jeudi 7 juillet 2022

Melissa DA COSTA – Tout le bleu du Ciel – Éditions Livre de poche - 2019

L'histoire

Émile, 26 ans est atteint d'un Alzheimer précoce et dégénératif qui lui donne 2 ans à vire au mieux . Il n'a nullement envie de rester allongé sur un lit d'hôpital à attendre des essais cliniques qui de toutes façons ne le guériront pas. En cachette de sa famille et de ses amis, il part en camping car avec Johanne une jeune femme mystérieuse qui parle peut mais qui est d'une redoutable efficacité. Un road movie dans les Pyrénées, avec des amitiés qui se nouent, un drôle de mariage et un vent de fraîcheur en attendant la fin.


Mon avis

Voilà un livre qui a beaucoup fait parler de lui et a reçu des critiques prestigieuses. Il en fallait pas moins pour oser s'aventurer sur le délicat sujet de la fin de vie. Ici, le héros choisit de vivre ces derniers jours en totale liberté. Découvrir des paysages magnifiques et aussi nouer des amitiés profondes. Et puis il y a ce personnage magnifique de Johanne, femme discrète mais dévouée. Elle aussi a souffert de quelque chose et pleine d'empathie et de résilience, elle n'abandonne pas cet homme parfois désemparé, sujet à crises de black out.

La maternité est mise en avant. Celle que refuse Émile à son premier amour Laura, celle perdue par Johanne, et l'attitude de cette femme meurtrie qui devient la maman du héros au fur et à mesure que celui-ci perd la mémoire et régresse dans l'enfance ;

La beauté des paysages, les amitiés nouées font tout le charme de ce livre.

Ce voyage est au fond une quête de soi, de sa propre résilience et de la compassion. Johanne mutique est aussi une femme pragmatique, qui ne va jamais lâcher la tâche qu'elle s'est elle-même confiée. Les personnages féminins dans ce livre sont des femmes fortes, même si elles ont des apparences fragiles. Ce sont les porteuses de vie et d'amour. Sans tomber dans le cliché, mais rien que par le choix des prénoms Émile, Léon sont des prénoms du passé. Johanne, Laura, Laëticia des prénoms actuels.

Hélas, le roman aurait gagné en légèreté si l'auteure avait réduit les histoires d'amour passées des deux protagonistes qui en plus sont des redites qui n'apportent rien à l'intrigue. Et allégé le pathos qui entoure les derniers moments de la vie d'Emile, la simplicité est parfois bien plus touchante que le surplus.

Et puis il y a des références à des auteurs sous forme de citations et un peu trop de Paolo Coelho à mon goût, gourou new-âge qui aligne des vérités que l'on sait déjà.

Un roman à lire si vous avez votre boite de mouchoirs, mais je reste mitigée. Certes l'écriture est facile, sans effets littéraires, mais il y a un peu de « trop » dans ce livre.


Biographie :

Née en 1990 à Lyon, Mélissa Da Costa suit des études d’économie et de gestion à l'Institut d'administration des entreprises de Lyon (IAE) (2008-2011), elle est chargée de communication dans le domaine de l’énergie et du climat.

Elle suit également des formations en aromathérapie, naturopathie et sophrologie.
"Recherche compagnon(ne) de voyage pour ultime escapade" (2017), sortie en librairie sous le titre "Tout le bleu du ciel" (2019), est son premier roman. Salué par la presse, il a reçu le prix du jeune romancier au salon du Touquet Paris Plage.


Extraits :

  • Je pourrais vous faire une liste des raisons qui m’ont poussé à partir. Ça pourrait vous aider à comprendre et à me pardonner. Vous pourriez en trouver au moins une qui serait valable, pour chacun d'entre vous. La première et la plus évidente, c’est que je ne veux pas de cet essai clinique et que je ne veux pas crever branché à des électrodes. Je ne veux pas être un rat de laboratoire. Si la maladie doit m’emporter, qu'elle m'emporte, mais par pitié que tous ces médecins me fichent la paix ! 

  • L’effort physique permet au mental de totalement lâcher prise. Les pensées se succèdent en tourbillon, mais un tourbillon calme et serein. À certains moments on est à peine conscients qu’on pense. Il y a des souvenirs qui remontent tout doucement, qui s’imposent sans provoquer d’émotions douloureuses. On les regarde avec une certaine distance et avec bienveillance.

