vendredi 4 novembre 2022

LUIS SEPULVEDA – La fin de l'histoire – Editions Métaillé 2016 ou Poche Points

 

L'histoire

Belmonte, un ancien résistant chilien contre la dictature de Pinochet, mène une vie tranquille en Patagonie, à l'extrême sud du Chili. Sa femme Véronica ne s'est jamais remise des tortures subies par la junte du dictateur. Pendant ce temps, dans la capitale, des anciens SS essayent de faire libérer un ex SS emprisonné. Belmonte qui connaît l'homme va reprendre son service de guérillero militant, et retrouver des camarades mais aussi de vieux ennemis.


Mon avis

Sepúlveda, que j'ai eu la chance de rencontrer lors d'un festival littéraire est une de mes romancier préféré. Ses romans sont courts (190 pages), sans le mot de trop. Allez à l'essentiel est sa devise littéraire. Ce dernier roman, un polar noir, évoque à nouveau les années Pinochet, l'auteur a été emprisonné lui aussi, et s'est toujours prononcé pour la paix. C'est un peu un résumé de sa vie, il est mort en 2020 des suites du Covid, et ce dernier livre sonne presque comme un testament. Car ce que vit Belmonte, le héros, c'est un peu de sa vie. Formé par les soviétiques, Belmonte fut un guérillero contre le régime de Pinochet. Le voilà qui doit reprendre du service pour éviter à tout prix qu'un ancien SS, au service de la dictature ne soit exfiltré de la prison où il croupit depuis la fin de la dictature. Belmonte aussi un compte personnel à régler avec cet homme.

Ici, les mots sont simples, mais efficaces. On y lit les scènes de torture, les dessous de la politique internationale sur 3 continents (Russie, Corée, Chili) et presque toute l'histoire du 20ème siècle défile tout comme les époques, mais la lecture n'en est pas perturbée.

Mais ce qui est très clair, c'est la dénonciation sans états d'âme de la dictature de Pinochet, de tous les totalitarismes et des mafieux de tous bords. le final est à haute teneur en suspense, et la fin « ouverte » mais que l'on interprétera, en ce qui me concerne par la fin de l'infâme, dans un trait final de poésie ou d'onirisme
On sent que Sepúlveda sait de quoi il parle, on imagine sans peine que Belmonte aurait pu être son double. Un roman noir dans lequel pointe quand même une lueur d'espoir, et éclairé d'un bout à l'autre d'amour et de solidarité. Avec un message limpide : "la littérature raconte ce que l'histoire officielle dissimule".

Un glossaire en fin de livre nous permet de situer les lieux emblématiques du Chili.Un livre à lire pour comprendre les années 1939 – 2016, et la réalité d'un pays massacré par la pire des dictatures. Les critiques presses furent élogieuses.


Extraits :

  • Après la chute du régime militaire – comme on appelait officiellement la dictature -, les officiers chargés d'anéantir les opposants avaient signé un pacte d'honneur, jurant la main sur la Bible, de tout faire pour ne pas retrouver les corps des milliers de disparus, si tant est qu'il en reste quelque chose au fond de l'océan. Ils avaient fait le serment de nier les égorgements, les assassinats déguisés en accidents ou les étudiants brûlés vifs en représailles à l'attentat qui, il s'en était fallu de peu, avait failli coûter les vie à Pinochet. Ce serment s'étendit ensuite aux simples soldats, et un second pacte du silence fut même signé, cette fois entre les militaires et des civils pressés d'occuper le pouvoir. Ce pacte stipulait, « pour protéger les victimes », selon son étrange formulation, que les noms des officiers et des soldats impliqués dans les assassinats, les vols d'enfants et les disparitions ne devaient pas être divulgués avant cinquante ans.

  • Sur leurs traits, j’avais lu autre chose encore : la sérénité qui procure, juste avant le combat, la conviction de faire une chose juste, ce calme étrange qui domine la peur, le silence du guérillero serrant son arme, repensant à tous les bons moments qu’il a vécus à l’instant d’accueillir la mort, qui ne pourra pas tuer cet ultime souvenir.

  • Salamendi remarqua son air lorsqu'ils passèrent devant le Parque por la Paz, le Parc pour la Paix, en face d'un portail qu'on avait conservé pour ne pas oublier l'horreur, car c'était l'entrée de la Villa Grimaldi.
    Par ce portail, ligotée et les yeux bandés, était entrée Veronica. Dans ces jardins de roses en fleurs, elle avait supporté l'inimaginable et gardé le silence. Par ce même portail, on l'avait fait sortir un jour en la croyant morte, avec les corps sans vie d'autres femmes et hommes aussi jeunes qu'elle, et on les avait tous jetés dans une décharge pour semer la terreur, fondement de la dictature.

