samedi 30 avril 2022

Michael Farris Smith – Blackwood – Éditions Sonatine 2021 ou poche 10/18/

 

Voici le dernier roman de traduit en français de Michael Farris Smith dont j'avais adoré « Une pluie sans fin » → https://nathbiblio.blogspot.com/2022/04/michael-farris-smith-une-pluie-sans-fin.html.

Farris a le goût pour les univers sombres et mystérieux.

Redbluff, Missippi, un village qui se meurt lentement. Le héros Colburn qui y a vécu une enfance traumatique revient s'y installer, en tant que sculpteur. Le village n'a pas oublié le drame de son enfance et il est regardé avec méfiance. Mais d'autres étrangers échouent aussi Redbluff, un vagabond malsain, son fils mendiant qui erre dans la ville et sa femme qui va disparaître mystérieusement. Puis d'autres habitants du village disparaissent à leur tour  dans cet univers envahi par les herbes sauvages, vignes folles et kudzu, cette plante invasive qui cache aussi des secrets.

Farris Smith a un don pour les univers troubles et parfois irréels. Dans ce village, rien ne fonctionne vraiment. Maisons abandonnées et délabrées, commerces fermés, les enfants jouent dans les rues et les adultes qui vivaient autrefois de l'agriculture restent figés dans un autre temps. La bière coule à flots au bar de Célia, qui vit elle aussi dans la maison familiale, et qui se comporte comme la jeune fille du livre « Une pluie sans fin », protectrice et garde-fou du héros obsédé par son enfance, qui cherche sa maison natale, enfouie sous les herbes et surtout qui cherche une raison à sa vie et en finir avec ce passé qui le hante.

L'écriture de l'auteur du Mississippi est toujours à la fois poétique et laisse une place importante à la nature. Cette nature indomptable que l'homme n'a plus la force de combattre est le thème récurrent des écrits de Farris Smith. C'est aussi une quête de soi, de sa propre vérité, et des mystères ici inquiétants de la vie. Mais comme le dit lui-même l'auteur « ce qui est brisé ne se répare jamais vraiment ».

J'ai toute fois préféré « Une pluie sans fin », mieux construit, plus cauchemardesque mais si original. Mais ce livre reste un excellent livre pour entrer dans l'univers complexe de cet auteur prometteur qui en est à son 4ème roman traduit en français.

Extraits :

  • La brutalité de l’indifférence et les années d’enfance qu’il avait gâchées à tenter de plaire à un homme à qui il n’était pas possible de plaire et les années de jeunesse qu’il avait gâchées à tenter de comprendre ce qu’il avait fait pour qu’il se passe la corde au cou. La main de sa mère tendue vers lui quand elle lui avait parlé de son frère. Comme si un geste aussi simple pouvait effacer une vie de questions et de culpabilité, et comment il avait laissé cette main posée là sur la table. Ouverte et vide.


  • Je devrais avoir mieux à faire mais je ne sais pas quoi, songea-t-il. Comment est-on censé savoir ? À un moment vous dégagez un cerf de la route et à l'instant suivant toute la ville vous demande des réponses que vous n'avez pas. Il secoua la tête. Regarda son ombre sur le sol. Conscient que toute sa vie durant il avait marché vers ce moment de grande attente et regrettant de ne pas avoir été plus attentif. De ne pas avoir affûté les choses en lui qui avaient besoin d'être affûtées. Ces événements se produisent et tu n'es pas prêt. Tu es en train de devenir un vieil homme qui n'a rien à donner. Un vieux boiteux. (P.234)

  • Il ne voulait plus être comme ses parents. Garder tout en soi après des années à se fatiguer les yeux et à faire des sourires forcés, ravalant leur chagrin dans un silence empoisonné qui ne pouvait que se répandre et tout gâcher.


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vendredi 29 avril 2022

Haikus traditionels

 

Basho

Mon père et ma mère 

sans cesse je pense à eux

le cri du faisan.


Cet automne-ci

pourquoi donc dois-je vieillir ?

oiseau dans les nuages


D’après moi

l’au-delà ressemble à ça -

soir d’automne


Le son de la rame

frappant les vagues glace mes entrailles

cette nuit - des larmes


Rêves éphémères

les pieuvres dans les amphores

lune de l’été


Sur une branche morte

Un corbeau s'est posé

Soir d'automne

**********************************

Buson Yosa (1716 - 1783)

Un cerf-volant flotte

Au même endroit

Où il flottait hier.


Pas une feuille ne bouge

comme il est effrayant

le bois d’été !


Douleur. Dans la chambre à coucher

j'ai marché sur le peigne de ma femme

morte.


Ah ! quelle douleur

le peigne de ma femme morte

sur le sol de ma chambre


Pluie d'hiver

une souris passe

sur le koto.


Sur la cloche du temple

un papillon dort

profondément.


La pauvreté

m’a saisi à l’improviste

ce matin d’automne


Une solitude

plus grande que l’an dernier

fin d’un jour d’automne

**********************************

Issa (1763 - 1827)

On lui demande son âge

Elle montre une main

Elle est vêtue d'été


Porte de bois

en guise de cadenas

cet escargot.

 

Libellule rouge,

Tremblante, sur la carcasse

D'un bateau échoué !

**********************

Seegan Mabesoone

Dans l'odeur des fleurs

D'orangers, se dresse une île !

Pays de ma mère.


Le père et son fils

Dorment sous la même tombe,

Au coeur du printemps.

***********

Toshi Harada

Cerisier sauvage

Au bout d'une branche

Un village

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Oono Rinka (1904-1984)

Dans le ciel estival

Du vieux palais impérial,

Un minuscule nuage !

****************

Teiko Takagi

Il rit, le bébé !

Dans sa main immaculée,

Un piment écarlate.

***********

Kanta Ômori

Derrière le papier

De la lanterne, ils grésillent,

Les grillons bleutés !

**************

Issa Kobayashi

Frelon d'hiver

cherche un endroit

pour décéder

***********

Murakami Kijô

Plein midi d'été. La mort

les yeux mi-clos

regarde un homme

************

Seisensui

Copulations de coccinelles

mottes de terre

stupidité.

************

Kusatao

Sieste

la main cesse

de mouvoir l'éventail



Arnaldur Indridason – Les fantômes de Reykjavík – Poche points – 2021

 


Konrad, policier à la retraite, est chargé par deux retraités de savoir ce qui est arrivé à Danni, leur petite fille, droguée notoire. Retrouvée morte (overdose ou assassinat), l'enquête est confiée à sa collègue Marta toujours en poste.

Par ailleurs, à la demande d’une amie, il va se pencher sur un cols case datant des années 1960, la mort suspecte d'une petite fille de 12 ans.

On ne présente plus Indridason, le roi du polar islandais. Qui a déjà publié 13 polars traduits en français, et d'autres ouvrages. Né en 1961, il suit des études d'histoire , puis travaille pour un grand quotidien islandais et écrit des scénarios de films. Depuis 2005, il publie régulièrement des polars, qui mettent en avant des enquêteurs tourmentés mais aussi des cols case qui lui permettent de faire le point sur la société islandaise, loin de la carte postale et du bon vivre qu'on imagine.

