L'histoire
Une biographie de plus de
Sonia Delaunay, l'une des plus importante si ce n'est la plus
importante peintre du XXème siècle ? Non, le livre de Sophie
Chauveau est un roman qui donne un autre éclairage sur cette femme,
considérée comme avant l'épouse de Robert Delaunay. Pourtant c'est
elle qui fera tourner le ménage, c'est elle qui ira la première
vers l'abstraction totale, et la place de la couleur. Pas
théoricienne, mais véritable touche à tout, elle va anticiper dans
beaucoup de domaines. Mais qui est-elle vraiment ? Entre la vie
qu'elle montre et ce qu'elle ressent, il y a ce décalage, celle de
la petite-fille juive pauvre venue de Russie, et celle, mondaine
parfaite, qui aura reçu le Tout-Paris des Arts et des Lettres,
collaboré avec les plus grands et être la première femme française
à avoir connu une grande rétrospective de son vivant.
Mon
avis
Même si vous n'êtes pas
passionné par l'art moderne, ce livre ne parle pas que de peinture
mais plutôt de la vie d'une femme comme il en existe peu. Racontée
sous forme de roman,Classé biographiquement,
avec des sous-titres au nom d'un ami ou d'un événement particulier,
l'autrice qui a fait d'importantes recherches sur Sonia Delaunay,
s'attache à montrer les inventions et le modernisme de Sonia
Delaunay, mais aussi ses contradictions.
Née Sarah Stern un 14
avril 1885 dans le shelt de Gradjisk en Ukraine à quelques
kilomètres d'Odessa la juive. Un shtetl est un village entièrement
composé de juifs, on y parle le yiddish, on lit la Torah et surtout
on est très pauvre. L'Ukraine fait partie de la Russie Tsariste qui
ne fut responsable de nombreux pogroms contre la population juive.Cela , celle qui
s’appellera d’abord Sophie, puis Sonia, cherchera par tous les
moyens de le dissimuler et fera même baptiser son fils unique
Charles Delaunay.
Adoptée par un riche
oncle vivant à Saint-Pétersbourg, Sonia jouit de l'éducation
parfaite de jeune fille accomplie. Sa tante l'initie à l'aquarelle
et on la dit douée en dessin. Solitaire, parfois colérique, elle
est envoyée étudier les beaux-Arts en Allemagne pendant 2 ans, où
elle n'aimera pas trop cet enseignement académique. Ses amis
allemands lui font découvrir les artistes parisiens, les
impressionnistes et les premiers fauves, elle est fascinée. Elle
séjournera trois fois à Paris, et à travers un mariage blanc s'y
installera définitivement. Elle ne reviendra jamais en Russie.
En 1908, elle rencontre
l'homme de sa vie, le fringuant Robert Delaunay et après un divorce
à l'amiable, elle se marie en 1911 déjà enceinte de quelques mois.
Pourtant Sonia déteste les mères. La sienne qui l'a abandonnée à
son oncle (la famille étant très pauvre, et sans doute la petite
Sarah Stern n'a pas reçu l'amour qu'elle attendait d'une mère ayant
déjà 5 autres enfants à élever), puis sa mère adoptive qui
pourtant la soutiendra financièrement jusqu'à la Révolution Russe.
Pourtant mère elle sera par deux fois. Mère de Charles, et mère de
Robert, cet époux colérique, parfois volage, et surtout qui n'aide
en rien à la maison. Robert ne vit que pour sa peinture, mais c'est
Sonia qui le guide vers l'abstraction pure, dont elle est une des
pionnières bien avant les avant gardes russes et allemandes. Sonia
tient le couple en laissant de coté sa peinture pour s'intéresser
aux arts décoratifs. Elle crée une couverture de lit pour Charles,
un patchwork artistique fait de bout de tissus récupérés (elle
anticipe déjà l'arte povera qui éclot en Italie en 1967), puis
crée des robes géographiques, anticipant Chanel, elle libère la
femme du corset et fait de l'ombre à Paul Poirier. Pendant la 1ère
guerre mondiale, elle et Robert (réformé) vivent en Espagne et au
Portugal. En Espagne, elle ouvrira une boutique « Casa Sonia »
où se presse le tout Madrid. Chapeaux, robes, décorations
d'intérieur, chaque modèle est unique. Les Delaunay passeront 7 ans
en Espagne. Leur retour à Paris ne sera pas accueilli dans la joie.
Robert est qualifié de déserteur par ses anciens amis, ce qu'il
n'admet pas. Il faut dire que les relations chez les Delaunay,
toujours prêts à recevoir, table ouverte à laquelle les
artistiques de l'époque se sont retrouvés, sont tumultueuses. L'ami
d'hier est devenu ennemi sitôt qu'il critique Robert.
