vendredi 6 octobre 2023

CAMILLA LACKERBG – Femmes sans merci – Actes Sud 2020

 

L'histoire

Trois femmes, Ingrid, Birgitta et Victoria sont des femmes plus que malheureuses en ménage. La première a tout sacrifié à son mari qui la trompe depuis toujours mais sa dernière liaison en date semble durer. La seconde plus âgée subit les coups de son mari et n'ose pas en parler, enfin la dernière est une jeune fille russe, épousée par internet. Son mari suédois se révèle être une brute qui la tabasse, l’humilie, la viole.

Comment ses trois femmes qui ne se connaissent pas vont-elles mettre fins à leur souffrance ?


Mon avis

Camilla Lackberg culmine au top des ventes dans son pays et en Europe. Pour son dernier ouvrage, elle remet en scène les meurtres inversés (comme dans L'inconnu du Nord Express) ou échange de crimes, thèmes récurrent dans les polars ou séries TV. Mais là, ce n'est pas un duo mais un trio de femmes vulnérables.

Avec un petit coté féministe, comme souvent chez Lackberg, mais l'ouvrage, amusant à livre, n'a pas la qualité des polars de sa série Erica Falk (dont on suit les aventures et le petit monde depuis la Reine des glaces.

Sans doute, partagera-t-on l'intrigue où l'on sent la malice et le plaisir d'écrire de l'autrice, mais on aurait aimé un peu plus de développement psychologiques des personnages, leur cheminent interne pour en arriver à cette solution (on sait seulement qu'elles se sont croisées sur un forum internet et que chacune ignore les identités des autres, le comment eut été intéressant).

Bref ce court roman nous laisse un peu sur notre faim.


Extraits :

  • Les couteaux luisaient , alignés parmi la vaisselle propre. Elle enfila ses gants fins , en choisit un grand fin, bien aiguisé, qu'elle soupesa. Elle en avait assez entendu. Elle regagna l’escalier et commença à monter....Quelque part dans la maison une porte s'ouvrit.
    "Putain, sale chienne , tu ne veux pas obéir, hein ?"
    Ingrid s'accroupit en haut des marches et s'immobilisa . L'homme se dirigeait vers elle, elle ne l'avait pas encore vu. Tandis qu'elle attendait , la colère monta en elle. Les pas approchaient. Il venait vers elle, il n'était plus qu'à un mètre quand Ingrid se jeta sur lui Au dernier moment, il avait dû l'entendre, car il se tourna sur lui-même, leva le bras, et elle sentit quelque chose lui cingler la joue.
    Mais il était trop tard. Elle avait déjà plongé le couteau dans son ventre..
    Il haleta , la fixa sans comprendre.Sa bouche était ouverte , laissait échapper un gargouillis . Elle retira le couteau et frappa encore. Et encore.
    Il s'effondra. Ingrid se figea , regarda le corps sans vie.
    Elle entendit de faibles gémissements. Ils ne venaient pas de l'homme, mais de la pièce fermée. " Il est mort dit-elle à travers la porte. Ça va ?" Silence. Ingrid répéta sa question . " Ça va aller" répondit l'autre femme. Ingrid aurait voulut entrer, la serrer contre elle , la consoler, lui dire que pour elle aussi, l'enfer était fini.

  • Tommy ronflait bruyamment. Ingrid posa ses pieds nus sur le parquet, rajusta sa chemise de nuit et se leva. À pas lents, elle quitta la chambre et descendit au rez-de-chaussée. Elle prit le manteau de Tommy, la trousse à couture et s’enferma aux toilettes. Elle se dépêcha de défaire les points qu’elle avait cousus le soir précédent et glissa la main dans la doublure. Elle en sortit le dictaphone, son voyant était vert. Il continuait d’enregistrer. Elle l’arrêta, vérifia qu’il était éteint et soupira.
    Ingrid refoula l’envie d’écouter tout de suite son contenu. Elle commença par recoudre le tissu, sortir des toilettes et raccrocher le manteau.
    Elle glissa le dictaphone dans la poche de son blouson et alla boire un verre d’eau à la cuisine. Dans quelques heures, Tommy allait participer au journal télévisé du matin, et Lovisa serait partie jouer chez une copine. Alors, elle aurait le temps d’écouter l’enregistrement. Elle avait peine à se retenir.

  • Avant de perdre connaissance, elle s'était demandé combien de femmes à travers l'Histoire avaient fini leur vie avec la même vision : l'homme qu'elles avaient épousé, penché sur elles, le visage déformé, en train de les étrangler.

  • Pourquoi personne ne réagit ? Mon monde s'effondre et tout continue comme si de rien n'était ? Jacob était un homme dur et froid qui ne lui avait jamais témoigné de tendresse qu'elle aurait souhaitée, mais son amour pour ses fils était inconditionnel. Il compensait ainsi la froideur qu'il lui manifestait. Aimer ensemble quelqu'un, c'est comme s'aimer avait-elle l'habitude de se dire.

  • Cette zone résidentielle était une prison pour femmes sans barreaux, les femmes y étaient retenues par leur amour et leur devoir envers leurs enfants.

  • Même avec une brillante intelligence, toute mauvaise action n'est réussie parfaitement. Le crime parfait n'existe pas.

  • Si seulement elle avait eu un seul ami, quelqu'un qui soit vraiment gentil avec elle, et la traite comme une personne, et non comme une poupée gonflable avec option ménage et cuisine.

  • elle avait fait de son mieux pour être polie, avait posé des questions dans son mauvais anglais, mais ils avaient continué à se taire en la fixant. Dans la voiture, sur le chemin du retour, Malte lui avait dit que les Suédois n’aimaient pas trop parler.
    Même si elle avait pu s’enfuir, Malte s’était assuré sa soumission par d’autres moyens. À l’insu de Victoria, durant les premiers mois, il avait systématiquement filmé leurs ébats. Il l’avait prévenue : si elle disparaissait, les vidéos seraient postées sur des sites pornos, en particulier russes.


Biographie

Née à :Fjällbacka , le 30/08/1974, Jean Edith Camilla Läckberg Eriksson est une écrivaine suédoise, auteure de romans policiers. Après avoir obtenu son diplôme à la School of Business, Economics and Law à l'Université de Göteborg, elle a travaillé comme économiste à Stockholm. Malgré sa formation d’économiste, elle a toujours voulu être écrivain et vivre de sa plume. C’est alors qu’au début des années 2000, son premier mari, sa mère et son frère lui ont offert un cours d’écriture intitulé "Krim écriture" pour lequel elle conçut l’histoire qui deviendra "La Princesse des glaces" ("Isprinsessan"), son premier roman, édité en Suède en 2003.
Les romans de Camilla Läckberg se situent tous près de son lieu de naissance, la petite ville côtière de Fjällbacka.
Elle a écrit deux livres de cuisine avec son ami d'enfance, le chef Christian Hellberg, et est aussi l'autrice d'une série de livres pour enfants, "Super-Charlie".
Camilla Läckberg a été classée en 2009 6e auteur en termes de ventes en Europe.
La Princesse des glaces", "Le Prédicateur" (Predikanten, 2004) et "Le tailleur de pierre" (Stenhuggaren, 2005) ont été adaptées en bande dessinée chez Casterman en 2014, 2015 et 2018 par Olivier Bocquet et Léonie Bischoff. Sa nouvelle "Le Café des veuves" a été adaptée en court-métrage en 2013.
Parallèlement à l’écriture de ses ouvrages, Camilla Lackberg anime une émission littéraire à la télévision suédoise. Camilla Läckberg est mère de quatre enfants.

Son site : https://camillalackberg.se/en/


jeudi 5 octobre 2023

SOPHIE CHAUVEAU – La fivre Masaccio – Editions Télémaque 2022

 

L'histoire

Qui connaît aujourd’hui Masaccio, jeune peintre grand précurseur de la Renaissance, mort mystérieusement à Florence à 27 ans ? Pourtant par ses innovations, il va bouleverser le monde des Arts et va inspirer De Michel-Ange à Vinci jusqu'aux peintres modernes, pour avoir su avant tout le monde, sortir l'art pictural des icônes : perspective, réalisme des corps, couleurs impétueuses, notamment les rouges flamboyant, expression des visages. C'est la toute dernière biographie ou plutôt roman que nous livre Sophie Chauveau.


Mon avis

Le jeune Tommasso di ser Giovanni dit « Masaccio » est né le 21 décembre 1401, dans un petit village fortifié de l'Arno a quelques kilomètres de Florence. La peste sévit dans la ville du Lys et nul ne peut entrer ou sortir. Mais pour l'heure, son père meurt alors qu'il a 5 ans, et Jacopa, sa mère, le confie à sa belle-famille ainsi que son petit-frère, pour se remarier avec un homme relativement riche que l'enfant ne supporte pas. Très vite, il va travailler dans le grand atelier communal avec les « cassai » les artisans d'art : menuisiers, ébénistes, peintres peu reconnu, charpentier. I sait broyer les pigments, les mélanger à l'huile, il apprend à dessiner juste en observant la nature, avec une seule obsession, devenir un peintre reconnu et donc pour cela entrer comme apprenti dans une des ateliers des artistes reconnus de Florence. D'autant qu'il ne supporte plus les querelles de villageois ni les projets ambitieux qu'on attend de lui.

