L'histoire
Été 1969, Silva, petit
village à l’ombre des Appalaches en Caroline du Nord.
Tous les dimanches Bill 21
ans et son frère 16 ans vont pécher la truite dans un coin de la
rivière isolé. Ils rencontrent une adolescente Ligeia, placée chez
son oncle pour divers problèmes dont des addictions à la drogue.
Peu farouche, elle couche avec les deux frères et accroche surtout
avec Eugène, plus fragile, qui va voler des médicaments (opiacés,
valium et autres) dans la pharmacie de son grand-père. Il lui
apporte aussi de l'alcool, bières, vins, whisky. Puis un jour
l'adolescente, déjà connue pour des fugues disparaît, ce qui
n'étonne personne, la gamine était connue pour fugues, et delits
mineurs.
Mais 40 ans plus tard, des
ossements sont retrouvés lors d'un glissement de terrain. Il s'agit
bien de Ligeia, et l'autopsie révèle qu'elle a été égorgée.
Eugène se pose des questions.
Mon
avis
Ron Rash connu pour ses
romans et poèmes écrit sur sa Caroline du Nord, notamment dans les
zones montagneuses où se terminent la chaîne des Appalaches. Un
excellent roman, court et qui nous replonge dans les années du
flower power aux USA.
A Silva, on écoute encore
de la country et le mouvement hippie est inconnu. C'est ce que va
apporter Ligeia, qui entraîne avec elle, le cadet de la famille
Matney. Cette famille dysfonctionnelle est menée à la baguette par
le grand-père, le seul médecin généraliste de la ville, homme
respecté et craint qui mène la vie dure à ses deux petits fils, le
père étant mort et la mère effacée. Il décide de tout, notamment
de ses petits fils. Le brillant et raisonnable Bill sera chirurgien,
et le cadet plus rêveur fera au mieux un bon enseignant, au pire un
instituteur. Pour leur argent de poche, les deux frères si
différents doivent nettoyer le cabinet de soin et n'ont que le
dimanche, après la messe et le repas pour se distraire.
Dans le petit bras de
rivière un peu isolé où ils aiment pêcher, il rencontrent la
sensuelle Ligeia, qui vient de Floride. Elle amène un vent de
fraîcheur et de liberté dans les existences bien chronométrées
des deux garçons. Elle connaît les musiques qui sont à la mode, se
vante d'avoir vécu dans une communauté hippie, et séduit surtout
Eugène, totalement fascinée par cette « sirène «
si libre, aimant faire l'amour, mais exigeant toujours un peu plus de
cadeaux. Si Bill qui est fiancé comprend que cette histoire ne peut
pas durer et que cette fille cache plus de problèmes qu'un joli
minois, Eugène lui satisfait tout ses caprices : de la bière
ou du vin, on passe au whisky et parce qu'elle est supposée rester
scolarisée à Sylva, elle retrouve des amis dealers et initie aussi
le petit à fumer de l'herbe. Elle parle tout le temps de partir en
Floride ou à San Franscico, et un jour, après un « incident »
qui semble vite réglé elle disparaît.
En 40 ans, les choses ont
bien changé à Silva. Bill a épousé sa fiancée et est devenu un
brillant chirurgien reconnu comme l'un des meilleurs. Eugène qui se
rêvait romancier est resté alcoolique. Après un accident où il a
mis en danger les jours de sa propre fille, alors qu'il avait trop
bu, sa femme le quitte et sa fille sauvée de justesse ne veut plus
le voir. Il erre dans la maison familiale, continue à boire, ne fait
rien de ses journées. Quand le chérif vient lui poser quelques
questions sur Ligeia, il s'inquiète et pense que son frère n'est
peut-être pas étranger au meurtre. Il veut savoir la vérité.
Finalement Bill lui raconte ce qui s'est vraiment passé, ce qu'il a
vu, et qui lui aussi le hante. On mesure alors tout l'amour qui lie
l’aîné à son cadet, un amour dont Eugène, trop perturbé n'a
pas conscience.
Pour cette histoire, Rash
se serait inspiré d'un fait divers. Il raconte avec simplicité et
poésie cette étrange histoire, celle qui inspire tous ses livres,
celle de l'Amérique très rurale, et des destins brisés.
Extraits :
J’avais prévu de
rédiger mon mémoire sur [Thomas] Wolfe. Ma directrice de maîtrise
m’en a dissuadé. « Wolfe est quasiment oublié de nos
jours », a-t-elle objecté, ce qui me semblait une raison de
plus pour le faire, afin qu’il ne soit pas oublié, ou seulement,
comme l’avait écrit Wolfe lui-même, « par le vent
pleuré ».
Nos salaires étaient
équivalents à ceux que nous aurions touchés pour des emplois plus
pénibles si nous avions bossé dans une équipe municipale
d’entretien des espaces verts ou à la scierie locale. Que
Grand-père nous ait engagés, Bill et moi, semblait une façon de
réaffirmer ce qu’il avait déclaré à notre mère quand
l’accident de chasse l’avait laissée veuve – qu’il
prendrait soin d’elle et de nous deux. Grand-père était
propriétaire de la maison où nous vivions, qu’il nous autorisait
à habiter sans acquitter de loyer, toutes taxes et charges payées.
- Allez, Eugene,
a-t-il repris avec un petit rire. Ne me dis pas que tu n'as jamais
bu quelques bières en cachette. - Non, jamais. - Même pas une ?
