L'histoire
Tout aurait du être normal en ce soir du 16 juillet dans cette petite cité de banlieue vouée une destruction prochaine pour reconstruire des logements plus adaptés. Astor, 21 ans, étudiant en jardinerie et amoureux des plantes se rend à une fête improvisée sous « la pyramide », une statue posée sur la place sous laquelle se trouvent des parkings inutilisés. Mais une grenade lacrymogène est jetée par la porte d'entrée et dans la pagaille, les jeunes sortent par l'issue de secours et le matériel de sono est confisqué par la police. Au même moment, Chérif et ses amis qui tous travaillent se retrouvent sur un petit coin de la place pour faire un barbecue dans un vieux bidon, saucisses, merguez, pain et coca ou fanta, on discute entre potes de la semaine. Soudain contrôle de police. Chérif, que les policiers connaissent pourtant très bien, n'a pas ses papiers sur lui et est emmené en garde à vue, musclée comme souvent. Dans la pagaille générale, le petit frère de Shérif, un ado de 15 ans, ne comprenant pas ce qui s'est passé, quitte les lieux sur sa mobylette. Poursuivi par une voiture de police, il est abattu de 2 balles, sans sommation. L'enquête conclut à un triste concours de circonstances, le gamin roulait trop vite, le policier n'a jamais eu une intention mortelle, etc. Dans la cité à l'émotion et au désarroi de tous, ces gens venus d'Afrique Noire, qui travaillent en France, tentent d'élever au mieux les enfants, se connaissent tous et sont affligés et ne comprennent pas. Mais les jeunes eux savent : les contrôles au faciès, les insultes, les fouilles corporelles, alors qu'ils n'ont rien fait. Alors, le combat s'organise avec les jeunes et de façon collective et assez inattendue.
Mon avis
Elle même issue des banlieues, Diaty Diallo connaît son sujet. Elle s'inspire pour ce tout premier roman de faits connus dans les médias. Mais ce qui frappe avant tout c'est son écriture. Les dialogues sont vifs et le langage « djeuns » y est présent, mais on comprend facilement cet argot où on kiffe sa daronne et ou on s'exprime cash, mais toujours poliment avec les mères, qu'on respecte, tout comme les filles qu'on aimerait bien draguer mais on ose pas trop. Ici ce sont surtout des africains subsahariens qui vivent, dans des logements trop petits pour les familles, des immeubles pas entretenu.
Et à coté de la vivacité des dialogues, des jolies pages où la nature, celle du terrain vague à coté, enchante Astor qui connaît tous les noms botaniques des fleurs sauvages, des herbes pas si folles, leur floraison et imagine même le bouquet qu'il offrirait à la jeune fille dont il est amoureux. Mais ce minuscule coin de nature, où tous ont joué enfants, commence déjà à être envahi par les pelleteuses, puisque qu'une résidence de standing doit y être construite. La petite cité qui de loin aperçoit Paris, là où on va travailler, est elle aussi amenée à être détruite. La mairie a montré les plans des nouveaux lotissements où seront relogées les populations, avec même des équipements sportifs, une mjc, un espace de co-working. Les familles qui ne pourront pas être relogées iront plus loin dans la grande banlieue. Et cette écriture devient hypnotique quand pour rendre hommage au petit garçon mort, la DJ improvise des mélodies où se mêlent la soul, les percussions africaines, la musique urbaine.
Dans ce roman, on ne parle que de la différence due à la couleur de peau. La religion qu'elle qu'elle soit est ignorée, les filles sont totalement libres, on apprend même qu'Hawa, la DJ est en couple avec une fille sans que cela ne choque personne. Juste le racisme ordinaire, presque banal, et pourtant terrifiant.
Ici pas de politiquement correct, pas de compromis. Oui bien sur les gamins font un peu trop de rodéos à moto sur la place, et oui on fume un pétard ou on boit un peu trop de bières, mais que faire dans une cité où il n'y a rien. Plus de commerces, plus d'animations, plus de vie si ce n'est les petits plaisirs de faire un barbecue entre amis, de partager des repas entre voisins, ou d'aller danser sur des rythmes endiablés. Le peu d'argent gagné est fait pour aider la famille, les mères et les petits. Les pères sont quasiment absents (morts, revenus au bled) ou trop vieux. Un roman coup de poing, coup de gueule, mais avec un vrai don pour l'écriture.
Extraits :
C'est pas normal. Puis il me prend le bras et le serre comme un garrot. Je lui avais dit de pas aller mettre son nez sur la place, gros, je te jure sur ma vie, il me dit en me regardant droit dans les yeux et les siens pleurent. Je réponds que je sais bien, que même avec un scénario différent l’issue aurait été la même. Ça s’appelle le système. Qu’on sait bien. Que c’est de la faute à personne d’entre nous. Qu’on a pas mérité de perdre un petit. Qu’aucun petit mérite de perdre sa vie. Qu’y a bien que des enfoirés pour pas savoir ça. Nous on sait. On est pas des enfoirés. On sait bien.
Issa avait continué à hausser le ton en leur demandant pourquoi ils avaient jamais rien à faire d'autre, que c'était un truc de fou comme ils avaient rien à faire d'autre, que c'était chaud, que ça faisait pitié un peu de les voir avoir rien à faire, jamais rien à faire d'autre, comme là, comme aujourd'hui, qu'il y avait des femmes qui se faisaient violer dans le plus grand des calmes en ce moment même partout dans Paname mais que leur priorité c'était de les contrôler eux, les noirs et les arabes de cité.
