vendredi 1 avril 2022

Miguel d’Ors

 

Né à Saint-Jacques de Compostelle en 1946, il écrit sur sa vie, à la recherche d’une authenticité. Son écriture sobre se fait parfois confidences, et s’il jette un regard désabusé sur la vie, il garde aussi un humour. Il vit et travaille en Galicie.


Qu’elle est petite ma vie :

Temps, silence, et un peu

D’amour

Une aquarelle aux tonalités

Eteintes

Tout est écrit en minuscules :

Péchés et miracles,

Rien de ronflant pour

Orner mon épitaphe

Anonymes et en prose

Se consument mes années.

Qu’elle est petite ma vie !

… et comme elle me fait mal…



Tu sais que c’est inutile,

Il ne faut pas te leurrer,

Aussi loin que tu ailles

Jamais tu ne seras allé loin.

Tu pourras aller et venir

Par les cieux et par les mers :

Denver, Valparaiso

Les cabanes lépreuses de Dharbang

L’Automne dans les érables de l’Ontario,

Les nuits guaranis, bleutées et musicales,

Les filles de îles, leurs chœurs ondulants, leurs seins innocents,

Leurs guirlandes souriantes de bienvenue…

Mais tu sais que la fuite ne sera jamais véritable,

Partout où tu iras

Tu retrouveras toujours cette même tristesse,

Car là où tu seras allé

Là tu retrouveras.




Parler des cerisiers

Eclatants de juin

De l’abondance des trilles

Que leurs troncs soutiennent

De leur verdure rayée

Par des vols en point de piqûre

De cette beauté faite

De feuilles, de ciels, de cerises

De soleil et de musique, mais…

Sans parler ni de cerisier, ni de juin, ni de la multitude des trilles.

Parlant de ta vie

(qui est la vie),

disant ton cœur

(qui est tous les cœurs)

en un alphabet magique de cerisiers et de juins

José Angel VALENTE

Il est né à Orense en Galice le 25 avril 1929. Après des études de philosophie à Madrid, il a étudié l’histoire à Oxford. Fonctionnaire pour les Nations-Unies, il a passé sa vie entre sa résidence professionnelle de Genève, Paris et sa maison à Almeria.

Passionné de peinture et de musique, sa poésie est sombre, axée sur la disparition, la mort, l’oubli et l’effacement. Valente cherche la trace, l’empreinte qui reste après la dissolution, les rêves impossibles.

Considéré comme le poète le plus influent de sa génération, José Angel Valente est mort en 2000. Mystique et érudit, il fut aussi un traducteur renommé (Montale, Hopkins).


La sombre violence

Du soleil

Se brisant sur les créneaux incendiés de l’air

Oiseaux

Copier la trame invisible

Dans la sombre matière

Forme

Formes qui confondent le réveil du matin

Sa lumineuse irréalité – Mimésis

 

 

Etre

Ne pas faire

Dans l’espace total de l’être

Etre, demeurer, s’en aller

Sans aller

Vers rien

Vers personne

Vers rien.


L’amour est dans ce qui nous lançons

(ponts, paroles)

l’amour est dans ce que nous tissons

(rires, drapeaux)

Et ce que nous combattons

(nuit, vide)

Pour le véritable amour

L’amour est tout ce que nous levons

(tours, promesses)

Dans tout ce que nous cueillons et semons

(enfants, futur)

Et dans les ruines de ce que nous abattons

(dépossession, mensonge)

pour le véritable amour

 

Comme un grand animal non visible l'air
descendait
abreuver les cieux.

Et nous, nous le contemplions émerveillés
dans la cabane humide de la peur
La nuit recouvrit notre misère
L'air ouvrait
la totale extension du matin,
déployait la lumière, les cavaliers venaient
et à la vue des eaux ils descendaient
.

NE LAISSEZ PAS MOURIR les vieux prophètes car ils dressent leur voix contre l'usure qui aveugle nos yeux d'obscurs oxydes, la voix qui vient du désert, la nudité de l'animal qui sort des eaux pour fonder un royaume d'innocence, la colère qui en ailes déploie le monde, l'oiseau embrasé des apocalypses, les anciennes paroles, les cités perdues, l'éveil du soleil comme la certitude d'une offrande dans la main de l'homme. (extrait de Paysage avec des oiseaux jaunes).

