L'histoire
Dans le Dakota du Nord, Landreaux, un amérindien, tue accidentellement le fils de son meilleur ami qui est aussi son neveu. Il s'agit d'un stupide accident de chasse, mais pour les deux familles le chagrin est immense. En se référant à une vieille tradition ojibwé, Landreaux offre alors son dernier fils, qui avait l'âge de l'enfant tué, le jeune LaRose, 5 ans, à la famille du petit garçon décédé. Landreaux élève déjà 4 enfants, et la famille de Peter et Nola n'a qu'une jeune ado, Maggie et Lola ne peut avoir d'autres enfants. Avec toutes les conséquences que cela implique, mais c'est sans oublier les pouvoirs ancestraux des ojibwés que porte en lui le petit LaRose.
Mon avis
Ah la famille ! Son univers attachant mais aussi impitoyable, d'autant plus que nous nous trouvons dans un « nulle part » du coté des Rocheuses dans le Dakota du Nord. Dans une petite ville, vit une communauté de blancs et d'amérindiens qui sont cultivateurs ou travaillent ici ou là. On n'est ni très riche ni très pauvre mais ce n'est pas le propos de l'autrice.
Il s'agit ici de la déconstruction/construction des liens de famille au sens élargi du thème. D'un coté nous avons la famille de Landreaux, un homme tranquille, malgré une jeunesse mouvementée que serait expliquée dans un chapitre du roman. Emmaline, sa femme, est la directrice de l'école primaire, et sa sœur de Lola, la femme de Peter. Autant Emmaline semble équilibrée, sure d'elle, impeccable, autant Lola est une femme angoissée qui a des pensées suicidaires. Elle commence par en vouloir à mort à son beau-frère puis adopte le petit LaRose qui devient comme son fils.Mais la situation s'inverse. Petit à petit, soutenue par Maggie, une petite peste qui va aussi s'assagir au coté de LaRose, puis par son mari, Lola va reprendre goût à la vie, sans pour autant arriver à se réconcilier avec sa sœur. Mais Emmaline vit de plus en plus mal la situation, elle a perdu son fils et s'éloigne de son mari. Surtout elle apprend que le charismatique prêtre de la paroisse, Travis, a toujours été amoureux d'elle, un homme avec lequel elle peut parler en totale liberté.Finalement, d'un commun accord les 2 familles décident de se partager l'enfant, qui va vivre tantôt chez Maggie, sa grande amie et complice, tantôt dans son foyer, entouré par l'amitié bienveillante des sœurs Neige l’aînée et Josette la cadette qui passent leur temps à se chamailler ou faire front commun. D'ailleurs elles adoptent aussi Maggie et c'est par la volonté de ses enfants joyeux que finalement la petite communauté arrive à se ressouder.
Mais le plus intéressant n'est pas à chercher dans cette histoire familiale mais plus dans les mythes et légendes ojibwés qui ont fondé les LaRose. La première LaRose, fille abandonnée par une mère alcoolique, est recueillie par un marchand ambulant et son jeune assistant. La jeune fille est déjà très belle et l'assistant pense qu'elle peut tomber dans les griffes du ca ravanier, un homme malhonnête, impliqué dans des histoires qui font craindre pour la vie de tous. Par une sorte de poison, la première LaRose tue le marchand dont la tête se met à enfler de plus en plus et les poursuit partout. Alors LaRose et son compagnon arrivent à voler jusqu'au Dakota du Nord où ils s'installent dans une cabane. Puis leur fille la deuxième LaRose hérite des pouvoirs de sa mère. Elle connaît le secret des plantes, mais elle sait aussi « sortir de son corps » pour survoler le monde. La tradition se perpétue mais ni Emmaline, élevée dans un monde devenu moderne, occidentalisé, ne croit guerre en ces légendes et Nola qui aurait pu avoir le don s'enfonce dans la rancœur, puis la mélancolie et la dépression. En fait de tout ce petit monde c'est le petit LaRose, le premier garçon qui a ce pouvoir. Celui de voir ce que l'on ne voit pas, celui de pouvoir survoler son petit monde, et de tenter d’apaiser les âmes en peine, comme c'est son destin. Il participe en secret à des réunions d'anciens qui l'initient et jamais il n'oublie Dusty, son ami, le petit garçon mort, avec lequel il discute. Il écoute poliment les légendes assez horribles des vieilles femmes de la tribu qui vivent toutes dans une maison pour personnes âgées, mais en sachant que ce ne sont que des inventions destinées à l'éducation des enfants.