Peine. Période qui ne possède pas d’instruments de mesure. Ni sablier ni clepsydre ni bougie ni horloge. Personne n’aura l’autorisation de venir s’asseoir et de lui expliquer ce qu’il vit, ni de donner de noms à son épouvante, ni de formes à ses larmes. S’il veut en pleurer des froides, il pleurera des perles de glace, et s’il ne veut pas parler, il ne parlera pas.
Attiser des feux, se raconter des trucs pour passer les jours qui rallongent et même ceux qui raccourcissent en fait et puis danser parfois.
Dans le jour qui se lève, les merles, moineaux, mésanges, pigeons en gangs, en même temps qu'ils s'étirent les plumes, chantent comme des rappeurs leur appartenance au sol d'ici. Oublie jamais d'où tu viens, ils semblent se répéter.
C’est beau. Ça donne des dialogues sans mots, des lèvres qui remuent, muettes, des mains qui reproduisent la musique. On n’entend pas les rires ni ce qui les déclenche. Des gens s’embrassent doucement, le souffle saccadé, les paumes plaquées, les creux des corps emboîtés. Des lèvres ouvertes sur le fond d’une clavicule. Des cœurs arythmiques reliés par deux ou trois. Le langage indiscipliné de celles et ceux qui parlent la tendresse.
Le lacrymo, c'est vraiment un venin d'enfoiré de fils de pute. C'est à dire qu'un soldat ne pourrait pas en utiliser contre ses ennemis, sur un champ de bataille en temps de guerre, pas autorisé, mais pas contre nous, ils nous en arrosent dès qu'on fait un pas de travers. Et même dès qu'on a l'audace de sortir de chez nous, putain.
On abolirait l'uniforme, que la haine de nos peaux, classifiées malgré nous, et l'obsession des moments où on disparaît sous les coups lui survivraient. Ça s'appelle le système.
Hawa a posé un dernier disque sur sa platine puis est sortie de sa cabine et dans la foule a retrouvé son amoureuse. Dernières agitées, elles exécutent des pogos sensuels, se tiennent l'une contre l'autre, synchronisent leurs pulsations cardiaques, écoutent le chant du sang dans leurs veines. Elles font tourner autour d'elles l'hologramme d'un cerceau. Elles s'épuisent les corps.
Il y a quelque chose à calmer ce soir. Ensemble. Quelque chose de dur qu'il faut soulager à défaut de guérir. Ensemble. Quand une personne est arrachée trop tôt à sa vie, la souffrance déborde de son foyer pour atteindre la rue. C'est une communauté qui a mal.
De minuscules êtres humains dans de toutes petites salopettes piaillent comme des oisillons. Il y a des coutumes qu'on observe : les strapontins, les filles qui en tressent d'autres, le bissap en bouteilles de cristaline, les beignets stockés dans des glacières.
Hawa abat son génie, gifle ses platines et ses claviers, émet des textures chaudes et rassurantes, des gémissements d'abeilles exaltées, des frictions de bottes qui tabassent la neige d'un pays froid. Caisse claire. Une goutte d'eau semble tomber sur une braise géante. Elle partitionne, séquence, modèle,déforme, met bout à bout des bouts qui font symphonie. Elle détend. Des doigts, elle reproduit le bégaiement d'un marxophone, le ronflement d'une bougie qui s'épuise, les notes d'une orgue arrondies comme par le levier d'une stratocaster.
Biographie
Diaty Diallo a grandi
entre les Yvelines et la Seine-Saint-Denis, où elle continue
d’habiter aujourd’hui. Elle pratique depuis l’adolescence
différentes formes d’écriture : de la tenue journalière d’un
Skyblog à quinze ans à la rédaction d’un livre aujourd’hui, en
passant par la création de fanzines et la composition de dizaines de
chansons. Deux secondes d’air qui brûle est son premier roman.
En
savoir plus :
https://www.seuil.com/ouvrage/deux-secondes-d-air-qui-brule-diaty-diallo/9782021507584
https://manifesto-21.com/on-nest-pas-dupes-rencontre-avec-diaty-diallo/
Sur le roman
vidéos
https://www.youtube.com/watch?v=r8UtiBsweu0&source_ve_path=OTY3MTQ&feature=emb_imp_woyt
https://blogs.mediapart.fr/tv-bruits/blog/191222/deux-secondes-dair-qui-brule-diaty-diallo
Presse
http://chroniqueslitterairesafricaines.com/2602-2/gangoueus/
https://lemag.seinesaintdenis.fr/Diaty-Diallo-romanciere-radicale
En fin de livre, Diaty donne une liste des morceaux joués lors des fêtes souterraines ou écoutées par les protagonistes. Elle cite également les auteurs, et tous ceux qui l'ont aidée à écrire ce premier roman dont on a beaucoop parlé à la rentrée littéraire 2022.
Notamment la famille de
Gaye Camara :
https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/01/21/affaire-gaye-camara-le-non-lieu-pour-un-policier-confirme-en-appel_6067108_3224.html, ainsi que les livres lus dont elle dresse la liste en fin d'ouvrage.