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"Le temps passe et ne laisse rien. Il emporte, il entraîne beaucoup de choses avec lui. Le vide, il laisse le vide. Se laisser vider par le temps comme les petits crustacés et les mollusques se laissent vider par la mer. Le temps est comme la mer. Il nous use jusqu'à être transparents. Il nous donne la transparence pour que le monde puisse se voir à travers nous ou puisse s'entendre comme nous entendons la sempiternelle rumeur de la mer dans le creux d'un coquillage. »

 

Les œuvres de J.A. Valente sont publiées aux éditions Corti


 

Haikus d'automne


 Sur une branche dépouillée
Un corbeau seul
C'est un soir d'automne (Bashô)

Nuit de lune
L'oie sauvage s'envole
Le long de la voie ferrée (Shiki)


Belle de jour
Beauté qui ravit
Rêve évanoui (Sôseki)

Pleine lune d'automne
Sur la natte de paille
L'ombre du pin (KIkaru)

Après-midi d'automne
Trois nuages blancs
Traversent l'étang (P. Neubaumer)

Lune si lune !
Même le voleur
s'interrompt pour chanter (Buson)

Feuilles, demander à la brise
laquelle d'entre vous tombera la première
des arbes verdoyants (Soseki)

Soir d'automne
Les genoux dans les bras
Comme un saint (Issa)

Odeur de l'automne
Le coeur languit
Après la chambre aux quatre nattes (Bashô)

Vent d'Ouest
Les feuilles mortes
Se rassemblent à l'Est (Buson)

Givre nocturne
Tremblent les ailes
Des canards mandarins (Sôgi)

Haikus d'hiver

 

Je suis là
Tout simplement
Sous la neige qui tombe (Issa)

Sans savoir pourquoi
Je me sens attaché à ce monde
Où nous ne venons que pour mourir (Soseki)

A travers la neige
Les lumières des maisons
Qui m'ont claqué la porte au nez (Buson)

Froid oui !
Mais ne t'approche pas du feu
Bouddha de neige (Sokan)

Derrière la fenêtre, la neige
Une femme dans un bain chaud
Qui déborde (Nobuko)

Vivant à la ville
Il faut avoir de l'argent
Même pour faire fondre la neige (Issa)

Puits d'hiver
Un plein seau
D'étoiles (Toshimi)

Fin de l'année
Et toujous avec mon chapeau de paille
Et mes sandales (Bashô)

Henri Michaux, espace intérieur

 


Tu t’en vas sans moi, ma vie.
Tu roules.
Et moi j’attends encore de faire un pas.
Tu portes ailleurs la bataille.
Tu me désertes ainsi.
Je ne t’ai jamais suivie.
Je ne vois pas clair dans tes offres.
Le petit peu que je veux, jamais tu ne l’apportes.
A cause de ce manque, j’aspire à tant.
A tant de choses, à presque l’infini...
A cause de ce peu qui manque, que jamais tu n’apportes.
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La jeune fille de Budapest

Dans la brume tiède d’une haleine de jeune fille, j’ai pris place
Je me suis retiré, je n’ai pas quitté ma place.
Ses bras ne pèsent rien. On les rencontre comme l’eau.
Ce qui est fané disparaît devant elle. Il ne reste que ses yeux.
Longues belles herbes, longues belles fleurs croissaient dans notre champ.
Obstacle si léger sur ma poitrine, comme tu t’appuies maintenant.
Tu t’appuies tellement, maintenant que tu n’es plus.
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Je vis un arbre dans un oiseau.
Celui-ci le réfléchissait tout entier et une brise infiniment légère en assouplissait seulement l’extrême bord des feuilles.
L’oiseau était immobile et grave.
C’était un matin clair, sans soleil, un matin qui ne dévoile rien encore de la journée à venir, ou très peu.
Moi aussi, j’étais calme.
L’oiseau et moi, nous nous entendions, mais à distance, comme il convient à des êtres d’espèce animale, ayant eu, sans retour possible, une évolution parfaitement divergente.

