L'histoire
A 40 ans, Raphaëlle est garde-forestière dans la forêt boréale du Kamouraska, au sud-ouest du Québec. Ayant rompu avec sa famille et sa vie citadine de Montréal, elle vit seule au cœur de la forêt dans une roulotte. Des kilimètres de routes et de pistes pour tenter de chasser un braconnier ou de chasseurs qui tuent plus que leurs quotas. Un individu retient son attention. Il pose des pièges près des habitations, et une rapide enquête apprend que cet homme est aussi violent envers les animaux que les femmes qu'il tabasse et viole sans remords. La traque commence.
Mon avis
Un véritable plaidoyer pour la liberté des hommes, des femmes, des animaux à travers la forêt du Bas Saint Laurent, l'auteure nous plonge dans un récit d'une femme déterminée, aimant la Nature plus que tout. Ayant coupé les ponts avec une famille trop conventionnelle et un chemin de vie tout tracé, Raph choisit de vivre seule dans une roulotte, en adoptant Coyote, une jeune chienne mi husky /mi coyote. Elle a comme seul ami le vieux Lionel, un amoureux de la nature et un papa de substitution puis Anouk, une ermite lumineuse au même parcours qu'elle.Un roman engagé contre le capitalisme qui ne fait rien pour réguler la chasse et encore moins la protection des lynx, pourtant espèce en voix de disparition. Contre l'Office des forêts en sous-effectifs et complice au fond du juteux commerces des peaux. Menacée par ce braconnier, mauvais garçon, violeur elle va refouler sa morale pour lui tendre elle aussi un piège. On glisse ainsi dans l'ambiance d'un thriller,
Si les scènes d'action sont très convaincantes par leurs énergiques pulsations, elles ne résument pas le roman dont l'intensité va au-delà du simple thriller .Cette une ode à la nature et à ses protecteurs, offre de très belles pages nature writing, portée par une écriture imagée aux envolées poétiques qui stimule sensoriellement le lecteur avec une belle énergie, tout en rendant hommage au lien spirituel qui unit homme et nature. Cette quête de l'essentiel donne une envie furieuse d'entendre hurler les coyotes voire de hurler à leurs côtés.
Le roman truffé de termes québécois est pourtant facile à lire, un glossaire en fin de livre nous éclaire sur quelques mots. Et puis il y a les dessins de l'auteure qui ponctuent chaque chapitre, à la plume, simples et beaux aussi.Un livre nécessaire dans cette période où le réchauffement climatique est sur toutes les lèvres et nos forêts bien mies à mal.Nota : Une sauvagine correspond à l'ensemble des peaux les plus communes vendues par les chasseurs sur les grands marchés de la fourrure.
Extraits :
L’animal insolite qui attire mon attention est une femelle aux yeux bruns et au pelage souris. Elle ne mange pas, tremble sur son lit de foin pendant que les autres se vautrent. L’homme debout dans l’enclos raconte qu’elle a un léger souffle au cœur, qu’elle n’aura pas la grande carrière d’athlète attelée qu’on attendait d’elle, qu’un chien maigre qui ne tirera pas sa vie durant des touristes venus de France pour vivre une expérience typiquement nordique est une bête qui ne gagne pas sa viande, une bête qu’on abattra comme celles trop vieilles pour servir. Des iris colorés auraient pu la sauver, mais comme en prime sa mère, par une nuit d’expédition, s’est éprise d’un coyote, on s’attend à ce que sa progéniture soit un défi de taille à dompter. Bref, la bâtarde est condamnée, inutile et trop banale pour qu’on veuille l’adopter.
Venger les coyotes, les lynx, les ours, les martres, les ratons, les visons, les renards, les rats musqués, les pécans; venger les femmes battues ou violées qui ont trop peur pour sortir au grand jour. Moi, je ne veux pas vivre dans la peur. Et ça ne peut plus durer, ce manège, l’intimidation des victimes. Marco Grondin, c’est comme un prédateur détraqué qui tue pour le plaisir. Ça ne se guérit pas, ça. On n'aura pas la paix tant qu'il sévit, ni nous ni les animaux.
Ils ont salué le saint-père, mais rien dit en
mémoire de grand-maman. Je bouillais en dedans.— Si dieu existe, c’est une femme émancipée, libre et fertile, croyez-moi. Mes frères et sœurs m’ont regardée comme si j’étais une sorcière,le blasphème incarné. Et en silence, picossant dans mon assiette, je m’imaginais à quoi pouvait bien ressembler dame Nature. Probablement à Artémis, la déesse grecque de la chasse, ou à la
sumérienne Inanna. Ailées, munies de serres, elles domptent les
fauves et protègent les cerfs, la veuve et l’orphelin.Tu sais que tu souffres de solitude quand tu souhaites bonne nuit à un chien qui dort déjà et que tu souris à ta poêle en fonte.
Si tout le monde se contentait du strict nécessaire, d’une fourrure léguée de génération en génération pour se réchauffer toutes ses nuits d’hiver, plutôt que d’une trâlée de literie aux couleurs du jour, assortie aux rideaux et aux tapis, à remplacer périodiquement com.e pour revenir à la page blanche après des amours démodées, peut-être qu’on reprendrait tous le chemin du cœur, au lieu du vide que l’on comble à coupe de séance de magasinage à crédit.
Pourquoi donc a-t-on tant besoin de posséder la beauté ? Et si on la laissait vivre en paix dans l'espoir de la recroiser un jour ?
Quitter parenté et société pour habiter une roulotte stationnée creux dans la forêt publique, ça peut paraître bizarre, mais c’est la clé de mon équilibre mental : vivre le plus près possible des animaux que je me démène à protéger. Vivre le plus loin possible de ma famille qui n’a jamais été curieuse de savoir qui était notre arrière-grand-mère aux yeux bruns perçants comme ceux d’un coyote.
Oui, je transgresse la ligne de pensée nationale et je désobéis au Code criminel, mais j'ai bien plus peur du braconnage des derniers grands mammifères que d'une vie en cage. Parfois, l'histoire le démontre, la désobéissance et la rébellion ont permis le progrès.
Je suis quoi, moi, l'épouvantail ? Qu'est ce que je fais ici, sans blague? Ensuite, ce sera le tour à qui, l'ours polaire? On va rationaliser la chose en affirmant que, comme la banquise fond, mieux vaut tous les tirer avant qu'ils ne descendent chez nous? Et on va continuer de faire comme si la crise climatique était une crise d'adolescence d'écoles qui exagèrent ?
Biographie
Gabrielle Filteau-Chiba est traductrice et auteure. Elle
a quitté Montréal en 2013 alors qu’elle recherchait un rythme de
vie plus lent et plus près de la nature. Elle a acheté une terre
près de la rivière Kamouraska à Saint-Bruno, avec un petit chalet
qui devait être habitable quatre saisons. Elle y vivait sans
électricité et sans eau courante.
Une vague de froid l’empêchait
de chauffer suffisamment son refuge et elle s’apprêtait à
abandonner le lieux. Mais sa voiture n’a jamais voulu démarrer.
Les
10 jours qu’a dû passer Gabrielle Filteau-Chiba encabanée dans
son petit refuge du Bas-Saint-Laurent l’ont inspirée à écrire
son premier livre, "Encabanée" (2018), qui s’approche de
ce qu’elle a vécu, avec une part de fiction.
Elle a amélioré
son sort depuis en construisant une maison faite de bois entourée de
jardins et de serres, alimentée en électricité par un panneau
solaire. Elle y vit avec son compagnon et sa petite fille.
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