mardi 6 août 2024

Bernadine EVARISTO – Femme, fille, autre – Poche Pocket 2023

 

 

L'histoire

Elles sont 12 femmes, noires, qui vivent en Angleterre. De toutes les générations confondues, elles ont chacune une histoire personnelle à raconter. Elles sont reliées par des liens d'amitiés ou de famille, ou de rencontres. Elles sont en lutte pour leur liberté, pour trouver un but à leur vie. Elles sont très riches ou très pauvres, elles ont subi des violences racistes. Mais elles sont liées par un même lien : s'en sortir !


Mon avis

Voilà un roman original, sans ponctuation, mais tout à fait lisible, qui va vous entraîner dans la vie de 12 femmes noires, soit venues en Grande Bretagne (à Londres essentiellement) soit nées dans ce pays.

Elles revendiquent leur double liberté : celles d'être femmes, celles d'être noires. La plus âgée à 93 ans et la plus jeune 17, et les réalités sont différentes. Certaines sont nées sous la bonne fortune de l'argent, d'autres moins chanceuses ont subi des viols ou des brimades racistes. Autour d'Amma, autrice de pièce de théâtre, lesbienne assumée mais ayant quand même eu une fille avec un homme gay et ami, elle motive ses amies, pour toujours lutter contre leurs doubles libertés : féministe et exclusion raciales. Beaucoup sont lesbiennes, mais d'autres ont des petits amis. Certaines ont abandonné le foyer en raison d'un mari violent ou alcoolique et par un système d'entraide, elles sont hébergées chez les unes ou les autres. Car toutes ses femmes sont reliées par des liens amicaux ou familiaux ou de rencontres amicales ou amoureuses.

Ici, on dit les choses comme on le pense. Arrivés récemment au Royaume Uni ou pas. A l'intersection de cette caractéristique, ils sont majoritairement femmes. Et subissent les violences symboliques ou physiques qu’entraîne ce sexe. Ils sont quelques-uns à venir de quartiers populaires, à lutter pour récupérer le capital culturel qui leur faisait défaut en naissant là. Nés aux Antilles ou à la Barbade, en Écosse de parents noirs, expatriés en Amérique ou en venant tout juste. Mais ils sont aussi propriétaire terrier, entrepreneur, érudit, directeur de banque. Bref, ça foisonne et rien ne semble pouvoir contenir le flot puissant de ces volontés, de ces identités qui ne se réduisent jamais aux assignations que l'on plaque sur elles.

Sans la focale d'un personnage principal sagement identifié, sans le recours à des péripéties bien calibrées, sans unité spatio-temporelle, il fallait une sacrée armature à ce roman pour que, de force majestueuse, il ne se transforme pas en chaos illisible. Et l'armature, elle est là. le travail de fond est colossal. L'enchaînement des chapitres ne souffre quasi aucune longueur. Les personnages sont discrètement reliés les uns aux autres. Pas à tous, ç’aurait été détruire l'illusion d'une exhaustive représentation de ces voix multiples, mais selon deux ou trois nébuleuses qui cadrent l'attention du lecteur.

Et puis surtout, il y a une énergie, une dérision, un humour qui traversent le livre et l'unifient mieux que tout.Ce roman, c'est un rire, rauque et profond, c'est le triomphe des paroles qu'aucun barrage n'arrête, qui proclament sa propre puissance à être, magistralement. Un best-seller déjà en Grande Bretagne et aux États-Unis. Unique, superbe, un livre aussi émouvant que drôle, à lire absolument.


Extraits

  • Et n’allez pas croire que l’enfant qu’elle a élevée est du genre à s’affirmer féministe plus tard" Le féminisme c’est tellement grégaire, lui a dit Yazz, franchement, même être une femme c’est dépassé aujourd’hui, à la fac nous avions une activiste non-binaire, Morgan Malenga, qui m’a ouvert les yeux, je pense que nous serons tous non-binaires à l’avenir, ni males ni femelles, qui sont d’ailleurs des prestations sexo-spécifistes, ce qui signifie que ta politique « féminine », m’man, deviendra obsolète, et tant que j’y suis, que je te dise, je suis humanitaire, ce qui se situe à un niveau beaucoup plus élevé que le féminisme. As-tu une idée de ce que ça signifie ?

  • je dis toujours à Mum qu’elle a épousé un patriarche. regarde les choses autrement, Amma, me répond-elle, ton père est né homme au Ghana dans les années 1920 et toi femme à Londres dans les années 1960. et alors ? tu ne peux pas attendre de lui qu’il « te pige » comme tu dis. je lui répète qu’elle fait l’apologie du patriarcat et se rend complice d’un système qui oppresse les femmes.elle répond que les êtres humains sont complexes. je lui dis de ne pas le prendre de haut

  • quand elle quitteront l'université avec une énorme dette sur le dos et la perspective de la course délirante aux boulots, et le prix scandaleux des loyers qui signifie que leur génération devra retourner habiter chez ses parents pour l'éternité, ce qui les poussera à désespérer encore plus de l'avenir sans compter la merde de cette planète avec le Royaume-Uni qui va se séparer de l'Europe qui elle-même dévale la voie de la réaction et redonne du lustre au fascisme et tout ça est si cinglé que l'ignoble milliardaire éternellement bronzé a tellement abaissé le niveau intellectuel et moral en devenant président des Américains et fondamentalement tout ça veut dire que l'ancienne génération TOUT DETRUIT et que la nôtre est condamnée, à moins qu'on arrache aux aînés leur autorité intellectuelle. Le plus tôt sera le mieux.

  • Mum travaillait huit heures par jour comme salariée, a élevé quatre enfants, tenu son foyer, veillant à ce que le diner du patriarche soit sur la table tous les soirs et ses chemises repassées tous les matins. Pendant ce temps il était dehors en train de sauver le monde, et sa seule tâche ménagère consistant à acheter la viande du déjeuner du dimanche chez le boucher - variation banlieusarde du chasseur-cueilleur.

  • L'enfant qui quitta l'appartement en larmes ce matin-là, remerciant Mama de s'être remise à lui parler parce que, dit-elle, quand ta propre mère veut faire croire que tu n'existes plus, c'est comme si tu étais morte.

  • le feminisme a besoin de plaques tectoniques pour changer, pas d'un relooking branché

  • une fille blanche qui marche à côté d'une fille noire passe toujours pour aimer les hommes noirs

  • elle court pour vivre parce que rester plantée c’est commencer à glisser le long de la pente qui mène à l’échec, à l’inertie, à l’apitoiement sur soi, cet épisode de son existence qui s’immisce toujours dans sa mémoire quand elle s’y attend le moins

  • ces temps-ci elle est une joueuse d’orchestre enthousiaste au milieu de la cacophonie de la gare la plus animée de Londres, que foulent près de cent cinquante millions de paires de pieds chaque année, convergence de banlieusards génétiquement identiques à 99,9 %, peu importe l’emballage extérieur, peu importe leur câblage psychique – que les fils soient tordus, enchevêtrés, raccourcis. Tous ces gens si posés, si équilibrés et maîtres d’eux-mêmes, préparés à assumer publiquement leur rôle de membres raisonnables de la société en ce lundi matin où tous les drames sont intériorisés

  • Roxanne Gay, répondit Courtney, nous a mis en garde contre l’idée d’« une vie de privilèges » et a écrit dans Bad Feminist que les privilèges sont relatifs et contextuels, et je suis d’accord, Yazz, finalement à quoi ça rime ? Est-ce qu’Obama est moins privilégié qu’un péquenaud blanc élevé dans une caravane avec une mère junkie célibataire et un père taulard récidiviste ? Est-ce qu’une personne gravement handicapée est plus privilégiée qu’un demandeur d’asile syrien qui a été torturé ? Roxane affirme que nous devons trouver un nouveau discours pour définir l’inégalité. Yazz reste bouche bée, quand Courtney a-t-elle lu Roxane Gay – qui est ab-so-lu-ment stupéfiante ? Est-on en présence d’une étudiante plus maligne que le professeur ?  #filleblancheéclipsefillenoire

  • On a tous une âme soeur dans ce monde

  • she's the one who's made it, not her older brothers
    who didn't have to do any housework or even wash their own clothes, whereas she had to spend her Saturdays mornings doing both
    who were given first helpings at meals they never had to cook, and extra portions because they were growing lads, including mega-helpings of the most desirable desserts who weren't punished for speaking their mind, whereas she was sent to her room at the slightest sign of insurrection, keep your thoughts to yourself, Shirl

  • Gotcha, so here goes: women are designed to have babies, not to play with dolls, and why shouldn’t women sit with their legs wide open (if they’re wearing trousers, obv) and what does mannish or manly mean anyway? walking with long strides? being assertive? taking charge? wearing ‘male’ clothes? not wearing make-up? unshaved legs? shaved head (lol), drinking pints instead of wine? preferring football to online make-up tutorials (yawn), and traditionally men wear make-up and skirts in parts of the world so why not in ours without being accused of being ‘effeminate’? what does effeminate actually mean when you break it down?

