L'histoire
Alicia Western, jeune femme de haut niveau intellectuel a demandé à être internée et suit une thérapie avec son psychiatre. Pourquoi en est-elle arrivée là ? Est-elle si différente des autres ?
Mon avis
Ce roman est la suite du Passager, qu'il complète dans une narration faite de dialogues entre Alicia et son thérapeute. En anglais, Stella Maris est le nom donné à la vierge Marie catholique. Alicia est la sœur de Bobby, le héros du Passager, qu'elle aime d'un amour impossible. A sa demande, à 20 ans, elle demande à être internée dans un institut psychiatrique dans le Wisconsin. Nous sommes en 1972 et le roman peut dérouter par sa forme entièrement composée de dialogues entre le psychiatre et Alicia.
Celle-ci était promise à un brillant avenir de mathématicienne. Elle refuse de faire débrancher son frère Bobby (le héros du Passager) qui est dans le coma en Italie et finalement s'en remettra. Mais même sans avoir lu le Passager, ce roman est ici concentré sur cette jeune femme, amoureuse de son frère, et dont le père a contribué à mettre au point la bombe atomique qui s'est abattue sur Hiroshima, faisant porter à Alicia tout le poids d'une culpabilité dont pourtant elle n'est pas responsable. Elle qui est aussi une spécialiste de la physique quantiques et des topologies en mathématiques, finit pas rejeter tous les enseignements reçus qu'elle juge néfaste et dérisoires pour l'humanité.
Elle
vit dans un monde illusoire où les personnes réelles sont
remplacées par des personnages. Alicia
est un personnage bouleversant d'humanité et de lucidité. Sa
présupposée folie pointe avec exigence les fondements de la
réalité, démontrant que l'inconscient, cerveau animal s'il en est,
prime sur une pseudo-normalité qui ne serait sans doute pas une
excellente nouvelle. "Se dire qu'il y a peu de joie dans ce
monde n'est pas une simple façon de voir les choses. On finit par
comprendre que le monde ne pense absolument pas à nous."
Pessimiste?
Sans doute. Mais surtout extrêmement lucide. l'ateur
est proche du dernier round, et cela transpire dans chaque
phrase.
Alors, il joue. Il joue avec l'idée d'être, d'avoir été
un habitant d'un monde capable et coupable d'avoir inventé le moyen
de s'anéantir lui-même. Où l'on revient à la Bombe, événement
fondateur, qui traverse les deux volumes. "Le projet Manhattan
est l'un des événements les plus significatifs de l'espèce
humaine. (…), peut-être même le numéro 1. C'est juste qu'on ne
le sait pas encore. Mais ça viendra."
Le Passager et Stella
Maris sont indissociables. Ils dialoguent, s'explicitent, se
confrontent, se rapprochent et se repoussent. Alicia en est à mon
sens le pivot central qui, du haut de ses vingt ans, a compris que
vouloir expliquer le monde n'est que le rendre plus indicible. "Parce
que je savais ce que mon frère ne savait pas. Qu'il y a une horreur
sous la surface du monde et qu'elle avait toujours existé.
"
Serait-ce notre passager manquant, ou la connaissance
intime de notre finitude? "L'élixir de la vie coule
au sol." "Il faut se dépêcher. "
Au seuil de la
dernière porte, c'est un message diablement exigeant que nous
délivre Mc Carty. Et, s'il nous semble si infiniment triste et
pessimiste, il abrite une beauté universelle. L'esprit humain EST le
monde tout entier. Il en génère les merveilles comme les horreurs.
Il est le Langage, l'Art, la Littérature, l'espoir, le désespoir et
la lucidité.
De
plus l'auteur fait allusion à James Joyce et son Ulysse, un auteur
qu'il admire. Même si il n'y a pas de ponctuation, on ne perd pas le
fil de ce roman étrange, avec un portrait de femme supérieurement
intelligente, mais totalement fracassée par ses émotions, son
passé, son enfance. Un roman érudit qui nous offre la possibilité
d'aller nous renseigner sur l'Univers et qui me fait penser à « la
mélodie secrète de l'Univers » de astrophysicien Trinh Xuan
Thuan qui parlait de Dieu comme une forme d'entité créatrice.