  • Si nous pleurons parce que le soleil n’est plus là, nos larmes nous empêcheront de voir les étoiles.

  • Son visage est baigné de la lueur dorée du coucher de soleil, ce qui accentue encore l’irréalité de la situation. Émile songe : cette fille est un poème.

  • À faire de vivre dans le passé comme tu dis, ou dans l'angoisse du futur, on finit par oublier qu'il y a de la beauté dans tout... ou presque tout... Quand on est enfant, on le fait naturellement, non ? On s'émerveille devant... devant un caillou qui a des reflets argentés ou... ou devant une plume. On ramasse des pissenlits et on s'extasie devant leur jaune intense. Après ça, on trouve ça laid, les pissenlits... On les considère comme des mauvaises herbes.

  • Quand on ne peut revenir en arrière, on ne doit se préoccuper que de la meilleure façon d'aller de l'avant.

  • Accepter de recevoir est un geste de générosité, tu sais... Peut-être encore davantage que le fait de donner.

  • ..marcher seule... On se retrouve plongé en soi, on n’ est plus vraiment conscient de ce qui se passe autour. L’ effort physique permet au mental de totalement lâcher prise. Les pensées se succèdent en tourbillon, mais un tourbillon calme et serein. À certains moments on est à peine conscient qu’on pense. Il y a des souvenirs qui remontent tout doucement, qui s’imposent sans provoquer d’émotions douloureuses. On les regarde avec une certaine distance et avec bienveillance.

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dimanche 3 juillet 2022

Jenny OFFILL – Atmosphère – Éditions Dalva - 2021

 


L'histoire

Lizzie est bibliothécaire à New-York. Elle répond aussi aux mails de son ancien professeur de lettres devenue spécialiste de la crise climatique. Elle doit aussi soutenir son frère dépressif et un mari qui ne fait pas grand chose à part finir une thèse sur Démocrite un philosophe grec oublié.Sous forme de petites chroniques, nous faisons connaissance avec une galerie de personnage du monde intellectuel de la Grosse Pomme.


Mon avis

Ce livre reste un incontournable de la littérature américaine classique où il s'est écoulé à des millions d'exemplaires. C'est une chronique un peu farfelue des villes urbaines et des pseudos intellos qui ne se posent pas les bonnes questions. C'est aussi une critique acerbe de la classe moyenne.

La narratrice laisse son esprit vagabonder, du concret à l'abstrait, du plus trivial au plus profond, du noble au ridicule et du drôle au tragique. On suit sa pensée sans linéarité, en passant parfois du coq-à-l'âne, en retournant dans le passé ou en se projetant dans l'avenir. Un avenir qui n'est pas rose, d'ailleurs. Pour mettre du beurre dans les épinards, Lizzie accepte d'aider Sylvia, son ancienne directrice de thèse, qui donne des conférences et produit des podcasts sur les dérèglements climatiques : comme Sylvia est débordée, Lizzie répondra à ses courriels, réponses qu'on retrouve, souvent en encadré, dans le texte. Ainsi, entre ses proches, les abonnés déjantés de la bibliothèque et les correspondants aussi anxiogènes que leurs questions, l’auteure nous présente une image de la société d'aujourd'hui. Encore plus actuelle (le livre a été publié aux USA en 2016, a l'arrivée de Bush au pouvoir). Il pose les questions aussi du totalitarisme, de l'avenir incertain, des transhumanistes aux survivalistes.

Le ton est très amusant, et des petits encadrés nous dévoile les réponses hilarantes auxquelles Lizzie, pleine d'empathie, toujours en questionnement, répond.

Un livre qui reste d'actualité, facile à lire, plein de petites réflexions, avec des allers-retours dans le passé de l'héroïne.. Un livre à la fois drôle mais inquiétant sur nos perspectives d'avenir.


Biographie :

Née en 1968 dans le Massachusetts, Jenny Offill est enseigne l’écriture à Queens University, Brooklyn College et l’université de Columbia. Elle écrit aussi des livres pour la jeunesse.


Extraits :

  • Le problème d’un mariage assorti, avait-elle dit, c’est que sur le moment, il a l’air parfait. C’est comme une clef qui glisse toute seule dans une serrure. Mais la question, c’est : est-ce vraiment dans cette pièce là que vous avez envie de passer votre vie ?

  • Est-ce qu’on doit se procurer une arme ? demande Ben. Mais c’est l’Amérique. Quelque-un qui tue moins de trois personnes ne passe même pas aux informations.

  • Une tortue est attaquée par une bande d'escargots. La police enquête mais la tortue ne leur est d'aucune aide. "Ça s'est produit si vite", dit-elle.

  • Je suis assise face à un type sexy en manteau vert qui donne l’impression de me connaître. Quand j’étais plus jeune, je savais pourquoi un homme me regardait, mais désormais ce n’est en général qu’à cause d’un trou de mémoire.

  • Question : Quel est le moyen de préparer mes enfants au chaos à venir ?
    Réponse : Vous pouvez leur apprendre à coudre, à jardiner, à bâtir. Même si les techniques de maîtrise de la peur sont peut-être plus utiles

  • Question : quelle est la différence entre une catastrophe et une urgence ?
    Réponse : une catastrophe est un événement brutal qui entraîne de gros dégâts et des pertes importantes. Une urgence est une situation où les actions normales ne peuvent se poursuivre et où il faut réagir de façon immédiate pour éviter une catastrophe.

  • Question ; Quelle est la philosophie du capitalisme tardif ?
    Réponse : Deux randonneurs rencontrent un ours affamé sur un sentier. L'un d'eux sort ses chaussures de course et les enfile. "Tu peux pas courir plus vite qu'un ours", lui murmure l'autre. "J'ai juste besoin de courir plus vite que toi", répond le premier.

  • Je lui explique que je ne suis inscrite nulle part parce que les plateformes me donnent l'impression de me transformer en écureuil. Pas vraiment en écureuil, mais en rat qui peut s'empêcher d'appuyer sur un levier.

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Les éditions Dalva se sont spécialisées dans l'écriture au féminin et mettent en avant de jeunes auteures qui veulent comprendre et changer le monde.

Karine LAMBERT – l'immeuble des femmes qui ont renoncé aux homme – livre de poche - 2016

 


L'histoire

Elles sont 5 femmes d'âges et métiers différends. Pour un loyer modeste, elles vivent dans un immeuble appartenant à la « Reine », mais à une seule condition. Aucun homme ne doit franchir la grille du portail. Le seule mâle toléré est Jean-Pierre, un bon gros chat roux, qui se fait bichonner par toutes ses dames. Mais l'arrivée d'une nouvelle locataire Juliette risque bien de bousculer ces femmes dans leur conviction.


Mon avis

Un tout petit livre qui ne prendra pas trop de place dans votre bibliothèque mais qui est très amusant. Une galerie de femmes à la fois drôles et touchantes. Il y a la Reine, ancienne danseuse étoile qui vit dans les souvenirs de ses plus beaux rôles et de ses admirateurs. Guiseppina, une italienne d’origine pauvre, a fui l'Italie et surtout un père et 3 frères qui ont ont contrôlé sa vie avec violence. Simone elle a fui ses Vosges natales trop ennuyeuses puis est partie sur un coup de tête en Argentine et elle en est revenue avec un bébé que le père n'a jamais voulu connaître. Rosalie est prof de yoga, et ne jure que par la méditation, quittée sans un mot par son mari. Et puis arrive Juliette. Certes Juliette connaît des déboires amoureux, mais ne renonce pas à trouver l'âme sœur. Internet ne la séduit pas, pas plus que les datings où les petits arrangement de son meilleur ami.

L'écriture de Karine Lambert est vive, et au passage nous fait visiter un coin de Paris, le XX me arrondissement, où il existe encore des petites maisons avec jardin, des petits commerces.

Une réflexion aussi sur l'amour, le vie à deux et le sens à donner à sa vie. Pas un chef d’œuvre mais de quoi égayer l'été.



Biographie :

Observatrice et sensible au monde qui l’entoure, Karine Lambert est une romancière et une photographe belge. Derrière son objectif, elle capte des instants essentiels : éclats de rire, de fragilité et de vérité. Que ce soit avec des images ou des mots, elle raconte ce qui la touche.Passionnée par l’être humain et sa capacité à se réinventer, les thèmes qu’elle explore et les univers qu’elle crée sont à chaque fois très différents. Il est cependant toujours question d’amour de la vie, de perte de repères et de solidarité.Ses livres sont publiés en treize langues dans plus de vingt-cinq pays.« Écrire, c’est mettre de l’ordre dans mes émotions, un espace de liberté, une grande salle de jeux... et vivre toutes les vies que je ne vivrai jamais. Je suis tour à tour danseuse étoile, gardien de zoo ou platane centenaire ».


Extraits :

  • Elle n'a plus envie de provisoire ni d'un homme sur mesure qui comblerait son manque au millimètre près. Elle ne veut plus de rêves géants et de réalité minuscule. Elle ne veut plus d'urgences qui se croisent. De mâles au sexe raide et aux promesses floues. De nuits sans lendemains. Elle ne veut plus être un lieu de passage. Elle voudrait calmer sa course folle, poser ses valises. Elle voudrait retrouver le même homme à côté d'elle chaque matin. Ouvrir les rideaux et dire à son chéri :" Qu'est ce qu'on fait aujourd'hui ?" Elle voudrait rentrer, qu'il lui demande comment s'est passée sa journée et lui poser la même question en retour. Un homme imparfait, des mots doux, des gestes tendres.

  • Marcher, danser, tomber, vieillir : la vie, c’est une succession de déséquilibres.

  • L'amitié, tu sais, c'est comme une écharpe très douce dans laquelle on s'enroule.

  • Quand on est en colère ou triste, les pensées se transforment en marsupilamis bondissants.

  • S’adapter au bonheur, c’est pas donné à tout le monde.

  • Une vie sans hommes, c'est une vie sans sel, sans sucre, sans piment, sans miel. 

     

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vendredi 1 juillet 2022

Mark Spragg – une vie inachevée – Editions Gammeister Poche (Totem) - 2020

 


L'histoire

Jean, 30 ans et sa petite fille de 9 ans fuient le compagnon violent et alcoolique. Mais elles ont peu d'argent, la veille voiture rend l'âme et Jean décide de retourner vivre quelques temps chez son beau-père Einar, dans le Wyoming où elle est née. Un homme qui la pense responsable de la mort de son fils. De retrouvailles et une fin inattendue.


Mon avis

Voilà un livre très agréable à lire et qui pose plusieurs questions.

Celui de la violence faite aux femmes, surtout dans les classes populaires où les jolies filles n'ont pas de cervelle et « qu'il faut mater ».

Mais aussi celui du pardon, parfois impossible. Einar, homme solitaire, le beau-père déteste cette belle-fille trop libre (mais pourtant trop malheureuse), ce même homme qui soigne avec une amitié infaillible son meilleur ami défiguré par un ours sauvage.

Il pose la question de la maternité. Élever seule son enfant, alors qu'on rêve d'une famille et qu'on ne fait pas les bonnes rencontres. Pourtant la petite Griff est une fillette très intelligente. Elle sait amadouer cet irascible grand-père, joue un rôle protecteur et critique vis-vis de cette mère volage qui ne sait ni garder un homme ni un emploi . Un emploi de serveuse ou de blanchisseuse, bref des emplois sans avenir.

Ici c'est la recherche de l'amour (familial, maternel, amoureux, amical) qui est le moteur des personnages. Et puis il y a le personnage de Mitch, l'homme malade et ami de toujours d'Einar, l'homme qui connaît la résilience, l'homme qui a tant d'amour dans son corps meurtri, le conciliateur,

C'est encore un portrait de l'Amérique des petits gens, les ranches d'hier qui ont fait la fortune des uns deviennent délabrés, les jeunes veulent un emploi en ville, les terres sont louées et les fermes n'ont plus la grandeur d'antan.

Une fois de plus Gallmeister signe un auteur « féministe dans l'âme », à l'écriture sans chichis, où l'on devine les paysages de ce grand ouest, pays des cow-boys, à l'ombre des montagnes « Big Horn » ou de Yellow Stones.


Biographie :

Mark Spragg est né en 1952 et a grandi dans un ranch du Wyoming. Il évoque son enfance et sa jeunesse passées parmi les chevaux au cœur d’une nature rude et majestueuse dans Là où les rivières se séparent. Outre "De flammes et d'argile", publié aux États-Unis en 2010, il est l’auteur de deux autres romans, dont "Une vie inachevée", qui a été porté à l’écran par Lasse Hallström, avec Robert Redford dans le rôle de Einar.Son œuvre est aujourd'hui traduite en quinze langues.


Extraits :

  • Elle presse ses mains bien à plat sur sa poitrine. Pas de tétons. Pour le moment, elle ne risque rien. Un matin elle se réveillera avec des seins, peut-être quelques poils entre les jambes, et tout commencera à aller de travers. Comme c'est allé de travers pour sa mère. Les seins, ça attire les caravanes et les pick-up, et ça fait beaucoup, beaucoup pleurer.

  • Il aurait dû y avoir un vieux con pour m'expliquer ce que c'est de vieillir. (…) Il y a sans doute eu un vieux con pour me l'expliquer, mais je ne l'écoutais pas.

  • Je ne me suis pas fait tabasser parce que je n'avais pas d'arme. J'ai été battue parce que je suis tombée amoureuse du type dont il ne fallait pas tomber amoureuse, que j'ai été trop stupide et trop terrorisée pour arrêter de faire semblant et m'avouer que je m'étais plantée.

  • Son reflet sourit. Elle ferme les yeux et tente d'imaginer l'homme qui a élevé son père. A quoi il ressemble. S'il sera capable de deviner tout de suite qu'elle est sa petite-fille.

  • Ici nous sommes dans l'Ouest sauvage, l'Ouest de jadis. Où les hommes sont des hommes, et où les femmes sentent la femme.

  • Il adresse un clin d’œil à Mitch et sourit de nouveau, comme s’ils étaient jeunes et ne croyaient pas vraiment à la mort, et comme si ces montagnes étaient un paradis sur le toit du monde qu’ils n’avaient jamais eu à quitter, pas un seul jour de leur vie.


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mercredi 29 juin 2022

Moussa KONATE – La malédiction du Lamantin – Poche Points


Dans le cadre du marathon des mots, manifestation littéraire à Toulouse la littérature africaine était à l'honneur cette année.

L'histoire

Le commissaire Habib doit enquêter sur un mystérieux crime commis à Kokri, en plein pays Bozo, une ethnie qui vit le long du fleuve Niger au Mali. Mais les croyances ancestrales en « Maa » le dieu tout puissant du fleuve ne vont pas être faciles pour le commissaire et son jeune adjoint Sosso.


Mon avis

Cet adorable petit polar est le troisième de la série du Commissaire Habib que nous a concocté Moussa Konabé. Entre les croyances animistes et un islam à la sauce malienne, le poids des croyance est implacable. Écrit avec beaucoup d'humour, et de vivacité, l'auteur puise dans les traditions du peuple bozo, qui vit traditionnellement de la pêche et dont les croyances mélangent leurs propres divinités et un 'islam quelque peu fantasque.

Le livre vaut surtout pour ce voyage un peu court dans le delta du Niger et dans le style amusant de ce qui est en fait un joli conte. Konaté a tout du griot. Son regard est aussi bienveillant et il nous passe un message de respect et d'empathie.



Biographie :

Moussa Konaté est né en 1951 à Kita au Mali et mort en 2013. Il est diplômé de lettres à l'université de Bamako puis enseignant. Il se met à écrire en 1998/ Les enquêtes du commissaire Habib (6 romans) se situent dans différentes régions du Mali. Il est est d'ailleurs reconnu comme l'un des grands écrivains de ce pays dont il a exploré les croyances et les ethnies dans ces romans.


Extraits :

  • En fait, c'est comme si tu me disais : "Fais comme font les autres, rentre dans le rang et ne cherche pas plus loin."
    Si tu le monde courbait la tête, avalait sa conscience, tu imagines dans quel état serait notre pays ?
    Je ne veux pas être une exception, je veux être honnête, c'est tout.

  • De quel droit des gens n'ayant aucun lien avec la police pouvaient-ils se donner l'autorité d'imposer au chef de la brigade criminelle d'abandonner une enquête ordonnée par le procureur de la République ? Était-ce la république ou la gérontocratie ? Certes, on pouvait comprendre l'attachement des personnes âgées aux traditions ancestrales, mais elles n'étaient ni élues ni nommées. À supposer qu'on leur cédât une fois, ne faudrait-il pas céder toujours ? Ne deviendraient-elles pas les vrais maîtres du pays, qu'elles gouverneraient strictement selon les traditions millénaires ? À quoi cela pourrait-il mener, sinon au chaos ?

  • Si tu me demandes s'il y a un pouvoir, je te répondrai qu'il y en a en fait deux. Il y a ceux qui sont au pouvoir par la grâce de la colonisation, et ceux qui s'estiment les héritiers du pouvoir ancestral.
    Au sommet même de l'état, on reconnaît cette dualité. Une autre m'a trouvé au bureau sans rendez-vous; ils pourront rencontrer n'importe quel ministre, n'importe quel président de la République de la même façon.

  • Écoute, mon cher, ne perdons pas de temps : tu as fauté et du dois payer. Ou c'est à moi que tu paies directement et ça te fera six mille francs, ou tu vas payer à la fourrière et ça te coûtera douze mille francs. Décide-toi vite et laisse-moi faire mon boulot.
    Ah, quel pays ! se désola le commissaire. Des agents de police qui rackettent au su et au vu de tous !


En savoir plus :

sur les Bozos : http://bamada.net/mali-les-bozos-un-peuple-de-leau


 

lundi 27 juin 2022

Sally Rooney – Normal People – Éditions de l'Olivier - 2021

 

L'histoire

Connell et Marianne ont grandi ensemble dans une ville au nord de l'Irlande. Amis, amoureux, l'un est fils de la femme de ménage et cherche sa voix, l'autre est riche, timide mais se dévoile aussi comme curieuses d'expériences notamment sexuelles, sans jamais perdre de vue Connell. Est-ce que l'amour est si difficile à dire ?


Mon avis

Franchement je n'ai vu aucun intérêt à ce roman que l'on nous présente comme le roman aux millions d’exemplaires vendus, et à l'adaptation en série TV. Si la jeune auteure a voulu démonter les mécaniques entre l'adolescence et l'âge adulte, avec ses cultes, ses secrets, les premières expériences avec la drogue, l'alcool et le sexe, le roman n'arrive pas à la hauteur de ses ambitions. Certes les 2 héros sont des personnages décalés, avec des personnalités fragiles et troubles, mais on se perd dans des dialogues sans fond et surtout, alors qu'ils sont respectivement étudiants en Lettres et en Histoire on cherche sans les trouver des références intellectuelles.

Le style trop dialogué trop stéréotypé ne permet pas de faire de ce livre un ouvrage unique. Et comme chaque adolescence est particulière, il ne peut en aucun cas en faire une généralité. Oui on parle de génération « no future » mais on en parle à chaque génération je suppose. Rien à voir avec le personnage de Lucy, drôle et haut en couleur (Lucy in the sky) ou de Kya (Là où dansent les écrevisses) si intense.

Peut-être cette sorte de vide et de psychologie bon marché est-il voulu par l'auteure ou est-ce juste un phénomène de mode ? Personnellement je dirais que ce livre est d’un ennui remarquable.


Biographie :

Sally Rooney est née en 1991 en Irlande du Nord. Son premier roman « Conversations entre amis » a rencontre un immense succès. Elle est diplômée d'un master en littérature anglaise et américaine au Trinity College à Dublin en 2013. Elle a reçu des prix littéraires et a participé au scénario de la mini-série tv dont s'inspire le roman.


Extraits :

  • il imaginait toujours, comme par réflexe, des façons de se blesser grièvement quand il était bouleversé. Le fait de se présenter une douleur bien plus forte et totale que celle qu’il éprouvait réellement le soulageait brièvement, peut être à cause de l’énergie mentale que cela exigeait, de la rupture provisoire du fil de ses pensées.

  • Elle est un abysse dans lequel il s’engouffre, un espace vide à remplir.

  • Quand il est avec elle, il a l’impression d'ouvrir une porte, de quitter la vie normale et de refermer la porte derrière lui.

  • Franchement , quand on regarde la vie que mènent vraiment les hommes, c’est triste , dit Marianne .Ils contrôlent la totalité du système social et n’ont rien trouvé de mieux pour eux- mêmes ?

  • Ça lui semblait si fou de devoir porter un uniforme chaque jour et de s'attrouper toute la journée dans un immense bâtiment, sans même avoir le droit de regarder où elle voulait. Même le mouvement de ses yeux tombait sous le coup du règlement de l'école.

  • Il pourrait lui dire n'importe quoi, même des trucs bizarres, elle ne le répéterait jamais à personne, il le sait.


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Pete FROMM – La vie en chantier – Gallmeister poche (Totem) - 2019


 

L'histoire

Taz et Marnie retapent difficilement une maison en piteux état à Missoula (Montana). Marnie tombe enceinte mais meurt lors de l'accouchement. Voilà Taz confronté au chagrin dévastateur et à s'occuper d'un bébé, Midge. Les amis sont là, la belle-mère aussi, ainsi que la présence d'une étudiante baby-sitter qui prend les choses en main. Mais le chagrin est difficile à surmonter, il f faut reprendre le travail, et tenter de terminer enfin cette maison.