  • it's easy to forget that England is made up of many Englands

  • Megan was part Ethiopian, part African-American, part Malawian, and part English which felt weird when you broke it down like that because essentially she was just a complete human being



Biographie

Professeur d'écriture créative à l'Université Brunel de Londres et écrivaine, née en 1989 à Londres, d'une mère anglaise et d'un père nigérian.
Quatrième de huit frères et soeurs, elle a été élevée à Woolwich, dans le sud de Londres, et a suivi une formation d'actrice. Elle a travaillé dans le théâtre. Elle est l'auteur de deux romans en vers appréciés par la critique: Lara (1997), qui retrace les racines d'une famille métisse anglo-nigériane-brésilienne-irlandaise de plus de 150 ans, trois continents et sept générations; et The Emperor's Babe (2001), l'histoire tragi-comique révolutionnaire de Zuleika, une fille de parents soudanais, qui a grandi à Londres il y a 1800 ans et qui entretient une liaison avec l'empereur romain Septimius Severus. Son roman, Soul Tourists (2005), parle d'un voyage en voiture en Europe mettant en vedette un couple mal assorti, Stanley et Jessie, avec des apparitions de fantômes de couleurs de l'histoire européenne, tels que Pushkin, Alessandro de Medici et Mary Seacole. Son roman Blonde Roots a été publié en 2008 et en 2010, elle a écrit le roman Quick Reads, Hello Mum. Son dernier roman, M. Loverman (2014), parle d'un homme londonien des Caraïbes âgé de 74 ans, homosexuel caché.
Bernardine a également écrit pour le théâtre, la radio, la presse écrite et pour une collaboration multimédia. Cityscapes avec le saxophoniste Andy Sheppard et la pianiste Joanna MacGregor pour le festival de la ville de Londres en 2003.

Depuis 1997, elle a effectué plus de 50 tournées internationales, allant de lectures d'une nuit à des séjours d'enseignement de trois mois. Elle a été professeur invité au Barnard College / Columbia University à New York, écrivain en résidence à l'université de Western Cape, au Cap, et écrivain associée à l'université d'East Anglia. Elle a également représenté la Grande-Bretagne auprès du romancier Glenn Patterson à Literaturexpress Europa 2000, qui a amené 105 écrivains européens dans 11 pays européens pendant six semaines en train, voyageant du Portugal à Berlin en passant par la Belgique, les pays baltes et la Russie. Elle est membre de la Royal Society of Literature et de la Royal Society of Arts et a reçu un MBE en 2009.

samedi 3 août 2024

Victor GUILBERT – Terra Nullius – J'ai Lu - 2023

 

 

L'histoire

L'inspecteur Hugo Boloren n'a pas le moral. Sa mère, grande journaliste reporteur souffre de la maladie d'Alzheimer, et Hugo doit consulter un grand spécialiste à Lille. Le parisien est aussi mis à contribution pour aider la police locale sur le meurtre d'un petit garçon Jimcaage et d'un autre gravement blessé, dans ce qu'on appelle « Terra Nullius », une énorme décharge à ciel ouvert entre la France et la Belgique. A ces pieds, un campement de miséreux, de sdf, sans papiers et autres dont faisait parti le petit garçon. Aucun signalement aux services sociaux, et un « trésor » évoqué par l'enfant. Il est temps que la petite « bille » dans la tête de l'inspecteur face « ding ».


Mon avis

Deuxième tome sur 3 des enquêtes d'Hugo Boloren (après Douve déjà apprécié par la critique), nous nous retrouvons à Lille et ses environs.

Alors qu'il accompagne sa mère, qui fut autrefois une grande journaliste et qui est atteinte de la maladie d’Alzheimer, consulter un spécialiste à Lille, Hugo est sollicité par la police locale pour résoudre une affaire étrange. Entre la France et la Belgique gît une décharge illégale montreuse comme des collines de déchets. Les deux pays se renvoient la balle sans solutions. Pas plus qu'ils ne s'intéressent au campement de fortune installés aux pieds des déchets : une communauté de sdf, de sans papiers, de migrants refoulés à Calais où semble régner en matrone une vieille femme du nom de Mani.

Hors un jeune garçon de 12 ans, Jimcaale, confié aux bons soins d'une vieille femme est dans un état de mort cérébrale suite à une agression, suivie de celle moins dangereuse de son ami, un petit garçon d'origine asiatique qui lui a une famille.

Il doit seconder les inspecteurs lillois qui lui font goûter aux spécialités locales et surtout à la bière. Tout en suçant des carrés de chocolat noir pour suivre son sevrage tabagique, la petite « bille », la petite étincelle qui permet le déclic pour trouver la solution à cette enquête trouble ne vient pas vraiment. Hugo se creuse la tête, pour mettre en place ce puzzle ou plutôt ces puzzles qui ne s'assemblent pas. Pour cela, il peut compter sur l'aide bien venue de Lulu, la stagiaire et d'un trimoin (le même témoin dans 3 affaires distinctes) qui n'a juste que 2 petits mensonges à son actif mais est ravi de trouver une vraie place dans une vraie enquête. Drogue, misère, abandon des services publiques, trahisons sont au rendez-vous de ce polar qui s’accélère au fil des pages. Atypique, angoissé chronique, le personnage central nous sort un peu des sentiers battus du héros mais sans en faire un total anti-héros, il est un peu « le monsieur tout le monde » avec ses doutes, ses petits plaisirs. Les personnages secondaires sont attachants aussi, avec l'humour nécessaire dans cette ambiance sombre.

L'auteur dénonce aussi, mine de rien, tous les laissés pour compte, qui subsistent de dons, de petits vols et de débrouilles et ces décharges immondes qui polluent le monde. Mais ici, la grande décharge renferme dans ses entrailles quelques drôles de secrets. Un bon polar bien mené dans un style fluide. Lecture estivale parfaite.



Extraits

  • Côme a déjà commandé une tournée de bières que la serveuse propulse sur notre table sans faire tomber la moindre goutte. Je suis sensible à cet art de la dextérité bistrotière. «  Bière de Snick, la lambic authentique qui tombe à pic » est inscrit en lettres rouges sur les verres. La serveuse zélée précise à mon intention qu’en vrai, c’est pas une lambic, c’est pour la rime. On lève nos pintes en attendant que l’un de nous lance une sentence à propos. Rien ne vient, alors on hoche la tête, on ferme les yeux et on savoure la première lampée de Snick. prendre le temps d'être là, dans la steppe, immobiles. Il suffit d'écouter et de regarder pour avoir l'air d'un sage.

  • Vais-je reprendre un carré de chocolat ou me décider à réduire ma consommation ? Je soupire. C’est un leurre de croire qu’on se libère du tabac. Ces carrés de chocolats noirs millésimés, je peux me convaincre que je les savoure, que je les suçote… La vérité, c’est que je les fume. J’apprécie bien plus le manque vaguement comblé que le goût amer du cacao d’exception.

  • J’allume la petite radio sur ma table de nuit, cadeau de mon père à l’adolescence. Les transistors des années quatre-vingt-dix tiennent plus longtemps que les portables sortis il y a trois ans.

  • Il n’aime pas l’idée que certains jours mériteraient de ne pas être vécus, la vie est trop courte pour en jeter des morceaux.

  • Et puis, il y a le problème du doute, cette goutte amère capable de vous ruiner toute une marmite de certitudes.

  • La chaleur donne soif et la bière lilloise donne chaud. Un cercle vicieux qui s’autoalimente sans que ce soit désagréable.

  • C'est l'avantage d’être un casanier qui ne tient pas en place. J'ai toujours envie de rester chez moi, mais je me sens chez moi partout où je vais. C'est peut-être la définition du voyageur, d’être un pantouflard ambulant.

  • Je sais pourquoi vous ne voulez pas voir de psy. Fouiller dans le subconscient d’un flic, ça revient à creuser un trou dans le sable à marée haute.

  • Le jeune inspecteur sous-entend la dépression sans la nommer, cette fois-ci. Ce qui ma fait prendre conscience que je prononce rarement le mot "Alzheimer" en évoquant ma mère. La pudeur linguistique, c'est le déni de la pensée.

  • D'habitude, ces bouledogues français dégagent une aura sympathique, mais celui-là a le museau méchant. Une petite dent poussée de travers pointe à l'extérieur de ses babines et sa collerette vétérinaire trop grande lui donne de surcroît un air parfaitement stupide. L'illustration réussie de l'idée qu'on peut se faire de bête et méchant, pense Raphaël.

  • Le plus difficile à nier, c’est l’odeur insupportable. La décharge d’un côté, les habitations insalubres de l’autre, et le soleil qui tape fort au-dessus en prenant soin de développer les arômes.  

  • Le petit pouvoir pousse aux grandes phrases chez les petites personnes.

  • Les policiers sont comme les touristes ou les pigeons, personne n'aime ceux qui viennent de Paris.

  • Le téléphone de Lorraine vibre sur la table et son visage s'éclaire quand elle découvre le nom de "Cyril" qui s'affiche sur l'écran. Je me retiens de justesse de pousser un cri de surprise embarrassant. C'est la première fois que je vois un sourire qui a ce pouvoir, cette faculté de donner l'impression qu'il émet de la lumière à travers les pores de la peau. Comme si un excès de charme dégoulinait de la figure. Il a fallu que "Cyril" apparaisse sur son téléphone pour amorcer ce miracle. Je lui envie cette joie simple. Elle s'excuse, radieuse, s'éloigne, splendide, et répond, merveilleuse. Est-ce qu'il y a déjà eu quelqu'un quelque part qui me fasse rayonner le visage d'un coup de téléphone ?

  • La bille tente une arrivée en force, je la repousse en inondant mon esprit d'une lampée de bière à la limite de l'étoufement. Je veux transformer la bille en bout de puzzle, faire du concret avec de l'abstrait. Elle a repéré un nouvel élément dans le fouillis de mes pensées, elle va se perdre, elle se réveille trop souvent en ce moment. Je termine ma Snick et me tourne vers Lulu et le trimoin. - Vous avez des choses à me raconter?  