Extraits
J'irais dans une petite ville et je m'achèterais des vêtements d'occasion au marché. Des chaussures. Une couverture. Je brûlerais toutes mes affaires. Mon passeport. Je jetterais peut-être simplement mes vêtements à la poubelle. Je changerais de l'argent dans la rue. Et puis je grimperais dans les montagnes. A l'écart de la route. Pas de risques inutiles. A pied à travers les terres ancestrales. Peut-être de nuit. Il y a des ours et des loups là-haut. Je me suis renseignée. Il serait possible d'allumer un petit feu la nuit. Peut-être de trouver une grotte. Un torrent de montagne. J'aurais un bidon d'eau pour quand je serais trop faible pour me déplacer. Au bout d'un moment l'eau aurait un goût extraordinaire. Elle aurait un goût de musique. Je m'enroulerais dans la couverture la nuit pour me protéger du froid et je regarderais les os prendre forme sous ma peau et je prierais pour pouvoir saisir la vérité du monde avant de mourir. Quelquefois la nuit les animaux viendraient tout près du feu et circuleraient et leurs ombres se déplaceraient parmi les arbres et je comprendrais alors que quand le dernier feu ne serait plus que des cendres ils viendraient et m'emporteraient et je serais leur eucharistie. Et ce serait ma vie. Et je serais heureuse.
Pourquoi pleuriez-vous ? Pourquoi pleurez-vous ?
Excusez-moi. Pour davantage de raisons que je ne pourrais dire. Je me vois encore essuyer mes larmes sur la table d’harmonie de l’Amati et le poser à l’écart et me rendre à la salle de bain pour m’asperger le visage d’eau. Mais ça a recommencé. Je n’arrêtais pas de penser au vers : Quel chef-d’œuvre que l’homme. Impossible de m’arrêter de pleurer. Et je me rappelle avoir dit : Que sommes-nous ? Assise sur le lit avec l’Amati dans mes mains, si beau qu’il semblait à peine réel. C’était la plus belle chose que j’aie jamais vue et je ne comprenais pas comment une telle chose pouvait être possible.Dans ce cas précis c’est la prise de conscience que ce que l’on soupçonnait depuis longtemps est vrai en réalité. Que les mathématiques n’ont pas de limites. Qu’elles sont inépuisables. Il n’y avait plus aucun doute là-dessus. Et il fallait maintenant s’asseoir un moment et réfléchir à l’univers. Et qu’est-ce qu’on s’est dit ? Sur l’univers. On s’est dit que l’investigation allait souffrir d’une disponibilité de plus en plus réduite de l’empirique. Pendant même qu’on travaillait l’univers s’éloignait. Alors qu’est-ce qu’on apporterait à l’investigation ? La seule chose qu’on possède, je suppose. L’esprit. Et pourquoi penserait-on que l’esprit est à la hauteur de la tâche ? Parce que nous sommes là. Que nous ne sommes nulle part ailleurs. Et qu’il n’y a rien d’autre à savoir
notre expérience du monde consiste en grande partie à nous prémunir contre la déplaisante vérité que le monde ne sait pas qu'on existe.... J'ai compris pour la première fois que le monde visible était à l'intérieur de notre tête. Le monde entier ,en fait. ...le monde visible est créé par des êtres pourvus d'yeux pour le faire. Non pas créé à partir de rien mais de ce quelque chose dont la réalité est à jamais inconnaissable. ...
La première règle de l’univers c’est que toute chose disparaît pour toujours. Au point que si on refuse d’accepter ça on vit dans un fantasme.
Si vous deviez porter un jugement catégorique sur le monde en une seule phrase ce serait quoi ? Ce serait : Le monde n'a rien créé de vivant qu'il n'ait l'intention de détruire.
Le rêve nous réveille pour nous dire de nous souvenir. Peut-être qu'il n'y a rien à faire. Peut-être que la question est de savoir si la terreur est une mise en garde contre le monde ou nous-mêmes. Le monde nocturne d'où on émerge d'un bond dans son lit, haletante et en sueur. Est-ce qu'on se réveille de quelque chose qu'on a vu ou de quelque chose qu'on est ?
La nature spirituelle de la réalité est la principale préoccupation de l’humanité depuis toujours et ce n’est pas près de s’arrêter. L’idée que tout est simplement matériel ne semble pas nous convenir.
Il est fort possible que l'imaginaire soit ce qu'il y a de mieux. Comme le tableau d'un paysage idyllique . L'endroit où on préférerait être. Où on ne sera jamais.
Dans ce cas précis c’est la prise de conscience que ce que l’on soupçonnait depuis longtemps est vrai en réalité. Que les mathématiques n’ont pas de limites. Qu’elles sont inépuisables. Il n’y avait plus aucun doute là-dessus. Et il fallait maintenant s’asseoir un moment et réfléchir à l’univers.
Et qu’est-ce qu’on s’est dit ? Sur l’univers. On s’est dit que l’investigation allait souffrir d’une disponibilité de plus en plus réduite de l’empirique. Pendant même qu’on travaillait l’univers s’éloignait. Alors qu’est-ce qu’on apporterait à l’investigation ? La seule chose qu’on possède, je suppose. L’esprit. Et pourquoi penserait-on que l’esprit est à la hauteur de la tâche ?