  • Quelles que soient les routes que l'on prend, l'ombre de ce que nous avons fait et de ce que nous avons été nous poursuit avec la ténacité d'une malédiction.

  • La politique est née le jour où Caïn a tué Abel, et depuis lors rien n’est sans importance.

  • La lumière du couchant léchait les rues de Santiago quand je quittai La Legua. L’ombre de ce que j’avais été était longue à cette heure du jour, et elle était encore de mon côté.

  • Le pire abandon, c’était d’être privé de liens avec le parti, sans ordres, sans instructions, sans savoir si le camarade tombé avait résisté à la torture ou s’il s’était mis à table et que, de tous les militants, il ne restait plus que lui, seul comme un naufragé au milieu d’un océan aux eaux denses et profondes.


Biographie :

Né au Chili en 1949 et décédé à Orvédo (Espagne) en 2020, Luis Sepúlveda est un romancier, poète et cinéaste chilien.

Dès 1961, il milite dans les jeunesses communistes. À 17 ans, il publie son premier livre, un recueil de poèmes, et obtient un poste de rédacteur dans le journal Clarín. "Crónicas de Pedro Nadie", un recueil de contes, est paru en 1969.
En 1975, il finit par être emprisonné et condamné à 28 ans de prison. Il n'en fera que deux et demi dans une prison pour opposants politiques, grâce à l'intervention d'Amnesty International. Sa peine est commuée en 8 ans d'exil en Suède. En fait, il va voyager et sillonner l'Amérique du Sud : Équateur, Pérou, Colombie, Nicaragua.


En Équateur, il fonde une troupe de théâtre dans le cadre de l'Alliance française. En 1978, il participe à une recherche de l’Unesco sur l'impact de la colonisation sur les populations amazoniennes et passe un an chez les Indiens Shuars, ce qui lui inspirera le roman qui a fait son succès « le Vieux qui lisait des histoires d'amour ».
Après la victoire de la révolution au Nicaragua, il travaille comme reporter. Il part ensuite pour l'Europe comme journaliste et s'installe en 1982 à Hambourg en Allemagne où il passe quatorze ans. À cette même année, il devient très actif au sein de l’organisation Greenpeace où il restera jusqu'en 1987.
En 1996, il s’installe à Gijón, dans le nord de l’Espagne, où il fonde le Salon du livre ibéro-américain. Il écrit des chroniques pour plusieurs journaux italiens. "Histoire d’une mouette et du chat qui lui apprit à voler" publié en 1996, est un autre succès de l'auteur qui a reçu plusieurs prix pour son œuvre.
Victime du COVID-19, il laisse une œuvre foisonnante composée de romans, des livres pour enfants, des scénarios etc.

En 2017, lors du salon du Polar Sud, Luis Sepúlveda présentait ce livre. Parlant peu le fraçais et moi pas très bien espagnol, nous avons réussi à rire, car l'homme avait cet humour authentique et un charme indéniable. Il avait sa vision de la politique française de l'époque, le Président Macron venait d'être élu, et il pointait les défaillances de la politique de la gauce française, n'oublions pas que Sepúlveda a un passé de militant communiste, et j'aurais dit un gentil anarchiste. Son stand n'était pas très fréquenté, barrage de la langue (et pas de traducteur), et ce roman très différents des succès populaires.

Comment quelques instants de partage, avec un maté, peuvent rester dans la mémoire de façon si vive ? A l'annonce de sa mort, j'ai vraiment eu un sentiment d'abandon, car jamais je ne lirais plus cette écriture que j'aime, vive, incisive, sans excès de mots, drôle, poétique, onirique parfois.

A consulter :

En savoir Plus :

Sur le roman


Sur la dictature Pinochet

Sur la torture au Chili


Sur le KGB


Sur Trotsky

Sur les atamans cosaques

Sur le Nicaragua

jeudi 3 novembre 2022

Bérengère COURNUT – De pierre et d'os – Le tripode - 2020

 

L'histoire

Uqsuralik, une toute jeune fille inuit, est séparée des siens, lors d'une rupture de la banquise Elle va devoir apprendre à survivre dans un milieu hostile, où les nuits sont longues pour ne pas dire infinies. Un roman sous forme de contes comme nous a habituée Bérengère Cournut.