  • La plus grande décharge sauvage à ciel ouvert de France, les hectares de la honte comme on le murmure dans la région et jusque derrière la frontière belge qui la jouxte de trop près.

  • j'avale le dernier morceau de mon sandwich franco belge, preuve que lorsque des pays unissent leurs forces, ils peuvent faire de grandes choses


Biographie

Victor Guilbert est un auteur de théâtre, romancier et nouvelliste né en 1983. Il a fait des études au Cours Florent. Diplômé de lettres modernes à la Sorbonne, il a obtenu un Master 2 en linguistique.
C’est grâce au théâtre qu'il fait ses premiers pas dans le monde de l’écriture en proposant des pièces qui seront jouées entre Paris, la Normandie, jusqu’à Shanghai. Son spectacle, "Chroniques d'un débridé", a tourné en Chine et en France durant deux ans. Il se lance par la suite dans la rédaction de textes de chansons, sketchs, nouvelles, dont certaines primées, et rédige des articles pour divers blogs.

Après avoir vécu plusieurs années à Shanghai, où il a dirigé la Troupe de Théâtre Francophone de Shanghai, il habite désormais à Paris où il travaille comme rédacteur et blogueur en parallèle de ses activités littéraires. En 2017 sort son premier roman, "L’histoire fabuleuse du Français insouciant devenu Chinois insurgé", aux éditions Hikari. "Douve" (2021), son premier roman policier, a reçu le prix du meilleur polar 2022 au salon Saint-Maur en poche. Victor Guilbert remporte le Prix "Le Point" du Polar européen 2022 pour son roman "Terra Nullius" (2022, Hugo Thriller).

Son site : https://www.victorguilbert.com/


lundi 29 juillet 2024

Ian MANOOK – Les temps sauvages (Yeruldelgger Tome 2) – Livre de poche 2016

 

 

L'histoire

Nous avions laissé Yeruldelgger à la fin du tome 1, pensant qu'il avait enfin tué son dangereux et cruel Erdenbart. Le voilà qui enquête sur la mort d'une de ses indics Colette, crime que l'on veut lui faire endosser. Sa collègue Oyun elle, enquête sur la morts de 2 hommes, brûlés en plein désert Mongol. Très vite le policier, pas commode et de plus en plus incontrôlable découvre la disparition du fils de Colette, un jeune mendiant qu'elle avait pris en charge et d'un apprenti moine pas très sérieux dans ses études aux 7ème monastère Shaolin. Isolé, face à la violence et aux faux amis, notre enquêteur va mettre au jour un terrible complot politique.



Mon avis

Quand vous rentrez dans un polar de Ian Manook, ici dans sa série en Mongolie, il faut vous attendre à des rebondissements, des mots mongols (dont on comprend le sens) et une tonne d'embrouilles.

Ça commence avec l'arrestation de Yeruldelgger, accusé à tort par la Police des Polices d'avoir tué une de ses indicatrices Colette, une prostituée, gentille femme, qui a pris sous son aile un gosse des rues comme il en existe des milliers à Oulan Bator, toujours plongé dans un smog qui en fait la ville la plus polluée au monde. Non seulement il réussi à prouver son innocence, mais il se met en quête, alors qu'il n'en est plus officiellement chargé, de comprendre pourquoi on lui a fait porter le chapeau, et où sont passés les deux enfants, le fils de Colette et un apprenti-moine pas trop sérieux. On leur dit qu'ils sont partis en France, mais très vite notre policier qui n'a pas peut de prendre des coups ou d'en donner se rend compte qu'il s'agit d'un trafic d'être humains. Les enfants, auxquels on promet richesse et liberté, sont sous le contrôle d'un cartel qui les oblige à mendier ou voler.

Mais ce n'est pas tout. Son beau-père, le monstrueux Erdenbart n'est pas mort et dirige ce cartel, ainsi que d'autres activités illégales, entouré par des voyous et pas n'importe lesquels, des militaires qui n'ont aucune limite.

Erdenbart s'est mis en tête de conquérir le pays par des élections truquées et devenir un dictateur à la Poutine.

Des steppes sauvages de Mongolie, aux cimes enneigées, d'Ulan Bator qui cède à la mondialisation et perd son identité, masquant les pauvres dans des yourtes de fortune en périphérie, c'est un pays qui commence à se perdre, et surtout à perdre son identité profonde. Si cela réjouit Oyun qui peut s'habiller de vêtements européens chics et de marque, cela désole Yeruldelgger qui aime son pays avec ses traditions, sa cuisine (là franchement, je préfère vous zapper les menus qui sont vomitifs à souhait, mais qu'on peut expliquer par les températures de -40° en hiver.

Un voyage au Havre, et puis des rebondissements à tous les chapitres, on ne s'ennuie jamais avec Monsieur Manook, grand voyageur, qui connaît la Mongolie comme personne. Du page turner un peu gore mais parfait pour des frissons estivaux, avant de plonger dans la grande bleue.


Extraits

  • Oyun n'avait pas souvenir de tels dzüüd dans son enfance. Le premier dont elle se souvenait était celui de 2001. Un hiver si rude et si long que sept millions de bêtes étaient mortes à travers le pays. Elle gardait en mémoire l'image de ces milliers de nomades encore fiers et solides quelques mois plus tôt, venus s'échouer pour mendier et mourir en silence, transis, dans les égouts d'Oulan-Bator. Les hommes avaient perdus tous leurs chevaux, les femmes tous les yacks et toutes les chèvres, et les enfants tous les agneaux et jusqu'à leurs petits chiots. Cet hiver-là avait tué en Mongolie plus d'âmes que les avions des tours de Manhattan.

  • À la fin des années quatre-vingt, dans le cadre de la coopération fraternelle entre les peuples pour un avenir radieux et de la planification du pillage systématique des ressources naturelles des petits pays frères, les Soviétiques avaient construit cette ville russe en territoire mongol. Interdite aux Mongols. La ville ne servait d’atelier, de dortoir et de réfectoire qu’aux techniciens et cadres russes de la grande mine d’uranium à ciel ouvert de Dornod, le second plus grand gisement du pays.

  • Elles filaient sous ses yeux, de gauche à droite, en long troupeau étiré, et bondissaient soudain à plus de deux mètres de haut. C’était comme une symphonie silencieuse, la partition d’une ode à la nature. Les gazelles défilaient droites comme des notes sur une portée, puis accrochaient en bondissant des doubles et des triples croches aériennes qui donnaient une harmonie orchestrales à leur fuite.

  • Des milliers d'assauts quotidiens de petites turpitudes, de bassesses, de méchancetés, de jalousies qui se formaient en tourbillons pour devenir des vols, des crimes, des assassinats. Son métier ne lui donnait à voir que le côté obscur de l'humanité.

  • Tu crois en Dieu ? demanda Akounine au lieu de répondre. - Moi ? J’ai déjà tellement de mal à croire en l’homme.

  • La vie, tu vois, c’est plutôt comme une yourte : tout est rond et sans côtés. Ni bons, ni mauvais. Tu es dedans, ou tu es dehors, c’est tout.

  • Un vent d’est s’était levé dans la nuit. En s’engouffrant dans la vallée de la Tuul, il avait dispersé la pollution de la ville jusque vers les contreforts du Khustain Nuruu et les steppes de Mandalgovi, laissant Oulan-Bator frigorifiée sous un ciel bleu immobile et un petit soleil blanc.

  • Pendant quelques minutes Zarza s’abîma dans la contemplation désabusée de cette ville post-soviétique qui défilait derrière les vitres, semblable à toutes celles que ces utopistes totalitaires avaient imposées, pour leur bonheur matérialiste, aux populations asservies.

  • Tu sais, les citadins et les étrangers nous prennent pour des sorciers. Toutes ces histoires de chamanes, ces pouvoirs surnaturels, ce lien avec les esprits… Tout ça n'est que foutaise. Tu sais quelle est notre seule force ? C'est celle de prendre le temps d'être là, dans la steppe, immobiles. Il suffit d'écouter et de regarder pour avoir l'air d'un sage.

  • Restez là pendant que j'apprends son boulot à votre chef, peut être que vos cerveaux atrophiés en tireront une petite leçon.

  • Et puis, quelques minutes à peine après son envol, le Fokker déchira de ses hélices vrombissantes le voile épais qui étouffait la ville et jaillit dans le bleu lumineux du ciel. Oulan-Bator n’était rien en regard de la Mongolie tout entière. Juste une petite métropole prétentieuse encaissée dans une petite vallée fermée qui gardait sur elle ses fumées. Et tout autour, la Mongolie. La vraie Mongolie qu’il aimait.

  • Le massif de l’Otgontenger tout entier était une Zone Strictement Protégée. Autant pour la faune et la flore qu’il abritait que pour l’esprit sacré qu’il représentait aux yeux de tous les Mongols. Aucune implantation humaine n’y était autorisée à l’exception du petit musée d’Agop et de deux temples bouddhistes. Le premier pour étudier et préserver la nature, les seconds pour protéger et honorer les âmes.

  • Devait-il vraiment continuer à aimer ce pays qui courait à sa perte, avec la même arrogance qu'il avait chevauché, des siècles plus tôt, à la conquête de civilisations qui lui étaient cent fois superieures?

  • Qu'est ce que c'est que ce baragouin? se moqua Zarza. - Ah, là tu te trompes, camarade. Le Baragouin, c'est le breton, du temps où ils quémandaient dans leur langue, en terres françaises, du pain et du vin. Barra et Gwin. C'est du moins ce qu'on dit.

