Voici le dernier roman de traduit en français de Michael Farris Smith dont j'avais adoré « Une pluie sans fin » → https://nathbiblio.blogspot.com/2022/04/michael-farris-smith-une-pluie-sans-fin.html.
Farris a le goût pour les univers sombres et mystérieux.
Redbluff, Missippi, un village qui se meurt lentement. Le héros Colburn qui y a vécu une enfance traumatique revient s'y installer, en tant que sculpteur. Le village n'a pas oublié le drame de son enfance et il est regardé avec méfiance. Mais d'autres étrangers échouent aussi Redbluff, un vagabond malsain, son fils mendiant qui erre dans la ville et sa femme qui va disparaître mystérieusement. Puis d'autres habitants du village disparaissent à leur tour dans cet univers envahi par les herbes sauvages, vignes folles et kudzu, cette plante invasive qui cache aussi des secrets.
Farris Smith a un don pour les univers troubles et parfois irréels. Dans ce village, rien ne fonctionne vraiment. Maisons abandonnées et délabrées, commerces fermés, les enfants jouent dans les rues et les adultes qui vivaient autrefois de l'agriculture restent figés dans un autre temps. La bière coule à flots au bar de Célia, qui vit elle aussi dans la maison familiale, et qui se comporte comme la jeune fille du livre « Une pluie sans fin », protectrice et garde-fou du héros obsédé par son enfance, qui cherche sa maison natale, enfouie sous les herbes et surtout qui cherche une raison à sa vie et en finir avec ce passé qui le hante.
L'écriture de l'auteur du Mississippi est toujours à la fois poétique et laisse une place importante à la nature. Cette nature indomptable que l'homme n'a plus la force de combattre est le thème récurrent des écrits de Farris Smith. C'est aussi une quête de soi, de sa propre vérité, et des mystères ici inquiétants de la vie. Mais comme le dit lui-même l'auteur « ce qui est brisé ne se répare jamais vraiment ».
J'ai toute fois préféré « Une pluie sans fin », mieux construit, plus cauchemardesque mais si original. Mais ce livre reste un excellent livre pour entrer dans l'univers complexe de cet auteur prometteur qui en est à son 4ème roman traduit en français.
Extraits :
La brutalité de l’indifférence et les années d’enfance qu’il avait gâchées à tenter de plaire à un homme à qui il n’était pas possible de plaire et les années de jeunesse qu’il avait gâchées à tenter de comprendre ce qu’il avait fait pour qu’il se passe la corde au cou. La main de sa mère tendue vers lui quand elle lui avait parlé de son frère. Comme si un geste aussi simple pouvait effacer une vie de questions et de culpabilité, et comment il avait laissé cette main posée là sur la table. Ouverte et vide.
Je devrais avoir mieux à faire mais je ne sais pas quoi, songea-t-il. Comment est-on censé savoir ? À un moment vous dégagez un cerf de la route et à l'instant suivant toute la ville vous demande des réponses que vous n'avez pas. Il secoua la tête. Regarda son ombre sur le sol. Conscient que toute sa vie durant il avait marché vers ce moment de grande attente et regrettant de ne pas avoir été plus attentif. De ne pas avoir affûté les choses en lui qui avaient besoin d'être affûtées. Ces événements se produisent et tu n'es pas prêt. Tu es en train de devenir un vieil homme qui n'a rien à donner. Un vieux boiteux. (P.234)
Il ne voulait plus être comme ses parents. Garder tout en soi après des années à se fatiguer les yeux et à faire des sourires forcés, ravalant leur chagrin dans un silence empoisonné qui ne pouvait que se répandre et tout gâcher.
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