A 17 ans, la peste est partie, Florence sous le règne de Cosme de Médicis, se reconstruit et Masaccio arrive. Prévoyante, sa mère lui a glissé de quoi manger et aussi des florins accumulés. Très vite il trouve un logement peu onéreux chez une vieille dame du bon coté du fleuve, l'autre rive étant celle des très pauvres dont on continue à ensevelir les cadavres, de la fange, celle qu'on ne veut pas montrer. Et comme si un bon génie s'était penché sur son berceau, il rencontre 2 hommes d'importance : le sculpteur Donatello et architecte Brunelleschi, celui qui réussira à monter une couronne de 3600 m2 pour la cathédrale Santa Maria del Flore, sans échafaudage. Brunelleschi a une formation de mathématicien et mets au point la perspective mathématique. Les deux hommes se prennent tout de suite d'affection pour ce gamin de 17 ans, très grand de taille, peu parleur, vivant de peu. Très vite, il pose pour Donatello ce qui lui permet d'étudier le travail délicat de l'homme qui rejette la peinture telle qu'on la pratique encore, qui revient plus à faire de l'icône qu'un travail de créateur. Très les deux artistes qui partagent le même point de vue sur un renouveau de la peinture propose au tout jeune homme de peindre une grande fresque pour la chapelle Brancacci de Cassia, à 2 heures de marche de Florence. Toutefois, le commanditaire lui assigne un peintre adjoint, un homme plus âgé Maselino, un peintre médiocre, mais heureusement, peu présent, plus préoccupé par les plaisirs. De 1445 à 1448, il peint presque seul les 7 fresques demandées qu'il signe en plus de son nom. Il s'est installé au cloître jouxtant la Chapelle, mange à peine, et travaille presque 24h sur 24, sans aucun repentir (c'est à dire effacer la couche de peinture qu'on juge imparfaite pour rajouter une couche du bon motif, ce que si voit en passant les ouvres aux rayons X. Dès la première toile, ses amis sont époustouflés : sa Sainte Anne, la vierge Marie sa fille et l'enfant Jésus sont d'une composition originale ou le rouge vermillon et le carmin plus foncé tranche avec le manteau d'un bleu presque noir du manteau de la vierge . Au point de fuite se trouve l'enfant Jésus, au teint d'un ocre lumineux et d'une fine chevelure d'un blond aérien. Le manteau rouge flamboyant d'Anne semblant envelopper fille et petit-fils de sa protection. Son visage à elle est tire sur un brun-rouge (ce qui pourrait faire penser que le Christ n'était finalement qu'un homme du monde égyptien, mais Masaccio n'en a peut-être pas conscience, il n'a reçu aucune éducation et ne vit que pour la peinture, toujours allant d'un échafaudage à un autre. Petit à petit le vieux peintre Maselino devient alors plus son élève que son maître supposé.

Masaccio inverse aussi la norme de l'époque : les Grandi, les nobles, seigneurs, riches ne sont pas placé devant comme c'est la coutume, mais derrière le sujet principal. Il peint si bien les corps des miséreux, à qui Saint Pierre (la chapelle Brancacci lui est dédiée) donne l'aumône ou guérit. Et cela Masaccio le fait en toute conscience, mais sans jamais le dire à personne. Une femme du peuple est ainsi représentée altière, avec son enfant dans les bras, sorte de petit-christ débraillé, qui se trouve juste au point de fuite, l’œil se dirigeant directement vers la mère. Ses personnages qu'ils soient riches ou pauvres sont pieds nus, ce qui les posent aussi en égaux. Il glisse aussi des portraits de ses amis.

Masaccio lui parle peu de son travail, ne pense qu'à la fresque suivante, on ne lui connaît pas une petite amie, il ne boit pas de vin, ne s'habille pas correctement alors que son succès est grandissant. Il embauche alors le petit moine Fra Lippi qui l’admire. Les florins gagnés sont aussitôt remis à sa mère venue vivre à Florence, et il trouve un emploi d'artisan pour son jeune frère.

Sa réputation de génie lui vaut des commandes, une pour le carmel de Pise, puis Rome l'appelle et le Pape lui confie une commande. Comment concilier toutes ces commandes ? De plus Masaccio souffre de dépression et ces amis tentent de ne pas le laisser seul. Son chef d’œuvre sera la trinité avec un trompe l’œil en bas qui représente un tombeau sur lequel gît Adam (si il est le premier homme, il est le premier mortel). Mais le centre du tableau est occupé par le Christ sur la croix, et les personnages décalés par rapport aux colonnades peintes sont à taille humaine. Encore une fois l'humain est au centre. Masaccio même si il vit le plus souvent dans des couvents, n'est pas religieux. Il est de plus en plus épuisé, entre ses trajets Florence, Pise, Rome. En 1428, il meurt mystérieusement dans une ruelle romaine, à 27 ans et demi, ni assassiné, probablement sa mauvaise hygiène de vie, son travail, sa course contre le temps l'ont-elles épuisées ? Quand la nouvelle arrive à Florence c'est une énorme tristesse pour ses proches, mais aussi toute la ville, même Cosme de Médicis qui ne l'aurait jamais compris.

Une fois de plus, Sophie Chauveau a effectué de nombreuses recherches pour ce roman dont Masaccio est le héros qu'elle remet au cœur de l'innovation picturale, et comme grand précurseur de la Renaissance Italienne qui va suivre.

Extraits :

  • "Distrait, rêveur, comme un homme dont toutes les pensées et la volonté étaient tournées uniquement vers les choses de l'art, il s'occupait peu de lui-même et encore moins des autres. Comme il ne voulut jamais penser, en aucune manière, aux choses de ce monde, dont il ne se souciait pas plus que de son costume, il fallait qu'il fût réduit au plus extrême besoin pour réclamer quelque argent à ses débiteurs. Il se nommait Tommaso, mais on le surnommait Masaccio, non pour sa méchanceté, car il était la bonté même, mais à cause de ses étrangetés ; d'ailleurs toujours prêt à rendre service à qui que ce fût."

  • Elle est revenue. Elle est là. Elle trône en maîtresse absolue. Elle semble volontairement se concentrer sur Florence. Elle règne sur l'ensemble d'une cité qui, dans l'espoir fou de l'éviter, mime la mort. Elle n'en finit jamais, la Peste. Le mot lui-même est interdit par peur de la contagion. Comme si le mot « chien » aboyait.
    On la croit vaincue. Elle se réveille, revient et reprend sa besogne de mort. Elle tue pour vivre.
    Interdit de sortir de Florence, impossible de s'y rendre. Invraisemblable de bouger. Rester terré chez soi, c'est tout ce qu'on peut faire. Et, pour se terrer, mieux vaut choisir un lieu le moins urbain possible, où le grand vent balaye l'air régulièrement. Ne pas non plus se claquemurer en rase campagne, car, en dépit de la mort qui rôde, il faut s'approvisionner pour survivre.
    Les campagnes du Val d'Arno n'offrent que vins, olives et huile où macèrent de très maigres fromages de chèvre... Insuffisant pour faire pousser de beaux jeunes gens avides de tout.
    Par temps de pandémie, il faut s'installer dans un village bordé de champs et de prairies, et y demeurer en se faisant tout petit jusqu'à son départ.

  • S'il est un point sur lequel la confrérie ne transige pas, du plus petit artisan au plus gros apothicaire, c'est le principe de loyauté. Sur tous les chantiers d'Italie, les pigments sont conservés comme l'or ou l'argent. Parfois, des aides en volent, le plus souvent pour les revendre. Ces larcins-là sont rares, parce que sévèrement réprimés.
    Dans ces cas-là, c'est toute la réserve qui disparaît : les pierres de lapis-lazuli s'évaporent avant d'être pilées, et fini le bleu, plus de Vierge Marie, plus de ciel où ranger les saints et les anges. Parfois, plus direct encore : tout l'or s'escamote d'un coup. Ou tout le rouge. .. Ah non ! Pas le rouge ! Masaccio dormirait avec ses pigments sur son coeur plutôt que de s'imaginer sans son rouge à portée de pinceau.

  • Chacun, du pinceau, montre à l'autre sa façon de penser : d'un côté, les murs se couvrent de rouge, de haine, de folie, de talent ; de l'autre, de bleu, d'or et de servilité à l'image d'un pouvoir triomphant. Pour les yeux frais débarqués de n'importe qui, Masaccio, c'est du génie à l'état pur, sans une goutte d'eau pour le couper, un alcool trop fort pour ses contemporains.

  • Un grand décalage qualitatif sépare les fresques de l'un de celles de l'autre, Brancacci l'illustre mieux que tout. Les panneaux de cette chapelle figurent la ligne de partage des eaux entre deux mondes, l'avant et l'après. L'ombre et la lumière s'y livrent le décisif combat des anciens et des modernes. Et c'est cette fresque en particulier qui le démontre, quand Masaccio choisit de donner à l'ombre de saint Pierre le pouvoir de guérison. Guérir par la peinture même ! il invente là l'idée de peinture thaumaturge.

  • Désormais, sans en avoir une conscience aiguë, Masaccio traite la réalité de façon révolutionnaire. Quasiment malgré lui. Ses amis ne disent rien. Médusés, ils admirent et retiennent leur souffle. Jusqu'où ira-t-il ?

  • Faire. Seul faire lui importe. Au sens du mot grec poiein, c'est-à-dire fabriquer, exécuter, confectionner, mais aussi créer, produire (a même enfanter) . . . ou « agir », qui donne la poésie.