Parce que nous sommes là. Que nous ne sommes nulle part ailleurs. Et qu’il n’y a rien d’autre à savoir.Il faut comprendre ce qu'a été l'avènement du langage. Le cerveau s'en était assez bien passé pendant plusieurs millions d'années. L'arrivée du langage a été comme l'invasion d'un système parasite. Cooptant les zones du cerveau les moins dédiées. Les plus susceptibles d'annexion. Une invasion parasite. ]...[
La guidance intérieure d'un système vivant est aussi nécessaire à sa survie que l'oxygène et l'hydrogène. La gouvernance de tout système évolue au même rythme que le système lui-même. Tout ,d'un battement de paupières à un accès de toux en passant par la décision de s'enfuir à toutes jambes. Toutes les facultés excepté le langage ont la même histoire. Les seules règles évolutionnistes que suit le langage sont celles qui servent à sa construction. Processus qui a duré à peine plus qu'un battement de paupières. L'extraordinaire utilité du langage en a fait du jour au lendemain une épidémie.
Le système de guidance inconscient a plusieurs millions d'années, la parole moins de cent mille. Le cerveau ne se doutait absolument pas de cette arrivée. L'inconscient a dû se démener en tous sens pour accueillir un système qui s'est avéré parfaitement implacable. Non seulement il est comparable à une invasion parasite mais il n'est comparable à rien d'autre. Le langage ne s'est développé à partir d'aucun besoin connu. C'était juste une idée. Et l'idée était qu'une chose pouvait en représenter une autre. Un système biologique soumis à l'agression victorieuse de la raison humaine.
Biographie
Né
à Providence, Rhode Island , le 20/07/1933 et décédé à Santa
Fe, Nouveau Mexique , le 13/06/2023, Cormac McCarthy, né Charles
McCarthy, est un écrivain américain d'origine irlandaise.
Il est
troisième d'une fratrie de six enfants. En 1951 et 1952, il étudie
à l'Université du Tennessee. Après ses études, il rejoint en 1953
l'armée de l'air américaine pour quatre ans, dont deux passés en
Alaska, où il anime une émission de radio. En 1957, il reprend ses
études à l'université.
Il épouse Lee Holleman en 1961, dont il a un fils. Il quitte l'université sans aller jusqu'au diplôme, et s'installe avec sa famille à Chicago, où il écrit son premier roman, "Le Gardien du verger" ("The Orchard Keeper", 1965). Divorcé, il rencontre Anne DeLisle durant l'été 1965. Ils se marient l'année suivante. Grâce au soutien financier de la Fondation Rockefeller, il voyage également dans le sud de l'Europe, avant de séjourner quelque temps à Ibiza, où il écrit son deuxième roman, "L'Obscurité du dehors" ("Outer Dark", 1968).
En 1969, McCarthy et sa femme s'installent dans le Tennessee. Il y écrit "Un enfant de dieu" ("Child of God", 1973). McCarthy et Anne DeLisle se séparent en 1976, et l'écrivain déménage pour El Paso au Texas. En 1979, le roman sur lequel il travaille depuis près de vingt ans, "Suttree", est enfin publié. "Méridien de sang" ("Blood Meridian"), roman souvent considéré comme son meilleur, paraît en 1985. En 1992, on découvre "De si jolis chevaux" ("All the Pretty Horses"), premier volume de la "Trilogie des confins". Le livre remporte le National Book Award en 1992. Les deux autres volumes sont "Le Grand Passage" ("The Crossing", 1994) et "Des villes dans la plaine" ("Cities of the Plain", 1998).
"De si jolis
chevaux" a été adapté au cinéma en 2000 par Billy Bob
Thornton. "Non, ce pays n'est pas pour le vieil homme" ("No
country for old men", 2005) est porté à l'écran en 2007 par
les frères Coen. Le film est récompensé de quatre Oscars en 2008
dont celui de meilleur film. Son roman post-apocalyptique, "La
Route" ("The Road", 2006) obtient le prix Pulitzer de
la fiction 2007, le prix James Tait Black Memorial 2007 et le prix
des libraires du Québec 2009. McCarthy revient en 2013, en tant que
scénariste du thriller "Cartel" ("The Counselor"),
réalisé par Ridley Scott. En 2022, il publie "Le Passager",
premier volet d’un diptyque. Stella Maris est son dernier
roman.
McCarthy vit jusqu'à sa mort dans le Nouveau-Mexique, avec
sa troisième femme, Jennifer Winkley, qu'il a épousée en 1998, et
leur fils, né en 1999.