Il y a toujours un coté social chez Indridason : dans ce roman comme dans d'autres, les plus démunis vivent dans des caves ou des sous-sols de la capitale islandaise, voire dans des ghettos vétustes. La ville évolue avec ses gratte-ciels, ses lieux touristiques, mais les démunis ont du mal à s'adapter à la société numérique, à trouver un emploi, la pêche industrielle est plus rentable. Les hommes s'enivrent, les jeunes se droguent. Le sort des femmes pauvres n'est guère reluisant, gérer un maigre budget, subir les violences des maris ivres. Mais chez les plus riches, on peut tout se permettre pour sauver sa réputation, son petit confort bourgeois et vivre comme si rien n'avait jamais changé. Petite nouveauté dans l'univers plutôt noir de l'auteur, le personnage d'Eyglo, médium dont les intuitions sont justes et qui apporte un peu de magie dans le monde si sombre.

Tous les romans d'Indridason ne se valent pas (j'en ai lu plusieurs), celui-ci est un bon cru. Konrad est un inspecteur qui succède au célèbre policier Erlendur, et son personnage est donc plus approfondi.

Mais il reste attaché à ces thèmes de prédilection : l'évocation de la société islandaise, son histoire et les violences faites aux femmes.


Extraits :

  • Un matelas crasseux était accolé au mur, le sol jonché de restes de
    nourriture et de saletés. Au milieu de ces détritus, une jeune fille d’une
    vingtaine d’années en jeans et T-shirt avait une seringue fichée dans le
    creux du bras.
    Konrad s’agenouilla auprès d’elle et chercha son pouls. Elle
    était morte, sans doute depuis un certain temps. Allongée sur le côté, les
    yeux fermés, elle avait l’air apaisé. On aurait dit qu’elle dormait.
    Il laissa échapper quelques jurons en se relevant et sortit la photo de sa
    poche pour s’assurer qu’il s’agissait bien de la gamine pour laquelle le
    couple se faisait du souci.

  • Malfridur n'avait aucun doute sur l'existence d'un au-delà et parlait régulièrement du monde de l'éther, cette dimension parallèle où les âmes se retrouvaient après avoir quitté les corps. Une foule de gens en quête de réponses sur la vie après la mort s'étaient adressés à son époux.
    Malfridur avait été témoin d'un grand nombre d'événements que seuls reconnaissaient ceux qui croyaient aux phénomènes surnaturels.

  • La lune flottait en surplomb, comme un conte de fées issu d'un monde lointain. C'est en baissant les yeux qu'il vit la poupée dans l'eau.
    Cette vision éminemment poétique toucha la sensibilité du jeune écrivain. Il sortit de sa poche son petit calepin et le stylo-plume qu'il avait toujours sur lui et griffonna quelques mots sur la perte de l'innocence, la fragilité de l'enfance et l'eau, à la fois source de vie et force destructrice.


En savoir plus :

jeudi 28 avril 2022

Tony puis Anne HILLERMANN – les enquêteurs Navajos.

 

Tony Hillerman (1925 – 2008)

Journaliste de formation, Tony Hillerman a vécu toute sa vie à Albuquerque (Nouveau Mexique USA). Il est très connu pour ses polars ethniques se passant sur la Grande réserve Navajo et grâce aux enquêteurs Joe Leaphorn, Jim Chee et plus tard la femme de Jim Chee, l'adjudante Bernie Manolito.

Chaque enquête détaille un point de la culture navajo ou de son histoire. Les enquêteurs n'utilisent pas L’ADN, ou les techniques policières classiques mais sont des fins observateurs de la faune, la flore, et connaissent par cœur un territoire immense qui regroupe « les four corners) : Arizona, Utah, Nouveau Mexique et Colorado, les territoires de la Grande Réserve qui comptent le peuple navajo (semi-nomade) mais aussi les tribus Hopis et Zunis.

Chaque livre peut se lire indépendamment des autres, mais il vaut mieux les suivre dans l'ordre si on les trouve encore (cette manie du pilori quand les œuvres ont fait leur temps). A chaque roman on trouve une carte où se situe l'action et en fin de livre un dictionnaire qui vous apprendre ce qu'est une mesa, un wash ou des mots navajos.

On suit ainsi l'évolution de la police tribale navajo (qui malgré ses pouvoirs limités ne peut s'empêcher de résoudre les enquêtes qui sont assez dynamiques) et surtout mette en avant les lieux incroyables où vivent ses peuples primitifs.

Tous les romans ont été publiés chez rivage noir (et aussi en poche).

Dans l'ordre de parution (mais qui correspond bien aux enquêtes des policiers).

  • La Voie de l'ennemi (1970)

  • Là où dansent les morts(1986)

  • Femme qui écoute (1988)

  • Le Peuple des ténèbres (2004)

  • Le Vent sombre (1986)

  • La Voie du fantôme (1984)

  • Porteurs-de-peau (1986)

  • Le Voleur de temps (1988)

  • Dieu-qui-parle (1989)

  • Coyote attend (1990)

  • Les Clowns sacrés (1993)

  • Un homme est tombé (1999)

  • Le Premier Aigle (1999)

  • Blaireau se cache (2002)

  • Le Vent qui gémit (2004)

  • Le Cochon sinistre (2006)

  • L'Homme squelette (2008)

  • Le Chagrin entre les fils (2008).

Tony Hillerman a aussi écrit d'autres romans et des nouvelles.

En savoir plus :

https://vimeo.com/59396896?embedded=true&source=vimeo_logo&owner=4666040

https://www.dailymotion.com/video/xfakk2

Anne HILLERMAN
Fille de Tony, elle est est aussi journaliste et spécialiste du peuple navajo. Elle a décidé de reprendre les personnages crées par son père pour continuer à la faire vivre.

Elle a publié 3 romans navajo

  • la fille de femme araignée en 2014 (Rivage noir et Poche Pocket)

  • Le rocher avec des ailes en 2017 (Rivages noir)

  • la longue marche des navajos en 2021 (Rivage noirs).

La longue marche des navajos

Nous retrouvons le lieutenant Leaphorn à la retraite et se remettant difficilement de son accident dans le 1er roman « la fille de la femme araignée). Il enquête sur la disparition mystérieuse d'une tunique navajo de grande valeur. Bernie enquête elle sur la mort étrange d'un homme non identifié et son mari sur une série de cambriolages. Ici l'auteure met l'accent sur la perte de la pratique de la langue navajo. Les jeunes parlent anglais, vont travailler en ville, ils ont fait des études supérieures et les vieilles traditions ne les intéressent plus vraiment. Reste sur la Grand Réserve, les plus pauvres, les anciens, ceux qui n'ont pas la chance de vivre dignement, mais qui restent encore fidèles aux traditions et à la religion animique navajo.