Sonia qui a toujours
préféré les amitiés masculines à ses dires, trouvera pourtant
plus d'entraide et de sororité chez des femmes comme Sophie
Taeuber-Arp, MO son amie de jeunesse, Suzy Magnelli, Jeanne Cuvelier,
galeriste. Pourtant elle ne se considère pas comme féministe :
elle tient à se faire appeler artiste français pour montrer qu'elle
est égale aux hommes, mais ne comprend pas Simone de Beauvoir par
exemple. Pour elle, ce n'est pas la théorie qui compte c'est le
faire. Et pour faire, elle fait. Après guerre, dans l’ambiance
folle des années 20, Sonia travaille comme « décoratrice
d'intérieur », un terme qu'elle invente de toutes pièces.
Meubles, tapisseries, impression de tissus sur des motifs qu'elle a
créé, elle collabore avec Diaghilev, Le Corbusier, Lalique, Vuitton
dont elle soufflera l'idée de la valise et du logo, décors de
théâtre ou de films. Si elle ne peut reproduire la « casa
Sonia », elle emploie une vingtaine d'ouvrières textiles, des
femmes juives et pauvres. Comme quoi on abandonne pas si facilement
les origines que l'on veut faire oublier aux yeux du Grand Public.
Sonia préfigure les œuvre d'une autre grande artiste Française
Annette Messager, et tout un courant d'art qui mêle les matériaux.
Pendant ce temps, Robert se passionne pour les voitures qu'il
collectionne et que Sonia lui offre. Bourreau de travail, la crise
financière de 1929 la voit devoir fermer son atelier et surtout
Robert remarque que sa femme est épuisée. Il l'emmène en vacances
se retaper et la convainc de repeindre à nouveau.
1937 fête le succès de
Robert Delaunay qui, grâce à l'amitié avec Léon Blum, obtient un
très grand pavillon pour l'exposition universel. Le public adore ses
couleurs vives, cette sensation de vitesse, et la critique n'est pas
en reste. La carrière de Robert est lancée. Hélas la guerre les
rattrape, et ils fuient à Grasse puis Montpellier où l'époux tant
aimé meurt en 1941 d'un cancer généralisé, laissant une Sonia
dans un immense chagrin. Leur fils Charles a lui fait partie de la
résistance. Le retour à Paris est triste. Survivant grâce à la
vente d’œuvres de Robert, soutenue par les marchands d'art de la
place, Sonia ne songe qu'à faire asseoir la postérité de son époux
et à le faire reconnaître comme le premier artiste abstrait,
oubliant que c'est elle qui en 1910 a travaillé à la fameuse
couverture pour le lit de leur fils, totalement abstraite, et qui a
poussé Robert vers l’abstraction à travers ses fenêtres dès
1911 et ses cercles de 1912. La guerre avec Kandinsky, autre grand
fondateur de l’abstraction lyrique se fait. La postérité de
Robert étant assuré, il est temps pour Sonia de repeindre ses
pinceaux et de chercher à aller toujours plus loin dans l'abstrait
qu'elle défend farouchement. Aidée par Jacques Damase, galeriste,
collègue de travail, la vieille dame accède à la gloire propre.
Des rétrospectives sont organisée de son vivant, et même si elle
est handicapée par une fracture du col du fémur, elle sera toujours
debout, même si elle souffre le martyr, pour recevoir des honneurs.
Partout dans le monde on lui consacre expositions, mais aussi
interviews radio et télévisuelle. Aimant à la fois être seule
mais entourée, encore une contradiction de plus, tout comme ses
opinions politiques, elle défendra les femmes peintres, mais votera
tantôt communiste, tantôt socialiste, elle admire Pompidou et sa
femme qui lui passent commande.
Elle s'éteint à l'âge
de 94 ans en 1979.
Sonia Delaunay aura
influence la mode, de Chanel à Yves St Laurent, anticipé les
mouvements arte povera, art cinétique, art électrique, l'art
abstrait, la théorie de la couleur et bien sur l'abstraction qui
pour elle est une philosophie d'universalisme, de cosmopolitisme et
d'unions des peuples.Cet ouvrage qui abonde de
détails sur la vie de l'artiste est à mon avis un des plus réussi
en ce qui concerne la personnalité de celle qui aura su avant tout
le monde anticiper les modes, et les influencer.
Extraits :
En Allemagne, Sonia a
croisé Kandinsky.Il est de dix-neuf ans son aîné certes, mais il
a mené une vie si romanesque qu'elle s'y est tout de suite
intéressée. Sous le charme de ses aspirations au fond si proches
des siennes,il cherche à insuffler de l'esprit dans ce monde
matérialiste. Elle a lu en Allemagne tout frais imprimé - Du
spirituel dans l'art-,un chef-d’œuvre où elle retourne souvent
puiser. Son travail l'intéresse davantage que celui de Picasso.
