdire notamment de s'engager auprès de la pire bande de truands de la ville.

L'histoire commence avec l'arrivée sur le toit de l'usine qui permet un panorama à 360° de la ville d'un homme défiguré et muet, une force de la nature qui, en voulant écarter une bande de SDF a été blessé. Cora le soigne et les enfants qui au départ en ont peur deviennent ses protégés. Car souvent Goodnight, c'est son nom, vient dormir sur le toit. Bien que muet, Sam se rend compte que l'homme n'est pas un idiot et le suit jusqu'à se faire embaucher à l'Abattoir, le club de Cole qui gère les tables de faro clandestins, des bordels, le trafic de drogue. Cole vit dans une belle maison aux abords de la ville avec sa femme Betty, un amour tumultueux de deux alcooliques, mais Cole respecte ses filles et les protège avec son équipe de gros bras.

Mais Cole est gênant, pour les autorités qui sont bien impuissantes et les concurrents qui ont quelques agents de police à leur solde. Cole, homme irascible, refuse une proposition de fermer ses tables de jeu, en échange d'une protection par des policiers corrompus. Mais on ne dicte aucune loi à Cole. C'est alors un déchaînement de violences, où le moindre faux pas, la parole de trop vaut un coup de fusil où un écrabouillage en bonne forme par les molosses qui entourent Cole. Qui va jusqu'à lyncher en public le flic ripoux de la ville. Une vraie guerre s'organise. Sam assiste à tout cela, il est trop jeune pour manier les armes, pas assez costaud pour tabasser à mort les ennemis désignés. Son rôle est de surveiller Goodnight, dynamiteur de profession, qui ne se remet pas de la perte de sa fiancée, probablement dans une explosion ou une bagarre.

Cette vie à 100 à l'heure, ponctuée sans cesse de rebondissements souvent macabres, lui fait oublier Cora, laquelle a finalement rejoint le pasteur Tom, un homme qui lui aussi recueille les sans-abris, et aménage pour elle une aile dans son monastère pour les enfants, enfin bien nourris, habillés de linge propre, toilettés et en sécurité. Je vous laisse lire l'épilogue pour ne pas spoiler.

Whitmer connaît Denver comme sa poche et y a fait des recherches sur le passé trouble de la ville, il connaît son histoire par cœur et si il la romance dans le style brut et violent qui est le sien, c'est pour mieux souligner ces exclus, ces enfants dont personne ne veut, analphabètes, livrés à eux-même, à qui personne ne vient en aide. « Les crânes de nœuds » comme ils nomment les adultes, hormis le pasteur, ne font rien pour eux, pas plus qu'ils ne font pour les SDF. La svie américaine est déjà fracturée : d'un coté la bonne société qui vit dans des beaux quartiers, dont les femmes se font grandes dames des ligue de vertu (mais pas pour les plus crados et ceux qui ont vraiment besoin) et où les hommes se battent pour le pouvoir, tout en fréquentant les bordels chics de la ville. Alors Cora crée son univers avec rien, juste son grand cœur, et personnellement je trouve que le personnage n'est pas assez exploité. Sam lui est un jeune foufou qui fonce tête baissée dans les emmerdes, même si il s'en sort toujours, mais n'utilise pas sa finesse de pensée et le fait qu'il est le seul lettré de la bande d'enfants. Le monde sombre des voyous le fascine et il n'anticipe pas l'avenir et surtout finit par oublier totalement Cora, la seule qui pouvait lui apporter la paix. Il est aussi le narrateur de cette histoire cruelle, bestiale presque où la tendresse des duos formés par Sam/Cora, Sam/Goodnight, Cole/Goodnight, Cole/Sam sont noyés par la violence, la survie, la totale perte d'humanité face à un monde qui se défait (Denver sera reprise en main en 1902 par l'élection d'un maire non corrompu mais il faudra attendre les années 1970 et l'arrivée du pétrole pour que la ville redevienne une grande ville américaine, avec son université, et plusieurs institutions fédérales). Un roman qui se tient mais qui ne vous épargnera pas.



Extraits :

  • Vous ne pouvez jamais croire ce que les gens vous disent d’eux-mêmes. Je n’ai jamais rencontré une seule personne qui se connaisse un tant soit peu elle-même. Quand quelqu’un vous dit qu’il est honnête, ça ne vous renseigne pas du tout sur le fait qu’il soit honnête ou non, ça vous dit juste que ça lui plaît de penser qu’il est. Et c’est la seule chose que vous puissiez apprendre de ce que les gens vous disent. Ce qu’ils aimeraient être.