Un roman qui se lit tout seul et avec plaisir.

Depuis le début de ses romans navajos, Anne Hillerman met l'accent sur l'adjudante Bernie, la femme de Jim Chee, une jeune femme au caractère bien trempé mais qui en pure navajo s'occupe de sa mère et de sa sœur dysfonctionnelle. Un beau portai de femme qui tranche dans l'univers très masculin de son père.

En savoir plus :

https://www.youtube.com/watch?v=offajxci7BI

https://www.youtube.com/watch?v=Vn7tgaHBh9k



dimanche 24 avril 2022

Wendy Delorme – Viendra le temps de feu – Éditions Cambourakis - 2021

 

Eve, Louise, Rosa, Grâce, l'enfant et Raphaël vivent dans une société totalitaire régit par le Grand Pacte, aux frontière closes, en totale désinformation des habitants. Seuls les livres et films de divertissement sont autorisés, les autres détruits ; La police contrôle tout et surtout ceux qui oseraient franchir la ville, on vit avec des bons et tickets (des bonus si on a comportement exemplaires), et être mère est considéré somme un bienfait pour cette nation.

Dans ce récit polyphonique, se mêlent les voix de ses femmes résistantes, qui savent qu'un autre monde existe, qu'un passé plus libre a existé. Elles sont des guerrières, elles luttent pour leur survie, pour retrouver un monde libre. Chacune son histoire mais elle se retrouvent das une petite communauté secrète où l'on peut parler librement et vivre librement aussi.

L'écriture de Wendy Delorme est à la fois poétique, émotive et cette histoire d'un futur inquiétant nous renvoie à nos heures sombres ou l'actualité de ces derniers mois.

Ce roman, c’est aussi un véritable cri d’amour pour les mots, pour les livres, pour les histoires. Multiples portraits, récits de notre temps, récits d’un futur possible, ce roman est le témoignage du mal d’une époque et une alerte pour tous les lecteurs que nous sommes.

Wendy Delorme rappelle avec justesse l’importance de la littérature et de la transmission pour maintenir en vie celles et ceux qui ont vécu et fait vibrer nos âmes, pour ne pas trahir l’histoire et pouvoir penser l’avenir. C’est apporté avec beaucoup de justesse par une plume élégante, teintée d’une émotion communicative qui peut bousculer en dedans tant pour la justesse des mots choisis que pour leur force évocatrice. Je suis peut-être à fleur de peau en ce moment mais chaque mot faisait éclore en moi des sentiments forts..  

Parce que les messages sont superbes et à encourager, parce que les sentiments qui se dégagent de cette plume poétique et puissante sont aussi tranchants qu’une lame et aussi doux qu’une caresse désirée, je me suis faite pleinement réceptacle des histoires de ces femmes et de ces hommes qui ne désirent qu’une seule chose : vivre libres. C’est un ouvrage poignant, qui nous rappelle la fragilité des utopies mais aussi la force d’un peuple qui s’unit et se soulève. Et j’espère vous donner envie de les découvrir à votre tour.


Extraits :

- « D’ordinaire on se glisse, comme des passe-murailles, saluant brièvement, soldant en quelques mots un échange de vêtement, d’objet ou nourriture avant de nous hâter vers nos entresols. Mais hier nous levions le visage pour nous voir, nous saluer mutuellement. Des visages hâves de gens qui ne mangent pas assez, des visages las, creusés, dans la lueur des flammes, et dans tous ces visages des yeux bien allumés de revanche et d’espoir. »

  • Le terme de librairie, je ne l'ai pas appris de toi ni de l'école, c'est un mot de langue morte, tu le sais comme moi.

  • Souvent, c'est moins le sens des mots qui rend pleinement ce qu'ils tentent de décrire, que le rythme qu'ils prennent à l'oreille qui entend, sans même qu'on les prononcent. Car les mots qu'on écrit présentent ceci d'étrange qu'ils s'égrènent en musique résonnant seulement pour l'être qui les lit. Et c'est cette musique silencieuse et secrète qui dessine le mieux la forme de ce qu'ils disent.

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Repères bibliographiques 

Wendy Delorme, née en 1971, est une docteure en sciences de l’information et de la communication, enseignante à Paris IV, perfomeuse, et féministe française. Auteure de romans, de nouvelles et de traductions depuis l'anglais, elle se produit sur scène depuis les années 2000 en Europe et aux États-Unis.



ROMAIN PUERTOLAS – La police des fleurs, des arbres et des forêts – Albin Michel – ou livre de poche. 2019

 

Pendant l'été 1961, un très sérieux inspecteur de police est envoyé enquêter dans le petit village de P. par la procureure : Joël 16 ans est retrouvé mort et coupé en 4. Si l'inspecteur finit par résoudre l'enquête, celle-ci est particulièrement hilarante.

Certes l'auteur nous balance quelques petits indices ici ou là, mais nous suivons les aventures (racontées par des lettres au style particulièrement ampoulées de l'inspecteur, ce qui rend encore plus jubilatoire ce polar totalement fantaisiste. A lire pour se remonter le moral.

On se replonge dans les petits villages des années 1960 qui semblent figés dans le temps, avec leur patois, leur traditions.



Extraits

  • Je connais un peu la mentalité de la campagne, où les enfants commencent à fumer à dix ans, où on leur apprend à conduire à douze, où on les envoie travailler en toute impunité pendant les vendanges, la récolte des pêches ou des poires. Je suis un produit cent pour cent de la ville, mais mon oncle, qui avait une exploitation (le mot veut tout dire) dans le sud de la France, ne se gênait pas, durant les grandes vacances, pour m'envoyer, en dépit de ma jeunesse, cueillir ses tomates pour pas un sou, avec les mêmes horaires que ses ouvriers adultes et salariés.

  • Je n'ai jamais connu mes parents biologiques, et je doute de les connaître un jour.
    - T'as pas la curiosité de le savoir ?
    - Disons que je considérerais cela comme un manque de respect vis-à-vis de ceux que j'appelle papa et maman, qui m'aiment et qui m'ont toujours tout donné comme ils l'auraient fait pour leur propre fils de sang. Pour l'instant, disons que je suis heureux sans savoir. Je n'éprouve pas le besoin de savoir.

  • Ne vous inquiétez pas, les ouvriers des Postes et Télégraphes (P & T) sont à la tâche et la communication devrait être rétablie en fin de semaine. Mais avouez qu'il y a un certain charme à retrouver le plaisir d'une bonne lecture, d'une conversation entretenue au rythme du courrier et un peu de lenteur dans ce monde au tempo effréné.



Repères bibliographiques

Né en 1975,à Montpellier dans une famille de militaires connaît de multiples déménagements durant sa jeunesse.

Romain Puértolas fut capitaine de police, professeur de langues, traducteur, steward.

Romain Puértolas est né le premier jour de l’hiver 1975 à Montpellier. Conscient de la brièveté de la vie, il décide de devenir dresseur de poupées russes et de vivre plusieurs vies en une seule. Tour à tour professeure de langues, traducteur, DJ, nettoyeur de machines à sous, employé dans le contrôle aérien. Il se consacre depuis les succès des romans à l'écriture.Tous ses livres sont des petites merveilles d'humour et d’exercices de style, pour notre plus grand bonheur.

En savoir plus

- https://www.youtube.com/watch?v=h-Opi7e4FsQ

- https://www.youtube.com/watch?v=8rsFBnQ5848

- son site : https://romainpuertolas.com/

- https://www.franceculture.fr/emissions/du-jour-au-lendemain/romain-puertolas


mardi 19 avril 2022

ABBY GENI – Farallon Islands – Actes sud - 2017


 

Miranda, la trentaine est une photographe de l'extrême. Elle a parcours le globe, de l’Arctique glacial aux déserts du monde pour ramener des clichés insolites. Elle est tous le temps en voyage et elle décide de passer un an aux Îles Farallon, archipel inhospitalier où vivent des biologistes peu avenants à 50 kùm de San Franscico.

L’île principale est le repère des requins blancs, des baleines à bosse, des phoques macareux et goélands qui profitent de ce sanctuaire classé pour se reproduire. La vie est simple, frugale, entre les attaques d'oiseaux, les conditions rudimentaires, une maison peu entretenue. Chacun est à son poste, sans se soucier des autres sauf en cas de danger ou de blessures.

Fragilisée depuis la mort de sa mère quand elle avait 14 ans, Miranda lui écrit des longues lettres qu'elle ne postera jamais comme un journal intime.Mais tout ne se passe pas comme prévu dans cet univers où la nature règne et ou les humains n'ont pas d'empathie.

Ce qui est frappant dans ce premier roman d'Abby GENI c'est la faculté de l’auteure à analyser humains et animaux. Inimitiés ou amitiés, Miranda se sent parfois bien seule dans ce monde étrange et magnifique.

C'est un roman initiatique. L'évolution d'une femme sans attaches qui va finalement trouver sa voie. C'est aussi une réflexion sur l'art et notamment la photographie, ce qui plaira aux amateurs.

Ce roman aussi une réflexion sur la mort. Les biologistes ne sont pas là pour sauver un animal en danger, mais répertorier. Les morts humaines dues à des accidents sont chassées des esprits, le chagrin est intériorisé.

J'ai lu beaucoup de livres mais celui-ci détonne par son sujet, le choix de l'action sur une minuscule bout de terre qui semble loin de tout, La fascination de l'héroïne qui croit y trouver un refuge, encore une échappatoire pour fuir la mort tragique de sa mère, sa famille avec laquelle elle n'a pas beaucoup de liens, ses amours sans lendemain. Mais quelque chose va se fissurer et je vous laisse lire le livre pour comprendre.


Extraits :

- Les seuls souvenirs fiables, j’imagine, sont ceux qui ont été oubliés.

  • A bord du ferry se trouvait une carte postale pour mon père. J‘étais sur les îles depuis presque deux mois et, durant ce temps, je n’avais que cela à envoyer sur le continent. Au dos, j’avais écrit, Preuve de vie.

  • Chaque fois que nous nous souvenons de quelque chose, nous le transformons. Ainsi fonctionne notre cerveau. J’envisage mes souvenirs comme les pièces d’une maison. Je ne peux pas m’empêcher de les modifier quand j’entre à l’intérieur – je laisse des traces de boue par terre, je bouscule un peu les meubles, crée des tourbillons de poussière. Avec le temps, ces petites altérations s’additionnent.
    Les photos accélèrent ce délitement. Mon travail est l’ennemi de la mémoire. Les gens s’imaginent souvent que prendre des photos les aidera à se souvenir précisément de ce qui est arrivé. En fait, c’est le contraire. J’ai appris à laisser mon appareil au placard pour les événements importants parce que les images ont le don de remplacer mes souvenirs. Soit je garde mes impressions à l’esprit, soit j’en fait une photo – pas les deux.
    Se souvenir c’est réécrire. Photographier, c’est substituer. Les seuls souvenirs fiables, j’imagine, sont ceux qui ont été oubliés. Ils sont les chambres noires de l’esprit. Fermées, intactes, non corrompues.

  • Plus que toute autre forme artistique, la photographie requiert d’être froid et dépassionné. (…)
    Ce travail exige un esprit qui sache se tenir à distance. (…)
    Le traumatisme et la souffrance sont les fondements de l’art. J’y crois. Mais confronté à la tragédie, un peintre spécialisé dans les fresques ou dans les aquarelles peut vivre ce moment en être humain et redevenir artiste après. Face à la mort d’un être cher, un sculpteur ou un portraitiste peut d’abord souffrir, faire son deuil, guérir – puis créer. La plupart des artistes traversent l’existence de cette manière. Ils peuvent avoir des réactions normales face aux vicissitudes de l’expérience humaine. Ils peuvent traverser le monde avec compassion et camaraderie.
    Ils peuvent créer plus tard. En dehors, ailleurs, au-delà.
    Mais la photo est immédiate. Elle n’offre pas le luxe du temps. Confronté au sang, à la mort ou au changement, un photographe n’a pas d’autre choix que de saisir son appareil. L’artiste vient en premier, l’être humain en second. La photo est la captation neutre des événements, la chronique du sublime comme de l’effroyable. La nécessité veut que ce travail soit effectué sans émotion, sans attache, sans amour.

Repères bibliographiques

Abby Geni est une jeune écrivaine américaine. Après des études littéraires, elle alterne atelier d'écritures et romans et nouvelles. Abby Geni est fascinée par le rapport que l’homme entretien avec son environnement, les liens que l’homme tisse avec la nature constitue ainsi le fil rouge de toute sa création littéraire.

Ses deux autres romans Zoomania et The last animals (ce dernier n'est pas encore traduit en français) sont publiés chez Actes Sud. Elle a aussi écrit des nouvelles qui ne sont pas traduites en français pour le moment.


En savoir plus :

jeudi 14 avril 2022

Jean Hegland – Dans la forêt – Gallmeister (poche) - 2017

 

Nell et Eva, deux sœurs de 17 et 18 ans vivent dans un autre monde. Depuis leur enfance, elles ont été élevées dans une famille assez libre, dans une grande maison en lisière de la foret de Redwood (Californie du Nord). Eva veut devenir danseuse classique et Nell envisage des études à Harvard.

Mais ces rêves sont vite devenus illusoires. Petit à petit, en raison d'une guerre quelque part dans le monde, l’électricité vient à manquer, tout comme se font rares les biens de consommations courants.

Lorsqu'elles perdent leurs parents, la maison-refuge se détériore et elles doivent apprendre à vivre dans ce monde détruit. Elles vont apprendre la survie dans cette forêt, qui si on l'apprivoise est pleine de ressources.

Ne nous y trompons Jean Hegland est une conteuse et pas une adepte ni du survivalisme ni de l’apocalypse. Si ce roman écrit en 1996 a été publié en français en 2017, il en prend encore plus de force face à l’actualité internationale. Ne nous parle-t-on pas de restrictions dues à la guerre en Ukraine ?

Mais Jean Hegland tape aussi sur le capitalisme fou, celui qui nous prive de nos valeurs primitives, mais sans agressivité, en délicatesse à travers les anecdotes que raconte Nell dans son carnet.

On suit les aventures de Nell, pragmatique et décidée à tout pour survivre et de sa sœur qui semble vivre dans un monde secret entaché par un viol et un bébé à naître.

J'aime l'écriture de l'auteure, elle n'écrit pas, elle raconte, avec des moments de poésie, d'humour, et nous fait traverser une gamme de sentiments (joie, peur, agacement, rêve) tant on s'associe aux deux héroïnes.

C'est aussi un amour indéfectible ente deux sœurs, la situation rendant impossible tout contact avec les humains qui ont fuit ou sont devenus des pillards.

Il y a aussi une réflexion sur la temporalité.Le temps comme on l’entend, n’existe plus. Ce temps mesurable, palpable qui s’écoule. Tout est flou. Plus aucun instrument n’existe pour le mesurer. La temporalité change de dimension. Nell va se raccrocher à l’environnement dans lequel elle évolue pour estimer les saisons

Et puis il y a surtout cette nécessaire reconnexion avec la nature. Connaître les ressources et identifier les dangers, Nell l'apprend très vite, Sa force de caractère nouas anime aussi d'une folle énergie. Finalement se passer du superflu pour ne garder que l'essentiel, l'amour ici ente les 2 sœurs, mais on aurait pu parler de toutes sortes d'amour.

Un roman que Gallmeister (spécialiste de la nature des grands espaces, et de la nature) a eu la très bonne idée de faire tradurte et publier.


Extraits :

  • Je fais la sieste au creux d’une souche dans un rond de lumière pâle. Je rêve que je suis enterrée jusqu’au cou, mes bras et mes jambes comme des racines. Tandis que je regarde par-dessus la terre, mon crâne enfle comme si j’absorbais le ciel à travers mes yeux. Ma tête grossit jusqu’à devenir une coquille englobant la terre entière. Je me réveille doucement, avec un sentiment de calme infini.

  • Après toute cette pluie, les bois étaient humides- vaporeux et voluptueux dans la soudaine générosité de la lumière du soleil, et je me suis sentie à la fois déroutée et emplie d'une vie nouvelle, comme si je venais de me réveiller après une longue maladie. L'eau gouttait de toutes les feuilles et brindilles, un après-la-pluie étincelant qui gazouillait tel un lointain ruisseau, tandis que celui tout proche bouillonnait à la manière d'une rivière.

  • « On tient le coup, jour après jour et tout ce qui nous manque, ce sont les souvenirs, tout ce qui me fait souffrir ce sont les regrets. 

En savoir plus


Repères Bibliographiques

Jean Hegland est née 1956 dans 'l'état de Whasington. Après des études littéraires, elle devient ensignante. Depuis, elle partae son temps entre éccriture et apiculture. Son prochan roman « till times » devrait bientôt sortir en éditions française. Elle écrit aussi des essais.

Son site : https://jean-hegland.com/



lundi 11 avril 2022

Piergirogio PULUXI – L'île des âmes – Gallmeister ( 221)

 

Voilà un magnifique roman signé d'un jeune écrivain (né en 1982) qui vient d’être traduit en français.

La Sardaigne, ces jolies plages de sable fin, ses paradis pour touristes, son image de de carte postale... Mais ici nous somme dans la Sardaigne profonde, agricole dans la région montagneuse  de la Barbagia où l'on parle encore le vieux patois sarde et où les familles ont le culte de l'omerta et de la vie en autarcie.

En 1975 puis en 1986, 2 corps de jeunes filles ont été retrouvés, sur des sites nuragiques, des meurtres rituels semble-t-il. Et un troisième cadavre est également retrouvé alors que les 2 inspectrices Rais et Croche se plongent justement dans ces affaires jamais résolues.

Un livre totalement inattendu. Parce qu'il nous parle de la Sardaigne et de ses paysages magnifiques, mais fait aussi référence à l'ancienne religion païenne des nuraghes (datant de l'âge de bronze), ces très lointains ancêtres des Sardes qui croient en la Déesse Mère, et qui lui vouent un culte dévoyé. L'auteur nous éclaire sur un mode de vie agropastoral, sur les vieilles traditions jamais totalement perdues, et sur cette Sardaigne inconnue.

On aime les descriptions poétiques où les paysages, les odeurs, les silences, les lumières, leur beauté mais aussi leur violence sous-jacente, sont finement exprimés. Ils créent l’ambiance. Celle d’un temps suspendu, où le passé envahit le présent, où la frontière entre les morts et les vivants est infiniment ténue. L'écriture somptueuse et riche se met au service d'une enquête difficile, animées par 2 femmes que tout oppose mais qui doivent apprendre à faire front. Un polar envoûtant. bien différent de ceux que nous lisons.


Extraits :

Elle était face contre terre au seuil du temple, à proximité de l’escalier qui descendait au sous-sol, à côté d’un autel où, à l’époque tragique, étaient pratiqués les sacrifices d’animaux et les rites ordaliques requérant l’usage de l’eau.

Billa cilla plusieurs fois, comme s’il était victime d’un mirage. Mais il eut beau cligner des yeux, la figure humaine était toujours là, à genoux, comme en position de prière, recouverte d’une toison de mouton, les mains nouées derrière le dos, le visage caché par un masque en bois aux longues cornes bovines.   
Rassemblant son courage, il s’approcha lentement et, en voyant la flaque de sang presque sèche à côté de l’ancien trou destiné à l’écoulement des fluides autour de laquelle les mouches s’en donnaient à cœur joie, il se retourna brusquement et porta une main à sa bouche. Aux rondeurs du corps nu sous le manteau ovin et aux longs cheveux noirs qui dépassaient du masque, il comprit qu’il s’agissait d’une fille.


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En Sardaigne, le silence est presque une religion. L’île est composée de distances infinies et de silences ancestraux qui ont quelque chose de sacré. Tout en est imprégné : les collines de maquis qui se découpent jusqu’à l’horizon, les champs de blé à perte de vue, les plaines recouvertes de ciste, de lentisques, de myrte et d’arbousiers qui saturent l’air de parfums enivrants ; les montagnes qui se dressent timidement vers le ciel, comme par peur de le profaner. Les hauts plateaux et les pâturages où paissent les troupeaux et souffle le mistral.

Partout règne un silence pénétrant.

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L'homme ne cherche pas à dominer la nature, car il la craint. C'est une peur inscrite dans son sang, fille d'époques révolues. Il sait d'instinct que la nature gouverne le destin des hommes et des animaux, et il apprend vite à connaître et à traduire tous les faits naturels qui l'entourent, car, aussi étrange que cela puisse paraître, ce silence parle. Il instruit et met en garde. Il conseille et dissuade. Et malheur à celui qui ne témoigne pas la déférence attendue.