Le roman structuré en 5 parties fait des aller-retours dans le passé, celui qui fonde la légende des LaRose et celui de la jeunesse tumultueuse de Landreaux, son amour fou pour Emmaline, la prise de drogues et la folie « beatnik ». Mais surtout, il y a l'humour des enfants, la joyeuse bande entraînée par Josette, qui prend son aile Maggie (qui n'avait pas d'amis auparavant et avait une réputation de fille méchante), tous réussissent à être scolarisé dans le même lycée public, on se passe des vêtements, on se maquille et on fait des produits de beauté fantaisistes. Les filles sont les reines du volley-ball du comté, soutenues comme il se doit par les parents, les frères et bien sur LaRose qui lui apprend le karaté.
Le plus de ce roman restera la légende et la vie de la première LaRose, morte de la tuberculose et dont le corps a servi à la médecine pour étudier la maladie. Les femmes de la famille se battent pour récupérer les ossements afin d'enterrer dans les coutumes leur ancêtre qui communique encore avec la grand-mère. Mais si nous passons d'émotions en émotions, l'humour des enfants, la tristesse de Nola, les trahisons d'un personnage rancunier, on pourrait dire que l'autrice a fait des petits romans dans son roman. Il y a comme un manque de liaison et aussi un passage entre le présent et l'imparfait (fait pour renforcer une action) qui me gêne un peu, parce que je trouve que son emploi est sans apport. Mais Louise Erdrich termine là une trilogie où elle explore le passé amérindien de sa famille, son poids actuel qui cède aux évangélisations, et à la modernité de la société de consommation, et aux addictions : alcool et surtout médicaments que l'on fauche sur les personnes âgées, ou à l'hôpital, et dont on se gave pour oublier le quotidien pas facile où l'on travaille dur sans jamais atteindre l'opulence.
Extraits :
La douleur, éparpillée partout, monte en flamboyant des puits profonds que sont les poitrines de son peuple. A l’Ouest les cœurs des morts battent encore, ils brûlent et jettent de douces lueurs vertes dans leurs cercueils. Ils font jaillir de la terre une lumière pâle. Et au sud il y a les bisons que la tribu a achetés dans un but touristique. Un rassemblement sombre. Leurs cœurs eux aussi embrasés par l’horrible message de leur extinction. Leur assemblée fantomatique, désormais. Comme nous, un symbole de résistance, songe Romeo. Comme nous, ils déambulent et tournent en rond dans un petit enclos d’herbe, et engraissent. Comme nous, cœurs visibles pareils à des lampes dans la poussière. A l’est aussi, l’aube sacrée de la terre entière, chaque matin de chaque jour, la promesse et l’accablement.
Avant de mourir, la première LaRose enseigna à sa fille comment trouver les esprits protecteurs dans chaque endroit qu’elles parcouraient à pied, comment guérir les malades avec des chants, des plantes, quels lichens manger en cas de faim dévorante, comment poser des pièges, attraper des poissons au filet, allumer un feu à l’aide de brindilles et de copeaux de bouleau. comment coudre, comment faire bouillir les aliments en se servant de pierres chaudes, comment tresser des nattes de roseaux et fabriquer des récipients en écorce de bouleau. Elle lui enseigna comment empoisonner le poisson au moyen de certaines plantes, comment fabriquer un arc en flèches, comment tirer au fusil, s’aider du vent lorsqu’elle chassait, comment fabriquer un bâton pour creuser, déterrer des racines, sculpter une flûte, en jouer, broder de perles un sac à bandoulière. Elle lui enseigna comment savoir d’après les cris des oiseaux quel animal venait d’entrer dans les bois, comment savoir d’après les mêmes cris des oiseaux d’où arrivait arrivait le mauvais temps et de quel genre de mauvais temps il s’agissait, comment savoir toujours d’après les cris des oiseaux si vous alliez mourir ou si un ennemi était sur vos traces. Elle lui apprit comment empêcher un nouveau-né de pleurer, comment amuser un enfant plus âgé, comment nourrir les enfants de tous âges, comment attraper un aigle pour lui arracher une plume, faire choir une perdrix d’un arbre. Comment tailler un fourneau de pipe, brûler le cœur d’une branche de sumac pour confectionner le tuyau, comment confectionner du tabac, du pemmican, comment récolter le riz sauvage, danser, le vanner, le faire sécher et le stocker, et fabriquer du tabac pour sa pipe. Comment percer les troncs d’arbre, tailler des chalumeaux pour collecter l’eau d’érable, comment fabriquer du sirop, du sucre, comment faire tremper une peau, la racler, comment la graisser et la préparer en utilisant la cervelle de l’animal, comment la rendre souple et satinée, comment la fumer, quels ingrédients utiliser. Elle lui enseigna comment fabriquer des moufles, des jambières, des makazinan, une robe, un tambour, un manteau, un sac avec l’estomac d’un élan, d’un caribou, d’un bison des bois. Elle lui enseigna comment laisser son corps derrière elle lorsqu’elle était à moitié éveille, ou bien endormie, et voler de-ci de-là pour chercher à savoir ce qui se passait sur la terre. Elle lui enseigna comment rêver, comment sortir d’un rêve, transformer le rêve, ou demeurer à l’intérieur pour avoir la vie sauve.