Parmi les amis
d'autrefois, Van Dongen qui,avant la guerre,avait les mêmes
ambitions qu'eux,se vend aujourd'hui comme portraitiste
mondain.Sonia se jure de ne jamais céder à la mode,de ne jamais
complaire,jamais en rabattre sur son ambition: changer la vie par
son art,par son regard,changer le goût des autres...mais ne rien
concéder.
Hantée par l'idée
de faire fusionner sa vie, La poésie, l 'art et les choses du
quotidien, elle est à l'affût de tout. Les mots sur les vêtements,
c'est bien, c'est fort,ça fait bouger, ça transforme les textiles
eux-mêmes. Mais encore ?
Sitôt installée en
France, elle fera profession de ne pas se rappeler avoir été
ukrainienne ni juive. Femme et artiste, c'est déjà assez
difficile.
Sonia a grandi dans
le milieu le plus éclairé qui fût, dans cette Russie sacrément
impériale et qui ne se montrait antisémite qu'envers les Juifs
pauvres. Elle évoluera peu.Pour seul dieu,elle choisit la beauté.
Cendrars forge sa
-"Prose du Transsibérien et de la petite Jeanne de France"
dans une telle symbiose avec Sonia qu'on peut parler d'une
écriture-peinture à deux voix-deux pinceaux.
il est moins aisé de
se représenter ces shtetls, villages ou bourgades juives d'Europe
centrale ou orientale, entre Pologne et Russie de l'Ouest, pays
baltes et Roumanie, aujourd'hui disparus, où s'est épanoui feu le
magnifique Yiddishland d'où Sonia est extirpée. " Tout shtetl
était une île encerclée par la Russie.
Mme Bernstein flaire
un talent.Alors sa tante lui fait donner des cours de dessin avec
cette femme qui fondera par la suite le musée d'Art populaire. Ce
professeur devait être assez épatante pour s'effacer sitôt
qu'elle n'eut plus rien à lui transmettre, et insister pour qu'on
envoie Sonia étudier en profondeur en Europe.
Merci à Mme
Bernstein! Sans elle,pas de Sonia Delaunay ! Juive elle-même, elle
n'ignore pas l'impossibilité pour sa petite élève de se frayer
ici une place. L'académie des Beaux-arts de Piter est interdite aux
Juifs depuis 1897.Donc il faut se rendre à l'étranger pour
"développer ses dons".
Bref,on glose sur
leur drôle de couple, mais il résiste. Et leurs liens sont assez
forts pour s'offrir quatorze ans d'une intense collaboration. Durant
lesquels Jacques Damase va publier près d'une vingtaine de livres
avec ou sur elle et son œuvre. Il en écrit lui-même et fait
écrire quelques bonnes plumes. Il lui organise des expositions dans
le monde entier.Il veut en faire la première femme de la peinture
française du XXe siècle, la "Patronne " de toutes les
galeries qui l'accueillent.
en février 1942 elle
écrivait ce qu'elle revendiquera toujours : "Je fuis le
descriptif ".Comme l'analyse l'historienne de l'art Laurence
Bertrand Dorléac, "le choix esthétique des formes abstraites,
qu'elle a pratiqué et revendiqué de façon quasi exclusive toute
sa vie,a quelque chose à voir avec ses silences des origines voire
son déni de l'histoire".Oui,l'abstraction comme condition de
l'oubli de l'Histoire.
Je ne sais pas
définir ma peinture. Ce n'est pas un mal car je méfie des
classifications et des systèmes. Comment et pourquoi définir ce
qu'on a sorti avec ses tripes ? Avant les autres, Robert a eu
confiance en moi....Elle avoue d'ailleurs : j'ai eu trois vies,une
pour Robert, une pour mon fils et mes petits-fils,une,plus courte,
pour moi.Je ne regrette pas de ne pas m'être plus occupée de
moi.Je n'avais vraiment pas le temps
Artiste, juive,
russe,femme et en prime épouse puis veuve de peintre, n'était-ce
pas trop de handicaps à la fois ? Elle a dû choisir. D'emblée,
elle a gommé juive,souvent russe,puis s'est effacée comme
artiste.Et depuis 1918,elle s'est démenée pour faire tourner sa
famille, honorer le grand peintre qui n'a quasi rien vendu de son
vivant. Transmettre l’œuvre, la mémoire, l'inventivité de
Robert tout en faisant reconnaître sa propre innovation n'a rien
d'aisé.C'est à la fois l'obstacle et le moteur de sa création, et
de la reconnaissance qu'elle espère. Plus Robert atteint la gloire
posthume, plus la sienne s'éloigne : comme si la célébrité de
l'un en ôtait à l'autre.