  • Oyun aperçut devant eux un renard blanc en maraude dans la neige. Son museau pointu frôlait les cristaux brillants comme s'il pistait en zigzag une proie invisible et ivre. Soudain, les oreilles dressées, il se figea face à un petit tas de pierres enrobé d'une croûte de glace. Immobile, il s'était fondu dans le paysage immaculé. Puis en trois bonds il avait surpris le pika des steppes qui s'était aventuré hors de son petit nid de foin entre les pierres. Maintenant le lièvre crieur nain bondissait dans la neige sans aucun espoir d'échapper au renard. Dans cette étendue moirée jusqu'à l'horizon, la scène bouleversa Oyun par sa beauté et sa cruauté à la fois. Mais comme le renard s'apprêtait à bondir pour briser l'échine du frêle rongeur, un appel criard stria l'azur et un faucon chasseur s'abattit sur le renard pour lui déchirer la gorge entre ses serres.

  • Autour de la mine, à vingt kilomètres d'ici, la teneur en radon est cent fois plus élevée que les normes admises. En ville, on ne mesure plus depuis vingt ans, histoire de ne pas savoir. Mais je peux te dire qu'ici, on mange de l'uranium, on boit de l'uranium, et on respire de l'uranium. Et je ne te parle pas des métaux lourds et des boues toxiques dans laquelle tu patauges dès que tu descends du trottoir.

  • Décidemment, Big Brother n'était rien comparé à l'agglomérat des milliards de Mini Brothers s'espionnant les uns les autres.


Biographie

Journaliste, éditeur et écrivain dont le vrai nom est Patrick Manoukian.
Il a écrit sous les pseudonymes de Manook, Paul Eyghar, Ian Manook et Roy Braverman. Il signe également, avec Gérard Coquet, sous le pseudonyme collectif de Page Comann.
Grand voyageur, dès l’âge de 16 ans, il parcourt les États-Unis et le Canada, pendant 2 ans, sur 40 000 km en autostop. Après des études en droit européen et en sciences politiques à la Sorbonne, puis de journalisme à l’Institut Français de Presse, il entreprend un grand voyage en Islande et au Belize, pendant quatorze mois, puis au Brésil où il séjournera treize mois de plus.

De retour en France au milieu des années 1970, il devient journaliste indépendant et collabore à Vacances Magazine et Partir, ainsi qu’à la rubrique tourisme du Figaro. Journaliste à Télémagazine et Top Télé, il anime également des rubriques "voyage" auprès de Patrice Laffont sur Antenne 2 et de Gérard Klein sur Europe 1. Il devient ensuite rédacteur en chef des éditions Télé Guide pour lesquelles il édite, en plus de leur hebdomadaire, tous les titres jeunesse dérivés des programmes télévisés : Goldorak, Candy, Ulysse 31. Patrick Manoukian écrit en 1978 pour les éditions Beauval deux récits de voyage : "D’Islande en Belize" et "Pantanal".

En 1987, il crée deux sociétés : Manook, agence d’édition spécialisée dans la communication autour du voyage, et les Éditions de Tournon qui prolongent son activité d’éditeur pour la jeunesse (Denver, Tortues Ninja, Beverly Hill, X-Files…).
De 2003 à 2011, il signe les scenarii de plusieurs bandes dessinées humoristiques. Son roman pour la jeunesse "Les Bertignac : L'homme à l’œil de diamant" (2011), obtient le Prix Gulli 2012.

En 2013, il publie un roman policier intitulé "Yeruldelgger". Les aventures du commissaire mongol éponyme lui ont valu pas moins de seize prix dont le Prix SNCF du polar 2014. Lesdites aventures se poursuivent dans "Les temps sauvages" (2015) récompensé par un nouveau prix et "La mort nomade" (2016).
Son roman "Hunter" (2018) est suivi de "Crow" (2019) , deuxième titre d'une trilogie qui attend sa conclusion.



jeudi 25 juillet 2024

Celestine HITURIA VAITE – Chroniques de Tahiti – TIARE – Poche 10/18 - 2022

 

 

L'histoire

Voici le dernier tome des « Chroniques de Tahiti », Tiare, nom d'une fleur proche de la famille des gardénias. Nous retrouvons Materena, qui est devenue une star sur l'île grâce à son émission radio donnant la parole aux femmes. Mais, si ces 3 enfants sont en 2 en France et un à Bora-Bora comme chef cuisinier, Materena a bien envie de retrouver son père, dont elle connaît le nom et sait qu'il vit en France. Une idée qui fait rire Pito son mari, et cette fois sa femme le prend très mal. Elle envisage même un divorce. Mais un événement totalement inattendu va faire basculer la vie du couple : l'arrivée de Tiaré, la fille de son fils aîné et d'une jeune fille qui vit en Nouvelle Calédonie.



Mon avis

Voilà la dernière chronique des aventures de Materena et de son petit monde.

Bien que ces amis ne se gênent pas pour le lui faire remarquer, Pito, le mari ne se rend pas compte que sa femme est devenue une véritable star sur l'île, avec son émission radio où elle donne la parole aux femmes. De même Pito ne fait pas attention quand sa femme lui annonce qu'elle a envie de retrouver son père, dont elle connaît le nom et qui vit en France. Ce qui provoque une sérieuse bouderie, et Materena envisage un court instant le divorce.

Mais voilà qu'un bébé est déposé devant leur logis, leur fare (maison construite en bois et tôle), typique des quartiers populaires et pauvres de Papeete. Il s'agit de Tiare, la fille présumée de leur fils aîné Tamatoa qui finit son service militaire en France, et d'une jeune fille qui vit maintenant en Nouvelle Calédonie. Des explications s'imposent avec la famille de la jeune maman, mais le couple est mal reçu par des gens sans aucun savoir vivre. Très vite Pito trouve une ressemblance flagrante avec sa femme et les deux grands-parents sont sous le charme de ce joli bébé souriant. Et c’est là que Pito va changer totalement. De l'homme qui passait son temps à boire avachi sur le canapé après son travail, le voilà qui se transforme en papy-poule. Au grand plaisir de Materena, Pito décide de baptiser de suite la petite fille dans son église à lui (qu'il ne fréquente pas beaucoup), après une entrevue hilarante avec le curé. De plus toute sa famille se mobilise pour la petite princesse et lui offrir un baptême royal. Pito prend même un congé professionnel pour s'occuper de sa petite fille adorée. Sans que Materena lui dise quoi que ce soit, il s'occupe du bébé, donne le biberon, change les couches, veille sur elle dans son sommeil. Et les époux trouvent enfin une harmonie. Quand Tamatoa rentre, il laisse les grands parents s'occuper de sa fille, sort, fait la fête. Ce qui ne va pas du tout : il doit trouver un travail et s'occuper de son bébé. Il se prend une double avoine parentale et annonce qu'il a trouvé un emploi déconcertant certes, mais un emploi et fini par s'attacher à sa fille.

Pito lui, de son coté, se rendant compte que Materena est vraiment la femme qu'il aime de tout son cœur, va tout mettre en œuvre, discrètement, pour retrouver le père de Materena.

C'est bien connu, les mauvais parents font souvent des grands-parents magnifiques et c'est le cas de notre Pito, qui prend conscience de l'importance de sa famille, de sa femme qu'il a toujours aimé et se révèle enfin sous son meilleur jour.

C'est sous le signe de la tendresse, et des réconciliations que se termine cette trilogie. Bien sur on échappera pas à « Radio Cocotier » ni aux éternelles querelles entre les nombreuses tatas, cousines et cousins, parce que cela se passe comme cela à Tahiti. D'ailleurs, nous lecteurs français, qui avons une image un peu trop idyllique de la Polynésie française, découvrons qu'en fait les tahitiens n'aiment pas trop les farani, ces français soit touristes de passage, soit expatriés qui ne connaissent rien aux réalités de l'île. Certes on est très catholique, mais il y a aussi les traditions immuables, les chansons et les danses traditionnelles, la politesse (on ne reçoit pas un hôte sans lui offrir au moins une citronnade maison. On se dispute, on crie puis on passe à autre chose. On parle le tahitien et le français mais aussi l'anglais pour les besoins du tourisme. Ou on mélange un peu des trois. Il y a aussi une culture alimentaire particulière, des curies, mais aussi des recettes avec les cultures et arbres à pain classiques que toute famille qui se respecte doit avoir planté chez elle. Et puis il y a aussi ce mélange d'humour et de générosité. Dans l'adversité, le clan (comprendre la famille élargie) reste soudé et s'entraide.

On est un peu triste de quitter la famille de Materena, tant les personnages sont attachants, drôles ou un peu déjantés. On en redemande encore et encore.

Et comme toujours, un lexique vient nous apprendre quelques expressions tahitiennes en nous expliquant la façon de prononcé ! Aué Materena !



Extraits

  • Est-ce que tu te rends compte que le taux d'adultères à Tahiti est quelque chose comme soixante pour cent ?" - Soixante pour cent ? Pour l'adultère, Pito était au courant ( trois de ses oncles se sont fait choper en flagrant délit ) mais il ne savait pas que le taux était si élevé. - Soixante pour cent, confirme Heifara, lugubre. Et tu sais lequel des deux prend le plus souvent l'initiative de tromper l'autre ? - Le mari ? " Pito ne parle pas d'expérience, mais d'après ce qu'il a entendu raconter dans la famille. - Aita ia, c'est la femme. - La femme ! Non, Pito n'en revient pas. Tiens par exemple, il n'arrive pas à imaginer ses taties en train de tromper leurs maris. Ses taties sont toutes de saintes femmes ! D'abord elles ont élevé les enfants, fait le ménage, la lessive, la cuisine, les bouquets de fleurs pour la messe. Ensuite elles ont élevé les petits-enfants, fait le ménage, la lessive, la cuisine, les bouquets de fleurs pour la messe.