Mais Toi, quand viendras-tu ?
Un jour, étendant Ta main
Sur le quartier où j’habite,
Au moment mûr où je désespère vraiment ;
Dans une seconde de tonnerre,
M’arrachant avec terreur et souveraineté
De mon corps et du corps croûteux
De mes pensées-images, ridicule univers ;
Lâchant en moi ton épouvantable sonde,
L’effroyable fraiseuse de Ta présence,
Elevant en un instant sur ma diarrhée
Ta droite et insurmontable cathédrale ;
Me projetant non comme homme
Mais comme obus dans la voie verticale,
TU VIENDRAS .

Tu viendras, si tu existes,
Appâté par mon gâchis,
Mon odieuse autonomie ;
Sortant de l’Ether, de n’importe où, de dessous
Mon moi bouleversé peut-être ;
Jetant mon allumette dans Ta démesure,
Et adieu, Michaux.

Ou bien, quoi ?
Jamais ? non ?
Dis ; Gros lot, où veux-tu donc tomber ?

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Rends-toi, mon cœur
Nous avons assez lutté.
Et que ma vie s’arrête.
On n’a pas été des lâches,
On a fait ce qu’on a pu.

Oh ! mon âme,
Tu pars ou tu restes,
Il faut te décider.
Ne me tâte pas ainsi les organes,
Tantôt avec attention, tantôt avec égarement,
Tu pars ou tu restes,
Il faut te décider.

Moi, je n’en peux plus.

Seigneurs de la Mort
Je ne vous ai ni blasphémés ni applaudis.
Ayez pitié de moi, voyageur déjà de tant de voyages sans valises,
Sans maître non plus, sans richesse et la gloire s’en fut ailleurs,
Vous êtes puissants assurément et drôles par-dessus tout,
Ayez pitié de cet homme affolé qui avant de franchir la barrière vous crie déjà son nom,
Prenez-le au vol,
Qu’il se fasse, s’il se peut, à vos tempéraments et à vos mœurs,
Et s’il vous plaît de l’aider, aidez-le, je vous prie.

Bibliographie
Les poésies d'Henri Michaux sont publiées aux éditions Nrf Gallimard.
Henri Michaux d'A. Packement, Gallimard, livre d'art
Henri Michaux, bibliographie de Jean-Pierre Martin, Nrf Gallimard



J’écris pour me parcourir. Peindre, composer, écrire: me parcourir. Là est l’aventure d’être en vie »


Henri Michaux est né à Namur (Belgique) le 24 mai 1899. S’il lit beaucoup, il commence par s’orienter vers des études de médecine, qu’il abandonne pour s’engager comme marin. La lecture de Dostoïevski, Lautréamont, Tolstoï le pousse à écrire.

Il arrive à Paris en 1924 et se lie d’amitié avec le poète Jules Supervielle. Ensemble, ils voyageront en Amérique Latine. Michaux tient ses carnets de voyages et écrit. De retour à Paris, il fréquente les surréalistes. Il s’intéresse aux arts graphiques et commence à dessiner à l’encre en 1925. Aquarelles, encres, gouaches, Michaux semble rechercher l’économie de moyens et une écriture calligraphique.

Grand voyageur, il parcourt le monde (Asie, Moyen-Orient, Amérique), et publie pour vivre ses carnets de voyages. Il expose pour la première fois en 1937 ses dessins. Pendant la seconde guerre mondiale, il se réfugie dans le Midi. La mort de sa femme en 1946 le laisse sombre et déprimé. Sa peinture devient de plus en plus abstraite.

En 1955, Michaux décide de tenter une expérience inédite. Sous contrôle médical, il prend de la mescaline, et dessine sous l’effet de cette drogue. Michaux et son amie Claude Calhun s’intéressaient à la médecine et à la psychiatrie. Michaux expérimente aussi le dessin sous l’emprise de Lsd.

A la fin de sa vie, Michaux décide de vivre dans la solitude créatrice. Il meurt le 20 octobre 1984. Né, élevé, instruit dans un milieu et une culture uniquement du « verbal » je peins pour me déconditionner.