Bibliographie

Piergiorgio Puluxi est né en 1982 à Cagliari (sud de la Sardaigne. Arès une carrière de libraire il se tourne vers l'écriture. Il a déjà écrits plusieurs romans et poèmes. L’Île des Âmes est son premier roman traduit en français. Il est possible que le duo d'enquêtrices au caractère bien trempé se retrouvent dans de prochaine publications.


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vendredi 8 avril 2022

Michael FARRIS SMITH – Une pluie sans fin – 10/18

 

La Limite.

Le gouvernement américain a décidé d'imposer une frontière entre les états du Nord et ceux du Sud (la ligne correspondant au Mississippi. Coté sud, les ouragans, les tempêtes, les vents violents ont détruit tout, les habitations, les commerces, les hommes. C'est devenu une zone de non-droit où la pluie est continue.

Pourtant certains humains ont décidé de rester dans ces zone infernale. Comme Cohen, le héros toujours bouleversé par la mort de sa femme tant aimée et de sa fille. Mais un jour, on lui vole sa jeep (remplie de vivres, d'essence et de cartouches pour son fusil. Bien décidé à récupérer son bien, Cohen va tomber sur une étrange communauté et va se révéler un décideur.

On a souvent comparé ce roman à celui de Comarc Mac Carthy « La route ».

Mais ce roman a plusieurs niveaux de lectures :

  • roman d'aventures avec ses multiples rebondissements, qui n'en font pas une histoire linéaire mais très haletante.

  • roman écologique : bien sur on pense au dévastateur ouragan Katrina qui compte un lourd bilan humain et matériel, mais l'auteur étend cela à toute une zone, de la Louisiane à la Floride, avec les conséquences sur une nature déchaînée qui reprend ses droits.Une anticipation pour nous faire comprendre la fragilité de notre planète.

  • Roman politique : dans cette zone dévastée, les pilleurs profitent de tout, tant ils manquent de tout. Mais aussi une légende qui dit que l'argent des casinos serait enterré quelques parts attire une faune peu recommandable. Le culte des armes est à son comble, il faut tuer le premier si on ne veut pas être tué. De plus le roman laisse entendre que du bon coté de la Limite, la vie des réfugiés ne serait pas si idéale que cela. Parqués dans des foyers, ils sont au sec et mangent à leur faim, mais toute perspective d'un avenir heureux semble exclue. De même les dérives des sectes sont démontrées dans leur totale folie.

  • Roman féministe : Cohen va sauver des femmes des mains d'un gourou complètement débile. Malgré son amour pour sa femme qui parfois se superpose à la réalité, il noue une relation bancale avec une jeune latino qui est un peu son garde-fou.

Contrairement à la « route », le style n'est pas épuré ou laconique. Le caractère du principal héros est approfondi, entre la nécessaire survie, le rôle de chef qu'il va devoir assurer au mieux et des belles pages où il se souvient de sa femme, devenue iconique pour lui, car dans ce monde en détresse il faut se rattacher à quelque chose.

« Une pluie sans fin » est le deuxième roman de Michael Farris Smith publié en 2016.

Né en 1970 à Mc Comb (Mississippi), après des études littéraires, il a voyagé en France et en Suisse, dont il a tiré son premier roman. Il a publié 5 romans à ce jour, qui se situent dans sa région natale, qu'il analyse avec humanisme et lyrisme poétique. Il vit aujourd'hui dans sa région natale. Il est aussi l'auteur d'essais et de nouvelles


lundi 4 avril 2022

Jean -Louis Fournier – Ca m'agace – chez A vue d’œil - livre de poche

 

Voilà un petit livre qui plaira aux grincheux.

« Ça m'agace » passe en revue, avec humour, tous ces petits trucs du quotidien qui ont le chic de nous énerver : les moustiques, le bruit des voisins, les serveurs vocaux dont on ne comprend rien etc..

Joliment amusant, celui qui a été co-auteur pour Pierre Desproges s'en donne à cœur joie. Romancier, scénariste, metteur en scène, il est membre de l' Académie Alphonse Allais. Il a publié 26 romans, toujours avec un humour féroce. D'ailleurs il publie un roman par an, dicté par l'actualité ou ses humeurs.

Né en 1938, il est surtout connu pour le roman Où va papacrit sa relation avec ses deux fils handicapés. Le livre, qui reçoit le prix Fémina et suscite un certain nombre de controverses1 et une réponse de la mère des deux garçons.

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https://www.franceinter.fr/personnes/jean-louis-fournier


Jon Kalman STEFANSSON – Asta – Grasset - Folio

 

Une histoire d'amour entre son père et sa fille Asta avec les brouilles familiales, et puis celle d'Asta et Josef son éternel amour. Asta, femme libre, peu conventionnelle dans cette Islande des années 60 qui ne fait rien comme personne, qui sait aimer comme son père sait détester et regretter.

L'originalité de l'intimité de cette famille déchirée tient au fait que le roman est totalement déstructuré, ce qui peur perturber le lecteur. Ici, les paroles, les années, les lieux, et l'intervention même de « l’écrivain » ne suivent pas le schéma classique du roman. Ce que revendique d'ailleurs Stefansson car dit-il « la vie n'est pas linéaire ». On passe ainsi de la naissance d'Asta à l'accident mortel du père en Norvège puis on passe lés époques comme des souvenirs qui reviennent. Ce qui fait tout le charme de ce livre d'ailleurs, parce qu'il nous demande un effort, celui de rassembler les éléments du puzzle dans un jeu intellectuel qui stimule notre envie de lire.

Et puis il y a cet amour de l'auteur pour l'Islande, ses terres sauvages et son climat particulier.

Extrait :

«Si tant est que ça l'ait été un jour, il n'est désormais plus possible de raconter l'histoire d'une personne de manière linéaire, ou comme on dit, du berceau à la tombe. Personne ne vit comme ça. Dès que notre premier souvenir s'ancre dans notre conscience, nous cessons de percevoir le monde et de penser linéairement, nous vivons tout autant dans les événements passés que dans le présent.» Les quinze premiers mots sont isolés sur une page. Stefánsson aime aussi les intertitres. Du genre : «Cette planète serait-elle habitable si les pantalons n'avaient pas de poche ?»

Bibliographie

Jón Kalman Stefánsson (né en 1958) grandit à Reykjavík.

Il entreprend ensuite, des études en Littérature, qu'il n’arrive pas à les terminer. Pendant cette période, il donne des cours dans différentes écoles et rédige des articles pour le journal du matin . Puis, il vit à Cophenague , où il participe à divers travaux et s'adonne à un programme de lectures assidues. Il rentre en Islande et s'occupe de la Bibliothèque municipale de d'un petite ville du Sud-ouest islandais jusqu'en 2000,. Avec les succès de ses livres, il figure parmi les grands auteurs islandais, et reçoit de nombreux prix.