- Non. - Mais alors, qu'est-ce que tu fous toute la journée ?
s'est-il enquis, incrédule. Tu ne peux pas passer ton temps à lire
et à écrire ! Tu ne joues pas au base-ball, tu ne sors pas
avec des filles, et tu ne vas pas au ciné. Au moins, je me disais
que tu devais picoler. A-t-on jamais vu un écrivain qui ne picole
pas ?
Chaque printemps les
fortes pluies arrivent, et la rivière monte, et son cours
s'accélère, et la berge se désagrège toujours davantage,
brunissant l'onde de son limon, mettant au jour une nouvelle couche
de terre sombre.
Il y a certains choix
que l'on fait et dont on a connaissance, pour toujours, jusqu'à son
dernier soupir – il ne s'agit là, évidemment, que des mauvais
choix.
Maintenant l'hiver
est là. La terre autour de Panther Creek est enfouie sous trente
centimètres de neige, la rivière vitrée par le gel. Il ne reste
plus de feuilles pour donner une voix au vent.
Je me souviens de
longues soirées d'été, heures de méditation et de contemplation,
seul sur la plage, comme une chose échouée, quelque part entre
Mingan et Longue-Pointe-de-Mingan. J'écoutais la tranquillité du
monde, assis sur le sable fin.
Ma petite amie, voilà
comment je pensais à elle. Parfois, devant la glace, je le disais
tout haut, et quand j'écoutais la radio les chansons d'amour me
laissaient penser que j'étais peut-être amoureux. "C'est
gentil" disait-elle chaque fois, mais à part le collier elle
n'a jamais rien porté de ce que je lui ai offert. Elle disait
qu'elle cachait mes petits présents dans sa valise pour que son
oncle et sa tante ne se demandent pas d'où ils venaient.
Á San Francisco, le
Summer of Love, l’été de l’amour, a eu lieu en 1967, mais il a
fallu deux ans pour qu’il atteigne le petit monde provincial des
Appalaches. Sur l’autoroute en février, on a aperçu un hippie au
volant d’un minibus bariolé, un évènement dument signalé dans
le Sylva Herald. Sinon, la contre-culture était quelque chose qu’on
ne voyait qu’à la télévision, tout aussi exotique qu’un
pingouin ou un palmier nain.
Il n'y a pas de photo
de mon grand-père sur la cheminée, et il n'y en a jamais eu - une
des rares occasions données à ma mère de tenir sa présence à
l'écart de notre existence .
Et donne-moi une fin
heureuse, a ajouté Ligeia, dont le sourire s'est évanoui, parce
que dans la vraie vie ça ne risque pas d'arriver.
Votre moitié vous
croit meilleur que vous ne l'êtes, et pendant un moment, à vrai
dire, vous partagez cette opinion. Mais un beau jour vous cessez d'y
croire, et bientôt votre épouse aussi, c'est alors que vous lui
rappellerez où elle vous a rencontré, et le verre de whiskey qui
était posé entre vous sur le comptoir, et elle dira : "Oui,
je t'ai rencontré dans un bar. J'ignorais simplement que ta vie se
déroulerait comme si tu n'en étais jamais sorti."
Je me suis mis à
genoux derrière elle. En nouant les cordons verts, j’ai pensé :
Je sais maintenant de quoi parlent toutes ces chansons, ce dont
elles parlent je l’ai fait. Ligeia s’était rallongée et elle a
fermé les yeux. Je l’ai imitée, mais moi j’ai gardé les miens
ouverts ; la bière et le sexe, la chaleur de l’après-midi et le
murmure de la rivière avaient provoqué en moi un sentiment de
satiété rêveuse. Je n’étais plus celui que j’avais été,
et cette personne-là, ce garçon-là, je ne le serais plus jamais.
C'est là que les
romans se trompent si souvent, se trompent sciemment, a-t-elle
remarqué lorsqu'elle a rouvert les yeux. On fait certains choix et
l'on s'éteint sans avoir jamais pu vérifier s'ils étaient bons ou
mauvais.
Biographie
Né en 1943 en Caroline du
Nord, Ron
Rash est un écrivain, poète et nouvelliste, auteur de romans
policiers. Il étudie à l'Université Gardner-Webb et à
l'Université de Clemson, où il obtient respectivement un B.A. et un
M.A. en littérature anglaise. Il devient ensuite professeur de
littérature anglaise.
Il est titulaire de la chaire John Parris
d’Appalachian Studies à la West Carolina University (WCU). Il
enseigne l’écriture de nouvelles. Sa carrière d'écrivain
s'amorce en 1994 avec la publication d'un premier recueil de
nouvelles, puis d'un recueil de poésie en 1998.
Il a écrit des
recueils de poèmes, des recueils de nouvelles, et des romans, dont
un pour enfants, tous lauréats de plusieurs prix littéraires. Ron
Rash vit actuellement à Asheville en Caroline du Nord. Il est
particulièrement engagé dans la défense de l'environnement et la
protection de l'eau, prend des positions et publie régulièrement
des tribunes sur ces sujets.
Le Film Serena
Au lieu de vous mettre des liens, je vous propose ma
critique du très beau film tiré du livre Serena de Ron Rash, mis en
scène par Suzanne Bier avec Bradley Cooper et Jennifer Lawrence dans
le rôle titre.
Georges Pemberton épouse sur un coup de tête la
somptueuse et mystérieuse Serena rencontrée à Boston et l'emmène
en Caroline du Nord, où il exploite du bois. Nous sommes en 1930, la
Grande dépression frappe et la main d’œuvre bon marché afflue
pour l’abatage des arbres. Serena s'y connaît aussi en
exploitation forestière. