jeudi 19 mai 2022

Joël Dicker – L'affaire Alaska Sanders – Rosie Wolfe éditions - 2022

 

L'histoire

En 1999, le corps sans vie de la jeune mannequin Alaska Sanders est retrouvé abandonné sur une plage en bord d'un lac. La petite ville (fictive) de Mount Pleasant, dans le New Hampshire est bouleversée. Très vite, les enquêteurs arrêtent 2 jeunes du village, preuves ADN à l'appui. Le meurtrier présumé se suicide dans le commissariat, son complice qui plaide son innocence est condamné à perpétuité. Mais 11 ans plus tard, l'affaire rebondit. Une preuve de l'innocence du condamné arrive et l'enquêteur Gahalowood aidé de son ami le célèbre écrivain Marcus Goldman reprend l'enquête. Les langues se délient, et petit à petit, un horrible machination est dévoilée. Qui était vraiment Alaska Sanders ?


Mon avis

Enfin un bon polar ! Une enquête passionnante qui va vous tenir en haleine jusqu'à la dernière page et le dernier mot.

Comme souvent avec Dicker, le roman est très bien structuré. Ici c'est l'écrivain qui raconte, entrecoupé de chapitre sur les interrogatoires de la police, les témoignages des témoins, chaque chapitre identifie parfaitement où nous nous situons. De plus le style est assez humoristique et avec beaucoup d'auto-dérision, en fait le livre s'écrit sous nos yeux.

L'intrigue est passionnante, justement parce que nous assistons à une vraie enquête. Ici pas de policier « héros maudit », pas de clichés traditionnels. Nous sommes les témoins de l'action précise et concise (même si le roman fait 570 pages) tant il y a des rebondissements.

Par ailleurs, Dicker nous montre le fonctionnement d'une petite ville, en apparence tranquille, mais où les jeunes n'ont pas un avenir des plus prometteurs (il faut des prêts étudiants très onéreux à rembourser ou alors avoir la chance d'être remarqué dans un sport par exemple). Mais aussi les non-dits, les commérages, la police trop pressée par son procureur de trouver les meurtriers.

Ce roman est une suite des romans de l'auteur suisse « L'affaire Harry Quebert » paru en 2012 et du « livre du Baltimore » publié en 2015 (en poche). Mais vous pouvez très bien lire ce roman sans avoir lu les 2 premiers.


Biographie

Joël Kicker est né en 1985 à Genève où il vit toujours. Après divers emplois, il se consacre à l'écriture de polars qui sont en général de grands succès littéraires. Depuis 2021, il dirige sa propre maison d'éditions « Rosie Golfe ». Il a écrit 5 romans. 

https://www.joeldicker.com/


Extraits :

  • Un couple ne coule des jours heureux que l'espace de quelques mois. Ensuite, c'est du travail, des compromis, de la frustration, des larmes. Mais ça en vaut la peine, parce que le résultat est une unité qui n'est pas due à de la chimie ou de la magie, cette unité, vous l'avez construite. L'amour n'existe pas par lui-même, il se bâtit.

  • Nous avons tous une mouette en nous, cette tentation de fainéantise et de facilité. souvenez-vous de toujours la combattre, Marcus. La majorité de l'humanité est grégaire, mais vous êtes différent. Parce que vous êtes écrivain. Et les écrivains sont des êtres à part. Ne l'oubliez jamais.

  • La nostalgie est notre capacité à nous convaincre que notre passé a été pour l'essentiel heureux, et que par conséquent nos choix ont été les bons.

  • Sergent, votre femme est merveilleuse. Son seul défaut est de s'être mariée avec vous.

  • La stupidité de rester au bureau jusqu'à pas d'heure. Ce sont les Américains qui ont inventé ça. Prouver sa valeur au travail en restant au bureau plus tard que les autres, en envoyant des e-mails en pleine nuit et pendant le week-end. Ça n’a aucun sens. En réalité, si vous devez faire des heures supplémentaires, c’est parce que vous n'avez pas réussi à accomplir le travail demandé pendant le temps imparti et qu'il faut donc vous virer.