  • Savent-ils à quel point ils sont révolutionnaires, ces quatre, cinq artistes qui jouent à se surprendre ? Pour inventer la Renaissance, il fallait passer par l'incroyable métamorphose des hommes. Ce changement de regard sur le monde ne peut que transformer ceux qui en sont contemporains. Et inversement. Tel est le mystère, l'alchimie de cette période. La poule et l'œuf : qui a commencé ? L'œil ou le raisonnement ?

  • Où repose le squelette d'on ne sait qui, de n'importe qui, donc d'Adam, est gravé dans la pierre : « J'ai été ce que vous serez ce que je suis. » C'est Masaccio qui l'a écrit, et il n'a jamais été plus près de le penser.


Biographie

Née en 1953 à Paris, Dans sa jeunesse, Sophie Chauveau, intègre le Conservatoire national supérieur d'art dramatique de Paris, puis devient journaliste, comédienne et écrivain.
Elle est écrit des romans, des essais, des pièces de théâtre et d'une monographie sur l'art comme langage de l'amour. Elle a publié près de 18 ouvrages et signe également pour la mise en scène.
Elle s'est documentée durant quatre ans pour écrire La Passion Lippi.
Parmi ses engagements militants, elle s'investit dans sa jeunesse au PSU, puis aux Amis de la terre en 1974 aux côtés de Brice Lalonde tout en œuvrant dès l'origine au Mouvement des femmes dès 1971. En 1979, elle anime la campagne des élections européennes pour Huguette Bouchardeau (PSU). En 1993 et en 1995, elle rejoint le comité de soutien de Lionel Jospin et crée les Ateliers de Mai.
Depuis 2002, elle est membre du comité directeur de l'association France-Israël.

mardi 3 octobre 2023

SOPHIE CHAUVEAU – Sonia Delaunay, la vie magnifique – Editions Taillandier 2019

 

L'histoire

Une biographie de plus de Sonia Delaunay, l'une des plus importante si ce n'est la plus importante peintre du XXème siècle ? Non, le livre de Sophie Chauveau est un roman qui donne un autre éclairage sur cette femme, considérée comme avant l'épouse de Robert Delaunay. Pourtant c'est elle qui fera tourner le ménage, c'est elle qui ira la première vers l'abstraction totale, et la place de la couleur. Pas théoricienne, mais véritable touche à tout, elle va anticiper dans beaucoup de domaines. Mais qui est-elle vraiment ? Entre la vie qu'elle montre et ce qu'elle ressent, il y a ce décalage, celle de la petite-fille juive pauvre venue de Russie, et celle, mondaine parfaite, qui aura reçu le Tout-Paris des Arts et des Lettres, collaboré avec les plus grands et être la première femme française à avoir connu une grande rétrospective de son vivant.


Mon avis

Même si vous n'êtes pas passionné par l'art moderne, ce livre ne parle pas que de peinture mais plutôt de la vie d'une femme comme il en existe peu. Racontée sous forme de roman,Classé biographiquement, avec des sous-titres au nom d'un ami ou d'un événement particulier, l'autrice qui a fait d'importantes recherches sur Sonia Delaunay, s'attache à montrer les inventions et le modernisme de Sonia Delaunay, mais aussi ses contradictions.

Née Sarah Stern un 14 avril 1885 dans le shelt de Gradjisk en Ukraine à quelques kilomètres d'Odessa la juive. Un shtetl est un village entièrement composé de juifs, on y parle le yiddish, on lit la Torah et surtout on est très pauvre. L'Ukraine fait partie de la Russie Tsariste qui ne fut responsable de nombreux pogroms contre la population juive.Cela , celle qui s’appellera d’abord Sophie, puis Sonia, cherchera par tous les moyens de le dissimuler et fera même baptiser son fils unique Charles Delaunay.

Adoptée par un riche oncle vivant à Saint-Pétersbourg, Sonia jouit de l'éducation parfaite de jeune fille accomplie. Sa tante l'initie à l'aquarelle et on la dit douée en dessin. Solitaire, parfois colérique, elle est envoyée étudier les beaux-Arts en Allemagne pendant 2 ans, où elle n'aimera pas trop cet enseignement académique. Ses amis allemands lui font découvrir les artistes parisiens, les impressionnistes et les premiers fauves, elle est fascinée. Elle séjournera trois fois à Paris, et à travers un mariage blanc s'y installera définitivement. Elle ne reviendra jamais en Russie.

En 1908, elle rencontre l'homme de sa vie, le fringuant Robert Delaunay et après un divorce à l'amiable, elle se marie en 1911 déjà enceinte de quelques mois. Pourtant Sonia déteste les mères. La sienne qui l'a abandonnée à son oncle (la famille étant très pauvre, et sans doute la petite Sarah Stern n'a pas reçu l'amour qu'elle attendait d'une mère ayant déjà 5 autres enfants à élever), puis sa mère adoptive qui pourtant la soutiendra financièrement jusqu'à la Révolution Russe. Pourtant mère elle sera par deux fois. Mère de Charles, et mère de Robert, cet époux colérique, parfois volage, et surtout qui n'aide en rien à la maison. Robert ne vit que pour sa peinture, mais c'est Sonia qui le guide vers l'abstraction pure, dont elle est une des pionnières bien avant les avant gardes russes et allemandes. Sonia tient le couple en laissant de coté sa peinture pour s'intéresser aux arts décoratifs. Elle crée une couverture de lit pour Charles, un patchwork artistique fait de bout de tissus récupérés (elle anticipe déjà l'arte povera qui éclot en Italie en 1967), puis crée des robes géographiques, anticipant Chanel, elle libère la femme du corset et fait de l'ombre à Paul Poirier. Pendant la 1ère guerre mondiale, elle et Robert (réformé) vivent en Espagne et au Portugal. En Espagne, elle ouvrira une boutique « Casa Sonia » où se presse le tout Madrid. Chapeaux, robes, décorations d'intérieur, chaque modèle est unique. Les Delaunay passeront 7 ans en Espagne. Leur retour à Paris ne sera pas accueilli dans la joie. Robert est qualifié de déserteur par ses anciens amis, ce qu'il n'admet pas. Il faut dire que les relations chez les Delaunay, toujours prêts à recevoir, table ouverte à laquelle les artistiques de l'époque se sont retrouvés, sont tumultueuses. L'ami d'hier est devenu ennemi sitôt qu'il critique Robert.

Sonia qui a toujours préféré les amitiés masculines à ses dires, trouvera pourtant plus d'entraide et de sororité chez des femmes comme Sophie Taeuber-Arp, MO son amie de jeunesse, Suzy Magnelli, Jeanne Cuvelier, galeriste. Pourtant elle ne se considère pas comme féministe : elle tient à se faire appeler artiste français pour montrer qu'elle est égale aux hommes, mais ne comprend pas Simone de Beauvoir par exemple. Pour elle, ce n'est pas la théorie qui compte c'est le faire. Et pour faire, elle fait. Après guerre, dans l’ambiance folle des années 20, Sonia travaille comme « décoratrice d'intérieur », un terme qu'elle invente de toutes pièces. Meubles, tapisseries, impression de tissus sur des motifs qu'elle a créé, elle collabore avec Diaghilev, Le Corbusier, Lalique, Vuitton dont elle soufflera l'idée de la valise et du logo, décors de théâtre ou de films. Si elle ne peut reproduire la « casa Sonia », elle emploie une vingtaine d'ouvrières textiles, des femmes juives et pauvres. Comme quoi on abandonne pas si facilement les origines que l'on veut faire oublier aux yeux du Grand Public. Sonia préfigure les œuvre d'une autre grande artiste Française Annette Messager, et tout un courant d'art qui mêle les matériaux. Pendant ce temps, Robert se passionne pour les voitures qu'il collectionne et que Sonia lui offre. Bourreau de travail, la crise financière de 1929 la voit devoir fermer son atelier et surtout Robert remarque que sa femme est épuisée. Il l'emmène en vacances se retaper et la convainc de repeindre à nouveau.

1937 fête le succès de Robert Delaunay qui, grâce à l'amitié avec Léon Blum, obtient un très grand pavillon pour l'exposition universel. Le public adore ses couleurs vives, cette sensation de vitesse, et la critique n'est pas en reste. La carrière de Robert est lancée. Hélas la guerre les rattrape, et ils fuient à Grasse puis Montpellier où l'époux tant aimé meurt en 1941 d'un cancer généralisé, laissant une Sonia dans un immense chagrin. Leur fils Charles a lui fait partie de la résistance. Le retour à Paris est triste. Survivant grâce à la vente d’œuvres de Robert, soutenue par les marchands d'art de la place, Sonia ne songe qu'à faire asseoir la postérité de son époux et à le faire reconnaître comme le premier artiste abstrait, oubliant que c'est elle qui en 1910 a travaillé à la fameuse couverture pour le lit de leur fils, totalement abstraite, et qui a poussé Robert vers l’abstraction à travers ses fenêtres dès 1911 et ses cercles de 1912. La guerre avec Kandinsky, autre grand fondateur de l’abstraction lyrique se fait. La postérité de Robert étant assuré, il est temps pour Sonia de repeindre ses pinceaux et de chercher à aller toujours plus loin dans l'abstrait qu'elle défend farouchement. Aidée par Jacques Damase, galeriste, collègue de travail, la vieille dame accède à la gloire propre. Des rétrospectives sont organisée de son vivant, et même si elle est handicapée par une fracture du col du fémur, elle sera toujours debout, même si elle souffre le martyr, pour recevoir des honneurs. Partout dans le monde on lui consacre expositions, mais aussi interviews radio et télévisuelle. Aimant à la fois être seule mais entourée, encore une contradiction de plus, tout comme ses opinions politiques, elle défendra les femmes peintres, mais votera tantôt communiste, tantôt socialiste, elle admire Pompidou et sa femme qui lui passent commande.