Double est l’œuvre de Michaux, poétique et plastique, comme deux mouvements qui se complètent et se renvoient. Mouvement, voilà bien l’essence même de l’œuvre de Michaux, qui est dans son art un voyageur des mondes intérieurs. Récits des voyages physiques, mais aussi des parcours internes, des visions chimériques d’un monde personnel, et désabusé. Michaux voit l’être humain comme précaire, dans un monde hostile auquel il doit constamment s’ajuster. Le poète fait partie de la génération des artistes qui ont connu les deux guerres mondiales, et il relate le sentiment d’une privation, d’une division entre soi et le monde. Peu de recours pour y échapper, si ce n’est trouver des passages à travers l’écriture, la peinture.

Parce que l’expression plastique est un langage efficace, un partage immédiat, Michaux laisse une œuvre considérable, personnelle, sans aucun souci d’esthétique ou d’affiliation à un courant donné. Michaux cherche à traduire les courants, les variations d’une énergie fluide. Il visualise ce que l’on n’avait jamais vu, laissant sa main conduire les flux sans automatisme, juste transcrire des émotions, des expériences.

Dans son écriture aussi, Michaux tente d’exorciser les hantises internes, avec dérision. Reprenant à son compte la biographie imaginée dans ces récits de voyage, se focalisant sur l’insolite, et empruntant peut-être aux auteurs américains un ton alerte et magnifiant l’art de l’ellipse. Souvent affiliés au Surréalistes, Michaux s’en détache par une écriture très travaillée contrairement à ses œuvres peintes, où il laisse l’inconscient s’exprimer sous le papier.

Antonio Gamoneda

 

Parle-moi pour que je connaisse la pureté des paroles inutiles,
que j’entende siffler la vieillesse, que je comprenne
la voix sans espoir.

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Peu connu en France, Antonio GAMONEDA est l'un des poêtes les plus appréciés en Espagne. Si il a reçu plusieurs prix, dont le prix de la littérature européenne en 2005, il reste dans l'ombre.
Né en 1931 à Oviedo (Asturies), il vit en Castille mais voyage tout autour de la Méditerranée.
Enfant de la guerre d'espagne, il se détache assez vite des horreurs pour suivre sa voix intérieure, ses exils intérieurs. Mais sa déportation en Castille, sous le franquisme, le marquera toute sa vie.


On l'imagine solitaire et secret, tourné entre démons d'un passé collectif et tourments intérieurs. Et pourtant c'est de nous autres qu'il parle, à travers le « je » informel de l'écriture.
Des mots simples, sans recherche d'effets de style (et les très belles traductions de Jacques Ancet ont su valoriser cette économie, ce mot juste) pour raconter nos ressentis, nous confronter avec sa vision d'un monde qui est aussi le notre.

Les critiques littéraires qualifient souvent GAMONEDA de poète de l'ombre ou de la mort. Ils y relisent sa biographie, la perte de sa mère alors qu'il était enfant, l'extrême pauvreté de la première partie de vie. Seule la poésie, « cet art de la mémoire, donc aussi de l’oubli » était son chemin, son don, et son salut, face aux « disparitions qui brûlent ».
L'autre n'est là que par son absence, que par son souvenir où son essence.
Les grand poètes savent parler un langage universel qui nous relie au monde. GAMONEDA est de ce bois, de cette force.

Choix de textes

Il est venu le papier dans la main
Il m’a fixé de ses yeux fatigués
il est venu avec papiers et mains
et j’ai senti son regard dans ma vie. (Blues castillan)

Il y a du sang dans ma pensée, j'écris sur des stèles noires. Je suis moi-même
l'animal étrange. Je me reconnais : il lèche les paupières qu'il aime, il porte sur sa langue les substances paternelles. C'est moi, sans aucun doute : il chante sans voix,
il s'est assis pour contempler la mort, mais il ne voit que des lampes, des mouches
et les légendes des rubans funèbres. Parfois, il crie dans les soirées immobiles
. (Clarté sans repos)
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Un jour le monde devint silencieux ;

les arbres, là-haut, étaient profonds et majestueux,
et nous sentions sous notre peau
le mouvement de la terre.

