L'histoire
Pour les plus jeunes lecteurs qui ne connaîtraient pas ce classique anglais, ce roman raconte la vie de Jane Eyre, enfant pauvre confiée à sa tante, une femme méchante et avare qui déteste la petite fille. Envoyée à 10 ans au terrible pensionnat pour jeunes filles défavorisées, elle y restera 6 ans, dont les deux derniers comme institutrice. L'instruction des ces filles, destinées à être bonnes, gouvernantes se limite à savoir écrire, compter, lire, savoir coudre et broder, voir jouer d'un instrument de musique. Jane trouve un poste de gouvernante pour éduquer la petite Adèle, enfant adoptée du maître des lieux, Édouard Rochester. Très vite une amitié se noue entre cette gouvernante exigeante et cet homme au caractère dur. Mais quand il propose à Jane de se marier, on découvre qu'il est déjà marié à une femme, folle qui vit enfermée sous bonne garde. La loi anglaise interdit la bigamie, et aussi le divorce quand la femme est atteinte de troubles mentaux. Choquée, d'autant que Rochester lui propose de devenir sa maîtresse, la jeune fille part dans la nuit, parcours des kilomètres dans la lande pour finir par être hébergée par un pasteur Saint-John et ses deux sœurs. Celui-ci lui trouve un poste d'institutrice dans le village, mais le hasard fait que Jane Eyre devient riche, suite à la mort d'un oncle qui vivait à Madère et que Saint-John est son cousin germain. Celui-ci rêve d'être missionnaire pour évangéliser le monde et demande en mariage Jane qui ne l'aime pas et qui en fine psychologue a compris que cet homme n'avait pas de tendresse ni d'affection pour elle, que sa seule passion était l’Église. Elle s’enfuit à nouveau pour retrouver Rochester, homme affaibli, car sa folle de femme a incendié le manoir et en est morte. Pour sauver ses employés, le Maître a perdu la main droite et la vue. Tout se finit bien.
Mon avis
Pourquoi relire « Jane Eyre » le grand roman de Charlotte Brontë, publié sous pseudonyme en 1856 ? Ce roman fut accueilli avec des critiques chaleureuses et fut un succès en son temps, sans doute pour l'histoire romantique et lyrique qui fait la trame du roman.
Mais, à une époque où la femme qui si elle était riche ou noble contractait un mariage arrangé avec une belle fortune à dépenser en robes, fêtes et autres. Si elle était pauvre, elle exerçait des petits métiers comme couturière, brodeuse ou simple paysanne à trimer dans les champs. La femme n'avait guère de droits à part évidement celui d'être une bonne épouse et une bonne mère. Hors contre ce diktat, Charlotte Brontë nous propose une héroïne qui n'est pas très belle, qui semble humble, qui a un grand talent pour le dessin mais qui surtout parle d'égale à égale aux hommes et notamment son employeur Monsieur Rochester. Elle seule est capable de lui rendre des services (qui sont dus à sa femme folle qui échappe parfois à la surveillance de sa gardienne) mais dont elle ignore le but. Tout comme elle ignore le premier mariage arrangé de Rochester avec une femme qui a beaucoup de vices (alcoolisme, amants, conduite indigne) et qui finit par devenir folle. Étrangement, elle n'utilise pas le terme « mon employeur » mais « mon maître » qui est un mot de domination, mais qui renforce aussi le caractère de cette jeune femme hors du commun pour l'époque. Clairvoyante, Jane a saisi le caractère sanguin mais aussi juste envers ses autres employés de celui qu'elle aime en secret. Mais plus que sa morale, son intuition fait qu'elle refuse clairement de devenir la maîtresse en titre, dans une maison que possède Rochester en France. Une maîtresse qui, quand elle vieillira ne sera plus aimée, dépendra ou pas du bon désir de son amant. Jane préfère travailler, même pour un poste d'institutrice, dans le Nord de l'Angleterre, un lieu à la nature hostile pour un faible salaire, compensé par la satisfaction de voir ses élèves progresser, et d'être appréciée dans ce village de paysans.
De même, si pour réparer ce qui lui semble un préjudice et remercier Saint-John et ses adorables sœurs, elle sépare en 4 l'héritage reçu de son oncle, un geste noble. Jane ne se soucie pas de l'argent, n'aime pas les bijoux, les choses futiles. Elle aime apprendre en lisant, et aime transférer son savoir à ces petites paysannes mal dégrossies.
De même, elle lit en Saint-John comme dans un livre ouvert. Celui-ci lui propose le mariage car il pense qu'elle sera la compagne parfaite du missionnaire qu'il se prépare à être, en voyageant dans des contrées très éloignées. Mais Saint-John n'éprouve pas de réels sentiments pour Jane, tant il est obsédé par sa passion d'évangélisateur. Et un mariage sans amour et une vie dure, la jeune femme n'en veut pas. Elle veut garder à la fois sa liberté de penser et sa liberté de vivre à sa guise. Même quand elle retrouve Rochester qui, lui non plus, n'a jamais cesser de l'aimer, c'est en égale et c'est dans un mariage où chacun trouve sa juste place qu'elle va s'épanouir.
