L'histoire
Travis Shelton 17 ans, vit en Caroline du Nord, dans la zone montagneuse des Appalaches. Son père est un homme brutal qui élève son fils à la dure. Un jour, il va piquer des plants de cannabis chez un voisin Tommey pour les revendre à Léonard, figure locale, ancien professeur dit-on, qui vit dans un mobile-home déglingué. Hélas, malgré les avertissements de Léonard, il recommence 2 fois, dont une de trop. Le vieux Tommey et son fils ne sont pas des tendres et ils lui sectionnent le talon d’Achille entre 2 baffes. Rejeté par son père, Travis va trouver refuge chez Léonard, et se met à lire, lui qui quitté l'école pour aider son père aux chants de tabac.
Mon avis
Ron Rash est entre autre l'auteur de « Serena », film adapté à l'écran avec le duo cinématographique Bradley Cooper et l'excellente Jennifer Lawrence, film mal reçu par le public, alors que je l'ai trouvé assez bon pour la performance de Miss Lawrence, sortie de ces rôles de killeuses.
Si il a écrit d'autres romans depuis, Le monde à l'endroit est encore un roman qui se situe dans sa Caroline du Sud Natale, exactement au nord ouest de l’État, là où se finit la chaîne montagneuses des Appalaches.
Roman d’initiation, l'auteur ajoute aux relations qu'entretient Sheldon avec ses 3 hommes, son père, le cruel Toomey et le pacificateur Léonard, le massacre de Shelton Laurel en 1863 lors de la Guerre de Sécession. Épisode qui va passionner Travis qui est un Shelton. Dans cette époque trouble, le 18 décembre 1883, 13 personnes soupçonnées d'être des partisans des unionistes furent massacrés par un régiment de soldats confédérés, alors qu'aucune preuve sérieuse n'a jamais permis d'affirmer l'appartenance de la famille Shelton à l'armée des Unionistes. Pour rappel historique, la guerre de Sécession (1861-1865) a été déclarée par les États Confédérés du Sud contre le Nord. Le président Lincoln voulait faire interdire l'esclavage dans ces états. Cette guerre, finalement remportée par les Unionistes fit près de 800 000 morts soit bien plus que les autres guerres engagées par les USA. Si elle permit l'abolition de l'esclavage qui se fit difficilement avec la résistance des états sudistes et l'apparition du Ku Kux Klan. Même si l'auteur a modifié quelques noms et lieux, la révélation de ce massacre plonge le jeune Travis dans une enquête personnelle sur ses origines. Travis, toujours sur le fil rouge entre le bien et le mal, reste un personnage attachant. Mais le roman vaut aussi par des très belles pages de poésie pure sur ce territoire de la Caroline du Nord, cette zone montagneuse, à la fois dangereuse et belle.
Le récit intercale la suite logique des événements avec ce qui semble être le journal de bord d'un médecin, tenu de 1850 à 1863, un homme qui cherche déjà des méthodes de soins auprès des plantes et refuse la médecine archaïque. On saura à la fin du roman qui était cet homme et le rôle qu'il a tenu en son temps.
C'est aussi la vie fruste des paysans, qui cultivent le tabac essentiellement, une plante qu'il faut entretenir, et dont les prix permettent à peine de survivre. Ici on se contente d'une partie de pêche, les petits ou gros trafics (drogues) permettent aux uns de s'enrichir et autres de rêver l'espace d'un instant ou tout le temps à l'exemple de Dena, la compagne de Léonard dont on devine un passé sombre. D'ailleurs les femmes sont absentes ou inexistantes dans ce livre. Soumises à leur mari, comme la mère de Travis, inaccessible comme Lori dont Travis est amoureux mais il n'est pas de la même classe sociale, ce sont juste des passagères dans un roman où la violence des hommes côtoient la beauté de la nature, sans être un roman de « nature writing », mais Ron Rash est aussi un poète. Un roman âpre et beau à la fois, sur les hommes qui choisissent le mauvais destin, et l'univers très particulier de cette région un peu oubliée de la Caroline du Nord.