Elle s'éteint à l'âge de 94 ans en 1979.

Sonia Delaunay aura influence la mode, de Chanel à Yves St Laurent, anticipé les mouvements arte povera, art cinétique, art électrique, l'art abstrait, la théorie de la couleur et bien sur l'abstraction qui pour elle est une philosophie d'universalisme, de cosmopolitisme et d'unions des peuples.Cet ouvrage qui abonde de détails sur la vie de l'artiste est à mon avis un des plus réussi en ce qui concerne la personnalité de celle qui aura su avant tout le monde anticiper les modes, et les influencer.


Extraits :

  • En Allemagne, Sonia a croisé Kandinsky.Il est de dix-neuf ans son aîné certes, mais il a mené une vie si romanesque qu'elle s'y est tout de suite intéressée. Sous le charme de ses aspirations au fond si proches des siennes,il cherche à insuffler de l'esprit dans ce monde matérialiste. Elle a lu en Allemagne tout frais imprimé - Du spirituel dans l'art-,un chef-d’œuvre où elle retourne souvent puiser. Son travail l'intéresse davantage que celui de Picasso.

  • Parmi les amis d'autrefois, Van Dongen qui,avant la guerre,avait les mêmes ambitions qu'eux,se vend aujourd'hui comme portraitiste mondain.Sonia se jure de ne jamais céder à la mode,de ne jamais complaire,jamais en rabattre sur son ambition: changer la vie par son art,par son regard,changer le goût des autres...mais ne rien concéder.

  • Hantée par l'idée de faire fusionner sa vie, La poésie, l 'art et les choses du quotidien, elle est à l'affût de tout. Les mots sur les vêtements, c'est bien, c'est fort,ça fait bouger, ça transforme les textiles eux-mêmes. Mais encore ?

  • Sitôt installée en France, elle fera profession de ne pas se rappeler avoir été ukrainienne ni juive. Femme et artiste, c'est déjà assez difficile.

  • Sonia a grandi dans le milieu le plus éclairé qui fût, dans cette Russie sacrément impériale et qui ne se montrait antisémite qu'envers les Juifs pauvres. Elle évoluera peu.Pour seul dieu,elle choisit la beauté.

  • Cendrars forge sa -"Prose du Transsibérien et de la petite Jeanne de France" dans une telle symbiose avec Sonia qu'on peut parler d'une écriture-peinture à deux voix-deux pinceaux.

  • il est moins aisé de se représenter ces shtetls, villages ou bourgades juives d'Europe centrale ou orientale, entre Pologne et Russie de l'Ouest, pays baltes et Roumanie, aujourd'hui disparus, où s'est épanoui feu le magnifique Yiddishland d'où Sonia est extirpée. " Tout shtetl était une île encerclée par la Russie.

  • Mme Bernstein flaire un talent.Alors sa tante lui fait donner des cours de dessin avec cette femme qui fondera par la suite le musée d'Art populaire. Ce professeur devait être assez épatante pour s'effacer sitôt qu'elle n'eut plus rien à lui transmettre, et insister pour qu'on envoie Sonia étudier en profondeur en Europe.
    Merci à Mme Bernstein! Sans elle,pas de Sonia Delaunay ! Juive elle-même, elle n'ignore pas l'impossibilité pour sa petite élève de se frayer ici une place. L'académie des Beaux-arts de Piter est interdite aux Juifs depuis 1897.Donc il faut se rendre à l'étranger pour "développer ses dons".

  • Bref,on glose sur leur drôle de couple, mais il résiste. Et leurs liens sont assez forts pour s'offrir quatorze ans d'une intense collaboration. Durant lesquels Jacques Damase va publier près d'une vingtaine de livres avec ou sur elle et son œuvre. Il en écrit lui-même et fait écrire quelques bonnes plumes. Il lui organise des expositions dans le monde entier.Il veut en faire la première femme de la peinture française du XXe siècle, la "Patronne " de toutes les galeries qui l'accueillent.

  • en février 1942 elle écrivait ce qu'elle revendiquera toujours : "Je fuis le descriptif ".Comme l'analyse l'historienne de l'art Laurence Bertrand Dorléac, "le choix esthétique des formes abstraites, qu'elle a pratiqué et revendiqué de façon quasi exclusive toute sa vie,a quelque chose à voir avec ses silences des origines voire son déni de l'histoire".Oui,l'abstraction comme condition de l'oubli de l'Histoire.

  • Je ne sais pas définir ma peinture. Ce n'est pas un mal car je méfie des classifications et des systèmes. Comment et pourquoi définir ce qu'on a sorti avec ses tripes ? Avant les autres, Robert a eu confiance en moi....Elle avoue d'ailleurs : j'ai eu trois vies,une pour Robert, une pour mon fils et mes petits-fils,une,plus courte, pour moi.Je ne regrette pas de ne pas m'être plus occupée de moi.Je n'avais vraiment pas le temps

  • Artiste, juive, russe,femme et en prime épouse puis veuve de peintre, n'était-ce pas trop de handicaps à la fois ? Elle a dû choisir. D'emblée, elle a gommé juive,souvent russe,puis s'est effacée comme artiste.Et depuis 1918,elle s'est démenée pour faire tourner sa famille, honorer le grand peintre qui n'a quasi rien vendu de son vivant. Transmettre l’œuvre, la mémoire, l'inventivité de Robert tout en faisant reconnaître sa propre innovation n'a rien d'aisé.C'est à la fois l'obstacle et le moteur de sa création, et de la reconnaissance qu'elle espère. Plus Robert atteint la gloire posthume, plus la sienne s'éloigne : comme si la célébrité de l'un en ôtait à l'autre.

  • Il est incontestable que le monde de la pensée, de l'art et de la culture lui est un solide refuge contre la douleur.Cet arrachement à ses parents, sa famille, son pays natal,sa culture...Elle semble exclusivement passionné par son travail, les progrès de la peinture en France. C'est là que ça se passe. Elle veut en être.

  • Apollinaire pratique avec les Delaunay les longues marches à l'infini dans Paris.Ils errent des soirées entières dans la cité choisie par ces immigrés, fascinés par toutes ces nouveautés. Ils assistent à la suppression des derniers becs de gaz,la lumière électrique est en train de transformer Paris en Ville Lumière. Lumière qui dans la nuit les émerveille de concert.

  • Sonia adore parler techniques,comprendre comment s'y prenaient les anciens,les recettes des étranges enduits de Vinci...Plus proches d'elle,les papiers de Cézanne contrecollés,qu'elle copie ou repeint
    Elle tente aussi Gauguin, et ses couches couvrantes de couleurs opposées, elle y mêle des manières de Van Gogh qui " beurrait à demi-frais", ce qui signifie qu'il se permettait de reprendre son tableau sur de l'huile pas encore sèche. Sonia apprend,Sonia reste. Méthodique, elle note tout .Comment évolue chaque pigment utilisé. Sa couleur charge de matières. Elle parle beaucoup avec ses camarades de travail.Elle ne parle que de ça, quels fonds,quels matériaux, quels enduits,pour la préparation des supports,etc.

  • Enfant,j'étais capable d'un étonnant renfermement. Je ne parlais à personne,de mes pensées, de mes sentiments, bien que j'aie eu des amis.Je disais des mots méchants pour ne pas avouer mes bons sentiments.

  • Avec Tristan Tzara,les liens sont toujours aussi forts, ils ont l'exil juif en partage. Même s'ils ne s'en parlent jamais et se sont fondus dans les milieux les plus français, quelque chose de rocailleux dans la langue, quelque mélancolie dans les yeux les font frère et sœur de cœur.

  • Elle (Sonia Delaunay) est amoureuse d'un volcan,il lui plaît qu'il entre régulièrement en éruption. Cela flatte en elle quelque chose de l'enfance,les humeurs de son oncle ? Peut-être. Sonia fonde son identité de femme et d'artiste sur sa russité et son cosmopolitisme à la fois. Adaptable à tout, adaptable partout, elle va créer dans les interstices.

  • Elle a toujours manifesté de l'intérêt pour les textiles,et, après la naissance de son enfant, elle s'en donnera à coeur joie.Elle exécute une broderie de feuillage qui évoque les natures mortes de Robert (Delaunay), sur laquelle elle applique sa théorie des couleurs pures : le voisinage de telle couleur avec telle autre la fait vibrer autrement. Sonia s'émerveille de ces oeuvres du quotidien qui sont les premières à bénéficier de l'appellation de "simultanées " Sous cette épithète se rassemblent ces projets communs aux avant-gardes du temps : la réunification des arts.

  • Dans la famille Delaunay,le couple le plus complice et le plus soudé fût souvent celui du fils avec la mère. Beaucoup plus tard, Charles se souviendra que "(sa) mère créait comme on respire,sans effort apparent. Elle inventait toujours,ne copiait jamais rien".