Il est incontestable
que le monde de la pensée, de l'art et de la culture lui est un
solide refuge contre la douleur.Cet arrachement à ses parents, sa
famille, son pays natal,sa culture...Elle semble exclusivement
passionné par son travail, les progrès de la peinture en France.
C'est là que ça se passe. Elle veut en être.
Apollinaire pratique
avec les Delaunay les longues marches à l'infini dans Paris.Ils
errent des soirées entières dans la cité choisie par ces
immigrés, fascinés par toutes ces nouveautés. Ils assistent à la
suppression des derniers becs de gaz,la lumière électrique est en
train de transformer Paris en Ville Lumière. Lumière qui dans la
nuit les émerveille de concert.
Sonia adore parler
techniques,comprendre comment s'y prenaient les anciens,les recettes
des étranges enduits de Vinci...Plus proches d'elle,les papiers de
Cézanne contrecollés,qu'elle copie ou repeint
Elle tente aussi
Gauguin, et ses couches couvrantes de couleurs opposées, elle y
mêle des manières de Van Gogh qui " beurrait à demi-frais",
ce qui signifie qu'il se permettait de reprendre son tableau sur de
l'huile pas encore sèche. Sonia apprend,Sonia reste. Méthodique,
elle note tout .Comment évolue chaque pigment utilisé. Sa couleur
charge de matières. Elle parle beaucoup avec ses camarades de
travail.Elle ne parle que de ça, quels fonds,quels matériaux,
quels enduits,pour la préparation des supports,etc.
Enfant,j'étais
capable d'un étonnant renfermement. Je ne parlais à personne,de
mes pensées, de mes sentiments, bien que j'aie eu des amis.Je
disais des mots méchants pour ne pas avouer mes bons sentiments.
Avec Tristan
Tzara,les liens sont toujours aussi forts, ils ont l'exil juif en
partage. Même s'ils ne s'en parlent jamais et se sont fondus dans
les milieux les plus français, quelque chose de rocailleux dans la
langue, quelque mélancolie dans les yeux les font frère et sœur
de cœur.
Elle (Sonia Delaunay)
est amoureuse d'un volcan,il lui plaît qu'il entre régulièrement
en éruption. Cela flatte en elle quelque chose de l'enfance,les
humeurs de son oncle ? Peut-être. Sonia fonde son identité de
femme et d'artiste sur sa russité et son cosmopolitisme à la fois.
Adaptable à tout, adaptable partout, elle va créer dans les
interstices.
Elle a toujours
manifesté de l'intérêt pour les textiles,et, après la naissance
de son enfant, elle s'en donnera à coeur joie.Elle exécute une
broderie de feuillage qui évoque les natures mortes de Robert
(Delaunay), sur laquelle elle applique sa théorie des couleurs
pures : le voisinage de telle couleur avec telle autre la fait
vibrer autrement. Sonia s'émerveille de ces oeuvres du quotidien
qui sont les premières à bénéficier de l'appellation de
"simultanées " Sous cette épithète se rassemblent ces
projets communs aux avant-gardes du temps : la réunification des
arts.
Dans la famille
Delaunay,le couple le plus complice et le plus soudé fût souvent
celui du fils avec la mère. Beaucoup plus tard, Charles se
souviendra que "(sa) mère créait comme on respire,sans effort
apparent. Elle inventait toujours,ne copiait jamais rien".
Biographie
Née en 1953 à Paris,
Dans sa jeunesse, Sophie Chauveau, intègre le Conservatoire national
supérieur d'art dramatique de Paris, puis devient journaliste,
comédienne et écrivain.
Elle est écrit des romans, des essais,
des pièces de théâtre et d'une monographie sur l'art comme langage
de l'amour. Elle a publié près de 18 ouvrages et signe également
pour la mise en scène.
Elle s'est documentée durant quatre ans
pour écrire La Passion Lippi.
Parmi ses engagements militants,
elle s'investit dans sa jeunesse au PSU, puis aux Amis de la terre en
1974 aux côtés de Brice Lalonde tout en œuvrant dès l'origine au
Mouvement des femmes dès 1971. En 1979, elle anime la campagne des
élections européennes pour Huguette Bouchardeau (PSU). En 1993 et
en 1995, elle rejoint le comité de soutien de Lionel Jospin et crée
les Ateliers de Mai.
Depuis 2002, elle est membre du comité
directeur de l'association France-Israël.