Parle-moi pour que je connaisse la pureté des paroles
inutiles,
que j’entende siffler la vieillesse, que je comprenne
la voix sans espoir.
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Peu connu en France, Antonio GAMONEDA
est l'un des poêtes les plus appréciés en Espagne. Si il a reçu
plusieurs prix, dont le prix de la littérature européenne en 2005,
il reste dans l'ombre.
Né en 1931 à Oviedo (Asturies), il
vit en Castille mais voyage tout autour de la Méditerranée.
Enfant de la guerre d'espagne, il se
détache assez vite des horreurs pour suivre sa voix intérieure, ses
exils intérieurs. Mais sa déportation en Castille, sous le franquisme, le marquera toute sa vie.
On l'imagine solitaire et secret,
tourné entre démons d'un passé collectif et tourments intérieurs.
Et pourtant c'est de nous autres qu'il parle, à travers le « je »
informel de l'écriture.
Des mots simples, sans recherche
d'effets de style (et les très belles traductions de Jacques Ancet
ont su valoriser cette économie, ce mot juste) pour raconter nos
ressentis, nous confronter avec sa vision d'un monde qui est aussi le
notre.
Les critiques littéraires qualifient
souvent GAMONEDA de poète de l'ombre ou de la mort. Ils y relisent
sa biographie, la perte de sa mère alors qu'il était enfant,
l'extrême pauvreté de la première partie de vie. Seule la poésie,
« cet art de la mémoire, donc aussi de l’oubli »
était son chemin, son don, et son salut, face aux « disparitions
qui brûlent ».
L'autre n'est là que par son absence,
que par son souvenir où son essence.
Les grand poètes savent parler un
langage universel qui nous relie au monde. GAMONEDA est de ce bois,
de cette force.
Choix de textes
Il est venu le papier dans la
main
Il m’a fixé de ses yeux
fatigués
il est venu avec papiers et
mains
et j’ai senti son regard
dans ma vie.
(Blues castillan)
Il
y a du sang dans ma pensée, j'écris sur des stèles noires. Je suis
moi-même
l'animal étrange. Je me reconnais : il lèche les
paupières qu'il aime, il porte sur sa langue les substances
paternelles. C'est moi, sans aucun doute : il chante sans voix,
il
s'est assis pour contempler la mort, mais il ne voit que des lampes,
des mouches
et les légendes des rubans funèbres. Parfois, il
crie dans les soirées immobiles. (Clarté sans repos)
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Un jour le monde devint silencieux
;
les arbres, là-haut, étaient profonds et majestueux,
et
nous sentions sous notre peau
le mouvement de la terre.
Tes
mains furent douces dans les miennes
et j’ai senti en même
temps la gravité et la lumière,
et que tu vivais dans mon
cœur.
Tout était vérité sous les arbres,
tout était
vérité. Je comprenais
">toutes choses comme on comprend
(Cecilia)
Tu
es seule en toi-même, sous ta lumière, à pleurer.
Il y a un
pétale blessé sur ton visage.
Tes pleurs coulent dans mes
veines.
Tu es ma maladie et tu me sauves.
(Cecilia)
Dans la quiétude des mères inclinées sur l'abîme.
Dans certaines fleurs refermées avant d'être embrasées
par l'infortune, avant que les chevaux n'apprennent à
pleurer.
Dans l'humidité des vieillards.
Dans la substance jaune du cœur.
J 'ai vu l'ombre poursuivie par les fouets jaunes,
acides jusqu'aux bords du souvenir,
les linges devant les portes de l'indignation.
J'ai vu les stigmates de l'éclair sur des eaux immobiles, dans
des étendues visitées par les présages
J’ai vu les matières fertiles et d'autres qui vivent dans tes
yeux ;
J’ai vu les résidus de l'acier et les grandes fenêtres pour la
contemplation de l'injustice (ces ovales où se cache la
phosphorescence. (Pierres gravées)
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Comme
si tu te posais sur mon cœur, qu'il
y avait de la lumière dans mes veines et
que doucement je perdais la tête ; tout est
certitude dans ta clarté :
tu t'es posée sur mon cœur,
il y a de la lumière dans mes veines,
j'ai doucement perdu
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Bibliographie – ouvrages
traduits en francais
Livre du froid, traduction et présentation Jean-Yves
Bériou et Martine Joulia, 1996, 2e éd. 2005
Pierres gravées, Jacques Ancet, Lettres Vives, 1996
Substances, limites, in Nymphea, traduction Jacques
Ancet, La Grande Os, 1997
Cahier de mars, traduit par Jean-Yves Bériou et Martine
Joulia, Myrrdin, 1997
Froid de limites, traduction et présentation Jacques
Ancet, Lettres Vives, 2000
Description du mensonge (extraits), traduction Jean-Yves
Bériou et Martine Joulia, Myrrdin, 2002
>
Pétale blessé, traduction Claude Houy, Trames, 2002
Blues castillan, traduction et présentation Jacques
Ancet, José Corti, 2004
Passion du regard, traduction et présentation Jacques
Ancet, Lettres Vives, 2004
De l’impossibilité, traduction Amelia Gamoneda,
préface Salah Stétié, Fata Morgana, 2004
Clarté sans repos, traduction et présentation Jacques
Ancet, Arfuyen, 2006
Cecilia, traduction et présentation Jacques Ancet,
Lettres Vives, 2006