Biographie

Née en 1953 à Paris, Dans sa jeunesse, Sophie Chauveau, intègre le Conservatoire national supérieur d'art dramatique de Paris, puis devient journaliste, comédienne et écrivain.
Elle est écrit des romans, des essais, des pièces de théâtre et d'une monographie sur l'art comme langage de l'amour. Elle a publié près de 18 ouvrages et signe également pour la mise en scène.
Elle s'est documentée durant quatre ans pour écrire La Passion Lippi.
Parmi ses engagements militants, elle s'investit dans sa jeunesse au PSU, puis aux Amis de la terre en 1974 aux côtés de Brice Lalonde tout en œuvrant dès l'origine au Mouvement des femmes dès 1971. En 1979, elle anime la campagne des élections européennes pour Huguette Bouchardeau (PSU). En 1993 et en 1995, elle rejoint le comité de soutien de Lionel Jospin et crée les Ateliers de Mai.
Depuis 2002, elle est membre du comité directeur de l'association France-Israël.

samedi 30 septembre 2023

HELENE FRAPPAT – Trois femmes disparaissent – Acte Sud 2023

 



L'histoire

Tippi Hedren la mère, Mélanie Griffith la fille et Dakota Johnson, la fille, trois actrices qui n'ont pas eu le succès mérité. Malédiction familiale ? En menant une enquête sérieuse sur ces femmes, l'autrice interroge sur la place de la femme dans le cinéma d'hier et d'aujourd'hui.


Mon avis

Si vous aimez le cinéma, ce livre est pour vous. Il retrace avec minutie non pas les biographies des 3 actrices, grand-mère, mère et fille, mais analyse les rapports qui ont fait que la célébrité et la longévité sur les écrans n'a pas tenu. Avec des raisons différentes, mais qui se recoupent aussi dans une malédiction qui semblerait héréditaire. Ou pas.

Tout d'abord Tippi Hedren, connue pour ses rôles dans les Oiseaux et dans « Pas de Printemps pour Marnie » du grand Alfred Hitchcock. Alors qu'il prépare son film devenu culte aujourd’hui « Les Oiseaux », le maître du suspense est en panne d'actrice principale. Celle qui incarnait à la perfection la femme parfaite dont rêve Hitch, la belle Grace Kelly vient d'épouser le Prince de Monaco. Même si elle est séduite par le projet, elle est trop prise par ses fonctions de Princesse pour envisager un tournage aux USA. C'est en feuilletant des magasine que le cinéaste remarque une jeune femme, Nathalie surnommée affectueusement par son père « Tippi' (petite-fille en suédois) est modèle et le cinéaste voit très vite ce qu'il peut en faire : sa petite -poupée. Relookée en tailleurs vert amande ou autres couleurs dans les beiges, les tons rompus, les cheveux décolorés en blond cendré (le blond platine d'une Marilyn Monroe est vulgaire pour le cinéaste anglais), il lui fait signer un contrat de 7 ans pour 500 dollars par semaine. Refusant ses avances, le cinéaste lui fera vivre un enfer pendant le tournage des oiseaux. Un oiseau mécanique fixé sur son épaule manque de lui crever un œil, et le verre de la cabine téléphonique se brise en milliers de petits morceaux (alors qu'il était supposé résistant) qui blessent légèrement Tippi au visage. Il refait faire des prises, plongeant l'actrice débutante dans l'effroi. « Les Oiseaux » ne font pas un succès commercial. Hitch enchaîne alors avec le très freudien « Pas de printemps pour Marnie ». Même si il la teint en brune ou rousse, elle redevient vite la blonde aux petits tailleurs. Il lui fait installer une loge immense, la couvre de cadeaux et de fleurs et finit par lui faire clairement des propositions sexuelles. Très choquée, Tippi quitte le plateau. Même les excuses d'Alma (la femme et souvent scénariste de Hitchcock) n'y feront rien. Il faudra toute la diplomatie du chef opérateur pour la faire revenir sur le tournage. Qui dure, en re faisant des prises inutiles, et où il insulte régulièrement la jeune femme. Au point que le seuil est franchi, elle lui lance « vous n'êtes qu'un gros porc » devant l'équipe, attaquant là le point faible du réalisateur qui ne le parlera plus et fera donner ses ordres par intermédiaire. Surtout à son insu, il la blackliste de tout Hollywood. Si il ne la fait plus travailler pendant 2 ans, il lui versera un salaire de 600 dollars.

D'ailleurs le cinéma, Tippi en est dégoûtée. Avec son deuxième mari, Noël Marshall, elle ouvre un refuge pour animaux blessés surtout des lions et des lionnes .

Sa fille Mélanie (prénom qui est celui de l’héroïne du films les oiseaux) Griffith qui fait partie du tournage d'un film sur ces animaux est mordue par un lionceaux et reçoit 50 point de suture. Et un nombre incalculable d'intervention de chirurgie esthétique et réparatrice . Devenue à son tour actrice, elle se voit confier des rôles de bimbos, pose nue dans Play-boy et n'obtient aucun rôle capable de lui faire avoir un oscar. C'est la blonde pulpeuse des années 80, un peu vulgaire (dans ces films), une nouvelle Marilyn Monroe sans ce petit plus qui fit de cette dernière une star et une femme engagée contre le Maccarthysme. Elle finit par jouer pour des téléfilms ou des séries télévisée.

Enfin Dakota Johnson, fille du premier et éphémère mariage de sa mère, devient à son tour actrice et mannequin. Elle assume ses cheveux châtains, mais le cinéma lui offre de tourner dans les 3films « 50 nuances de Grey », où elle joue le rôle d'une femme soumise au sens des rapports BDSM. Les films sont des succès commerciaux, mais le nom de l'actrice est quasi-inconnu du grand public pour qui elle reste Anastasia Steele la femme soumise. Films tournés avant le mouvement « Me too » qui seraient irréalisables aujourd'hui. Si elle gagne des millions de dollars, elle ne laisse pas une trace mémorable en tant qu'actrice. On lui propose des seconds rôles auprès d'acteurs célèbres qui l'éclipse, des série TV sans intérêt et des films de science-fiction, aux effets spéciaux plus spectaculaires que son rôle d'actrice. Mais Dakota n'a que 33 ans, et sa carrière peut encore prendre un autre tout.

Extrêmement documenté, le récit que nous livre l'autrice est fait sous forme d'une enquête policière. Elle trouve des correspondance, des anecdotes, et surtout à travers 70 ans de cinéma nous démontre que les actrices sont encore des jouets pour les réalisateurs et que derrière les paillettes et les étoiles, se cachent un anti-féminisme, la femme est l'objet du réalisateur ou du producteur. Une tendance qui heureusement s'inverse aujourd'hui à travers une nouvelle générations d'acteurs et d'actrice surtout qui revendiquent leur droit à l'image, et se mobilisent contre les plateformes qui ne le respectent pas, comme en témoigne la grève toujours actuelle des acteurs et scénaristes américains.


Extraits :

  • C'est au grenier que les maris bigames des romans gothiques enferment leur femme "folle" (Jane Eyre, Charlotte Brontë). C'est au grenier que l'épouse "parfaitement belle" du "si laid et si terrible" Barbe Bleue ne peut s'empêcher de monter, découvrant le sang caillé, dans lequel se miraient les corps de plusieurs femmes mortes et attachées le long des murs (La Barbe Bleue, Charles Perrault). C'est au grenier que sont dissimulés les bijoux de la femme que son mari bigame rend folle pour la dévaliser (Gaslight, George Cukor)

  • Cinq ans, c'est l'anniversaire de Mélanie Griffith, à qui Alfred Hitchcock offre une petite boîte en sapin en forme de cercueil contenant une poupée qui reproduit, dans le moindre détail, coiffure comprise, le corps miniaturisé de sa mère vêtue du tailleur vert amande des Oiseaux.

  • La proie doit tout savoir du prédateur. Lui peut tout s'ignorer de la proie.
    Pour survivre, la proie doit-elle devenir le prédateur qu'elle a fui ?

  • La détective ne veut pas rapetisser l'âme des femmes que leur profession contraint à se voir en grand. Car la seule différence entre le visage d'une femme et celui d'une actrice, c'est l'agrandissement.

  • L ÉTAIT UNE FOIS
    Il était une fois trois femmes en fuite.
    La première parvient à s’échapper.
    La deuxième disparaît.
    La troisième est la doublure des deux autres.
    Sont-elles brunes, blondes ou rousses ?
    Ça dépend.
    Sont-elles liées entre elles ?
    Grand-mère, fille, petite-fille: leur lien déroule le fil de trois générations.
    Les fugueuses sont-elles anonymes ?
    Un entrefilet, en page des faits divers, a-t-il signalé leur absence ?
    Leurs visages sont célèbres dans le monde entier.
    Leurs faits et gestes, connus et scrutés de tous.
    Prendre la fuite, pour ces stars, relève de l’exploit.
    Quitter la scène, pour ces femmes, est une question de vie ou de mort.
    Trois femmes disparaissent.
    Trois générations d’actrices.
    Sous le regard d’une détective, leur disparition devient une métaphore.

  • La troisième femme est la fille de Melanie, et la petite-fille de Tippi.
    Elle est née le 4 octobre 1989 et se prénomme Dakota.
    Le 29 janvier 1992, Melanie a raconté à l’animateur de télévision Johnny Carson, dans son émission The Tonight Show, comment elle avait choisi le prénom de sa fille:
    “Un de vos enfants s’appelle Dakota. D’où vient ce prénom ?
    — On aimait ce prénom.
    — C’est un nom indien ? Qu’est-ce qu’il veut dire déjà ?
    — «Amitié, ami.» Et d’ailleurs cette amie qui travaille pour nous, Diane, avait choisi ce prénom pour son futur enfant qu’elle n’avait pas encore eu. Alors on lui a volé ce prénom, si bien qu’elle a dû appeler son fils Jackson, parce qu’on avait pris Dakota !”
    Sur le plateau de télévision, dans sa robe toute blanche, parsemée de volants, Melanie s’agite sur son siège, détourne la tête, dérobe son visage, ponctue son récit de gloussements. On dirait une petite fille qu’un adulte vient de surprendre en train de faire une bêtise.