  • Dès que Pito est arrivé au boulot, il a pris sa tête normale, sa tête du boulot, celle qui ne trahit rien de ce qui se passe à l'intérieur. Il n'affiche jamais ses ennuis au boulot, pas comme certains qu'il connaît. En ce qui le concerne, ce qui se passe à la maison ( ce qui se passe bien comme ce qui se passe mal, mais surtout ce qui se passe mal ), c'est pas les oignons de personne.

  • Pito est très reconnaissant que sa femme ne se soit pas laissée aller. Il a plein de cousines qui étaient mignonnes quand elles étaient jeunes, mais dés qu'elles ont pondu leur premier gosse, ' aué ho'i é ! elles se sont mises à manger comme quatre. Sans compter le ketchup et le lait de coco, et repasse-moi encore le plat, ça fait trois fois mais ça fait rien...

  • Ah, il ne faut pas grand-chose à un homme pour être heureux. Un peu de mà'a, un peu de zizi-panpan, un peu de calme le soir, et il peut respirer.

  • Et Joséphine ajoute qu'elle est bien soulagée de voir que Materena n'a pas changé, qu'elle est toujours la même, sympa et tout. Elle n'a pas laissé la célébrité lui monter à la tête ( et elle est restée avec son mari qui gagne des clopinettes et qui ne brille pas par son intelligence, n'ajoute pas Joséphine ).

  • Hmm. Materena préfère l'amour dans le noir. De son point de vue, l'obscurité est un atout pour une femme , surtout si elle a eu plusieurs enfants.

  • Plus tard, en franchissant le seuil de chez lui, un peu défoncé mais très détendu, Pito se surprend à souhaiter que sa femme, pour une fois, l'engueule un bon coup. Comme ça au moins, il saurait ce qu'elle lui reproche.

  • Les hommes, c'est comme les melons, dit la jeune femme avec un air sérieux qui pourrait faire croire qu'elle a une longue expérience. Comme disent les Farànis : y en a des mûrs, et y en a des pas mûrs.

  • Quand tu restes trop longtemps sans rien faire, tu te réveilles de plus en plus tard le matin et la moindre chose devient une corvée.

  • Quand Materena a eu son boulot à la radio, Pito a eu peur qu’elle se mette à parler high class, qu’elle devienne une «Madame-Moi-Je», mais elle est restée la Materena avec qui Pito vit depuis presque un quart de siècle. Elle court tout partout dans la maison avec son balai, peut-être pas tout à fait autant qu’autrefois — au moins, le balai peut se reposer de temps en temps. Elle prête des œufs aux cousines qui n’ont pas eu le temps d’aller chez le Chinois avant qu’il ferme. Elle fait la cuisine, elle rit, elle râle, elle ratisse les feuilles et elle angoisse quand son gâteau- banane sort du four avec un air bizarre. Elle va à la messe, elle discute avec les taties, elle va tirer l’herbe sur les tombes de ses ancêtres, elle rend visite à sa mère régulièrement... C’est une vahine tahiti assez typique. Et elle n’est pas à la maison ce soir. Alors, en sifflotant parce que personne ne lui demande où il va, Pito sort de la maison pour se rendre au rendez-vous nocturne extrêmement important qu’il a avec ses collègues, autour d’une caisse de Hinano.

  • Tu ne peux pas téléphoner à ton fils pour la première fois de ta vie et compter qu'il va te faire des confidences juste parce que toi, tu es prêt à lui en faire.

  • L'expression "Faut pas pa'i faire caca dans ta cour" dit bien ce qu'elle veut dire : faut pas faire tes conneries là où tu peux te faire prendre, sinon tu vas te retrouver dans la merde jusqu'au cou.

  • J'appelle ma fille tous les jours, et tous les soirs." Tapeta explique qu'elle l'appelle dans sa tête, pas au téléphone. Dans sa tête et dans son cœur.



Biographie

Célestine Hitiura Vaite est une écrivaine polynésienne , née à Papeete, en Polynésie française, en 1966 qui vit en Australie.

En savoir plus ici : https://fr.wikipedia.org/wiki/C%C3%A9lestine_Hitiura_Vaite



dimanche 21 juillet 2024

Celestine HITURIA VAITE – Chroniques de Tahiti – Frangipanier – Poche 10/18 - 2022

 

 

L'histoire

Tahiti, début des années 2000. Pour ce tome 2 (sur 3), on retrouve Materena, en disgrâce avec son mari Pito, et enceinte de leur deuxième enfant qui sera une fille pour la plus grande joie de Materena. Mais Pito qui boit l'argent de sa paye sans donner un sou à sa femme oblige celle-ci à travailler comme femme de ménage pour une française exilée et seule. Materena a bien l'intention d'élever sa fille pour en faire une femme forte et indépendante. Un peu trop indépendante finalement...


Mon avis

Vous ne pouvez pas vous offrir un voyage à Papeete ? J'ai la solution en lisant les 3 tomes qui constituent « les chroniques de Tahiti », avec un charme et un humour désarmant.

On y retrouve la famille de Materena qui vit dans une sorte de paillote dans les quartiers pauvres de la ville. Son sempiternel bon a rien de mari dépense sa paye en bière quand il ne reste pas avachi sur le canapé. Après une énième dispute, celui -ci part, alors que sa femme découvre qu'elle est enceinte. Une petite fille qu'elle nommera Leilani et qu'elle est bien décidée à éduquer pour en faire une femme forte. Mais même enceinte, Materena, « la plus professionnelle » des femmes de ménage trouve un emploi auprès de Colette, une française de métropole qui a perdu tous ses repères sur l’île.

Le temps passe avec le petit monde qui entoure l'héroïne, les mères, les tantes, les cousines et les ragots vont bon train dans cette grande famille. Et au grand dam de sa mère, Leilani fait sa crise d’adolescente : elle veut aller à une boum, choisi une robe bien trop courte aux yeux de sa mère, et pire que tout, à presque 18 ans, elle va vivre dans une maison avec son amoureux, un jeune dentiste qui vient d'une très bonne famille et qui est très amoureux de la belle Leilani. Obligée de travailler comme secrétaire médicale, voilà la jeune fille qui se passionne pour la médecine et annonce à sa mère, qui a déjà l'aîné parti en France pour l'armée, qu'elle va faire 7 ans de médecine en métropole. Mais à tout malheur quelque chose est bon. Après 20 ans comme femme de ménage chez Colette, une opportunité d'un travail bien différent s'offre à Materena.

Mais ce qui fait le charme de ce livre c'est l'écriture, vivre et sans superflus parsemée de mots en tahitien, une langue maorie qui ressemble à l'espagnol dans sa façon de prononcer les mots avec des expressions très amusantes (heureusement un lexique en fin d'ouvrage vient nous aider à comprendre les expressions utilisées). Les personnages sont quand même un peu loufoques, et c'est une immersion dans le Papeete des petites gens, pas celui des plages paradisiaques que vantent les magasines. Et puis il y a les us et coutumes, la tradition. Mais avec la jeune génération, et de plus en plus concernée par la situation des femmes tahitiennes (qui si elles ne sont pas très riches ont le choix entre un mari volage ou violent ou alcoolique ou les 3 réunis. Elles veulent d'habiller à l'européenne, avoir un bon emploi. C'était bien dans ce sens que Materena voulait élever sa fille, mais il y reste encore chez notre héroïne une emprise de la culture traditionnelle tahitienne. La peur de « radio cocotier » qui pourrait déshonorer une famille bien vue dans sa communauté. Battante, courageuse, toujours à l'écoute des problèmes des autres, mais sans jamais se laisser faire, Materena est une héroïne pleine d'empathie, qui masque ses pleurs sous sa force de caractère. Entre émotion et rires, un bien joli voyage au bout du monde.

Frangipanier vient de l'arbre que l'on plante lors de la naissance des enfants dans les coutumes tahitiennes. C'est donc cet arbre qu'on a planté pour la naissance de Leilani. Et si un arbre va mal, c'est que l'enfant va mal, ce qui donne lieu à des conseils de famille exclusivement féminins.

Les 3 tomes de la série connaissent un succès incroyable auprès du public. Traduit en 27 langues, son autrice qui vit en Australie et écrit en anglais, est une véritable star en Océanie.

On en redemande et je suis en train de dévorer le dernier tome « Tiaré ».



Extraits

  • Un enfant, d'un sexe ou de l' autre, c'est toujours une responsabilité. C'est vrai ça : pour Materena, quand on sème, on assume. Du jour où l'enfant est conçu au jour où il quitte la maison, on est responsable de son bien-être. En fait, on se sent même responsable jusqu'au jour où i'on meurt. Et même là, c'est pas garanti que les gosses auront plus besoin de vous et vont enfin vous ficher la paix. Un enfant, c'est un cadeau pour l'éternité.

  • Materena avait un chien qui s'appelait Prince et elle l'adorait. Mais un beau matin, il s'est enfui. (…) Un jour, elle a posé la question à sa mère et Loana a dit : "Hein ? Quoi ? (…) " Aue ! Arrête un peu avec Prince... Prince t'a jamais abandonnée... C'est Richard Lexter qui l'a vendu à des Chinois, ils voulaient le manger seulement."

