L'histoire
Tracy, 17 ans, vit avec son père et son frère dans le nord de l'Alaska. De sa mère décédée elle a un don magique qui ne peut s'accomplir que lors d'un rituel très particulier. Mauvaise élève, bagarreuse, elle n'aime que ses chiens pour devenir musher et la forêt proche où elle chasse et vagabonde. Et soudain, après un incident en forêt, son père bien seul pour tout le travail à faire dans une ferme d'élevage de chiots de couse engage un jeune homme de son âge Jesse. Un individu mystérieux au passé incertain, charismatique, dont Tracy va se sentir proche. Mais la réalité va la mener jusqu'au bout de l'irréparable.Mon avis
Encore un beau livre signé Gallmeister (maison d'édition française) qui sait signer des jeunes auteurs. Après Nell et Eva (Dans la Foret), Turtle de My Absolute Darling, Lucy de Peter Fromm, voici Tracy. Connectée avec la nature glaciale de l’Alaska cette héroïne use de ses dons comme une nécessité vitale. A la fois têtue et naïve, elle se rêve en musher pour gagner les plus grandes courses du monde dont l'Iditardod, la plus difficile course de chiens. Mais Tracy est reliée par sa mère, une femme qui a aussi le don mais dont on devine la fragilité qui la conseille et lui fixe des règles. Si cela n'est pas mentionné dans le livre, on pourrait penser à une femme inuit, car Jamey Bradbury semble s'être inspirée des traditions chamaniques des peuples de l’Arctique.Ce roman est inclassable. Ni polar au sens classique du terme, ni fantastique, proche de la nature sans en faire le sujet principal, on écoute la voix de Tracy qui se pose des questions, va s'inventer des histoires. Face à elle, un père aimant mais qui ne la comprend pas et surtout le personnage de Jesse, je dirais son double maléfique, ce Jesse qui va provoquer des sentiments contradictoires envers l'héroïne, la peur, la méfiance, l'amour impossible.
Ici il est question de trouver son chemin dans la vie, et de savoir utiliser un don ou ne pas l'utiliser mais pour cela Tracy n'a pas les codes, elle ne sait pas. Pour ne pas spoiler je ne parlerais pas du don et de la manière de le faire vivre. Il y a aussi le rapport à la mère. Trop vite disparue, sans donner les réponses, alors Tracy fouille sa mémoire pour chercher des indices, sur cette femme dépressive, malade, qui semble-t-il a pu contrôler le don. Il y a l'amour infini du père et le soutien indéfectible de son petit frère, mutique mais observateur. Et les chiens que Trace (comme une trace de pas dans la neige) comprend mieux que personne
La structure du roman est à la première personne du singulier au « je », sauf quand Tracy entend penser ceux sur lesquels elle a pratiqué le don. Seul, une partie de Jesse va lui échapper et lui nuire. Car Tracy, malgré ses pratiques qui peuvent sembler horribles, ne peut pas pénétrer totalement l'esprit de Jesse, individu à l'apparence gentille mais qui sait la manipuler, jusqu'au drame. Il n'y a ni pardon, ni rédemption dans ce livre, si ce n'est la résilience de Tracy à la toute fin où elle va vivre sa vie sauvage. Mais il y a l'instinct de protection, celui de protéger ceux qu'elle aime le plus au monde, son père, son frère et Jesse. Moralement, elle prend la place de la mère trop vite disparue, une place bien trop lourde pour elle.
Un livre déroutant, vous n'aurez jamais lu une histoire pareille, mais attachant aussi, par l'incroyable imaginaire qu'il développe.
La critique lui a fait un excellent accueil, alors si vous n'avez pas froid aux yeux, si le petit coté gore ne vous dérange pas, faites cette expérience de littérature unique et fabuleuse.
Biographie :
Jamey Bradbury est née en 1979 dans le Midwest. Après avoir obtenu une maîtrise en beaux-arts de l'Université de Caroline du Nord, elle est tombée amoureuse de l'Alaska et s'y est installée. Elle y vit depuis quinze ans.Elle a été réceptionniste, actrice, assistante littéraire, secouriste et bénévole à la Croix Rouge. Elle partage aujourd’hui son temps entre l’écriture et l’engagement auprès des services sociaux qui soutiennent les peuples natifs de l’Alaska. Chaque année, elle fait partie de l'équipe des bénévoles encadrant l'Iditarod, la célèbre course de chiens de traîneau dont elle s'est inspirée pour écrire son œuvre.
Sauvage est son premier roman et a reçu le Prix Littérature Monde Étonnants Voyageurs de Télérama.
Extraits :
C'est comme ça, la vie n'est qu'un vautour avide. J'ai lu des choses sur les vautours, ils mangent et mangent et mangent encore, même quand ils sont repus ils continuent, ils dévorent tout ce qu'ils ont devant eux. La vie avale un truc et ça ne fait que la rendre plus avide, alors elle se met à en avaler d'autres.
L’eau ne suit pas un cours rectiligne, elle contourne les arbres et les rochers, se faufile par les cols des montagnes, sans jamais cesser de descendre jusqu’à son but. À observer Jesse, j’ai commencé à apprendre que, pour obtenir ce que l’on veut, il est parfois plus simple de prendre son temps et de contourner les obstacles au lieu de tenter de passer en force.
e passais autant de temps que je pouvais dans la forêt. À me voir, vous vous seriez peut-être dit, Mais t’as que dix-sept ans, t’es une fille, t’as rien à faire toute seule dehors dans la nature sauvage où un ours pourrait te déchiqueter, un élan te piétiner. Mais la réalité, c’est que si on m’emmenait moi et n’importe qui d’autre dans la nature sauvage et qu’on nous y abandonnait, vous verriez bien lequel de nous deux en reviendrait une semaine plus tard, saine et sauve, et même en pleine forme. Je fais du traîneau pratiquement depuis que je sais me tenir debout, et à l’âge de dix ans j’emmenais des petits attelages sur la piste pour des sorties de deux jours, et parfois plus, sans autre compagnie que celle de mes chiens. J’ai participé à l’Iditarod Junior dès que j’ai pu, et à seize ans je concourais dans mes premières compétitions professionnelles.
La vie avale un truc et ça ne fait que la rendre plus avide, alors elle se met à en avaler d'autres. Ça commence par Maman. Elle marche dans la nuit et ne revient jamais. Ensuite ce sont les chiens, cédés les uns après les autres. Puis notre mode de vie. Puis Papa, la façon dont les choses se passaient entre nous deux. Et si vous croyez qu'il est possible de s'habituer à ce genre de deuils, c'est que vous n'avez pas encore assez vécu. Rien ne reste.
Le problème quand on a un secret c'est qu'on en a vite deux. Puis trois, puis tellement qu'on finit par avoir l'impression que tout risque de se déverser sitôt qu'on ouvre la bouche.
On ne peut pas fuir la sauvagerie qu'on a en soi.
En savoir plus :
Sur l'Iditarod : https://fr.wikipedia.org/wiki/Iditarod_Trail_Sled_Dog_Race