Extraits :
Tu sais qu'un lieu est hanté quand il te paraît plus réel que toi. Dès que Leonard eut prononcé ces mots, Travis sut que c'était ce qu'il éprouvait, pas seulement à l'instant, mais pendant toutes ces années quand en labourant il déterrait des pointes de flèches. Lorsqu'il frottait les couches de terre pour les faire tomber, il avait toujours eu l'impression désagréable que les pointes de flèches étaient vivantes, comme les trichoptères dans leur épais fourreau. Il avait tenté de comprendre l'idée que le temps passait moins vite qu'il ne se déposait sur les choses en couches successives, comme si sous la surface du monde le passé continuait à se dérouler. Travis n'avait jamais parlé de cette impression parce qu'on ne pouvait pas l'expliquer ni la montrer, comme la manière de faire un nœud de pêche ou de vérifier si le tabac a la pourriture noire. Mais ce n'était pas parce que c'était au fond de soi que ce n'était pas réel. Et maintenant il le ressentait ici, encore bien davantage que lorsqu'il avait tenu les pointes de flèches dans la main. - Vous croyez aux fantômes demanda-t-il ? - Quand je suis dans ce pré, je n'en suis pas loin, avoua Leonard
Travis roula vers le sud en direction de Marshall, et quelques instants plus tard dépassa l'embranchement de Harbin Road menant à la ferme de ses parents. Il longea un champ de tabac moissonné où ne restait plus que du chaume. Il y avait des gens qui pouvaient passer en voiture à côté de ce champ et ne pas avoir la moindre idée de tout le travail qui avait été accompli, Travis le savait et se rappela que son père et lui avaient semé les graines en février avant d'installer des bandes de plastique noir retenues par des pierres du ruisseau. En avril, ils avaient retiré les pierres et soulevé en douceur les bandes de plastique, comme ils auraient ôté un pansement recouvrant une plaie. Son père et lui s'étaient mis à genoux devant les plants et avaient délicatement sorti de terre la tige et les racines, puis déposé les plants sur un sac en toile de jute avant de les repiquer avec des plantoirs à tabac. Et ce n'était que le début, l'arrosage, la chasse aux vers, l'écimage et le pincement restaient à venir. Et finalement, la coupe, le travail agricole où on suait le plus. Maintenant ces plants, d'un ton adouci d'or séché et poudreux, étaient suspendus aux chevrons de la grange, une odeur de vieux cuir chargeant l'air de de son musc.
Travis s'enfonça un peu plus dans son siège et ferma les yeux. Pense à quelque chose d'agréable, se dit-il, et il fixa son esprit sur le poisson qu'il avait pris, pas la grosse arc-en-ciel mais la truite mouchetée. Assez grosse pour qu'on la mange, mais Travis était content de l'avoir relâchée. Il songea aux nageoires pectorales orange déployées comme de petits éventails éclatants quand la truite se cachait sous la berge, à l'abri des loutres et des martins-pêcheurs, ou de tout ce qui risquait de l'arracher au ruisseau. La truite mouchetée aurait la gueule abîmée et se méfierait de l'hameçon, mais elle ne tarderait pas à sortir du renfoncement sous la rive et à recommencer à se nourrir d'écrevisses ou de nymphes, peut-être d'une sauterelle ayant survécu à la première gelée.
Quand il était petit, la mère de Léonard s'était souvent assise dehors sur les marches de leur ferme, restant parfois une demie heure les yeux fixés sur les montagnes qui s'élevaient au-delà de leur pré. C'est si joli que ça m'emporte loin de moi, lui avait-elle expliqué un jour d'une voix douce, avec l'air de lui confier un secret. Une bible ou la messe ne lui suffisait pas toujours, lui avait-elle avoué. Voilà pourquoi avant tout, il faut un monde, avait-elle ajouté. Dans les jours qui avaient suivit le départ d'Emilie et de Kéra, Léonard avait tenté de voir le monde comme l'avait vu sa mère. Il avait pris sa voiture pour aller au bord de la Calumet River, l'unique endroit où il y avait assez d'arbres pour dissimuler un paysage semblant avoir été aplani par un rouleau à pâtisserie géant. Il s'était assis sur la berge et avait scruté les peupliers et les bouleaux, les aulnes noirs et les hamamélis blottis sous les arbres plus grands, l'eau lente et brune, en s'efforçant de trouver la même paix intérieure que sa mère, des années auparavant, sur les marches de la galerie.
J’ai acheté un nouveau parfum. » Elle leva la main et la laissa sur la joue de Travis. « Sens », dit-elle, en pressant le dos de son poignet contre son nez.
Travis respira l’odeur suave du parfum, qui lui procura la même agréable sensation paisible qu’une seconde bière.Une page blanche, c’était peut-être tout ce que se révélait être l’histoire, au bout du compte, songea-t-il, quelque chose qui dépassait ce que l’on pouvait écrire, exprimer clairement.
Dans peu de temps il y aurait des journées froides, après la neige, quand le ciel bas virait au bleu, un bleu tellement sombre qu'au crépuscule il suinterait comme de l'encre, colorerait aussi de bleu foncé le sol tout blanc.
Travis regardait. La neige s'étendait propre et plane sur le pré. Une page blanche, c'était peut-être tout ce que révélait être l'histoire, au bout du compte, songea-t-il, quelque chose qui dépassait ce que l'on pouvait écrire, exprimer clairement.