  • Le piège de l'argent, Marcus, c'est qu'il peut acheter toutes les sensations, mais jamais de véritable sentiment. Il peut donner l'illusion d'être heureux sans l'être vraiment, d'être aimé sans l'être réellement. L'argent peut acheter un toit, mais pas la sérénité d'un chez-soi.


dimanche 15 mai 2022

Véronique OLMI – Bakhita – livre de poche ou Albin Michel.

 

Véronique Olmi romance la vie de Sainte Bakhita, la première femme noire à être canonisée par Jean-Paul II en 2000, et s'attache sur les ¾ du livre à nous raconter son enfance.


L'histoire

Petite fille de 7 ans (elle serait née en 1869) la petite Bakhita vit dans un petit village du Darfour (Soudan). Alors qu'elle joue seule aux abords du village elle est enlevée par des mercenaires négriers. Elle va alors passer de maîtres en maîtres, certains cruels. Ainsi elle sera scarifiée « parce que c'est plus joli », puis violée, puis soumises à des durs travaux de servitude. L'auteure ne nous épargne pas cette enfance écorchée, rendue encore un peu humaine par des amitiés de passage avec d'autres fillettes. Elle sillonne ainsi l’Éthiopie, car les esclaves se vendent et se revendent.

Elle est finalement rachetée par un consul italien qui l'emmène en Vénétie. Elle sera tout d'&abord employée par une famille avec laquelle la toute jeune femme (19 ans) liera un lien fort avec la petite fille qu'elle seule sait apaisée. Puis affranchie à 21 ans, celle qui a du subir aussi les regards mauvais (on la surnomme la Moretta, la noiraude) elle dévide d'entrer au couvent à Venise, puis finir sa vie en tant que religieuse pour l'orphelinat de Schio à Vicence. Très malade et affaiblie par les tortures dont elle a été victime pendant 13 ans, Sœur Gioseffa Margherita Fortunata Maria Bakhita meurt en paix en 1947.


Mon avis

Certains critiques littéraires ont trouvé que Véronique Olmi avait fait quelques écarts historiques avec la vraie vie de Bakhita (mais le livre est un roman, pas une biographie).

Le livre est une dénonciation de l'esclavage souvent par des commerçants arabes dans cette région de l'Afrique de l'Est. Parce qu’elle nous détaille, mais sans pathos, toute l’enfance de cette petite fille dont on dit qu'elle a été vendue de 7 à 12 fois, nous prenons la mesure de ce qu'on pu vivre les femmes africaine dans cette période tourmentée.

Nous pouvons aussi y lire une critique du Mussolinisme, qui se sont servis de la vie de Bakhita pour se déculpabiliser de leur idéologie malsaine.

Bakhita n'aura jamais reçu d'instruction. Les mauvais traitements et les traumatismes qui en ont découlé sont si violents qu'elle en oubliera même son nom de naissance et celui de sa famille et sa langue natale. D'ailleurs elle ne parlera jamais très bien italien mais une langue où se mélange des mots arabes, africains. Du plus, si l'entrée en religion est le seul choix possible pour cette jeune femme, l'auteure n'est pas persuadée de sa foi profonde en ce catholicisme qui ne peut en rien répondre à la vie volée de la petite fille.

L'écriture est pourtant douce, surtout dans la partie italienne du livre. Car, autant son enfance a été tragique, autant Bakhita a un don inné avec les enfants qu'elle aime comme une mère, et qu'elle sait apaiser. Un don de résilience qui devrait nous faire méditer aussi, face à nos petites épreuves de la vie.

J’ai lu ce livre avec passion. Passion pour cette histoire que je ne connaissais pas, passion pour cette héroïne hors du commun, et passion pour l'écriture qui sait se faire poétique et pour les messages universels qu'il transmet. Au-delà de l'horreur, il y a la rédemption, non pas au sens religieux du terme mais au sens de donner une voix à sa vie.


Biographie

Véronique Olmi est née en 1969 à Nice. Elle a écrit 16 romans à ce jour. Elle écrit aussi pour le théâtre. Elle a obtenu des prix littéraires dont pour Bakhita, le Prix du roman Fnac 217 et le prix Patrimoine BPE 2017.


Extraits :

  • Tout est concentré sur la marche et le courage qu'il faut pour la faire. Mais cette envie de vivre qui la saisit là, dans cette captivité où elle est moins considérée qu'un âne, est comme une promesse qu'elle se fait : elle veut vivre. Cette pensée est à elle. Personne ne peut la lui prendre. Elle a vu les esclaves abandonnés aux vautours et aux hyènes. Elle a vu les esclaves invendables, et ceux bradés aux miséreux. Elle ne sait pas si elle vaut de l'argent, une chèvre, quatre poules, du sel, des bassines en cuivre, des colliers, des pagnes, une dette, une taxe, elle ne comprend pas contre quoi on l'échange, mais elle sait une chose : elle ne veut pas mourir abandonnée au bout de la route. Alors elle obéit. Elle marche. Elle se concentre sur l'effort. Elle est avec Binah, sauvée de la bergerie et du berger. Elle marche. Et elle a une amie. Une autre vie que la sienne, à laquelle elle tient aussi fort qu'à la sienne.

  • Elle se tait et elle sourit. Elle attend. Elle sait très bien attendre. Elle a eu tant de maîtres, elle a reçu tant d'ordres fous, elle sait que se taire est souvent la plus prudente des attitudes.

  • Esclave, elle ne sait pas ce que c'est exactement. C'est le mot de l'absence, du village en feu, le mot après lequel il n'y a plus rien.

  • Elle sait qu’il ne faut s’attacher à personne, qu’à Dieu. C’est ce qu’ils disent, mais elle n’y croit pas. Ce qu’elle croit, c’est qu’il faut aimer au-delà de ses forces, et elle ne craint pas les séparations, elle qui a quitté tant de personnes, elle est remplie d’absences de de solitudes

  • Et c'est comme ça que dorénavant elle avancera dans la vie. Reliée aux autres par l'intuition, ce qui émane d'eux elle le sentira par la voix, le pas, le regard, un geste parfois.

  • Cet amour"immense", cet amour du jour qui se lève et du jour qui se couche, cet amour de tout ce qui vit, de tout ce qui est, cet amour...
    Ça n'est pas supportable. On lui a creusé la poitrine jusqu'au cœur, on le lui a arraché, et maintenant elle voit. De quoi il est plein.

    En savoir plus :

    - https://www.youtube.com/watch?v=6A_EdcyHNbA

    - https://www.youtube.com/watch?v=AX2UeK4YKJA

    -https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-grande-table-1ere-partie/veronique-olmi-une-sainte-se-raconte-1122480

    - https://www.franceinter.fr/emissions/boomerang/boomerang-du-mardi-08-fevrier-2022

samedi 14 mai 2022

Arttu Tuominem – Le Serment – Editions de la Martinière - 2021

 

Trois jeunes garçons finnois se jurent un pacte d'amitié et de loyauté, un serment fort qui les unit. 27 ans plus tard les 3 hommes se retrouvent dans des circonstances inattendues : un cadavre, son meurtrier supposé les mains ensanglantées, et celui qui est devenu inspecteur de police chargé de l'enquête.

Mais face à ce serment de jadis, les choses vont être plus compliquées que prévues.Que s'est-il donc passé dans l'enfance des trois personnages.

Mon avis

Si la facture polar est bien présente, l'originalité du roman tient dans les aller-retours avec le passé de chacun de personnages, dans les décors somptueux mais parfois hostiles des steppes finlandaise. Ici ce n'est pas tellement l'enquête qui compte, assez classique dans le genre, le policier alcoolique et cabossés par la vie mais la façon dont Paliviita, l'inspecteur va devoir jongler entre sa morale et le serment du passé.

Bien sur la critique sociale est sous-jacente : Dans cette belle Finlande, tout n’est pas rose : la violence, l’alcool, les mauvais traitements, les jeunes qui ramassent et tournent mal.

Ceci dit, malgré à mon avis quelques pages en trop, cela reste un bon polar qui se laisse lire.


Extraits :

  • Depuis l'arrivée de l'informatique, la quantité de papier avait décuplé alors que ç'aurait dû être l'inverse.

  • Au milieu de la prairie se dresse une maison abandonnée à la peinture totalement écaillée. (...) L'endroit est aussi fréquenté par des adolescents plus âgés qui viennent y boire de la bière et 'baiser des filles', comme A. prétend l'avoir vu une fois, bien que J. doute que ce soit vrai. Il a parfois l'impression que son copain voit presque tous les jours des nibards et des exhibitionnistes.

  • Ce n'était que le regard vide d'un homme dont l'alcool avait rongé le cerveau, comme il en avait vu des centaines. Des yeux qui n'avaient soif que d'une chose. Du prochain verre qui aiderait leur propriétaire à oublier tous les précédents qui l'avaient mis dans cet état.

  • Un homme avait étranglé sa petite amie avec la ceinture de son peignoir et tenté de dissoudre le corps dans sa baignoire en versant dessus cent litres de déboucheur Mr Muscle qu’il avait acheté par cartons entiers, vidant les rayons des supérettes du quartier. Mais il n’avait bien sûr pas réussi. La soude avait percé les canalisations de l’immeuble et coulé dans l’appartement du dessous.

  • Il pleure comme jamais il ne se rappelle l'avoir fait. (...) Il pleure, mais pas de douleur. Ses larmes viennent de beaucoup plus profond. Il ne sait pas exactement d'où, mais il est conscient que c'est bien pire.


Biographie

Arttu Tuominen, est ingénieur environnemental. Il habite au bord de la mer, à Pori, au sud-ouest de la Finlande, où il situe l’action de son cinquième roman, "Le Serment", mais seulement le premier traduit en français. Il a été récompensé en 2020 du Prix Johtolanka, prix du meilleur roman policier finlandais.L'auteur vit à Pori avec sa femme et ses trois enfants.

En savoir plus :

Karla Suarez – La voyageuse – Editions Métaillé - 2005

 

Circé et Lucia sont deux jeunes filles cubaines qui partent ensemble étudier au Brésil. Mais à la fin de leurs études, elles décident de ne pas rentrer à Cuba, non pas pour des raisons politiques mais pour vivre leur vie.

Si la sage Lucia épouse un homme d'affaires italien et vit à Rome, Circé curieuse du monde va faire son tour du monde Sao Paulo, Madrid, Barcelone, Rome. Autant d'endroits que de rencontres.Mais les deux amies ne se sont jamais éloignées et se retrouvent quand Circé décide de se poser à Rome « avec son fils et son bonzaï ».


L'originalité de ce deuxième roman de la cubaine Karla Suarez est qu'il est construit comme un carnet de bord, qui fait lire Ciré à son amie. On y découvre un personnage de femme à la fois fragile et pleine d'ironie et une amitié dans un tourbillon de vie entre danse et musique. Mine de rien, c'est aussi une ode à Cuba dans son mode de vie joyeux. Le style simple et parfois impertinent de l'auteure nous donne envie de voyages, mais sans oublier la nostalgie de l'exil et de trouver son lieu de vie. Les deux héroïnes sont à la fois touchantes et drôles. On y parle aussi beaucoup d'amour (et son cortège d'illusions).

Un petit livre réjouissant qui se lira facilement et qui sait, vous donnera des envies de voyage.

Extraits :

  • L'amour est ainsi : il arrive ou pas. On ne peut pas l'inventer, le temps le détériore ou l'enrichit, mais on s'appuie sur son existence, ou pas.
    Toutes les choses sont là, l'essentiel est d'être capable de les reconnaître, sinon le train file et on se retrouve à la gare suivante.

 

Bibliographie

Née en 1969, Karla Suarez est romancière et nouvelliste. Elle a publié 4 romans traduits en français, des recueils de nouvelles, et des récits de voyage. Elle est aussi la réalisatrice d'un documentaire « 24 heures dans la vie d'une femme cubaine »

Elle a donné des ateliers d’écriture littéraire en Italie et en France. Elle a écrit pour le journal El Pais

En 2012, son roman La Havane, année zéro a gagné le Prix Carbet de la Caraïbe et du Tout-monde et le Grand Prix du Livre insulaire en France2.

Après avoir vécu quelques années à Rome, puis à Paris, elle réside actuellement à . Lisbonne . Elle est de plus professeur d’écriture de l’Escuela de Escritores a Madrid.



En savoir plus :

vendredi 13 mai 2022

Boris QUERCIA– Les rêves qui nous restent – Éditions Asphalte 2021

 

Natalio, policier de catégorie 5 (la pire des catégories) se voit confier une enquête par une des plus grosses sociétés de la City, le siège absolu d'un univers totalitaire. Il est aidé par son éléctroquant (son robot andoïde) qui se relève plus surprenant que prévu.

Ce cours roman à l'univers très « Blade Runner », fait son boulot de petit roman SF/Polar facile à lire. Très classique on retrouve l'enquêteur tourmenté qui n'a plus rien à perdre et originalité, un androïde capable de conscience et une amitié entre l'humain et la machine. Comme toujours les ultra-riches peuvent se permettre un coin de nature réelle, sinon on vous propose de plonger dans un univers de rêves artificiels très très particulier.

Facile à lire, il vous replongera dans l'univers de Philip K. Dick. De plus une play list vous est proposée en fin de roman afin d'accompagner votre lecture. Par exemple : https://www.youtube.com/watch?v=IXdNnw99-Ic&t=131s

Extraits

  • Mon électroquant se vide de son sang.
    Le liquide de refroidissement forme une grande mare autour de son corps, et de minuscules ruisseaux vaporeux s'écoulent dans les rainures des dalles de béton jusqu'à la plaque de métal sur laquelle je me tiens. C'est comme si cette humeur chaude et visqueuse, qui s'échappe de sa tête fracassée, était autonome et cherchait à s'infiltrer dans le sous-sol pour dégouliner sur les dissidents et se venger.
    Tout s'est passé très vite.

  • Enfants, nous voulons tous devenir des super-héros. Mais quand vient la chute, il faut savoir accepter de se fracturer les genoux en tombant. Et ça ne sert à rien de pleurer, il y a toujours quelqu'un encore plus bas que toi dans la fosse et c'est lui qui recevra toute ta merde.

  • Pourquoi mettre la douleur sur le tapis ? S'il y a une chose que les électros ne connaissent pas, c'est bien ça. La douleur, c'est nous qui l'avons conservée. Ils nous ont pris tout le reste, à commencer par la raison, mais chacun de nous, comme si nous ramassions les dernières miettes d'un banquet auquel nous n'étions même pas conviés, a pris sa douleur, la garde depuis au fond de sa poche et la traîne toujours avec soi.

Bibliographie : 

Boris Quercia est né à Santiago du Chili en 1967. Acteur, réalisateur, scénariste, producteur et écrivain, il travaille à la fois pour le cinéma et la télévision.

L’écriture de polars reste son jardin secret. "Les Rues de Santiago", son premier roman, sort en 2014. Suivra, l'année suivante, "Tant de chiens" puis « la légende de Santiago ».

En savoir plus :

jeudi 12 mai 2022

Edouardo Fernando VARELA – Patagonie route 303 – Éditions Métaillé - 2020

 

Parker, un camionneur parcourt les routes secondaires de la Patagonie, pour livrer des marchandises dont quelques unes douteuses. On imagine un passé compliqué. Dans cette grande région (au su de l'Argentine et du Chili, on rencontre une drôle de faune : un journaliste qui recherche des sous-marins nazis, un garagiste des plus flemmards, une trop jolie caissière d'une miteuse fête foraine, d'autres camionneurs qui ne pensent qu'à boire et à se bagarrer, mais aussi des évangélises boliviens, une tribu d' indiens anthropophages qui ne le sont pas.. Cet inventaire à la Prévert donne lieu a des situations cocasses, qui ont le chic d'énerver ou d'amuser le héros.

Mon avis  

Plus que tout ce livre est un hommage à la Patagonie, avec ses déserts, ses vents violents, ou sa chaleur excessive. Évidemment les rencontres sont cocasses, parfois dangereuses, comme si ce monde là ne tournait pas rond.

L'écriture de ce premier roman, façon « road trip » est très spontanée et parfois très drôle, avec ce personnage principal à la fois désabusé, amoureux, colérique mais toujours avec un certain humour. Car si les lieux ont des noms improbables (Mule Morte, Jardin épineux), selon les vents les endroits changent et s'orienter dans ces paysage mutants est aussi difficile que de trouver un sens à sa vie.

On s'amuse beaucoup, tout en imaginant des lieux aussi divers qu'improbables. Bien sur le second degré est de mise, et en fait un drôle de roman, savoureux à souhait, entre la bière (« meilleure boisson du monde »), les querelles et quelques réflexions philosophiques sur l'existence. Pari réussi pour ce livre qui vous amusera et qui vous donnera envie d'aller vous promener dans les steppes argentines.