Les Blancs, en vertu de la loi de la conquête, en vertu du bien fondé de la civilisation, sont les Maîtres du continent américain, et la meilleure façon d’assurer la sécurité des villages situés sur la frontière passe par l’anéantissement des quelques Indiens restants. Et pourquoi pas? Leur gloire s’est enfuie, leur esprit est brisé, leur virilité abolie, mieux vaut qu’ils meurent plutôt que de vivre en pauvres hères qu’ils sont.
Nous vieillirons ensemble. Tu m’aimeras encore lorsque je serai toute ratatinée ? Je t’aimerai encore mieux. Tu seras plus sucrée. Comme un raisin sec. Ou un pruneau. Nous mangerons des pruneaux ensemble.
Nola regarda LaRose occupé à inspecter le contenu de son assiette. Il était comme ce moine en robe brune François. Les animaux venaient se coucher à ses pieds. Ils étaient attirés vers lui, sachant qu'ils seraient sauvés.
Comment expliquer ce coup de fusil? Il aurait voulu cesser d'exister pour recommencer à tirer, ou à ne pas tirer. Mais la plus difficile, la meilleure, la seule chose à faire, c'était de rester en vie. De vivre avec les conséquences, au sein de sa famille. D'assumer la honte, même s'il étouffait sous son poids nauséabond.
Les dents serrées de Maggie refoulèrent ses paroles. Elle ne dit pas qu'elle était désolée, mais elle l'était. Désolée de ne pas être capable de faire ce qu'il fallait. Désolée de ne pas être capable de faire ce que sa mère avait besoin qu'on fasse. Désolée de ne pas être capable de la rafistoler. Désolée, parfois, de l'avoir sauvée. Désolée désolée désolée d'avoir cette pensée. Désolée d'être méchante. Désolée de ne pas être reconnaissante à tout instant que sa mère soit en vie. Désolée que LaRose soit le chouchou de sa mère, même s'il était aussi le sien. Désolée de penser à quel point elle était désolée et de perdre son temps à se sentir indéfiniment désolée. Avant ce qui s'était passé avec sa mère, Maggie n'avait jamais été désolée. Et elle avait tellement envie de redevenir comme ça.
En anglais, il existait un mot pour chaque objet. En ojibwé, il existait un mot pour chaque action. L'anglais possédait davantage de nuances pour évoquer l'émotion intime, mais l'ojibwé était plus subtil pour évoquer les liens familiaux.
Mais tu as horreur du sport.
Plus maintenant. J'aime bien le volley-ball.
Ce n'est pas franchement un sport. Parfois, les adultes ne pigeaient rien. Dans leur souvenir, le volley n'était qu'un passe-temps relax après le barbecue dans le jardin, ou une discipline obligatoire en cours de gym. Ils ne se doutaient pas que c'était devenu un sport cool et brutal, dont les filles s'étaient emparées.Les institutrices de la mission considéraient qu'apprendre aux femmes l'art de bien tenir une maison et de discipliner les enfants était fondamental pour éradiquer la sauvagerie. Il convenait d'enfoncer un coin entre une mère indienne et sa fille. De nouvelles façons de faire élimineraient tout enseignement primitif. Mais elles n'avaient pas compris le pouvoir du soleil sur la gorge d'une femme.
Mrs Peace avait été une jolie femme à la mine triste et à la longue chevelure brune et soyeuse. Elle avait à présent une longue chevelure blanche et soyeuse, et elle était toujours jolie, mais elle avait désormais la mine heureuse. Elle ne se coupait pas les cheveux et ne les frisait pas non plus comme la plupart de ses amies, elle les portait tressés en une natte mince et parfois en chignon. Elle mettait chaque jour une paire différente de boucles d’oreilles en perles, dont elle composait elle-même les motifs – ce jour-là, bleu ciel à cœur orange. Elle avait pris goût à ce passe-temps, ainsi qu’aux cigarillos, lorsqu’elle avait quitté l’enseignement et qu’elle était revenue habiter sur la réserve. Elle ne fumait plus que rarement. Elle disait que le travail des perles l’avait aidée à arrêter. Sa loupe sur pied était bien calée sur la table, car elle avait une mauvaise vue. Lorsqu’elle levait les yeux vers Landreaux, ses épais verres de lunettes lui donnaient un air un peu perplexe et surnaturel qui ajoutait à son aura.