  • La vérité, c'est que je ne pense pas que la plupart des gens veuillent réellement l'amour. L'amour fait exploser votre vie en mille morceaux, et il les réarrange selon ses propres lignes. Et il est éphémère. Si vous le manquez, vous le manquez. Il a son temps à lui, et vous n'en êtes pas maître. Si vous ne le prenez pas dans votre filet quand la chance s'en présente, il disparaît. Et même si vous l'attrapez, il finira toujours par vous briser le cœur. Même quand il dure une vie entière, il finit par laisser l'un de vous deux seul dans un monde si vide que c'en n'est pas supportable.

  • Dans le centre-ville, des hommes en cravate se pressaient les uns contre les autres pour monter dans les trams en disant des trucs débiles comme "Je vous prie de m'excuser" ou "Comment allez-vous ?". Dans le centre-ville, des femmes à taille de guêpe marchaient à petits pas sur les trottoirs, coiffées de chapeaux à plume. J'aurais donné n'importe quoi pour voir tous ces gens-là se nourrir comme nous de poules sauvages et de cactus. Il n'y en avait pas un seul capable de tenir dix minutes sans vivre sur le dos de quelqu'un d'autre.

  • Il y a des débuts et il y a des fins. Mais si vous vivez assez longtemps, vous savez qu'il n'y a pas du tout de vrai début, que tout est seulement le début d'une fin.

  • Presque aucune lumière ne brûlait dans Denver, et la ville s'étendait comme une flaque de cendre étalée sur la plaine.

  • Les gens essaient toujours d'obtenir ce qu'il veulent , et font toujours les choix qui, pensent-ils, leur permettront d'y parvenir. Toujours. Vous pouvez savoir qui est quelqu'un en cherchant ce qu'il veut, et vous pouvez savoir ce qu'il veut en cherchant ce qu'il poursuit.

  • Tu sais ce que Jesse James faisait, quand il cambriolait une banque ? - Non. - Il demandait à toutes les personnes présentes dans la banque de montrer leurs mains. Tous ceux qui avaient les mains calleuses, il les laissait partir. Il ne dévalisait que les fils de putes aux mains douces. Les hommes qui ne travaillaient pas pour vivre.

  • Les lumières de Denver brillaient devant nous comme des soleils lointains. Toutes ces lumières, je me sentais toujours perdu quand je les regardais. Ça me mettait les nerfs en boule de savoir que chacune d'elles contenait le monde entier de quelqu'un. Des mondes dont je ne savais rien, dont je ne saurais jamais rien.

  • Vous avez déjà vu un homme adulte pleurer? - Pas depuis le jour où j'ai planté une fourchette dans le cou de mon père, dit Cole.

  • C'est une sensation qui ne m'a jamais quitté, que je continue à éprouver, et c'est toujours la nuit que je me sens le plus petit. Quand c'est une mauvaise nuit, je suis prêt à tout pour réussir à la passer. Je suis prêt à boire n'importe quoi, à prendre n'importe quoi. Tout ce qui est susceptible de m'anéantir. Je me suis brisé la tête à force de la frapper contre tout ce qui existe pour survivre à une mauvaise nuit.

  • Bon Dieu, je déteste quand il s’exprime par citations, dit Cole. Je peux pas faire confiance à un homme qui parle avec les mots d’un autre.

  • Parce que les riches vont leur tomber dessus comme une tonne de boulets de canon. Et pas pour avoir fait fermer leurs putes et leurs tables de jeu. Pour avoir fait valoir qu'ils devaient eux aussi obéir aux mêmes lois que nous autres.

  • Il était rare de croiser quelqu’un de plus de vingt ans qui n’ait pas perdu quelque chose. Le monde tordait les corps aussi salement qu’il tordait les esprits.

  • Pour le reste d’entre nous, en revanche, les Crânes de Nœud étaient zone interdite. C’étaient des Crânes de nœud précisément parce qu’ils avaient le crâne plein de nœuds. Ce n’était pas compliqué. Ils s’étaient fait embrouiller par tout ce qui les entourait. Par Denver, par leur propre vie. Ils avaient pourri de l’intérieur.

  • Nous restâmes des semaines dans cette cabane. Des mois peut-être. Je perdis le sens du temps. Au début, c’était une sorte de luxe, tout ce temps qu’on avait. Il y avait des livres, et plein de provisions, et pas une seule foutue personne au monde dont je doive m’occuper. Et au début, c’était parfait. Je lisais. J’étais tranquille. En fait, il est possible de vivre sans personne, si vous croyez le faire pour quelqu’un.
    Jusqu’à ce que vous vous rendiez compte que c’est parce que la personne en question se porte mieux sans vous. Ça, ça vous bouffe le cœur à petites becquées de moineau.

  • Il y a une forme de salut dans le fait de haïr la merde qui est à l’extérieur de vous plutôt que la merde qui est à l’intérieur de vous.