  • Sans compter les constantes visites de Hitch, désireux d'exprimer son obsession à l'improviste, totalement indifférent au fait que la femme qui l'obsède n'est pas obsédée par lui.

  • Les absents sont les personnes ni vivantes, ni mortes, dont un jugement a constaté "la présomption d'absence" depuis dix ans, la personne ayant "cessé de paraître au lieu de son domicile ou de sa résidence, sans que l'on en ait eu de nouvelles ".

  • Le compte à rebours s'arrête à onze. Onze ans, l'âge où les petites filles meurent en devenant adolescentes. Puis les adolescentes meurent en devenant des femmes qui tordent leurs mèches platines dans un chignon labyrinthique où s'accroche le regard.

  • Treize ans après la sortie des Oiseaux, Petite Fille a grandi et jeté ses peaux d'animaux morts pour se réfugier dans sa maison en bois.


Biographie

Née en 1969 à Paris, Hélène Frappat est une écrivaine, essayiste, traductrice et critique de cinéma. Ancienne élève de l'ENS (L1989)1, elle est agrégée de philosophie et docteur ès lettres. Philosophe, traductrice de l’anglais et de l’italien et critique aux "Cahiers du Cinéma", elle a publié "Jacques Rivette, secret compris" (2001), une étude très remarquée sur le cinéaste de la Nouvelle vague et ses films.
Elle a traduit aux éditions Allia "La Vie de Personne" de Giovanni Papini, "Études sur la personnalité autoritaire" de Theodor Adorno, "L’Ultima intervista di Pasolini" de Furio Colombo et Gian Carlo Ferretti, "Amitié" de Samson Raphaelson, "Madoff, l’homme qui valait 50 milliards" de Mark Seal.
Sur France Culture, elle a produit le magazine mensuel de cinéma "Rien à voir", de 2004 à 2009, ainsi que de nombreux documentaires.
Elle est l'auteur de plusieurs romans publiés aux Éditions Allia et Actes Sud, dont "Par effraction" qui reçoit le Prix Wepler - Fondation La Poste - Mention Spéciale, 2009.
En 2016, elle participe aux Assises Internationales du Roman à Lyon.

vendredi 29 septembre 2023

REBECCA AYOKO– Quand les étoiles deviennent noires – Editions GAWSEVITH 2012.

 

L'histoire

Qui se souvient aujourd'hui de Rebecca Ayoko, mannequin vedette et cabine d'Yves Saint-Laurent, qui a défilé en compagnie des mannequins célèbres et popularisées comme des stars dans les années 80/90?

Dans ses mémoires, co-écrites avec la journaliste Carol Mann, la toute première mannequin africaine (et non afro-américaine) revient sur son incroyable parcours, de la misère de son enfance aux grands défilés Haute-Couture, puis à son oubli progressif.


Mon avis

Un petit livre qui passe inaperçu entre les grands romans et ouvrages des bonnes bibliothèques. Pourtant ce petit livre, écrit simplement, nous fait revivre l'extraordinaire destin d'une petite fille née dans un village de Côte d'Ivoire qui rencontre son destin à l'âge de 17 ans.

Rebecca naît dans un village du Ghana, dans une famille togolaise reconnue. En tant que fille aînée, elle devra être initiée comme prêtresse vaudou. Mais voilà, son père quitte sa mère avec 5 enfants à charge, et Rebecca est placée chez une tante lointaine qui fait d'elle une esclave. Ménage, cuisine, toujours de remontrances et des claques, elle n'a que 7 ans et vit dans la peur et le martyre. Elle finit par s'échapper et se place comme bonne, le seul travail qu'elle connaisse pour envoyer un peu d'argent à se mère. Son employeur abuse d'elle et elle se retrouve enceinte à 13 ans. Elle accouche d'une petite-fille Affie qui sera confiée à la garde de sa mère, tandis qu'elle cherche toujours des emplois, elle ne sait ni lire ni écrire, mais elle sait compter. A 17 ans, elle remporte le concours Miss Côte d'Ivoire, et peut alors s'envoler pour Paris. Elle est engagée par l'Agence Glamour, une des plus célèbres de Paris. On l'éduque, on lui apprend à marcher avec des talons hauts et elle est photographiée pour diverses couvertures de magasine, notamment pour Vogue. Elle est alors remarquée par Yves Saint-Laurent, le grand couturier, qui la remarque et fait d'elle son mannequin cabine et mannequin star. C'est la grande période des défilés où les stars ne sont plus des actrices de cinéma mais ces filles longilignes, portant des fortunes en vêtements et bijoux. Une vie aussi remplie par les fêtes, ou l'on croise la jet-set du moments. Rebecca vit dans un monde merveilleux où le champagne coule à flot, tout comme les voyages : USA, Japon, et autres pays qu'elle n'a pas le temps de voir. Être top-modèle c'est se lever tôt, passer au maquillage, puis enchaîner les tenues, savoir marcher avec 20 cm de talons sur les podiums dans des chaussures trop petites (la taille doit être du 39 alors que ces grandes filles taillent bien plus, au point que certaines trichent en piquant des chaussures à leur taille, ni vu ni connu. Elle se lie d'amitié avec Azzedine Alaïa, Mouss Diouf et bien sur Yves Saint-Laurent. Mais Rebecca commence à vieillir imperceptiblement, et en plus, elle commet 2 impairs : faire rentrer chez Saint-Laurent une jeune mannequin noire qui va savoir la supplanter, et arriver un jour avec des tresses africaines, alors que dans la célèbre maison de couture, le maître veut que sa mannequin soit les cheveux tirés en chignon et sans maquillage. Rebecca qui a toujours vécu au jour le jour, sans penser au jour où sa carrière va s'arrêter, n'a pas mis d'argent de coté, ne s'est pas acheté un appartement, s'est montrée bien trop généreuse avec des petits-amis qui ont profité d'elle, sans jamais trouver le grand amour.Mais comment aimer quand on n'a jamais reçu d'amour dans l'enfance ? Elle finit par se retrouver au RSA, et les amitiés d'hier ne comptent plus pour une femme déclassée. Elle tente bien de monter un commerce de bijoux qu'elle confectionne avec des perles africaines, mais elle ne sait pas gérer son entreprise et c'est la faillite.

Mais Rebecca est une femme forte. Aidée par des amis, elle sort de la misère en s'engageant dans des causes humanitaires. Elle dédie ses mémoires à ses 2 enfants Affie et Vincent resté vivre aux USA auprès de son père.

Un livre simple où l'on découvre aussi les dessous de la mode, le monde cruel d'une industrie où le moindre dérapage, l'ambition d'une collègue, l'utilisation du corps de la femme « parfaite ». Et ce destin à la fois tragique et beau, raconté avec humilité par Rebecca avec l'aide de la journaliste Carol Mann.


Extraits :

  • Au-delà d’un certain âge, une mannequin ne vaut guère mieux qu’un yaourt périmé. On vous regarde comme si vous aviez failli à votre promesse de beauté éternelle.

  • La pauvreté est une lèpre sociale qui fait fuir l'entourage,comme s'il craignait d'être contaminé.On vous évite,on écourte la conversation dès que vous avez le malheur d’évoquer votre situation.


Rebecca Akoyo a aujourd'hui 63 ans. Elle donne des conférences dans le monde entier sur le statut des femmes en Afrique et s'engage dans des projets humanitaires. Elle est nommée ambassadrice de l'ONU.


FRANCOIS-HENRI DESERABLE – L'usure d'un monde – Gallimard Nrf 2023

 

L'histoire

Le récit de l' auteur parti en Iran en 2022 au moment où commence la révolution des femmes iraniennes. Il traversera le pays pendant 40 jours, avant d'être expulsé par les Gardiens de la révolution.


Mon avis

Alors que l'Iran continue sa sanglante répression un an après la mort de Mahsa Amini, l'écrivain français, malgré les réserves du Quai d'Orsay ; il est déjà dans l’avion après avoir obtenu un peu frauduleusement un visa, via des contacts à l'ambassade d'Iran.

F.H. Désérable a été fasciné par l'aventure de Nicolas Bouvier et Thierry Vernet qui sont partis en voiture pour traverser les Balkans, l’Afghanistan, l'Anatolie et l'Iran et le Pakistan en 1953. Ils sortent un livre écrit pas Bouvier et illustré par Vernet « L'usage du Monde » qui est un ouvrage de référence pour le voyageur qui veut s'immiscer dans la vie d'un pays.

Malgré les risques, l'auteur va traverser l'Iran, de la Turquie au Pakistan, alors que les manifestations des femmes et des hommes qui veulent en finir avec la dictature islamiste commencent à manifester. Pendant 40 jours, il va sillonner le pays pour rencontrer ces femmes avides de liberté, alors que le pouvoir commence à sévir violemment. Il nous livre dans un langage parfait ses rencontres, les peurs aussi pour sa vie, mais comment ce pays qui fut autrefois la respectable Perse est devenu un enfer où la chute du régime n'est qu'une question de temps. Il nous rappelle aussi, derrière les maisons ou appartements clos, l'amitié et la générosité d'un peuple, curieux de connaître aussi le monde occidental, et la démocratie à laquelle il aspire. Ce récit est fait des grandes horreurs de ce monde là, mais aussi des fous-rires et des partages, il nous renseigne aussi sur la mentalité des iraniens dont les sondages, bien gardés par le pouvoir en place, démontrent que 87% de la population veut en finir avec ce régime.