Mon avis

Ce roman est au programme des collégiens de 4ème, dans la catégorie romans contemporains. C'est aussi une façon de les sensibiliser à la fonte de la banquise. Mais les adultes qui aiment les contes peuvent aussi le lire bien évidemment. L'héroïne reste seule sur la banquise avec juste ces chiens et quelques objets, elle doit penser à sa survie.

Le roman mêle des poèmes ou chansons à la vie sur un glacier mais aussi des légendes chamaniques, et des légendes inuits. Notre jeune Ulysse aux pays des glaces doit avancer pour survivre et c'est un chemin de vie qui se profile. L'amour de la nature pourtant hostile, l'amitié indéfectible des animaux, les leçons des ancêtres, tout cela est dépeint avec la poésie et l'imaginaire que l'on connaît à B. Cournut.

Sur cette terre gelée là où le blanc prédomine Uqsuralik doit se diriger à l'instinct, tous ses sens à l'affût.
On la suit, captivé, dans son épopée onirique au cœur de décors vertigineux, de l'imprévisible banquise, de la toundra, des fjords, des iceberg, des chenaux dessinés dans la mer de glace sous les pleins soleil de minuit, les aubes blanches et bleutées, la brume opaque ou le blizzard.
La superbe écriture de Bérangère Cournut parvient à installer une ambiance fantastique où se mêlent rêves, voyages de l'âme, cérémonies rituelles, chants célestes, recherche identitaire mais où il est aussi question d'amour, d'enfantements, de transmissions et de deuils.
Cette guerrière des temps anciens, cette femme en devenir, affronte la famine, fraie avec certains esprits se protège contre d'autres.
Elle fera des rencontres étranges comme celle avec « l'homme-lumière » ou le géant sous la glace.
Se déplaçant de campements en maisons communautaires elle chasse, pêche, tanne, coud, dépèce confectionne, construit. Son parcours la transformera à jamais.

Bérengère Cournut a adopté une démarche d'ethnographe en s'immergeant dans la bibliothèque du Muséum d'histoire naturelle ( plus particulièrement dans les fonds polaires de Jean Malaurie et les fonds d'archives de Paul-Emile Victor ),
Un carnet de photographies en prime, ce roman merveilleux est à lire sans hésitation.



Extraits :

  •  Depuis que je sais qu'un enfant est là
    Qu'un enfant va passer par moi
    Je ris, je ris en secret
    Je ris comme une brassée de palourdes
    Qui roulent depuis les collines
    Jusqu'aux galets lourds
    Du rivage.
    Et depuis plusieurs lunes
    Que le sang bat et reste en moi
    J'ai l'impression que
    Sous la banquise
    La mer rit avec moi.  (chanson)

  • Chant du vent et de l'orage
    Nous sommes l'été
    Nous sommes le Nord et le Sud
    Nous sommes les vents violents
    Qui soulèvent la terre et l'eau
    Nous sommes la chaleur et la fièvre
    Nous sommes l'air vibrant dans la lumière
    Nous sommes le sang qui coule
    Dans tes veines et sous ta peau
    Nous sommes les esprits puissants
    Dans des corps encore débiles
    Que personne à part toi
    Ne sent ne palpe,
    Ni ne voit

  • Je sais maintenant, grâce à mon propre chant, me propulser hors de mon corps jusqu'au monde des esprits. J'apprends petit à petit à dialoguer avec eux sans avoir peur. Le voyage est pourtant terrifiant. J'ai chaque fois l'impression qu'on m'arrache les entrailles. Mon cœur vient taper contre mes oreilles, une sensation de vertige m'assaille.

  • Nous découvrons ensemble, avec la même joie, le même émerveillement, le tout nouveau manteau de neige. Désormais, le jour naît de la terre. La faible clarté du ciel est généreusement reflétée par une infinité de cristaux. La neige tombée durant la nuit est si légère qu'elle semble respirer comme un énorme ours blanc.

  • Nous allons loin parfois. Au-delà de la baie, au pied des icebergs qui passent au large. Ces géants de glace sont comme des montagnes posées sur l'eau. Aux heures où le soleil monte dans le ciel, ils sont éblouissants, on ne peut pas les regarder sans se blesser les yeux. Ils parlent une langue étrange — de succion, d'écoulements et de craquements. Ils sont plus imprévisibles encore que la banquise.

  • Il faut aussi entretenir les lampes, car le grand froid est venu tôt cette année - bien avant la naissance des phoques annelés. C'est à cause de Pilarngaq, le vent femme qui souffle depuis les grandes glaces tout là-haut. Seuls les hommes sortent encore pour chasser, sans pouvoir rester longtemps dehors.