Extraits :

  • Cette nuit-là, Parker dormit dans la cabine pour gagner du temps, une sensation de hâte le dominait depuis le moment où il avait décidé de revoir cette femme. “Maytén”, répétait-il dans sa tête. Le son de ce prénom évoquait la terre et le paysage, les lacs bleutés de la cordillère, la brise tiède du printemps qui caressait les corps ; il produisait un écho fragile et cristallin, un accent, un final sans voyelle, ce qui ajoutait une grâce subtile, vaporeuse. Plus Parker se répétait ce prénom dans la pénombre du camion immobile sous les étoiles, plus il prenait de significations, jusqu’à devenir magique et parfumer l’aube.

  • Parker se dirigea vers le centre du bourg sans saluer les divinités, il remonta une longue avenue déserte et se gara près d'une placette au centre de laquelle se dressaient le mât du drapeau national et une fontaine à sec, pleine de terre, au pied d'une statue équestre du lieutenant homonyme, couvert d'un poncho et armé d'un fusil : un obscur héros de la conquête du désert, qui devait sa célébrité aux massacres d'Indiens, présentés comme des batailles pour le progrès, tué à son tour par ceux-ci au cours d'un raid. Une plaque commémorait ses hauts faits et incitait les générations futures à suivre l'exemple de cet illustre soldat., mais aux pieds du cheval les autorités locales, dans un geste de réconciliation nationale, avaient ajouté la statue d'un Indien aux cheveux longs et en pagne qui, soumis et penaud, marchait à ses côtés comme un fidèle écuyer.

  • Bon, alors prenez la 210 jusqu’à trouver un arbre abattu. Si vous dépassez les trois jours, revenez en arrière, parce que vous serez allé trop loin. Au croisement, prenez à gauche, c’est l’affaire d’un jour et demi, deux s’il pleut.

  • L’écriture est une maladie compliquée. Vous savez quel est son seul remède ? .......
    -Le seul remède, dit-il enfin, c’est de continuer à écrire.

Bibliographie : 

Né en 1960 à Buenos Aires, Eduardo Fernando VARELA vit entre Buenos Aires, où il écrit des scénarios pour le cinéma et la télévision, et Venise. Il a étudié le journalisme, la photographie et l’écriture audiovisuelle."Patagonie route 203" est son premier roman. Il a obtenu le prix Casa de las Americas 2019.

En savoir plus :

lundi 9 mai 2022

Monica OJEDA – Mâchoires – Gallimard « du monde entier » - 2022

 

L'histoire  

Fernanda, une belle et insolente lycéenne passionnée de littérature et de films d’horreur, se réveille pieds et poings liés dans une cabane au milieu de la forêt équatorienne. Sa kidnappeuse n’est pourtant pas une inconnue : il s’agit de sa professeure de lettres, Miss Clara, une femme hantée par le souvenir de sa mère et harcelée depuis des mois par ses élèves dans un établissement catholique de l’Opus Dei, réservé aux élites de Guayaquil.

Fernanda et ses amies se veulent des filles libres, non soumises aux codes moraux de la société, et passionnées par les films d'horreur et le « creepypastas » ces légendes urbaines, elles vont aller jusqu'aux confins des relations amicales, sexuelles et machiavéliques. A leur dépens.


Mon avis

Le premier roman de la Monica Ojeda (Équateur) ne fait pas dans la dentelle, avec une construction de son roman variant selon les époques. D'un coté cette bande d'adolescentes qui vont toujours plus loin dans des délires. Totalement féminin, l'auteure explore les relations filles/mères, avec Clara, cette professeure encore sous l'égide de sa mère décédée, et cible des élèves, mais aussi la dynamique d'un groupe d'adolescentes qui passent de la tendresse à la perversité et à la trahison.

La plume de Monica est à la fois poétique, précise et audacieuse, car très imagée. A titre d’exemple, Anelise appelle l’adolescence « l’âge blanc ».