  • Aué, les enfants é ! On pense, quand ils sont grands, on n'a plus besoin de se faire du souci, mais les soucis, ça n'arrête jamais !"

  • Bon, elle va aller faire un bisou à sa fille... et lui donner des sous pour s'acheter un "escrime" chez le Chinois. (escrime veut dire ice-cream)

  • Elle pleure à chaudes larmes parce qu'elle est heureuse, mais en même temps elle est catastrophée. Encore un gosse, mais toujours la même paye !

  • Le travail, c'est la santé, dit la chanson. N'a pas travail, manger cailloux.

  • Il n'y a rien de plus beau qu'un garde-manger plein à craquer.

  • Mais comme dit la chanson : If you love somebody, set them free. Il y a des fois on est faits l'un pour l'autre, mais on ne se rencontre pas au bon moment.

  • Il ne faut jamais porter Bébé avec sa tête sur ton épaule et ses yeux ouverts sur la nuit parce que le diable est là qui rôde dans le noir.

  • Oh, dit Leilani […] les femmes ont quand même une vie plus dure, tu peux pas dire le contraire. » « Je ne dis pas le contraire. Mais à ton avis, pourquoi le Bon Dieu nous a mis tous ces bâtons dans les roues ? Tu crois pas que c’est parce qu’il sait bien qu’on est capable de surmonter les difficultés ? Parce qu’on est fortes ? Qu’on ne se laisse jamais abattre ?

  • Quand on meurt, ça veut pas dire on n'existe plus. C'est vrai, on est enterré, on devient un squelette, et après on devient poussière, mais tout ce qu'on a laissé derrière nous, ça continue à vivre. Chaque fois que les gens parlent de nous, on ressuscite.

  • Les filles , c'est plus difficile à mettre au monde parce qu'elles résistent. Elle ne veulent pas naître. Elles savent bien ce qui les attend dans ce monde de malheur."

  • Materena est en train d'épingler une chemise sur le fil et glousse : "Pour la messe ? Ah bon ? Tu vas à la messe ce dimanche ?" Ca fait des mois que Leilani ne va plus à la messe."Peut-être" murmure Leilani avec un sourire charmant. "Alors ? Je peux aller à la boum ? J'ai presque seize ans.""Leilani, ton anniversaire, c'est dans neuf mois.""Mais oui, je sais. Seulement j'ai déjà seize ans dans ma tête."

  • On dit toujours la pluie c'est bon pour les plantes et c'est vrai; mais la pluie, surtout quand elle tombe pas trop fort, c'est une musique qui fait du bien à l'âme quand on est une femme. Quand elle tambourine sur le toit de tôles; elle te rend un peu mélancolique, elle te fait rappeler les jours heureux, ou bien les années noires où tu as été capable de survivre, parce que tu es une femme et que survivre, c'est un mot que les femmes du monde entier connaissent bien.
    Quand tu regardes tomber la pluie, c'est magique. Ca calme les angoisses de l'esprit et les tourments de l'âme. Ca donne l'espoir aux femmes. Ca nous rappelle qu'on est fortes. Décidées. Courageuses. Compréhensives. Et qu'on a tellement d'amour à donner. La pluie, c'est un miracle. Comme la femme, c'est un miracle.

  • Mamie, est-ce que quelquefois tu te demandes quel est ton but dans la vie ?". Oh là là, se dit Materena. Je suis trop fatiguée pour une discussion intellectuelle. Néanmoins, elle commence par dire que les gens n'ont pas qu'un seul but dans la vie, et que les buts peuvent être aussi simples qu'aider un gosse à traverser la route; faire sourire quelqu'un qui est triste; écouter l'histoire que quelqu'un a envie de raconter. Pour Materena, le but qu'on devrait avoir dans la vie, c'est de rendre le monde meilleur et ça, on en a l'occasion tous les jours. Voilà, Materena espère qu'elle a répondu à la question de Leilani.

  • Ce qui est sûr, c'est qu'elle n'a pas un cocotier dans la main. Personne ne peut dire qu'elle est paresseuse.



Biographie

Célestine Hitiura Vaite est une écrivaine polynésienne , née à Papeete, en Polynésie française, en 1966 qui vit en Australie.

En savoir plus ici : https://fr.wikipedia.org/wiki/C%C3%A9lestine_Hitiura_Vaite





jeudi 18 juillet 2024

Amor TOWLES – Lincoln Highway – Fayard 2022 ou Livre de Poche 2023

 

 

L'histoire

1954, Nebraska, USA. Emmett Watson, 18 ans, rentre chez lui après avoir purgé une peine de 15 mois pour le meurtre involontaire d'un jeune homme. Mais en fait de chez lui, la ferme de son père, récemment décédé, est saisie par la Banque et le jeune homme n'a plus que sa voiture et son petit frère Billy qui a été placé chez des gentils voisins. Billy, bon lecteur et très curieux intellectuellement persuade son frère qu'ils doivent aller en Californie, retrouver leur mère qui a disparu mais a envoyé 9 cartes qui longent la Lincoln Highway, la seule route qui traverse les USA de la côte est à la côte ouest. Sachant qu'il sera mal reçu dans son village du Nebraska, Emmett accepte le plan. Il a appris le métier de charpentier et compte bien trouver du travail là-bas. Mais c'est sans compter sur 2 petites frappes, évadés de la prison qui débarquent chez lui. Eux n'ont pas les mêmes projets. Duchess le fourbe et Wolly, garçon instable psychologiquement, veulent rejoindre New-York puis les Adirondaks presque à la frontière canadienne pour récupérer l'héritage de Wolly.

Ils « empruntent » la voiture d'Emmett déjà en route pour rejoindre la Highway, et les quelques économies que le père du garçon a laissé. S'ensuit alors une course-poursuite à l'inverse de la destination initiale pour récupérer la voiture et le peu d'argent ? Un road-movie passionnant.



Mon avis

Gros best-seller aux États-Unis, le dernier roman d'Amor Towles nous propose un road-movie entraînant.

L'originalité du livre est que l'on fantasme beaucoup sur cette Lincoln Highway constuite en 1912 et qui parcourt les USA d'est en ouest, traversant 11 états américains et dont le départ officiel se fait à New-York. Hors cette route ne sera que peu empruntée par les différents protagonistes.

De plus l'histoire est raconté au « je » par Duchess, pas bien âgé mais roublard en diable et par Sally (la gentille voisine d'Emmett dont elle est follement amoureuse). Les chapitres numérotés à l'envers (le premier chapitre s'intitule 10) renforcent cette notion d'une inversion dans un projet qui n'aboutira qu'à la toute fin du livre.

Les personnages sont à la fois attachants et ambigus. Emmett est un garçon posé, pris dans les tourments de la vie. Il est profondément loyal et toute sa vie il se reprochera d'avoir causé la mort d'un homme, mais peu se montrer parfois naïf. Son petit frère Billy, parfois gaffeur mais très attaché à son frère a le chic pour attirer la sympathie autour de lui, quitte à commettre quelques imprudences. Duchess est le personnage ambigu par excellence. Pas très cultivé mais malin, il aime régler ses comptes à coups de poings, et surtout dans sa tête, il n'a fait qu'emprunter la voiture d'Emmett, et se promet de lui remettre la voiture et le rembourser de l'agent volé. Il s'en persuade même mais le lecteur comprend bien que si une autre opportunité se présente, les belles promesses seront vite oubliées. Et puis Wolly, légèrement handicapé mental, est un personnage lunaire et manipulable à souhait par Duchess. C'est d'ailleurs lui qui le persuade d'aller récupérer sa part d'héritage, puisqu'il est devenu majeur. Lequel héritage est de 200 000 dollars, une véritable fortune pour l'époque que Wolly a bien l'intention de diviser en 4 : une part pour lui, une pour Duchess, une pour Emmett et une pour Billy qu'ils considère comme ses amis et sa famille.

S'en suit un lot de personnages secondaires, hauts en couleurs, qui viennent en aide aux frangins puis disparaissent.

Mais sous cette intrigue bien ficelée, c'est un portrait de l'Amérique des pauvres, des vétérans de la guerre souvent abandonnés, des oubliés et des mal lotis. Ce dont le lecteur ne se rend pas compte de suite, car l'intrigue et ses rebondissements sont captivants.Avec une écriture fluide, des petits passages humoristiques, c'est vrai que cela se lit tout seul, « page turner comme on dit ». Même si c'est un peu prévisible, je regrette quelques longueurs qui ralentissent l'action. On aurait aimé un peu moins de digressions pour laisser place à plus d'actions. Mais on se prend quand même au jeu de ce pavé de 635 pages.



Extraits

  • Ainsi pour son père, déchirer une page d'un livre était sacrilège. D'autant plus choquant en l'occurence que la page en question provenait des Essais de Ralph Waldo Emerson - le livre que Charlie Watson admirait plus que tout autre. Au bas, il avait soigneusement souligné deux phrases à l'encre rouge.
    Il arrive dans l'éducation de tout homme où il en vient à la conclusion que l’envie, c'est l'ignorance, que l'imitation, c'est le suicide, qu'il doit s'accepter tel qu'il est, pour le meilleur et pour le pire, que même si le vaste monde regorge de bienfaits, pas un grain de blé ne viendra le nourrir si ce n'est par la vertu du travail qu'il accomplira sur ce lopin de terre qui lui a été accordé pour qu'il le laboure. Le pouvoir qui réside en lui est d'une nature nouvelle, et personne d'autre que lui ne sait ce qu'il est capable de faire, pas plus que lui-même ne le sait tant qu'il n'a pas essayé.