  • Naja m’a aidée à atteindre cet état d’extase qui permet de rejoindre l’espace céleste. Je sais maintenant, grâce à mon propre chant, me propulser hors de mon corps jusqu'au monde des esprits. J’apprends petit à petit à dialoguer avec eux sans avoir peur. Le voyage est pourtant terrifiant.

  • Tous ceux qui nous ont rejoints cet hiver-là étaient des parents plus ou moins proches. Je continue d'attendre l'étranger qui viendra.

  • Car naître ou mourir, cela est si proche...
    Les femelles le savent
    Qui naissent et meurent
    Comme chaque être vivant
    Et qui deux,quatre ou huit fois dans leur vie
    Donnent naissance à un, deux ou quatre petits

  • Il paraît qu'à une époque reculée, on pouvait rejoindre en hiver une île lointaine où le gibier abonde. Depuis, les courants ont changé, et il n'est plus possible de s'y rendre en traîneau. Ainsi se meut notre territoire - dans une grande respiration qui nous entraîne.

  • Je l'ai trouvé en arrivant au pied du glacier. Il avait repris sa forme lumineuse - ample vague verte irisant le ciel. J'ai cherché l'escalier de pierres noirâtres et je l'ai gravi avec les pieds, avec les mains, à la vitesse d'un renard qui détale. Soudain, j'ai senti ses bras sous les miens. L'homme au capuchon m'emmenait dans les airs. Les étoiles tournoyaient autour de moi. Mes membres étaient écartelés dans les quatre directions, mon ventre était agité du même fracas que la banquise en débâcle.

Biographie :

voir ICI

En savoir Plus :

Sur le roman


Sur les inuits


Sur leurs légendes


Sur l'art inuit

Sur la fonte de la banquise

Petite Galerie Photo








lundi 31 octobre 2022

GAYL JONES – Corrégidora – Editions Dalva – 2002 -

 

L'histoire

Ursa, 25 ans est chanteuse de blues dans un cabaret. Son mari jaloux la projette dans les escaliers et elle doit subir une ablation de l'utérus. Traumatisme terrible car, elle a une mission à accomplir comme toutes les femmes de sa famille : ne pas oublier le passé où depuis son arrière-grand mère, les femmes ont été esclaves d'un gros propriétaire terrien a Brésil. Esclaves dans tous les sens du mot, battues, violées, tuées en cas de problème.Ursa doit faire vivre toutes ces femmes, mais aussi être confrontée aux mauvais choix. Un grand classique de la littérature américaine.

.


Mon avis

Il aura fallu attendre plus de 50 ans pour que ce roman soit publié par les éditions Dalva qui se spécialisent dans la publication d'autrices. Sans doute parce que le roman est dérangeant. On y parle cru et cash, on a le pardon à géométrie variable.

La grand mère d'Ursa est l'enfant illégitime d'un riche portugais qui exploite des champs de coton, tabac, du café avec une esclave. Ce qui ne l'empêchera pas de violer sa fille, comme il a violé sa mère, et toutes les femmes noires et esclaves qu'il trouvait à son goût. C'est ce passé terrible qui pèse sur les épaules d'Ursa, qui ressemble à son père, un blanc qui lui aussi fut violent avec sa mère noire. Cette mère qui à l'instar des autres femmes de la famille veulent avoir des filles pour que celles-ci transmettent l'héritage familial horrible de la famille Corregidora, le regard des hommes sur ces femmes, souvent noires, métisses, amazoniennes. La blanche est pour le mariage et les enfants officiels, les fils bien sur, qui reprendront le domaine familial. Et même si l'esclavage est aboli, on trouve quand même le moyen de faire pression sur des femmes mal payées, peu cultivées, qui parfois ne parlent même pas le portugais mais des dialectes locaux.

La femme se résume à un corps, un trou entre les cuisses, et c'est tout. Mais pour Ursa, privée d'enfants, jalousée par sa voix, comment dire l'indicible ? Surtout quand l'amour charnel est source de plaisirs même par le pire des hommes... 

Alors Ursa se remémore les paroles de ses aïeules, et les écrit dans un journal, les chante où même elle reconnaît ses blessures internes, ses forces, et ses fissures. Nous sommes en 1947, aux USA. L'esclavage y a été interdit depuis 1886, mais il a fallu attendre 1968 pour que la ségrégation soit totalement abolie. Et actuellement le mouvements Lives Black Matters divise encore les USA.