L’auteure élabore un thriller horrifique et psychologique, minutieusement construit, énigmatique et bouleversant. Un roman explorant le côté sombre de la féminité, où les hommes sont absents, ou presque. Grâce à un fort pouvoir de suggestion, mélangeant volontiers délire et réalité, utilisant la terreur cosmique dans le plus pur style de Lovecraft,  Monica dépeint les peurs et les réactions de ces adolescentes, occupées à se construire, grandir et apprendre. On retrouve même une référence au body horror, de manière subtile, avec la maladie dont souffrait la mère de Clara.

 Mâchoires » joue avec l’esprit du lecteur, brouillant son environnement. C’est extrêmement dérangeant, ce qui en fait un excellent roman d’horreur psychologique. Atypique et envoûtant à la fois. Et puis il y a aussi en miroir un amour passionné pour la littérature et la poésie, avec des références à des grands écrivains ou poêtes.



Extraits

  • En ce sens, le fait que le Lycée ne soit pas ouvert aux garçons était est un facteur clé car cela modifiait les relations entre les filles ainsi que l’organisation sociale des classes. Dans un groupe mixte, par exemple, l’élément le plus turbulent - celui qui faisait le malin et se faisait mettre à la porte - était en général un garçon. Il y avait aussi cette éternel flirt entre garçons et filles d’une même classe, qui fonctionnait par contraste : plus ils étaient provocateurs et violents, plus elles étaient sages et responsables - ou du moins faisaient semblant de l’être car ce n’était qu’un masque pour attirer leur proie. Il y avait, bien sûr, des exceptions : des gamines qui enfreignaient les règles, abusaient de la patience de leurs professeurs et frappaient leurs camarades, mais en général les filles se construisaient en opposition à ce genre de comportements qu’elles voyaient chez les autres et qu’elles associaient à une masculinité qui leur était interdite.

  • Une fille ne se rend jamais compte qu'un jour il lui faudra être la mère à la mâchoire. Mais tu es comme ma fille parce que tu es mon élève. Je me rends responsable de tout le mal que tu fais .Ouvre toi bien .On va éteindre ensemble les lumières pour qu'apparaisse le Dieu blanc de ta pensée. L'immense vérité du néant. Tu le sais, non?Bien sûr que oui.Bien sûr que tu le sais.Tu sais bien que les filles qui ont trop d'imagination finissent tarées, mais à présent tu vas apprendre quelque chose d'important .Réjouis-toi.Voici la couleur de la peur .Le blanc du lait.Le blanc de la mort.Crane enneigé de Dieu.Bienvenue dans la mâchoire volcanique.Bienvenue chez moi.Entrons.(Page 315/316).

  • Être la fille, avait-elle compris avec le temps, revenait à être la mort de sa mère–tout le monde engendre son assassin, pensa-t-elle, mais seules les femmes en accouchent–et cette mort, elle l’emporte comme une graine dans sa profession, dans sa coiffure, dans ses vêtements et même dans ses gestes…

  • Parce que la nature des filles, disait le credo, c'était de sauter sur la langue maternelle main dans la main; survivre à la mâchoire pour devenir ma mâchoire, prendre la place du monstre, c'est à dire celle de la mère Dieu qui donnait naissance au monde du désir.

  • Son imagination est musculaire, elle est comme attachée à son squelette, et elle est, je ne sais pas, réelle. C’est quelque chose qui bouge.



Bigraphie

Monica Ojeda est née en 1988 en Équateur. Monica Ojeda Franco est une écrivaine équatorienne, poétesse, nouvelliste et romancière.Elle a obtenu son baccalauréat universitaire à l'Université catholique de Santiago de Guayaquil, suivi d'un master de l'Université Pompeu Fabra de Barcelone. Elle prépare son doctorat à Madrid.

Elle est l'autrice des romans "La desfiguración Silva" (Prix Alba, 2014) et "Nefando" (2016), ainsi que du recueil de nouvelles "Las voladoras" (2020) et du recueil de poèmes "El ciclo de las piedras" (Prix National de Poésie 2015).
En 2017, elle a été considérée comme l'une des 39 meilleurs écrivains latino-américains de fiction de moins de 40 ans.
Avec la publication de "Mâchoires" ("Mandíbula", 2018), Ojeda est devenue l’une des autrices de langue espagnole avec la plus grande perspective internationale.
Elle vit et travaille à Madrid depuis 2016
. Mâchoires est son premier roman traduit en français.



En savoir plus :