Tes mains furent douces dans les miennes
et j’ai senti en même temps la gravité et la lumière,
et que tu vivais dans mon cœur.
Tout était vérité sous les arbres,
tout était vérité. Je comprenais
">toutes choses comme on comprend (Cecilia)


Tu es seule en toi-même, sous ta lumière, à pleurer.

Il y a un pétale blessé sur ton visage.

Tes pleurs coulent dans mes veines.

Tu es ma maladie et tu me sauves
. (Cecilia)


Dans la quiétude des mères inclinées sur l'abîme.
Dans certaines fleurs refermées avant d'être embrasées
 par l'infortune, avant que les chevaux n'apprennent à pleurer.
Dans l'humidité des vieillards.
Dans la substance jaune du cœur.
J 'ai vu l'ombre poursuivie par les fouets jaunes,
acides jusqu'aux bords du souvenir,
les linges devant les portes de l'indignation.
J'ai vu les stigmates de l'éclair sur des eaux immobiles, dans des étendues visitées par les présages
J’ai vu les matières fertiles et d'autres qui vivent dans tes yeux ;
J’ai vu les résidus de l'acier et les grandes fenêtres pour la contemplation de l'injustice (ces ovales où se cache la phosphorescence. (Pierres gravées)

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Comme si tu te posais sur mon cœur, qu'il
y avait de la lumière dans mes veines et
que doucement je perdais la tête ; tout est
certitude dans ta clarté :

tu t'es posée sur mon cœur,

il y a de la lumière dans mes veines,

j'ai doucement perdu


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Bibliographie – ouvrages traduits en francais
Livre du froid, traduction et présentation Jean-Yves Bériou et Martine Joulia, 1996, 2e éd. 2005
Pierres gravées, Jacques Ancet, Lettres Vives, 1996
Substances, limites, in Nymphea, traduction Jacques Ancet, La Grande Os, 1997
Cahier de mars, traduit par Jean-Yves Bériou et Martine Joulia, Myrrdin, 1997
Froid de limites, traduction et présentation Jacques Ancet, Lettres Vives, 2000
Description du mensonge (extraits), traduction Jean-Yves Bériou et Martine Joulia, Myrrdin, 2002
>Pétale blessé, traduction Claude Houy, Trames, 2002
Blues castillan, traduction et présentation Jacques Ancet, José Corti, 2004
Passion du regard, traduction et présentation Jacques Ancet, Lettres Vives, 2004
De l’impossibilité, traduction Amelia Gamoneda, préface Salah Stétié, Fata Morgana, 2004
Clarté sans repos, traduction et présentation Jacques Ancet, Arfuyen, 2006
Cecilia, traduction et présentation Jacques Ancet, Lettres Vives, 2006

RENE-GUY CADOU - LES VISAGES DE LA SOLITUDE

 

Il existe un pays semblable à ma mémoire
Où l'approche d'un pas fait un doux bruit de clefs
On se sent le besoin de poser les genoux
Et d'aller à genoux vers cette forme humaine
Qui respire et qui bat sans qu'on sache comment
-Car saura t-on jamais quelle main voyageuse
Fait chanter tristement le coeur hanté du bois
Afin que cette nuit un homme se demande
La raison de ce chant qui monte jusqu'à lui.
Aussitôt que j'entends s'épouvanter ton aile
Lourde porte du temps qui m'aura vu passer
Alors que jeune encor je croyais en des routes
Douces à la fatigue épaisse du marcheur
C'est un peu comme si un vent des hautes sphères
Écornait le front blanc du monde et me lançait
Pomme de pin rongée par des dents de colère
Sur l'océan où nul vaisseau ne hanterait.

Rien de moi n'est plus moi ni mes genoux dans l'herbe
Ni cette obscure main qui cherche à dérober
Un vil morceau de plomb au sommeil de la terre
Ni ce coeur de vingt ans dont les bords sont brisés
Je marche loin de moi sur des routes sans nombre
Une porte d'azur ouverte à mes côtés.