Des mots écrits pendant la guerre de Sécession lui revinrent, non pas ceux de son ancêtre, mais ceux d'un soldat de l'Union, le matin de la bataille de Cold Harbor. Le texte tenait en une ligne : 3 juin, Cold Harbor. On m'a tué. Le soldat était effectivement mort ce jour-là, son journal maculé de sang trouvé dans sa poche après la bataille. Atroce de savoir que vous alliez mourir, mais une forme de liberté aussi, pensait Leonard, parce que vous le décidiez avant que quiconque ou quoi que ce soit ne puisse le faire pour vous. Votre vie devenait davantage qu'une simple vie, une sorte de langue incarnée sans temps.
Travis pensait que Lori était simplement autoritaire, mais Leonard savait qu'il y avait autre chose parce qu'il avait été au lycée avec des filles qui venaient du même genre de foyers, et s'habillaient avec le même genre de vêtements déjà portés par d'autres. Comme Lori, elles avaient appris très tôt que tout espoir de vivre une vie agréable tenait dans une série d'étapes soigneusement planifiées, sans marge d'erreur. Elles faisaient toujours leurs devoirs et évitaient les banquettes arrière quand elles sortaient, conscientes que dans le cas contraire elles finiraient par avoir des vies aussi dures et désespérées que leurs mères.
La reliure grinça comme une charnière rouillée, les pages s'ouvrirent à la date à laquelle, au fil des ans, Léonard était allé le plus souvent. Les mots étaient inscrits en majuscule, d'une écriture soignée comme si l'auteur avait anticipé un moment tel que celui-ci où le passage serait lu par d'autres yeux.
Céruléen, répéta-t-il, en prenant plaisir à la façon dont les sonorités butaient contre les dents de devant serrées puis montaient et descendaient dans sa bouche avant de finir dans la gorge, comme si le mot avait été mordu, mâché et avalé.
Elle désapprouvait son éducation pentecôtiste, mais Leonard soupçonnait que ces croyances venaient tout autant des montagnes, de leur présence menaçante et de leur obscurité tenace. Les ombres, c’était toujours ainsi que son grand-père Shuler avait appelé les fantômes, comme s’ils étaient créés par ces crêtes et ces vallons privés de lumière.
Bêtise et ignorance, cela n’a rien à voir. On ne peut pas guérir quelqu’un de sa bêtise. Quelqu’un comme toi, qui est simplement ignorant, il se pourrait qu’il y ait de l’espoir.
Biographie
Né
en 1953 en Caroline du Sud, Ron Rash est un écrivain, poète et
nouvelliste, auteur de romans policiers.
Il étudie à
l'Université Gardner-Webb et à l'Université de Clemson, où il
obtient respectivement un B.A. et un M.A. en littérature anglaise.
Il devient ensuite professeur de littérature anglaise.
Il est
titulaire de la chaire John Parris d’Appalachian Studies à la West
Carolina University (WCU). Il enseigne l’écriture de nouvelles.
Sa
carrière d'écrivain s'amorce en 1994 avec la publication d'un
premier recueil de nouvelles, puis d'un recueil de poésie en 1998.
Il a écrit des recueils de poèmes, des recueils de nouvelles, et
des romans, dont un pour enfants, tous lauréats de plusieurs prix
littéraires. Il publie "Un pied au paradis" ("One
Foot in Eden"), son premier roman policier, en 2002. "Le
chant de la Tamassee" ("Saints at the River", 2004)
est son deuxième roman. Suivront "Le monde à l'endroit"
("The World Made Straight", 2006), ou encore "Une
terre d'ombre" ("The Cove", 2012) qui obtient le Grand
prix de littérature policière 2014.
Ron Rash vit actuellement à
Asheville en Caroline du Nord. Il est particulièrement engagé dans
la défense de l'environnement et la protection de l'eau, prend des
positions et publie régulièrement des tribunes sur ces sujets.
En savoir plus :
son site : https://www.ronrashwriter.com/
Sur le roman
vidéos
https://www.youtube.com/watch?v=r8UtiBsweu0&source_ve_path=OTY3MTQ&feature=emb_imp_woyt
https://www.facebook.com/watch/live/?ref=watch_permalink&v=429584938110975
Presse
https://www.seuil.com/ouvrage/le-monde-a-l-endroit-ron-rash/9782021081749
https://www.telerama.fr/livre/cercle-polar-104-recoit-ron-rash,86346.php
Dans l'univers du roman
Sur le film Serena
le film en entier : https://www.youtube.com/watch?v=Z_iISm3o9Uk
Sur les Appalches de Caroline du Nord
photos : https://fr.dreamstime.com/photo-stock-les-appalaches-caroline-du-nord-occidentale-image80468236
https://fr.wikipedia.org/wiki/Comt%C3%A9_de_Madison_(Caroline_du_Nord)
Sur le massacre de Shelton Laurel
https://northcarolinahistory.org/encyclopedia/shelton-laurel-massacre/
https://www.herodote.net/La_guerre_de_Secession-synthese-626.php