  • Si la culture choisie réclamait beaucoup d'eau, alors suivaient deux années de sécheresse. S'il passait à une autre nécessitant beaucoup de soleil, les nuages et les orages s'accumulaient à l'ouest. On pourrait dire que la nature est sans pitié. Qu'elle est indifférente et imprévisible. Mais que penser d'un fermier qui change de culture tous les deux ou trois ans ? Même enfant, Emmett comprenait que cela signalait un homme qui ne savait pas ce qu'il faisait.

  • Comme cela aurait été formidable si la vie de chacun d’entre nous avait été une pièce de puzzle ! Parce que, alors, aucune n’aurait constitué une gêne pour les autres. Chaque vie se serait calée dans son petit emplacement à elle et, ce faisant, aurait contribué à la reconstitution complète de l’image complexe.

  • Bien sûr qu'il avait toute la vie devant lui, et qu'il devait s'occuper de son frère. Bien sûr qu'il avait été l'agent du mauvais sort, pas celui qui l'avait provoqué. Mais là où il n'était pas d'accord, c'était sur l'idée qu'il avait payé entièrement sa dette car peu importe la part du hasard dans les événements, quand vous avez de vos propres mains mis un terme à l'existence d'un autre homme ici-bas, il vous faudra, si vous voulez prouver au Très-Haut que vous êtes digne de Sa miséricorde, rien de moins que votre vie entière.

  • Mais, le matin, il laissait sa porte entrouverte. Et quand je toquais, il m'accueillait en soulevant le chapeau qu'il ne possédait plus. Parfois, s'il avait un peu d'argent en poche, il m'envoyait acheter du lait, de la farine et des œufs, et nous préparait de toutes petites crêpes qu'il faisait cuire sur le fer à repasser. On mangeait notre petit déjeuner assis par terre et, plutôt que d'évoquer son passé, il me parlait de mon avenir - de tous les endroits où j'irais, de toutes les choses que je ferais. Une façon de commencer la journée en beauté.

  • Vous ne m'avez pas dérangé du tout, répondit le vieux monsieur avec un geste de la main en direction de son lit. Je lisais. Ah, me suis-je dit en apercevant le coin d'un livre dépassant de sous les draps. Le pauvre vieux, il souffre de la plus dangereuse de toutes les addictions.

  • Ce qu’il y a de drôle avec une photo, c’est qu’elle sait tout ce qui s’est passé avant qu’on la prenne, mais rien de ce qui va ses passer après. Pourtant, une fois encadrée et accrochée à un mur, ce qu’on y voit quand on regarde de près, ce sont ces choses sur le point de se produire…

  • Quand on a besoin qu'un homme vous aide, une fois sur deux il a disparu. Parti quelque part s'occuper de quelque chose dont il aurait tout aussi bien pu s'occuper le lendemain, et ce quelque part se trouve juste assez loin pour qu'il ne vous entende pas l'appeler. En revanche, si jamais vous voulez qu'il fiche le camp, impossible de s'en débarrasser.

  • Pour ce qui est d'attendre, les has-been ne manquent pas de pratique. Ils ont attendu leur jour de gloire, le jour où ils tireraient le numéro gagnant. Quand il est devenu clair qu'il n'arriverait jamais, ils ont commencé à attendre d'autres choses. L'heure de l'ouverture des bars, par exemple, ou le jour de l'arrivée du chèque des allocations. Puis, très vite, à attendre de voir ce que ça faisait de dormir dans un parc de tirer deux taffes d'une cigarette trouvée par terre. De voir à quelle nouvelle indignité ils pouvaient s'habituer tout en attendant d'être oubliés par ceux qu'ils avaient autrefois aimés. Mais, surtout, ils attendent la fin.

  • Quand tu es noir,que tu charries une sacoche de courrier ou que tu fasses le liftier ,que tu fasses de l'essence pour un client ou que tu te retrouves en taule ,tu portes toujours un uniforme .

  • Billy a lu les vingt premières plaques d'une voix énergique et gaie, comme si chacune d'elles constituait une agréable surprise. Pour les vingt suivantes, son enthousiasme a diminué. Puis sa voix s'est faite traînante. On pouvait presque entendre l'effet de la réalité enfonçant son pouce dans cet endroit de l'âme d'où jaillit l'enthousiasme de la jeunesse. Ce soir, la réalité allait très certainement laisser son empreinte su Billy Watson.

  • Quand tu voyageais de ville en ville, comment tu faisais pour aller à l'école ?
    - Ce qui vaut la peine d'être appris ne se trouve pas toujours dans les pages d'une encyclopédie, jeune homme. Disons simplement que la route fut mon école, l'expérience mon manuel, et le destin capricieux mon maître.

  • Une seconde plus tard, un portier se penchait vers moi. - Tu peux pas te garer ici, mon vieux. - Cinq minutes, pas plus, ai-je répondu en lui glissant un billet de cinq dollars. En attendant, je te suggère d'aller faire ami-ami avec le président Lincoln. Alors, au lieu de me dire où je n'avais pas le droit de me garer, il a ouvert la portière de Woolly et nous a fait entrer dans l'immeuble en touchant son chapeau. On appelle ça le capitalisme.

  • Il coupa le contact. Sacrée baraque ! Combien de personnes vivent ici, tu disais ? demanda Duchess. - Seulement ma sœur et son mari. Mais elle est enceinte. - Enceinte de quoi ? De quintuplés ?


Biographie

Né en 1964, Amor Towles a grandi dans la banlieue de Boston, Massachusetts. Il est diplômé de l'Université Yale et a un master en littérature anglaise de l'Université de Stanford. Descendant d'une des grandes familles wasp du Mayflower, il a fait une brillante carrière dans la finance.
Amor Towles est directeur d'une entreprise à Manhattan, où il vit avec sa femme et ses deux enfants.
Rules of Civility (2011) (Les règles du jeu) est son premier roman. Son deuxième roman, "Un gentleman à Moscou" sort en France en 2018. Lincoln Highway est donc son troisième roman publié à ce jour.

En savoir plus ici : https://fr.wikipedia.org/wiki/Amor_Towles

son site ici : https://www.amortowles.com/


mercredi 17 juillet 2024

Ian MANOOK – Askja – Albin Michel 2019 – ou Livre de poche 2020 -

 

 

L'histoire

L'inspecteur Kornélius Jacobson de la police criminelle de Reykjavík est appelé dans la région du centre de l »Islande, où un jeune homme a filmé avec son drone le corps d'une femme nue et rousse. Mais sur place, le corps à disparu. Alors qu'il a un témoin/suspect atteint d'Alzheimer qu'il compte emmener au poste de police le plus proche, un sniper mitraille, sans faire de victime, un pont où quelques randonneurs venus admirer le paysage dont le célèbre mont Heroubrio, et le témoin s'est envolé. De son coté, deux jeunes randonneurs trouvent une culotte rouge tachée mais aucun corps. Ce qui intrigue fortement Botty qui est chargée de cette enquête.

Quelques heures plus tard, c'est dans la capitale que le sniper vise un vieux navire de guerre qui fait une sorte de monument historique. Les « Vikings », unité spéciale de la police (l'équivalent de notre GIGN ou du RAID) sont sur le dents. Car le sniper continue à tirer sur des cibles touristiques sans jamais faire de victimes. Konélius, aidé par la légiste Ida, par ailleurs sa petite amie en titre et Botty, une autre inspectrice auront bien du mal à éclaircir cette étrange affaire.


Mon avis

Des steppes de Mongolie aux paysages sauvages de l'Islande, il n'y a qu'un pas littéraire à franchir pour Ian Manook, écrivain voyageur qui a aussi bien vécu en Mongolie qu'en Islande.

On retrouve les personnages d'un premier roman (Heimay) mais on peut lire celui-ci sans avoir lu le premier tome. Kornélius, excellent flic mais aux méthodes discutables, se trouve confronté à deux énigmes. La disparition d'une femme et un sniper dont on se demande quelles sont les motivations. Fausses pistes, rebondissements à chaque chapitre, le tout dans une Islande désertique, entre « hot spot » (ces sources d'eau chaude appréciées pour leurs vertus apaisantes) et montagnes de lave fissurées de crevasses profondes, l'auteur sait nous tenir en haleine tout au long de ces 427 pages. Avec les personnalités hilarantes des deux flics surnommés Komsi et Spinoza (qui philosophe tout le temps), une bouffée de fraicheur s'insinue dans cette enquête complexe à souhait.

Même si il manque ce petit coté exotique que l'on retrouvait dans Yeruldelgger par les légendes mongoles. Ici peu d'allusions aux légendes norroises, tout est concentré sur une enquête, entre bande de petits plaisantins, faux amis et aussi méchants mais pas trop.

Au passage Kornelius va renouer avec son père qui lui révèle enfin les vraies raisons du suicide de sa mère, et aussi sa fille Alma qu'il n'a pas vu depuis 15 ans et qui est devenu la mère d'un petit garçon.

Mais Manook nous démontre aussi qu'en Islande, ce pays dont on vante les mérites de la politique, il peut y avoir aussi des petits dérapages, et des complots pour éliminer quelques ambitieux. Malgré tout, Manook n'a pas son pareil pour nous faire découvrir une autre Islande, moins touristique, faite des déserts de laves, de crevasses et de personnages rugueux. Totalement page turner, un livre à déguster pour un peu de fraîcheur estivale.