Est-ce que le public anglais de l'époque a compris cette émancipation, toute en douceur, de la femme ? Peut-être pas. L'écriture policée de son autrice et cette belle histoire d'amour n'est que l'arbre qui masque la forêt : celui de la revendication d'être égale à l'homme. Celui de la simplicité des relations amoureuses, et d'un certain dédain de la richesse et de la frivolité et surtout sa capacité à pardonner à son infâme tante qui même sur son lit de mort ne lui adresse aucun remords sérieux.
70 ans après Jane Austin qui revendiquait aussi la dignité de la femme, Charlotte Brontë va encore plus loin, avec une héroïne sans grande beauté, mais à la redoutable analyse psychologique des êtres qui se présentent à elle. L'écriture de Miss Brontë est celle de son temps, mais le ton est juste, et il n'y a pas de superflu pour un roman qui fait quand même 750 pages. Car l'autrice sait par de subtils rebondissements captiver son lecteur. En cela, on ne peut qu'admirer la subtilité de la plus connue des écrivaines anglaises. Et un message qui mettra du temps à passer, mais qui n'est peut-être pas anodin dans le long processus de l'égalité entre les femmes et les hommes, toujours remise en question 2 siècles plus tard.
Extraits
Quand même je me rendrais maître de la cage, je ne pourrais pas m'emparer du bel oiseau sauvage; si je brise la fragile prison, mon outrage ne fera que rendre la liberté au captif. Je pourrais conquérir la maison, mais celle qui l'occupe s'envolerait vers le ciel, avant que je pusse me déclarer possesseur de sa demeure d'argile ! et c'est cette âme d'énergie, de vertu et de pureté que je veux, ce n'est pas seulement votre frêle enveloppe. Si vous le vouliez, vous pourriez voler librement vers moi, et venir vous abriter près de mon coeur.
Je ne veux pas vous voir tourmentée par les hideux souvenirs que vous rappellerait Thornfield, cette place maudite, cette tente d'Achan, ce sépulcre insolent qui montre à la lumière du ciel le fantôme d'une morte vivante, cet enfer de pierre, habité par un seul démon, pus redoutable à lui seul que toutes les légions sataniques.
Je vous aime et je sais que vous avez une préférence pour moi; si je me tais, ce n'est pas parce que je doute du succès; si je vous offrais mon coeur, je crois que vous l'accepteriez. Mais ce coeur a déjà été déposé sur un autel sacré; les flammes du sacrifice l'entourent, et bientôt ce ne sera plus qu'une victime consumée.
J'aurais voulu être faible pour éviter les nouvelles souffrances à venir; ma conscience devenait tyrannique, saisissait la passion à la gorge et lui disait avec hauteur qu'elle avait à peine trempé son pied délicat dans la fange, mais que bientôt un bras d'airain la précipiterait dans des gouffres d'agonie.
Il est vain de prétendre que les êtres humains doivent se satisfaire de la tranquillité; il leur faut du mouvement; et s'ils n'en trouvent pas, ils en créeront.
Je puis vivre seule, si le respect de moi-même et les circonstances m'y obligent; je ne veux pas vendre mon âme pour acheter le bonheur.
Jamais, dit-il, en grinçant des dents, jamais il n'y eut créature plus fragile et indomptable. Ce n'est qu'un roseau dans ma main ! (Et il me secoua de toute la force de ses bras.) Je pourrais la tordre entre le pouce et l'index ; mais à quoi cela me servirait-il de la ployer, de la briser, de la broyer ? Voyer ces yeux, voyez l'âme résolue, farouche, libre, qui s'y reflète, qui me défie, non seulement avec courage, mais avec un amer triomphe. Quoi que je puisse faire de sa cage, je ne puis atteindre ce sauvage et merveilleux esprit ! Si je brise, si je détruis la légère prison, mon outrage ne fera que libérer le captif. Je pourrais conquérir la demeure, mais son hôte s'évaderait vers le ciel avant même que je fusse en possession de son abri d'argile. Et c'est toi, esprit, avec ta volonté, ton énergie, ta vertu, que je veux, et non pas seulement ta fragile enveloppe. Tu pourrais de toi-même venir d'un vol léger te blottir contre mon cœur, si tu le voulais ! Saisi malgré toi, tu échapperais à mes embrassements, tu t'évanouirais, telle une essence, avant que je n'aie respiré ton parfum. Oh ! Viens, Jane, viens !
Les gens réservés éprouvent souvent en réalité un besoin plus grand que les gens expansifs de discuter franchement de leurs sentiments et de leurs chagrins. Le stoïque à l'air le plus austère est un être humain, après tout ; « plonger » avec hardiesse et bienveillance dans « la mer silencieuse » de leur âme, c'est souvent leur conférer le plus grand des bienfaits.