  • Les nuits s’étaient un peu réchauffées. Ça commençait à sentir l’été. The Line se vautrait dans l’opium, et nous marchions à cinq de front. Moi, Goodnight, Cole et deux autres gars parmi les plus rudes que Cole avait. Eat ‘Em Up Jake, ancien boxeur professionnel dont les traits se mouvaient avec la viscosité sirupeuse d’un homme qui se serait récemment pris un coup de sabot de mule en plein tête, et Magpie Ned, qui avait un visage comme une vieille lame usée et une tache permanente sur la joue, noire comme un cancer. L’un comme l’autre tuait des hommes comme les petits garçons tuent des fourmis. Tout le monde s’écartait de notre passage. Un chariot de prêcheurs s’était garé dans la rue pour répandre la bonne parole dans The Line ; lorsqu’ils nous virent, leur chant s’étouffa en plein milieu d’une note.

  • Vous commencez par un mauvais choix. Un petit. Vous ignorez peut-être même qu’il est mauvais au moment où vous le faites. Mais une fois que vous l’avez fait, il vous amène à un choix pire. Alors vous faites ce choix.

  • On est dans le journal, dit-il. T'as manqué ça. On a envoyé un gamin courir dans Union Station en criant "pickpocket", et tous les hommes présents ont tout de suite porté la main à la poche dans laquelle ils avaient mis leur portefeuille. Ensuite, sachant où ils gardaient leur argent, nos vrais pickpockets les ont tous détroussés. Je t'ai apporté ta part.

  • e croyais Cole parce que j’avais envie de le croire. Vous avez envie de croire qu’ils savent ce qu’ils font. Qu’ils ont un peu de maîtrise sur les choses. Cole et Goodnight paradaient dans le Monde des Crânes de Nœud comme s’ils l’avaient construit eux-mêmes. Comme s’il n’y avait pas un seul morceau de ce monde qu’ils ne pourraient pas s’approprier. Et vous avez envie de croire que c’est possible. Parce que ça voudrait dire qu’il existe un moyen pour grandir et entrer dans le Monde des Crânes de Nœud sans devenir un Crâne de Nœud soi-même. Mais il n’en existe pas.

  • Pour le papier, il y avait toujours des groupes de dames patronnesses qui distribuaient des bibles sur le trottoir. Elles ne se disaient jamais qu'on pouvait avoir besoin de nourriture, mais il y avait toujours des bibles. Alors je roulai une cigarette dans une page de l'Exode, je l'allumai, la donnai à Cora, puis en roulai une autre pour moi.

  • je n'arrivais à penser à rien d'autres qu'à retourner auprès d'elle. C'était toujours cette sensation qui remontait dans ma poitrine, l'envie de rentrer, l'envie d'être avec elle.
    Il ne se passait pas une minute sans que je brûle de la toucher, de la serrer contre moi, de la sentir, d'enfouir le visage dans le creux de son cou et de humer son odeur, comme une odeur de feu de forêt éteint depuis longtemps, plaquée par la pluie de la nuit précédente.

  • La corruption, la prostitution, l'opium, les bagarres, la guerre et le meurtre, tout ça avait du sens pour eux. Mais pas la dynamite. Ils n'y voyaient aucune logique. C'était impossible de trouver un quelconque sens à une bombe qui saute dans un café. C'était soudain, absurde et brutal. Ils s'en chiaient dessus de peur.

  • L’été, quand l’atmosphère était si chaude et si marécageuse en bas, on vivait sur le toit. Il y avait un cabanon que nous avions construit avec du bois de récupération, du papier goudronné, et des vieux bouts de tuyau de poêle que nous avions coupés en deux et aplatis à coups de semelle. À l’intérieur, on faisait notre feu sur une plaque de fer qu’on avait trouvé en bas, de sorte que nous pouvions cuisiner même quand il pleuvait ou qu’il y avait du vent.


Biographie

Né en 1972dans le Colorado, Benjamin Whitmer est un écrivain américain. Iia publié des récits dans divers magazines et anthologies avant que ne soit publié son premier roman, "Pike", en 2010. Traduit en français en 2012, ce texte a immédiatement séduit tous les amateurs du genre. En 2015, il sort "Cry father". En 2018, son roman "Évasion" ("Old Lonesome") paraît en France en avant-première mondiale. Il est lauréat du prix Libr'à Nous 2019. "Les dynamiteurs" ("The Dynamiters") est publié en 2020.
Ses romans, tous traduits par Jacques Mailhos, ont la particularité d'avoir été publiés en France mais pas aux États-Unis.
Il est également coauteur, avec le chanteur Charlie Louvin (1927-2011), de "Satan Is Real: The Ballad of the Louvin Brothers" (2012).Son roman "Pike" est en cours d'adaptation cinématographique d'après un scénario de François Médéline.
Benjamin Whitmer vit avec ses deux enfants dans le Colorado.

- https://fr.wikipedia.org/wiki/Benjamin_Whitmer

- http://benjaminwhitmer.com/