Extraits

  • Le Thrihnukavigur est un cône volcanique d’une centaine de mètres de haut à peine. Un tout petit volcan, mais très spécial. Sa silhouette se détache, avec deux autres pitons, au milieu d’un vaste plateau pierreux au cœur des Montagnes bleues. Sa réputation, unique au monde d’après les prospectus, vient d’une éruption avortée. Quatre mille ans plus tôt, la terre a régurgité des flots de lave pour les vomir à la gueule du monde. Mais, par un caprice sismique encore inexpliqué, une faille s’est ouverte au même moment en profondeur sous le volcan et la terre a ravalé toute sa lave incandescente, comme un enrhumé qui renifle, vidant brusquement la chambre magmatique du volcan. La seule au monde, donc, à ne pas avoir été obstruée par les laves refroidies, ou comblée par l’effondrement du cône. La seule au monde, vide et intacte, après avoir été vitrifiée par une lave à mille degrés qu’elle n’a jamais expulsée et qui a disparu. n aptitude à communiquer n'avait pas progressé.

  • Vous savez, le nombre de visiteurs étrangers a triplé au cours de ces dix dernières années, passant de 500 000 à 1 500 000. On estime qu’il atteindra 2 millions dans les trois ans à venir. C’est-à-dire que très bientôt nous recevrons six fois plus de visiteurs que notre pays compte d’habitants. En comparaison, un pays comme la France, première destination mondiale pour le tourisme, accueille chaque année 85 millions de visiteurs pour une population de 67 millions d’habitants. Si la France connaissait la même proportion de visiteurs que nous, ce ne sont pas 85, mais plus de 400 millions de touristes qu’elle devrait accueillir chaque année.

  • Vue du champ de lave, à quatre cents mètres de l’autre côté du lac, la façade vitrée du chalet perché sur ses pilotis s’irise de reflets moirés comme l’aile fragile et légère d’une libellule. Le ciel mauve a rosi, puis s’est nacré d’une brillance laiteuse. Sous la brise légère du matin, les eaux du lac, sombres de l’ombre du champ de lave, se marbrent en diagonale de ridules ondulées. Eiders, arlequins, macreuses, plongeons, grèbes ont réveillé la nuit dès les premières lueurs. Maintenant, ils s’ébrouent et froufroutent de leur bec leur duvet léger sous leurs plumes soyeuses, heureux de se préparer pour le monde qui renaît.

  • Ce type n’a tiré que sur des touristes qui visitaient des endroits parmi les plus iconiques du pays. L’Askja, l’épave du Dakota, et aujourd’hui la cascade des amoureux à Seljalandsfoss !
    - Deux affaires sans cadavre avec deux suspects sans mémoire, et maintenant un sniper après lequel nous ne pouvons faire que courir sans avoir la moindre idée de qui il est ni de ce qu’il veut. Tu ne trouves pas que tout ça tourne au ridicule !

  • C’est vrai que l’instinct transcende la connaissance, alors que la logique ne fait qu’utiliser le savoir.

  • Je suppose que ta fille veut parler de l’hippocampe. C’est une zone du cerveau dont une des fonctions est de graver le vécu dans la mémoire. Pour faire simple, quand l’alcool empêche l’hippocampe de bien fonctionner, c’est comme si tu enregistrais une vidéo en oubliant de mettre une carte mémoire dans ta caméra. Tu ne garderas aucune trace de ce qui a pourtant bel et bien existé.

  • Empile des pierres, du bois et du béton, et c’est l’ingéniosité de la construction. Touche mon cœur et fais-moi du bien, rends-moi heureux parce que c’est beau, et c’est de l’architecture. C’est le jeu savant, correct et magnifique de formes assemblées dans la lumière. Ce que voulait dire Le Corbusier, c’est que le premier matériau de l’architecte, c’est la lumière.

  • Elle doit avoir soixante ans. Cheveux blonds rassemblés dans un impeccable chignon. Chaussons d’intérieur en mouton retourné. Des yeux d’un bleu délavé comme les petits icebergs d’un lac glaciaire. Le regard un peu triste sous des sourcils étonnés. Elle porte un tablier de cuisine bleu sur une robe fleurie et tient une manique aux motifs traditionnels.

  • Et maintenant il longe la coulée de terres torturées sur la droite, et de l’autre côté les rives lisses du lac de Kleifar. Le lac vagabond, dont les eaux pourtant profondes de cent mètres ont disparu par une faille ouverte par un séisme en l’an 2000. Pour revenir ensuite, par un caprice de la faille qui, en dessous de la roche, sépare l’Europe de l’Amérique.

  • Comme des petites vacances pour Saphir. Il pourra voir la grotte et les orgues de basalte de Vik, les petits icebergs de la lagune glaciaire de Jökulsárlón et la statue mystérieuse qui garde l’entrée de la plage de Vestrahorn.

  • Faites de tout ça ce que vous voulez, moi ça ne me concerne plus. J'ai passé l'âge de jouer aux petits soldats. Je vous laisse. Bien le bonjour à la commissaire nationale.

  • La vie est ce que tu en fait mon garçon, si tu la compliques, elle devient compliquée !

  • Dans le désert de l'Askja, assis sur le toit de sa voiture, cerné d'horizons noirs de lave boursoufflées sous des nuages blancs, aveuglants, Kornélius s'en veut d'avoir trahi Botty. Aucun Viking dans le ciel encore. Que des corbeaux. Alors il entonne le Krumavisur, pour se mettre au sinistre diapason de cette journée morose.

  • Viktor, vous empestez tellement la vodka à la vanille de Borgarnes, que j'ai craint une combustion spontanée quand vous avez allumée votre cigarette!

  • Des frimeurs de ce nouveau business du tourisme "extrême ", comme ils disent. Pas pour l'extrême beauté du pays, non, ni pour l'extrême émotion que peut provoquer sa contemplation. Simplement pour d'extrêmes sensations artificielles auxquelles l'Islande ne sert plus que de décor.

  • Parce qu'il faut épargner les mousses, monsieur. Ce sont des végétaux pionniers. Elles poussent sur des supports sans terre pour devenir elles-mêmes le substrat qui nourrira, un jour, d'autres plantes. Elles leur préparent le terrain, en quelque sorte. En même temps, elles constituent un environnement de survie pour de minuscules êtres vivants indispensables à la diversité biologique.

  • De tous côtés, les laves pétrifiées depuis des milliers d'années ne sont qu'un flot immobile de houle noire et plissée. On croirait la peau d'un sharpeï sorti du goudron.

  • Dans les clubs de couture, on ne tricote pas la laine , on détricote la vie des autres.

  • Dehors, l'horizon s'enflamme d'un faux couchant. A cette période, le soleil ne fait que frôler la nuit. Les nuages tissent sur la lande pétrifiée un ciel de lit ridé de velours côtelé, incendié par en dessous de bourrelets cinabre et écarlates. Un océan inversé au-dessus du monde, de houle régulière et immobile, flamboyant. Un ciel de lave.



Biographie

Né à Meudon , le 13/08/1949, Ian Manook est journaliste, éditeur et écrivain dont le vrai nom est Patrick Manoukian. Il a écrit sous les pseudonymes de Manook, Paul Eyghar, Ian Manook et Roy Braverman. Il signe également, avec Gérard Coquet, sous le pseudonyme collectif de Page Comann.
Grand voyageur, dès l’âge de 16 ans, il parcourt les États-Unis et le Canada, pendant 2 ans, sur 40 000 km en autostop. Après des études en droit européen et en sciences politiques à la Sorbonne, puis de journalisme à l’Institut Français de Presse, il entreprend un grand voyage en Islande et au Belize, pendant quatorze mois, puis au Brésil où il séjournera treize mois de plus.

De retour en France au milieu des années 1970, il devient journaliste indépendant et collabore à Vacances Magazine et Partir, ainsi qu’à la rubrique tourisme du Figaro. Journaliste à Télémagazine et Top Télé, il anime également des rubriques "voyage" auprès de Patrice Laffont sur Antenne 2 et de Gérard Klein sur Europe 1. Il devient ensuite rédacteur en chef des éditions Télé Guide pour lesquelles il édite, en plus de leur hebdomadaire, tous les titres jeunesse dérivés des programmes télévisés : Goldorak, Candy, Ulysse 31. Patrick Manoukian écrit en 1978 pour les éditions Beauval deux récits de voyage : "D’Islande en Belize" et "Pantanal".

En 1987, il crée deux sociétés : Manook, agence d’édition spécialisée dans la communication autour du voyage, et les Éditions de Tournon qui prolongent son activité d’éditeur pour la jeunesse (Denver, Tortues Ninja, Beverly Hill, X-Files…).
De 2003 à 2011, il signe les scenarii de plusieurs bandes dessinées humoristiques. Son roman pour la jeunesse "Les Bertignac : L'homme à l’œil de diamant" (2011), obtient le Prix Gulli 2012.
En 2013, il publie un roman policier intitulé "Yeruldelgger". Les aventures du commissaire mongol éponyme lui ont valu pas moins de seize prix dont le Prix SNCF du polar 2014. Lesdites aventures se poursuivent dans "Les temps sauvages" (2015) récompensé par un nouveau prix et "La mort nomade" (2016). Son roman "Hunter" (2018) est suivi de "Crow" (2019) , deuxième titre d'une trilogie qui attend sa conclusion. 

Voir ici : https://fr.wikipedia.org/wiki/Patrick_Manoukian