Un livre fondamental, parce qu'il explore aussi la psychologie d'Ursa. Ursa n'est pas une Rosa Parks, ni une militante. Elle a peu d'instruction mais une voix magnifique pour chanter le blues ou le fado, voix qui s'intensifie pour gagner une profondeur magnifique, mais elle ne sera pas une Billie Holiday, elle bosse dans un petit club (l'action semble se passer au Kentucky, état du Sud des plus ségrégationnistes), et elle vit dans un quartier pauvre, noir. Elle ne fait pas les bons choix, parce qu'elle est impulsive  et a tendance à s'imaginer des choses qu'elle ne peut pas accepter (comme l'amour entre 2 femmes). Une femme en proie aux tourments physiques et moraux, entre le désir et la haine. Et les mots puissants, sans jamais verser une seconde dans le pathologique, car on parle le langage de la rue, ce qu'on possède tient dans deux cartons et l'argent sert à payer le minimum vital où un verre de whisky, un paquet de clopes, un mauvais hamburger. Parce que le chemin du pardon et de la résilience est long, douloureux et que l'amour parfois ne suffit plus.

Un roman édifiant.

Extraits :

  • La dernière fois que je suis retournée à Bracktown, j’ai accompagné Maman à l’église baptiste. — C’est qui que tu nous ramènes ? Une traînée qui débarque en ville et qui va mettre le grappin sur nos maris ? — Non, c’est Ursa, c’est ma puce. — C’est la petite Ursa ? Elle a grandi. — Oui, elle a bien grandi. Au buffet. — Je vous propose de la salade de pommes de terre ? me demande un type.
    Je l’ai laissé me servir une portion. Je n’avais pas vu qu’il était venu accompagné, mais elle, elle ne m’a pas lâchée des yeux. Il est parti, elle s’est approchée en catimini. « ’Spèce de morue aux cheveux roux. » Plus tard, alors que je marchais dans la rue, vaquant à mes petites affaires, ces deux bonnes femmes dans une voiture. « ’Spèce de morue aux cheveux roux. » Bracktown, je n’y ai pas fait de vieux os. Juste le temps de voir comment se portait ma famille

  • Ça t’apporte quoi le blues ? Ça m’aide à expliquer l’inexplicable.

  • She was closed up like a fist. It her very own memory, not theirs, her very own real and terrible and lonely and dark memory.

  • It was as if she had more than learned it off by heart. Though. it was as if their memory, the memory of all the Corregidora women, was her memory too, as strong with her as her own private memory, or almost as strong. But now she was Mama again

  • I wanted a song that would touch me, touch my life and theirs. A portuguese song, but not a portuguese. song. A new world song. A song branded with the new world. I thought of the girl who had to sleep with her master and mistress. Her father, the master. Her daughter's father. The father of her daughter's daughter. How many generations. Days that were pages of hysteria. their survival depended on suppressed hysteria.

  • I am Ursa Corregidora. I have tears for eyes. I was made to touch my past at an early age. I found it on my mother’s tiddies. In her milk. Let no one pollute my music. I will dig out their temples. I will pluck out their eyes.

  • My great-grandmama told my grandma the part she lived through that my grandma didn't live through and my grandma told my mama what they both didn't live through and my mama told me.

     

Biographie :

Née à : Lexington, Kentucky , le 23/11/1949,Gayl Jones est une écrivaine afro-américaine. 

Son père est cuisinier dans un restaurant et sa mère est femme au foyer.

Elle sort diplômée en 1971 du Connecticut College où elle obtient son Bachelor of Arts. Pendant ses études, elle remporte le prix Frances Steloff pour la fiction. Pendant ses études supérieures en écriture créative à l'Université Brown, elle obtient une maîtrise ès lettres en 1973 puis son doctorat en 1975. En 1974, elle publie "Chile Woman", sa première pièce. Elle a suivi les cours d'écriture de Toni MORRISON qui remarque son potentiel. (nota : aux USA, l'écriture s'enseigne comme les mathématiques ou la géographie, par des cours universitaires et des stages auprès des grands écrivains).

En 1975, Random House (Toni Morrison) publie le premier roman de Jones, "Corregidora" ; elle a 26 ans. La même année, elle est chargée de cours à l'Université du Michigan, qui l'embauche l'année suivante comme maître assistant. Pendant ses études, Jones rencontre un étudiant, Robert Higgins (Bob Higgins), qui devient son mari. "Eva's Man" (1976), le deuxième roman de Jones, traite de la douleur entre les femmes et les hommes afro-américains, avec un sentiment de désespoir encore plus grand que son premier roman.