En France, son roman "D’ailleurs, « les poissons n’ont pas de pieds" 2013), a reçu les prix Millepages, Meilleur livre étranger 2015 Lire, a été finaliste du prix Médicis étranger.
En janvier 2022, est publié chez Grasset « Ton absence n’est que ténèbres » qui obtient le Prix du Livre du Livre Étranger 2022 (France Inter/ Le Point)

Avec Ásta : où se réfugier quand aucun chemin ne mène hors du monde ?, il obtient le prix Folio des libraires en 2020


samedi 2 avril 2022

Gabriel Tallent - My Absolute Darling' - Gallmeister 2017

 

Ce printemps-là est pluvieux et humide dans la région de Mendolito en Californie du Nord. Cela n'empêche pas Turtle, 14 ans de s'y aventurer avec son fusil de chasse et son couteau. C'est son échappatoire à elle, adolescente maigrichonne, mal habillée et surtout élevée par un père érudit et adepte du survivalisme qui considère sa propre fille comme sa chose, la viole, l'élève à la dure, lui apprend le maniement des armes et l'enferme dans son univers.

 Aussi Turtle, mauvaise élève et considérée comme une "paria" à l'école publique n'a aucune amie, elle semble détester d'ailleurs toute compagnie féminine. La mère a disparu dans des circonstances peu élucidées dans le roman et seul son père et son grand père, affectueux mais alcoolique, sont ses seuls référents. 

On dit que le printemps est la saison du renouveau et des amours. Par sa connaissance de la nature si particulière de ce lieu, Turtle se résout à sauver 2 adolescents et va ressentir pour l'un d'eux un sentiment qu'elle découvre : tomber amoureuse du charismatique et amusant Jacob. Elle entrevoit aussi qu'une autre vie est possible. Mais Martin veille et n'a aucune envie de perdre "son amour absolu", cette fille qu'il a idéalisée et qu'il croit aimer, tout en lui infligeant des violences physiques. Entre le père et la fille c'est alors un combat sans retour qui s'engage. 

Avec ce best-seller, et son premier roman, Gabriel Talent (qui avait 30 ans lors de sa parution) nous dresse tout d'abord le portrait d'un pervers narcissique de haut vol, et des relations avec sa victime qui est déchirée entre l'amour qu'elle porte à son père, et la peur de celui-ci qui se transforme en haine. Bien plus fort que n'importe quel article ou livre à ce sujet, la violence et la résistance de Turtle (le nom qu'elle s'est choisi) est aussi dérangeante que vraie. Turtle parle à coups de jurons et d'insultes tout comme son père, elle aussi semble dénouée d'empathie, ce qui ne la victimise pas et d'ailleurs il n'y a pas de pathos dans ce livre.

 Turtle est une combattante, une résistante incroyable à la douleur. Juste une réalité que personne ne veut voir, celle de la violence latente dans certains milieux, plutôt défavorisés. L'école publique sent bien qu'il se passe quelque chose, Jacob aussi mais personne ne vient en aide à la jeune fille. D'ailleurs si le livre est écrit à la 3ème personne du singulier, on suit le point de vue de Turtle, perdue dans ses réflexions, à l'identité mal définie. Son père l'appelle affectueusement ou pas "Craquette" comme craquante et mignon ou comme celle qui peut casser, et l'état civil lui a donné le nom qu'elle déteste de Julia. 

 Autre thème important : celui de la nature sauvage, que l'auteur né à Mendolito connait bien. Une nature qui peut être amie ou ennemie placée sous le signe de l'eau : ici les pluies sont torrentielles, la mer vient se fracasser sur les rochers créant ou engloutissant des îles, les marécages sont légions. Et si l'eau est traditionnellement un élément relié à la femme, la mère si absente, c'est bien cette eau boueuse et déchainée qui sauvera Turtle à la fin de livre. Au départ l'auteur voulaot écrire un livre écologique et la nature est un personnage entier du roman, un nature que l'homme ne peut pas dompter et qui vit à son rythme, obligeant à l"humilité comme le dit l'auteur. 

Finalement en creux, My absolute darling est le portrait de l'Amérique et de ses propres démons :

 - l'importance des armes à feu qui vous rendent virils, et donne un sentiment de puissance, 

- le système éducatif qui, pour les démunis est inadapté, la mentalité de winner qui dans la tête de Martin n'est pas que sa fille ait accès au meilleur lycée mais puisse vivre en autonomie totale, alors que Jacob et ses amis fortunés mais sympathiques vivent dans un luxe qui interroge Turtle mais ne l'éblouit pas tant que cela 

 - les violences faites aux femmes, un sujet tabou aux USA avant la vague me-too. Elevé par 2 femmes, le jeune Gabriel a noté le regard suggestif ou les remarques déplacées faits à ses 2 mamans. Il a poussé cette violence jusqu'aux limites du supportables, s'attaque au tabou de l'inceste (un mot que Turtle ne comprend pas bien au début) comme un écho à notre société perturbée, qui chaque jour ou presque recense les violences faites aux femmes et qui détournede son sens premier le mot Amour. 

 Mais ce livre ne serait rien sans les références distillées aux philosophes Platon (que Tallent adore, parce que dit-il c'est simple à comprendre) et aux Méditations de Marc Aurèle que lit Jacob. Avec cette idée (finalement très américaine) :"rien de ce qui peut nous arriver dans la vie ne peut nous empêcher d'être quelqu'un de bien". Enfin une référence à Herman Melville avec Moby Dick. Martin serait un capitaine Acab devoyé qui veut dompter sa fille. L'écriture de Tallent est dense et intense, descriptive mais jamais lassante. 

En cela il tranche avec toute une génération d'auteurs américains formé au minimalisme (économie des mots et mots justes), on pense à Carson Mc Cullers, John Fante, Hemingway entre autres. 

 Gabriel Tallent naît en 1987 au Nouveau-Mexique et grandit à Mendocino, en Californie du Nord. Il met huit ans à rédiger My Absolute Darling, son premier roman, gagnant sa vie en accumulant les petits boulots. Il manque plusieurs fois d'en abandonner l'écriture, mais sa mère Elizabeth Tallent, écrivain elle aussi, le pousse à continuer. 

Gabriel Tallent vit aujourd’hui avec sa femme à Salt Lake City. Il continue de s'échapper vers Mendolito pour se ressourcer dans cette nature sauvage où il se sent en paix.

 Extraits

Martin : "Le moment viendra où ton âme devra être solide et pleine de conviction, et quelle que soit ton envergure, ta rapidité, tu gagneras seulement si tu sais te battre comme un putain d’ange tombé sur terre, avec un cœur absolu et une putain de conviction totale, sans la moindre hésitation, le moindre doute ni la moindre peur, aucune division qui risque de monter une partie de toi-même contre l’autre. Au final, c’est ce que la vie exige de toi. Pas d’avoir une maîtrise technique mais un côté impitoyable, du courage et une singularité dans tes objectifs. Fais attention." 