Mon avis

Un charmant roman écrit sans pathos par Pete Fromm qui s'attaque à deux sujets importants, la perte d'un être cher et la paternité que le héros assume tant bien que mal. Menuisier chevronné, il n'en reste pas moins pauvre. Mais il n'y a ni noirceur ni culpabilité dans ce roman où Taz discute avec Marnie, l'épouse défunte, comme un rituel secret.

Toute la jolie écriture de Pete Fromm témoigne d'une beauté qui se diffuse tout au long du livre, sans rechercher l'esthétique littéraire mais les sensations authentiques, les non-dits, C'est aussi un livre sur l'amitié profonde, dont Taz ne se rend pas compte, la vie simple dans une petite ville avec ses beaux quartiers hors de prix et celle des artisans, pas riches, mais qui se contentent des joies simples : un pique-nique dans une zone secrète de la rivière, un beau meuble poli et vernis, des petites fêtes pour Midge, sans chichis mais avec ce qu'il y a de plus beau, le cœur. Et le très beau personnage d'Elmo, la baby-sitter subtile, mère de substitution à la fois pour la petite fille que pour le papa.

Mais la beauté évoquée ne s'exprime pas uniquement dans les sentiments. L'auteur américain nous laisse la possibilité d'accompagner dans son deuil un artisan qui doit apprendre à se construire sans la pièce maîtresse qu'il formait avec sa femme, un ébéniste méticuleux et sensible aux essences de bois qu'il travaille dans un Montana qui nous charme avec des paysages préservés et intimes.
Si le symbolisme de la reconstruction de soi n'est pas spécialement novateur, il fait pourtant mouche dans ce récit. L'auteur montre sans effort au-delà de ce que le deuil détruit, tout ce qui soude.


Biographie :

Pete Fromm est né en 1958 dans le Wisconsin. Il a d'abord été ranger avant de se consacrer à l'écriture. Reconnu comme un grand écrivain, il vit à Missoula (Montana) avec sa famille.


Extraits :

  • Au lieu des pins ponderosa sur la colline, des trembles sur la berge, de leurs feuilles sous l'eau encore dorées, constellant le barrage des castors, il voit des troncs calcinés se détachant sur le bleu glacial du ciel telles des pointes de lances noircies.
    Même les peupliers ne sont plus que l'ombre d'eux-mêmes, leurs doigts griffus se refermant sur du vide. La terre est carbonisée. Les étangs sont comme huilés, graissés. Il ne reste rien.

  • Une fois, j'ai récupéré du vieux bois dans une distillerie du Tenessee. Des grosses poutres d'un mètre sur deux, encochées et mortaisées, qui servaient à retenir les tonneaux de bourbon. C'était tout un boulot, de réussir à les couper suffisamment pour pouvoir en faire quelque chose. Mais quand je m'y mettais, la vache, tout l' atelier embaumait...
    Une odeur de whiskey, de caramel et de vanille. J'avais envie de les couper rien que pour parfumer l'atelier.

  • Lorsque le futur marié lève le voile sur ses tempes délicates, je me dis qu'on devrait les prévenir : un avenir fait d'enterrements, d'emprunts automobiles, d'impôts et d'enfants malades la nuit. C'est un boulot que vous ne saurez pas faire, le bras nu enfoncé jusqu'au coude dans l'évier bouché, parmi les pelures d'aubergine brûlées à la dérive absurde.

  • Malgré la chaleur torride de ce tout début de mois de juillet, l’eau est si froide qu’elle les saisit .
    Ils y pénètrent en riant , le souffle court, avant de nager plus loin jusqu’aux rapides, puis ils se laissent repousser en aval et tournoient dans le courant , la respiration plus régulière à présent .
    Taz passe les bras autour du ventre de Marnie, ils regardent les nuages glisser dans le ciel , aussi inoffensifs que des coups de pinceau : cela fait des mois qu’aucune goutte n’est tombée ….. 

  • J'ai appelé la Nouvelle-Zélande, hier soir, dit Taz.- Ça fait quoi ? D'appeler un pays tout entier ? (Rudy le copain de Taz)


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