Suite à des problèmes judiciaires, elle quitte son poste de professeure en 1983 et part s'installer avec son mari en Europe, où elle écrit et publie Die Vogelfaengerin (The Birdwatcher) en Allemagne et un recueil de poésie, "Xarque and Other Poems" (1985), aux États-Unis.
Son roman "The Healing" (1998) est finaliste du National Book Award.

En 1998, après une confrontation avec la police à leur résidence, Bob Higgins se suicide et Gayl Jones est mise sous surveillance.
Elle vit actuellement à Lexington, Kentucky, où elle continue d'écrire.
- https://fr.wikipedia.org/wiki/Gayl_Jones

 

En savoir Plus :

Sur le roman


Sur l'esclavage et la ségrégation raciale (USA - Brésil)

Sur les mouvements des droits civiques

Sur le blues Play List


Autres musiques très chouettes

Galerie photos

Billie Holiday

Esclavage brésil


Esclavage Brésil

Ghetto noir à Lexington - Kentucky

Ghetto noir en Louisiane

Nègre marron

Supplices pour les noirs marrons


Ghetto noir de Louisville - Kentucky

Quartier du ghetto de Lexington

Métisse 

dimanche 30 octobre 2022

TONY HILLERMAN – Le voleur de temps – Rivages noir N°110 - 1988

 

L'histoire

Un trafic de poteries anasazis, une pelleteuse et un camion volés, une anthropologue disparue depuis plus de 3 semaines, voilà les ingrédients de cette nouvelle enquête menée par le sergent Jim Chee et le lieutenant Leaphorn qui se passent en plein pays Anasazi, au-delà de la réserve indienne.


Mon avis

Pour son 7ème polar des enquêtes navajos, Tony Hillerman nous envoie dans le pays anasazi, ces amérindiens probablement arrivés par le détroit de Béring, puis descendus vers le Colorado en 900 et subitement disparu vers1300 pour des raisons encore inconnues.

Les anasazis vivaient dans des maisons troglodytes à flanc de montagne, dans des canyons bordant la Mexico Water (affluent de la San Juan). Or les fouilles archéologiques et anthropologiques sont très protégées par le Bureau des Affaires Indiennes qui donne des permis d'exploitation des zones, et le pillage pour la revente est totalement illégal. L'acquéreur doit remplir un formulaire mentionnant le lieu de la découverte, le n° du permis etc. A l'époque où Hillerman écrit ce roman, il y a une forte demande par les collectionneurs privés des poteries des premiers indiens à avoir occupé le Colorado. Les prix se chiffrent en milliers de dollars.

Une anthropologue, spécialisée dans la poterie est train de faire une découverte majeure : un ou une artiste anasazi avait découvert une façon de faire de la céramique de couleur rose avec des motifs géométriques blancs. Ce qui supposerait que les anasazis avaient découvert l'art de la céramique, alors que l'on sait qu'ils ne connaissaient pas la métallurgie ou même l'usage de la roue.

Hors, les trafics de poterie ont bien lieu et se retrouvent avec des certificats falsifiés dans les plus grandes galeries d'Art, notamment à New-York. Les 2 inspecteurs mettent à jour un petit trafic, mais aussi une violation des permis d'exploitation archéologiques, où des malfrats n'hésitent pas à piétiner à coup de pelleteuse les sites anciens.

Par ailleurs nous suivons les parcours personnels de Leaphorn qui vient de perdre sa femme taant aimée, et de Jom Chee très intéressé par une avocate navajo..

Un polar qui nous permet de comprendre un peu de la vie des anasazis. Pour cela, l'auteur a rencontré des anthropologues et archéologues du Parc National de Recherches de Chaco, mais a inventé des lieux de fouilles interdits pour préserver le vandalisme à flanc de falaises. Un roman passionnant si comme moi vous aimez et les polars et l'histoire des amérindiens.

Et comme toujours Hillerman nous dresse une carte des lieux de l'action et un glossaire des mots navajos.


Extraits :

  • A cet instant précis elle entendit à nouveau le sifflement. Juste derrière elle. Pas un oiseau de nuit. Pas une variété de reptile. C'était une mélodie que les Beatles avaient rendue célèbre. «  Hey, Jude », en étaient les premières paroles. Mais Eleanor ne la reconnut pas. Elle était trop terrifiée par la silhouette bossue qui sortait du clair de lune pour pénétrer dans cette poche des ténèbres.