La vie me semble trop courte pour la passer à nourrir la haine ou à inscrire les torts des autres.
On ne se figure pas combien les gens froids peuvent effrayer par la glace de leurs questions. Leur colère ressemble à la chute d'une avalanche, leur mécontentement à une mer glacée qui vient de se briser.
La tendresse sans la raison constitue un caractère faible et impuissant, mais la raison sans la tendresse rend l'âme aigre et rude.
Ce n'est pas la violence qui vient le mieux à bout de la haine, ni la vengeance qui guérit le plus sûrement l'injustice.
On n'ignore pas que les préjugés sont particulièrement difficiles à extirper d'un cœur dont le sol n'a jamais été ameubli ni fertilisé par l'éducation ; ils y poussent, solides comme la mauvaise herbe dans les cailloux.
Il est temps que quelqu’un vous humanise, dis-je en séparant ses cheveux longs et épais ; car je vois que vous avez été changé en lion ou en quelque autre animal de cette espèce. Vous avez un faux air de Nabuchodonosor ; vos cheveux me rappellent les plumes de l’aigle ; mais je n’ai pas encore remarqué si vous avez laissé pousser vos ongles comme des griffes d’oiseau.
Tous les hommes de talent, qu'ils soient ou non sentimentaux, qu'ils soient zélotes, ambitieux ou despotes, pourvu du moins qu'ils soient sincères, ont leurs moments sublimes, où ils dominent et s'imposent.
Les pressentiments, les signes, les affinités sont des choses étranges qui, en se combinant, forment un mystère dont l'humanité n'a pas encore trouvé la clé.
je venais de me rappeler que la terre était grande et que bien des champs d'espoir, de crainte, d'émotion et d'excitation, étaient ouverts à ceux qui avaient assez de courage pour marcher en avant et chercher au milieu des périls la connaissance de la vie.
Je ne suis pas un oiseau et aucun filet ne me prend au piège. Je suis un être humain libre et ayant une volonté indépendante que j'exerce maintenant pour vous quitter.
Généralement, on croit les femmes très calmes; mais elles ont la même sensibilité que les hommes; tout comme leurs frères, elles ont besoin d'exercer leurs facultés, il leur faut l'occasion de déployer leur activité. Les femmes souffrent d'une contrainte trop rigide, d'une inertie trop absolue, exactement comme en souffriraient les hommes; et c'est étroitesse d'esprit chez leurs compagnons plus privilégiés que de déclarer qu'elles doivent se borner à faire des puddings, à tricoter des bas, à jouer du piano, à broder des sacs. Il est léger de les blâmer, de les railler, lorsqu'elles cherchent à étendre leur champ d'action ou à s'instruire plus que la coutume ne l'a jugé nécessaire à leur sexe.
There is no happiness like that of being loved by your fellow creatures, and feeling that your presence is an addition to their comfort.
Good-night, my-" He stopped, bit his lip, and abruptly left me.
Biographie
Charlotte Brontë est une
romancière anglaise née à Thornton , le 21/04/1816 et décédée à
Haworth , le 31/03/1855. Elle passe son enfance à Haworth, où son
père, pasteur, officie. Elle perd sa mère en 1821 puis ses deux
sœurs aînées, Maria et Elisabeth, de la tuberculose. Ces morts
vont durablement marquer sa vie.
Elle part en pension afin de
suivre des études en vue de devenir institutrice. Mais obnubilée
par son besoin d'écrire, elle ne parvient pas à s'investir dans ses
nouvelles fonctions d'enseignante puis de préceptrice auprès de
particuliers.
Dans l'idée d'ouvrir un pensionnat, elle part
avec Emily à Bruxelles pour apprendre le français. Les deux sœurs
vivent chez leur mentor, M. Héger, avec lequel Charlotte entretient
des relations difficiles. Elle va devenir professeure d'anglais et
rester à Bruxelles après le retour de sa sœur à Haworth. Quelques
années plus tard elle rentre en Angleterre.
Admirative devant
les écrits d'Emily, elle la pousse à publier un recueil commun
réunissant leurs poèmes sous le nom d'Ellis et Currer Bell. Son
deuxième roman, "Jane Eyre", publié en 1847 sous le
pseudonyme de Currer Bell, rencontre un succès considérable.
Après
les décès de son frère, d'Emily en 1848 et d'Anne en 1849, elle
connait une période très difficile. C'est aussi à cette époque
qu'elle abandonne son anonymat et va être introduite par son éditeur
dans la haute société londonnienne. En 1853, le vicaire de son
père, Arthur Bell Nicholls, se déclare et la demande en mariage. M.
Brontë s'y oppose violemment. Nicholls persiste. Ils se marient en
1854 et connaissent un grand bonheur conjugal. Malheureusement,
Charlotte tombe malade et meurt peu après. Les causes exactes de sa
mort n'ont jamais été déterminées. Il est quasiment certain
qu'elle était enceinte.