 Martin : "Je t'aime trop pour te laisser partir un jour, continue Martin. Tu as commis une erreur. Tu as sans doute oublié qu'on avait déjà essayé? (il sourit, se tait un instant puis fait un geste comme acculé à une extrémité muette du langage).On a déjà essayé et on s'est rendu compte qu'on était rien l'un sans l'autre. On ne peut pas traverser cela à nouveau. C'est impossible, il faut que tu le comprennes". Il fait encore un geste, des morceaux, des objets. C'est là son erreur. De croire à un monde en dehors de lui.

 Il fait un dernier pas vers elle, tombe à genoux, passes les bras autrou d'elle, pose la joue contre son bassin. Turtle lève les bras comme si elle se trouvait dans l'eau froide jusqu'à la taille. Elle pense, Tues-le, tues-le maintenant." (page 423)
 

Anna BAILEY – Une pluie de septembre – Éditions Sonatine 2021


 Whistling Ridge, un petite ville dans une vallée du haut-Colorado est entourée de bois, de maisons délabrées et de sa population particulière. Ici on se réfère à Dieu tel qu'il est vu par le Pasteur, un évangéliste qui interprète les Évangiles de la façon la plus stricte qui soit.
Un soir de septembre, lors d'une fête bien arrosée avec les jeunes de la ville, Abigail Blake, 17 ans disparaît. Fugue ? Accident ? Meurtre ?
Les jours passent et Abigail ne revient pas. La jeune fille vit dans une famille dysfonctionnelle, père alcoolique qui tabasse sa femme et ses deux fils. L’aîné a bien du mal cacher son homosexualité et sa relation avec Rat, le gitan. Seuls Emma, adolescente métissée latino (qui subit sans arrêt des remarques racistes) et Hunter, le fils du riche propriétaire qui fait vivre le village, tente de résoudre l'enquête, le shérif local ne semblant pas particulièrement investi.

Le premier roman d'Anna Bailey a de quoi vous surprendre, par le portrait terrible de cette ville où les préjugés, les ragots et l'empreinte terrible d'une religion qui prône l'homophobie et le racisme font loi. Les femmes sont au service de leurs maris. Les jeunes copient les pères, tout en s 'alcoolisant ou fumant des joints, en espérant secrètement une université assez éloignée pour fuir ce village. Petit à petit on découvre les secrets qui se cachent dans les maisons, la pauvreté et la violence, en absence de toute empathie.
Une écriture sans fioriture, un langage « viril » à l'instar des principes instaurés dans la ville, des protagonistes fascinants, sur fond d'une nature glaciale en hiver, peuplées de forêts donnent toute la richesse de ce polar pas comme les autres. Ici, pas de super héros enquêteur, des individus livrés à eux-même, et des références dévoyées à une religion dépassée font aussi de ce livre un témoignage intéressant sur ce qui peut se passer dans le Middle-West américain.

Anna Bailey est une auteure et journaliste britannique. Elle déménage au Texas puis dans le Colorado, dans une petite communauté religieuse qu’elle quittera bien vite. En 2018, elle retourne au Royaume-Uni et, elle travaille comme journaliste indépendante à Cheltenham. Une pluie de septembre est son premier roman.

Jean Hegland - «Apaiser nos tempêtes » - Éditions Phoebus 2021

 

Anna, photographe de talent, migre de son Idaho natal pour la Californie du Nord. Avec son mari et ses 2 filles, elle a du mal à intégrer cette nouvelle vie.
Cerise vient d'un milieu modeste et accouche à 17 ans d'une fille, puis 17 ans après d'un bébé, qui malheureusement meurt accidentellement dans un incendie. Ivre du chagrin, Cerise quitte tout, s'isole dans les bois, devient SDF, et parcourt difficilement son chemin vers la réinsertion. Pourtant malgré tout, Cerise a un don magique avec les enfants qu'elle amuse et apaise.
Deux femmes, aussi éloignées intellectuellement que socialement dont les destins vont se croiser pour enfin trouver l'apaisement mutuel.

Sous l'écriture fluide et douce de Jean Hegland se cache la vision de l'Amérique des femmes et des femmes pauvres. Amérique parce que le roman est américain, mais il pourrait tout aussi bien avoir lieu chez nous. Paru en 2004 mais seulement traduit et publie en France en 221, l'auteure du best seller « Dans la Forêt » nous décrit la vie de 2 femmes. Anna de la classe moyenne qui jongle entre sa maison éloignée de la ville, les longs trajets en voiture pour conduire ses filles s'interroge à la fois sur son rôle de mère et son cortège de doutes (culpabilité, amour infini, agacement) n'arrive pas à reprendre un emploi et se remettre à la photographie. Cerise, elle, vit la douleur chevillée au corps : la disparition de sa fille aînée au fort caractère et le décès de son petit garçon finissent par la mettre au ban de la société. Une sans-abri est forcément une droguée, une pute ou une alcoolique à qui personne ne tend la main. Les foyers d'hébergement pour femmes sont débordés, et les services sociaux ne font pas d'accompagnement, il faut chercher du travail, serveuse, femme de ménage, ou tout autre sale boulot.

A cette observation quasi documentaire, s'ajoute la pollution, le rôle des hommes, peu présents, le mari d'Anna est bien gentil mais ne cherche pas à la comprendre pas,les pères des enfants de Cerise sont des alcooliques peu fiables.
Un livre touchant, dont le thème premier est la maternité et les questions qu'elle pose, qui fera aussi du bien aux femmes (et aux hommes de bien) parce qu'il nous rappelle l'indispensable sororité et l'obligation de tendre nos mains à ceux qui ont moins que nous.

Jean Hegland est née dans l'Idaho. Elle est enseignant. En 1996 elle publie « Dans la Forêt »qui ne sera édite qu'en 2015 en France, puis « Apaiser nos souffrances ».
Son site : https://jean-hegland.com/.


Les Orageuses par Marcia Brunier aux éditions Cambourakis

 

Lucie, Mia, Léo, Inès et les autres ont toutes été victimes de viol. Sans porter plainte, en culpabilisant ou en refoulant. Alors cette bande de filles se réunit en gang et organise des "vengeances " contre le violeur (dégradation de son appartement, tag, et quelques coups de poings bien sentis), avec une organisation militaire. "Là on ne répare pas, on se rend justice".

A travers le parcours des ces femmes humiliées et traumatisées (tiré de vrais témoignages), ce livre nous engage encore et toujours à nous unir, soeurs de destin et à reprendre en mains nos vie.

Marcia Brunier, journaliste franco-suisse, a écrit ce premier roman en septembre 2021. Féministe, elle écrit pour des magasines et est également documentaristes. Un petit livre sans complaisance, a plus prêt de la réalité du viol.
Les Orageuses par Marcia Brunier aux éditions Cambourakis