  • La chemise était humide à cause de la pluie sous laquelle il avait marché pendant qu'il se rendait de son hôtel à cet immeuble de bureaux, avant de se réfugier dans un drugstore. A sa grande surprise, le magasin vendait des parapluies. Il en avait acheté un, le premier qu'il eût jamais possédé, et avait poursuivi sa route en s'abritant dessous ( affreusement conscient de l'image qu'il offrait de lui-même), tout en se disant qu'il allait posséder le seul parapluie de Window Rock, et peut être le seul parapluie de toute la réserve, si ce n'était de tout l'Arizona.

  • Quelle que soit la raison qui l’avait fait agir, il était là, sur la frange de la réserve navajo, tout à l’est, à plus de cent cinquante kilomètres de chez lui. Quand les circonstances le lui permettraient, il irait parler à un homme dont l’existence même lui était désagréable. Il lui poserait des questions auxquelles cet homme refuserait peut-être de répondre, et qui, s’il répondait, ne lui apprendraient peut-être rien. La seule autre solution consistait à rester assis dans leur salon, télévision allumée pour servir de bruit de fond, à essayer de lire. Mais l’absence d’Emma l’en empêchait toujours en se faisant palpable. Quand il levait les yeux, il voyait la gravure de R.C. Gorman qu’elle avait accrochée au-dessus de la cheminée. Elle avait été le sujet de discussions entre eux. Emma l’aimait, lui pas. Les mots prononcés résonnaient à nouveau à ses oreilles. Et le rire d’Emma. C’était la même chose quel que soit l’endroit où il regardait. Il devrait vendre cette maison, ou la brûler. C’était dans la tradition du Dineh. Abandonner la maison contaminée par la mort, éviter que la maladie du fantôme ne s’empare de vous et ne vous mène à la mort. Sages étaient les anciens de son peuple, et le Peuple Sacré qui leur avait enseigné les règles de vie et les coutumes navajos. Mais au lieu de le faire il allait se livrer à ce jeu futile. Il allait retrouver une femme. Si elle était vivante, elle devait souhaiter qu’on la trouve. Si elle était morte, cela n’avait pas d’importance.

  • Le canyon tourna sous la falaise et quitta le clair de lune. Elle alluma sa torche. Il n’y avait aucun risque que quelqu’un la voie. Et cela l’amena à penser à la distance qui devait la séparer de l’être humain le plus proche. Pas très grande à vol d’oiseau, peut-être vingt-cinq ou trente kilomètres à tire-d’aile. Mais il n’y avait pas d’accès direct. pas de routes pour traverser ce paysage constitué de roches presque continues, et aucune raison d’en construire. Aucune raison non plus d’ailleurs pour que les Anasazis soient venus là sinon pour échapper à quelque chose qui les menaçait. Aucune raison que les anthropologues aient réussi à imaginer… pas même les spécialistes de l’anthropologie culturelle avec leur célèbre talent pour échafauder des théories sans preuves. Mais ils étaient bien venus. Et avec eux était venue leur artiste. Elle avait abandonné Chaco Canyon. Elle était venue ici pour créer ses nouveaux pots et pour mourir.
    De l’endroit où le docteur Friedman-Bernal marchait, elle pouvait voir l’une de leurs ruines sur sa droite, vers le bas de la paroi de la falaise. Si ça avait été le jour, se souvient-elle, elle aurait pu en distinguer deux de plus dans l’immense amphithéâtre situé plus haut à flanc de falaise sur sa gauche. Mais pour l’instant la niche était envahie d’une ombre noire : elle ressemblait à une immense bouche entrouverte.

  • Aucune raison non plus d'ailleurs pour que les Anasazis soient venus là sinon pour échapper à quelque chose qui les menaçait. Aucune raison que les anthropologues aient réussi à imaginer...pas même les spécialistes de l'anthropologie culturelle avec leurs célèbre talent pour échafauder des théories sans preuves.

  • .Et plus important que tout ça, elle était en train de découvrir que cette femme avait dû quitter Chaco et fabriquer des poteries dans un autre endroit.
    - Cette femme ? répéta Luna en levant les sourcils. Elle t'a dit que son potier était une femme ?
    - Qui d'autre pourrait avoir abattu un tel boulot !

  • La réserve s'étendait sur une superficie supérieure à celle de la Nouvelle Angleterre prise dans son ensemble, mais sa population n'atteignait pas les 150 000 habitants. Tout au long de la vie qu'il avait passée à y pratiquer le métier de policier, il avait rencontré, d'une manière ou d'une autre, beaucoup de ses habitants.