Plus qu'un simlpe récit, c'est un hommage à toutes les femmes iraniennes, belles, courageuses, non dénuées d'humour qui continuent une lutte solidaire et silencieuse.

Un ouvrage au plus précis de ce qui se passe en Iran. L'auteur mesure la chance qu'il a eu, en plein Kurdistan d'avoir 3 jours pour quitter l'Iran, alors qu'un français est toujours retenu en otage par le pouvoir pour des motifs peu crédibles.

Un indispensable, captivant, avec en prime quelques photos en noir et blanc qui sont tout aussi fascinantes (car elles aussi racontent une histoire) que le livre.


Extraits :

  • Les deux premiers ont du mal à comprendre pourquoi les femmes iraniennes manifestent - après tout, elles jouissent de libertés exorbitantes en regard des Afghanes : elles peuvent travailler, aller à l'école et n'ont pas à se couvrir d'une burqa, de quoi elles se plaignent ?

  • La découverte de Bouvier, vers vingt cinq ans, fut une déflagration comme j’en ai peu connues dans ma vie de lecteur. C’ était prendre la vraie mesure du monde, en même temps que son pouls. On s’´avise qu’il est vaste, et grandiose, et terrible - et qu’on n’en a rien vu

  • Un mois seulement que je sillonnais ce pays, et déjà je n'étais plus le même. Si l'on voyage, ça n'est pas tant pour s'émerveiller d'autres lieux : c'est pour en revenir avec des yeux différents.

  • Bam, le Lout, Kerman, Yazd... Il y a un moins encore, ça n'était que des noms. Aujourd'hui, c'était déjà des souvenirs.

  • Leur silence n’est ni indifférence à l’égard des manifestants, ni approbation à l’endroit du régime : c’est de la peur. Et la peur paralyse. La peur est l’arme la plus sûre du pouvoir.

  • Combien de temps faudra-t-il aux Iraniens pour se débarrasser de la république Islamique ? On peut prendre des paris : un mois, deux mois, avant la fin d’année… On peut se perdre en conjectures. On peut aussi être honnête et dire la vérité. Et la vérité, c’est que personne n’en sait rien. Mais chacun sait une chose : derrière chaque personne qui meurt battent mille cœurs.

  • Quand j’arrivai dans la ville en fin d’après-midi, la lune encore une fois prenait l’ascendant sur le soleil. Depuis le temps, le cyprès s’y était habitué ; moi, c’est con, hein, mais un ciel bleu qui s’empourpre derrière un arbre vieux de quatre millénaires, il n’en faut pas beaucoup plus pour m’émerveiller d’être en vie.

  • Sur les dômes des mosquées
    Sur les turbans des mollahs
    Sur les barreaux des prisons
    Sur le drapeau de l'Iran
    Sur les cyprès millénaires
    Sur les tombes des poètes
    Sur les portes des bazars
    Sur les dunes du désert
    Sur les voiles embrasées
    Sur la peur abandonnée
    Sur la lutte retrouvée
    Et sur l'espoir revenu

    Femme
    Vie
    Liberté

  • Si un jour elle se faisait arrêter, on aurait beau l'enfermer, l'entasser dans une cellule avec des dizaines d'autres ou la mettre à l'isolement, on aurait beau la priver de nourriture et de sommeil, l'injurier, la tabasser, la violer, il y a une chose qui constituait la part irréductible de son être et que rien ni personne, ni la peur, ni les mollahs, ni les gardiens ne pourraient lui ôter: les poèmes qu'elle connaissait par cœur et qu'elle se réciterait, en attendant la mort ou peut-être, enfin, la liberté.

  • Visiter Ispahan, c'est faire provision de bleu pour le restant de ses jours.

  • Elle (la République Islamique) entendait réprimer tranquillement, impunément, sans que ces emmerdeurs de gratte-papier n'y trouvent à redire. Résultat, la plupart des informations qui nous parvenaient d'Iran étaient fragmentaires, parcellaires, et surtout : de seconde main. On rapportait ce que d'autres avaient vu. On témoignait pour les témoins.

  • Et pour ne parler, le mieux c'est encore de raconter la blague qui circule dan les rues du pays : un Afghan, qui vient d'atterrir à l'aéroport de Téhéran, se présente comme l'ancien ministre chargé de la mer et des ports. L'agent iranien s'en étonne : "Comment pouvez-vous être l'ancien ministre chargé de la mer et des ports ? il n'y a ni mer ni ports en Afghanistan !" Réponse de l'Afghan : "Et alors ? Est-ce que vous n'avez pas un ministre de la justice en Iran ? "

  • Voyager rend modeste : vous vous croyez bourlingueur inlassable, arpenteur des temps modernes, mais tôt ou tard, vous finissez toujours par croiser des globe-trotteurs, des vrais, qui vous renvoient à votre condition de touriste. Des rêveurs, des doux dingues, jamais ici, toujours là-bas, des pour qui ça n'est pas une vie que de vivre chez soi, et qui ont renoncé aux petits bonheurs petits-bourgeois des sédentaires que nous sommes pour tracer leur ligne de vie sur des cartes routières. Heureux soient les fêlés, dit le proverbe, car ils laissent passer la lumière.

  • À Qom, ramassez une pierre, lancez-là en l'air : elle retombera sur un turban. Noir, si le mollah est un sayyid, c'est-à-dire s'il descend de la famille du Prophète. Et sinon, blanc. Si votre pierre n'est pas retombée sur un turban, c'est qu'elle a échoué sur un tchador. Ici, pas une femme ne se risquerait à se promener cheveux au vent : votre pierre, on la lui jetterait aussitôt. Toutes portent le tchador, même les filles de cinq ans.

  • Chacun avait sa façon de s'opposer au régime. il y avait ceux qui couvraient les murs de slogans, arrachaient les affiches du Guide suprême et manifestaient dans les rues. Il y avait ceux qui sans manifester, venaient au soutien des manifestants, comme cette femme voilée que j'ai vue rentrer au bazar avec trois fers à repasser dans un sac : chaque fois qu'un agent du régime coursait quelqu'un sous ses fenêtres, vraiment, c'était à n'y rien comprendre, son fer tombait du balcon.

  • Marek s'était lié d'amitié avec Amir, un touche-à-tout, avec une prédilection pour les voitures et l'anatomie : il gagnait sa vie en retapant de vieilles bagnoles et en manipulant des corps humains. Mouais. Garagiste-ostéopathe, je demandais à voir. "attends, ça n'est pas toi qui, pendant un temps, étais hockeyeur et écrivain ?" Un point pour Marek.

  • Les mecs, ça n'était pas son truc, manière de dire à demi-mot qu'elle leur préférait les filles - ce qui est assez emmerdant quand on vit dans un pays où l'homosexualité est considérée comme un crime, où sont punies de cent coups de fouet "deux femmes qui se tiennent nues l'une sur l'autre sans aucune nécessité et qui ne sont pas unies par des liens familiaux", et même de mort à la troisième récidive.

  • Protester sur les réseaux sociaux, s'indigner des exactions du régime iranien, montrer son soutien aux manifestants, depuis la France, quand on n'a ni famille ni amis en Iran, c'est bien peu - ça n'est pas rien pour autant. Mais depuis l'Iran...Depuis l'Iran, c'est considérable, c'est de la "propagande contre le régime", et c'est risquer la prison.




Biographie

Né à Amiens en 1987, François-Henri Désérable est un écrivain français.

Fils d'un ancien joueur de hockey sur glace, petit-fils de gondolier, il passe son enfance et son adolescence à Amiens et aux États-Unis, dans le Minnesota. À dix-huit ans, il devient joueur de hockey professionnel (il le sera jusqu'en 2016) et commence à écrire.
À vingt-cinq ans, il publie aux éditions Gallimard "Tu montreras ma tête au peuple" (2013), récit des derniers instants des grandes figures de la Révolution française, distingué par plusieurs prix donc celui de la Vocation.

En 2015, paraît "Évariste", biographie romancée d'Évariste Galois, prodige des mathématiques mort en duel à l'âge de vingt ans. Considéré comme la révélation de l'année 2015, ce roman remporte le prix des Lecteurs de L'Express–BFMTV et le prix de la biographie. Son troisième roman, "Un certain M. Piekielny" (2017), enquête littéraire sur les traces d'un personnage de Romain Gary, est sélectionné pour les six grands prix de la rentrée. Avec "Mon maître et mon vainqueur" (2021), dissection de la passion amoureuse, il remporte le Grand prix du roman de l'Académie française.

Blog de l'auteur : https://fhdeserable.com/

jeudi 28 septembre 2023

CLELIA RENUCCI – Concours pour le Par adis – Albin Michel ou livre de poche 2018

L'histoire

Le 20 décembre 1577, le palais des Doges à Venise brûle et emporte avec lui la magnifique fresque intitulée le Paradis peinte par Guariento d'Arco en 1365. A la demande du Doge, la fresque doit être reconstruite, et pour cela un comité d'experts se réunit. Première décision important : ne pas peindre la fresque directement au plafond comme on le faisait mais sur une toile afin de pouvoir l'ôter en cas de catastrophe. Il faut ensuite sélectionner les peintres sur esquisses. Il faudra 17 ans pour que la nouvelle fresque soit enfin dévoilée au public.