Le lendemain, elle vit un ours occupé à déterrer une sorte de racine à côté d'un marécage. Une autre fois, un renard bondit, monta en arc de cercle haut dans l'herbe et s'en fut en trottinant, une souris dans la gueule. Des cerfs allaient au pas, tous les sens aiguisés, s'arrêtant pour remuer les oreilles et flairer les senteurs avant de s'aventurer à découvert. Elle regarda la terre voler derrière un blaireau qui creusait un terrier. Des souris à pattes blanches aux yeux adorables, des hirondelles bleues fendant l'air, des faucons lancés dans un vol libre mystique, des corbeaux cabriolant sur des courant aériens aussi solides que d'invisibles poutres d'équilibre. Elle commença à se sentir davantage chez elle dehors que dedans.
Elle était archaïque et avait surgi de la terre en ébullition. Elle avait sommeillé, mené une vie latente dans la poussière, s'était élevée en fin brouillard. La tuberculose s'était élancée en une vague impétueuse pour s'unir à la chaleur de la vie. Elle était présente dans chacun des nouveaux mondes et dans tous les anciens. D'abord elle aima les animaux, puis aussi les personnes. Parfois elle se posait dans une prison de tissus humains séparée par un mur des frondes nourricières du corps. Parfois elle s'élançait, filait sans entraves, creusait des galeries dans les os ou métamorphosait les poumons en dentelle raffinée. Parfois elle allait n'importe où. Parfois elle n'arrivait à rien. Parfois elle élisait domicile dans une famille, ou bien démarrait ses voyages sans répit dans une école où les enfants dormaient côte à côte.
Biographie
Karen
Louise Erdrich, née le 7 juin 1954 à Little Falls dans le
Minnesota, écrivaine américaine, auteure de romans, de poésies et
de littérature d'enfance et de jeunesse.
Elle est une des
figures les plus emblématiques de la jeune littérature indienne et
appartient au mouvement de la Renaissance amérindienne.
Le
premier livre qu'elle publie est un recueil de poèmes intitulé
Jacklight.
L'action de ses romans se déroule principalement dans
une réserve du Dakota du Nord entre 1912 et l'époque présente. Ils
relèvent en partie du courant réalisme magique, avec une figure de
trickster (Fripon), et parfois du roman picaresque.
Écrivaine de
talent, elle a reçu de nombreux prix et distinctions au cours de sa
carrière. Elle obtient plusieurs prix pour son roman Love Medecine
(L'Amour sorcier), dont le prix du Meilleur roman décerné par le
Los Angeles Times, le National Book Critics Circle Award et
l'American Book Awards. En 2012, son roman The Round House (Dans le
silence du vent) obtient le prestigieux National Book Award aux
États-Unis.
Elle est la propriétaire d'une petite librairie
indépendante dans le Minnesota.
En savoir plus :
sa page FB : https://www.facebook.com/louiseerdrichauthor/
Sur le roman
vidéos
Presse
https://esprit.presse.fr/article/sylvie-bressler/larose-de-louise-erdrich-41406
https://www.letemps.ch/culture/livres/territoire-indien-louise-erdrich
https://www.liberation.fr/livres/2019/04/05/le-temps-bouleverse-de-louise-erdrich_1719647/
Dans l'univers du roman
Sur les ojibwés
https://www.peuplesamerindiens.com/pages/amerindiens-du-canada/les-ojibwes.html
un dossier complet se trouve aussi ici : https://nathbiblio.blogspot.com/2022/11/richard-wagamese-les-etoiles-seteigent.html
photos : https://www.gettyimages.fr/photos/ojibwa-tribe et ici : https://www.alamyimages.fr/photos-images/ojibwa-american.html?sortBy=relevant
Sur le Dakota du Nord
Ojibwés dans le Dakota du Nord
https://kateyaartamérindien.com/fr/content/19-dakota-du-nord
https://www.cairn.info/revue-francaise-d-etudes-americaines-2016-4-page-194.html
http://classiques.uqac.ca/contemporains/desy_pierrette/amerique_du_nord_mythes/AN_mythes_texte.html
Les réserves indiennes dans le Dakota du Nord

Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.