  • C'est une anthropologue, expliqua Arnold dont le gloussement était redevenu sourire.Vous retraduisez ce mot du langage universitaire à la langue anglaise et voila ce qu'il signifie : un pilleur de ruines, quelqu'un qui écume les tombes, de préférence les plus anciennes. Une personne qui a reçu une bonne éducation et qui vole des objets d'art avec beaucoup de dignité.
    Arnold, ne pouvant résister à l'esprit de ce qu'il venait de dire, rit avant de poursuivre :
    - Si c'est quelqu'un d'autre qui fait la même chose ils le traitent de vandale. C'est le mot qu'ils emploient pour leurs concurrents.Y a quelqu'un qui arrive en premier, qui fiche le camp avec tous ces trucs avant que les archéologues puissent mettre la main dessus, ils l'appellent un Voleur de Temps.

Biographie :

Voir Ici

En savoir Plus :

Sur le roman


Sur les anasazis

Photos :


Sur les autres amerindiens de l'époque et de la région


JULIEN M. - L'étonnant voyageur qui n'aimait pas les mots

 


Hiver 2008, Paris.

Je ne me souviens plus du livre en question, mais, alors que je le tenais ouvert dans ma main forte, totalement pris dans sa lecture, mon regard sembla se dérégler : d'un coup, je voyais flou. 

Je me secouais la tête comme pour débarrasser mon objectif de sa poussière, puis reposais mes yeux
sur la page : rebelote, les mots bavaient, fuyaient, se déformaient. Je fermais les yeux plusieurs fois avec vigueur, me massais les paupières, puis posais mon regard hors de la page : le lit, le papier peint, le micro-ondes, tout était clair, net, précis, les lignes, droites, et les angles, assurés. Alors que je reposai les yeux sur la page, je commençais à paniquer : les mots dansaient, les phrases ondulaient, et cette suite ininterrompue de signes ordonnés m'apparaissait alors comme un pâté ductile de tâches d'encre grossières et indéchiffrables. 

Le texte était toujours le même : c'étaient mes yeux, qui se refusaient dorénavant à le lire.

Qu'est-ce que je cherchais dans ces lignes ? Qu'est-ce que cette suite de signes, ces pattes de mouches agglutinées, avaient bien à m'apprendre ? Rien de ce qu'on avait appelé « vie » ne pourrait plus s'y trouver : on m'avait fait croire que l'imprimé contenait l'impression, mais aujourd'hui mes impressions avaient violemment pris possession de mon corps, et il me semblait tout à fait impossible de les enfermer à nouveau dans le livre : elles s'étaient libérées, à jamais. Sur la page, ce n'étaient plus des signes noirs sur fond blanc, mais du blanc, du vide, de l'espace, imprimé sur fond noir ; pourchassé par des lignes et des lettres désireuses de l'enfermer dans leurs courbes et leurs crochets. 

Pour la première fois je distinguais l'espace entre les mots et le silence entre les sons. Le mot, la phrase, la page, le livre, n'étaient que limitations. J'étouffais, je paniquais, devant le vide à perte de vue de cette crevasse qui s'ouvrait sous mes pieds. Ma main se mit à trembler, et mes doigts, hagards, s'écartèrent, et laissèrent le livre tomber au sol.

C'était le jour décisif, où je n'avais plus d'autre choix, que de vivre ma vie hors du mot, de la page, du livre. C'était le jour où je n'étais plus un intellectuel. Et cette brutale ex-communication des peuples du Livre n'était que le début de mes (nouvelles) peines, car je n'allais pas tarder à sombrer dans la terreur : comment dorénavant interpréter le vivant ? Qui étaient à présent mes alliés, mes ennemis, mes frères ? Quel nouvel alphabet remplacerait l'ancien pour m'aider à décrypter le réel ?

J'étais dans l'antichambre du langage, un entre-deux infernal dans lequel tout me paraissait insaisissable, étranger, hostile, car plus rien n'avait de nom, et je n'avais pas été éduqué pour faire face à une réalité nue : la nudité, de chair comme de langage, était, chez mes instructeurs, chez les tenants des sagesses officielles, au mieux un tabou. 

Je criais en dedans de moi toute ma peur, de me trouver brutalement expulsé de ma bulle amniotique, tout forcé de respirer, digérer, regarder par moi-même. Des mots des autres, je n'arrivais plus qu'à ressentir les intentions. J'étais enfin de nouveau né.
 
son site ICI