Mon avis

Gorgione, Le Tintoret, le Titien, Veronèse, Bassano, vous avez tous entendu parler de ces peintres de la Renaissance Italienne. Leur point commun : ils sont tous de l'école de Venise qui est alors une république (697 - 1597) au sommet de sa gloire. Venise ; libre et indépendante s'oppose à Rome et au Pape dont elle ne reconnaît pas l'autorité.

C'est dans cette ambiance que les peintres les plus en vue à savoir Véronèse et le Tintoret se disputent le concours de la fresque, en montrant des esquisses au Comité. Paolo Caliari dit Véronèse remporte facilement le concours, avec le tout jeune peintre Bassano il a des nombreux soutiens politiques parmi les sénateurs vénitiens.

L'école de peinture de Venise se distingue par l'abandon progressif de l'usage de l'or, développe la perspective et surtout la réalité des corps.

Si Vénonèse célèbre son triomphe sur son rival le Tintoret, il en semble pas très pressé de se mettre au travail. Il s'agit pourtant d'une commande importante qui doit mesurer 22 x 7 mètres. Bon vivant, amateur des belles courtisanes, le maître vieillit et laisse à Bassano le soin de rassurer le comité. De son coté, Le Tintoret plaide sa cause et montre une esquisse rigoureuse. Mais en 1588, Véronèse décède à l'age de 60 ans, usé par une vie de plaisirs. Il est enterré en grande pompe. Le Comité chargé alors le Tintoret de peindre la fresque, qu'il promet de livrer en 3 ans, un délai assez court compte tenu des défis techniques qui nous raconte avec précision l'autrice. D'abord il faut trouver un support pour peindre les lés soit des panneaux de bois, sans oublier que l'on doit peindre une fresque plafonnière, ce qui est un défi pour la perspective. Il faut aussi apprêter les lés, ce qui demande du temps (3 couches de colles en peau de lapin et d'os qui empestent), puis s'attaquer à la peinture à l'huile (une innovation vénitienne qui délaisse la tempéra, peinture à l’œuf comme liant des pigments). Il faut alors préparer l'huile en la faisant cuire avec d'autres ingrédients pour la pérenniser, puis la filtrer, broyer les pigments.

Hors Jacopo Tintoret vieillit et surtout la perte de sa fille aînée Marietta, morte en couche à l'âge de 30 ans ; le plonge dans un chagrin dont il ne se remet pas. De même un passage devant les Inquisiteurs du Pape, dont il sort blanchi mais affaibli moralement, lui font oublier la fresque. Il se plonge dans la solitude et cherche à sortir du clair-obscur très en vogue, mais dont il a l'intuition qu'il va lasser le public. Certes il donne des conseils à son fils Domenico qui peindra la fresque entouré de ses assistants. A la débauche assumée de Véronèse s'oppose l'ascétisme du Tintoret qui aime l'ordre et la rigueur, qui peut se montrer revêche voir agressif vis-à vis d'un interlocuteur. La fresque sera terminée en 1592 et inaugurée triomphalement par le Doge et ses conseillers. Elle est signée par Jacopo Tintoret comme il se doit, même si tout le monde sait que c'est le fils Domenico qui en est l'auteur. Le Tintoret s'éteint en 1594.

L'histoire de cette fresque monumentale, moins considérée que les fresques de Michel Ange n'en est pas moins une œuvre majeure des artistes vénitiens. Elle leur a demandé un énorme travail créatif, plus de 60 personnages dont certains grandeurs nature. On notera aussi l'amour infini d'un père pour ses enfants. Sa fille, dont il fit un portait « dans le vif » soit sans travaux préparatoires ou esquisses, ce qui était aussi novateur, mais aussi son fils au quel il laisse la liberté totale de créer, même si son travail n'est pas celui qu'attendait le père (qui se référait aux cycles de Dante), lui apportant des conseils pudiquement.

A tous ceux qui aiment l'art, je vous conseille ce petit roman qui se lit facilement et qui fait revivre une des plus belles œuvres de la Renaissance vénitienne. Mais aussi aux néophytes qui pourront ainsi comprendre toute la difficulté des peintres à une époque où l’acrylique, les pigments chimiques et les enduits déjà fabriqués n'existaient pas.


Extraits :

  • Pour un peintre comme pour un poète, contrairement à un orateur qui savoure son discours à la mesure des acclamations de la foule, deux moments de grâce se suivent et Domenico était en train de connaître le premier, le plus sensuel de tous. Alors que tout au long de sa conception, l’œuvre se dissimule au créateur lui-même, lorsque les échafaudages sont écartés, la toile se découvre dans toute sa nudité et l’artiste peut enfin en jouir. La deuxième étape, que Domenico ne connaîtrait que plus tard, était l’installation du tableau dans son cadre, dans l’espace qui allait le caractériser jusqu’à la fin de ses jours. s fils transparents sans lesquels la magie ne peut pas advenir. Elle est Vishnou, divinité nourricière, jalouse et protectrice. Elle est la louve à la mamelle de qui ils viennent boire, la source infaillible de leur bonheur familial.

  • C’est le paradoxe des hommes de la Renaissance que d’être à la fois coureurs et croyants, amateurs de parties fines et de messes somptueuses, célébrant le vice d’un satyre et représentent le jour même une Vierge en grâce. En somme, cyniques et obéissants, grandioses et grotesques, libres et respectueux.

  • Toutes les fois où je me suis retrouvé dans cette situation, (la toile plus grande que le panneau sur lequel elle doit être posée) et Dieu sait si elles ont été nombreuses j'ai toujours décidé d'ôter du ciel , c est toujours moins grave de supprimer des êtres supérieurs que de trancher la tête des pauvres.

  • Les deux hommes échangèrent peu sur leurs émotions respectives : l'un venait de prendre conscience par son autoportrait de son retrait du monde et de sa capacité à regarder la mort en face, tandis que l'autre, par ce portrait inséré dans cette toile si symbolique, s'élevait enfin à la stature du peintre.

  • Nous avons eu l'audace de penser qu'à vous deux, vous réaliseriez la toile la plus spectaculaire que Venise ait jamais connue. Qui plus est, à deux, ce qui enverra un message fort à nos compatriotes : l'individualisme, le despotisme, sont à proscrire.

  • Il ne sert à rien de contredire un commanditaire. Le jour où la toile est installée, il suffit de leur rappeler à quel point leurs suggestions ont été fécondes pour les convaincre que c'est "leur oeuvre" qu'ils ont sous les yeux - même si celle-ci correspond peu à ce qu'ils avaient en tête.

  • "peindre comme c'était avant" ... Comment osent-ils dire ça ? S'ils veulent que je peigne aujourd'hui comme Guariento le faisait il y a deux siècles, la réponse est non Ils veulent que je respecte la tradition..., moi qui ai justement construit m réputation sur le fait de briser les règles

  • Ce nouveau paradis lui plaisait; non plus tourné vers un au-delà inaccessible, mais gravitant autour d'un couple central.

  • Ta main a du génie, mon Domenico, je l'ai toujours pensé. Mais pourquoi une telle cohue ? Ne te souviens-tu pas qu'il faut du vide pour que l'œil perçoive mieux le plein ? C'est comme un silence dans une belle phrase, une pause dans une élégie.

  • Nous, les peintres, sommes considérés comme des employés de la Sérénissime. A condition que nous ayons fait nos classes, que nous ayons passé nos années d'apprentissage à récurer les brosses, fabriquer les enduits, broyer les couleurs, mélanger les poudres obtenues aux huiles choisies par nos maîtres, appliquer les couches de fond, puis enfin peindre les drapés et trouver la justesse des expressions dans les figures que ceux-ci daignent nous laisser esquisser - comme des os que l'on jette à des chiens reconnaissants -, alors, nous avons l'immense privilège d'être inscrits à l'Arte dei depentori, cette corporation composite et ridicule à laquelle nous appartenons et qui regroupe aussi bien les enlumineurs que les doreurs, les brodeurs, les fabricants de masques et de cartes ou les artisans du cuir.

  • L'histoire abonde en oublis ,en méjugements chroniques ,en contre-vérités. Le courage du doge Pasquale cicogna et de ses conseillers pour mener à bien ce projet n'est guère récompensé. Ce PARADIS n'est cité qu'en passant ,comme une oeuvre mineure et non pas comme le concours d'une vie, d'une ville.
    Demain peut-être saurons-nous lire dans le visage de ces anges rayonnants l'expression de ce que fut Venise .On retrouvera alors dans l'eclat de leurs batailles le talent des artistes qui se sont succédé pour nous inciter tous, un jour ,à regarder le paradis en face


Biographie

Née à Paris en 1985, Clélia Renucci est une romancière et essayiste française.
Après avoir travaillé dans la publicité, elle est professeur de Lettres Modernes.
En préparant son sujet de thèse sur Balzac, elle s’est rendu compte que de nombreuses héroïnes de 'La Comédie Humaine' étaient des
'cougars'. Elle a alors élargi ses recherches à la littérature française et étrangère, découvrant que les romanciers sont bien loin des stéréotypes qui touchent ces femmes aujourd’hui.
"Libres d’aimer" est son premier essai et "Concours pour le Paradis" son premier roman, lauréat du prix du Premier Roman, du prix littéraire des Grands Destins du Parisien Magazine et du prix François-Victor Noury de l’Institut de France. En août 2021, elle publie chez les éditions Albin Michel, « La fabrique des souvenirs » un voyage dans le temps et la mémoire. Elle vit à New-York.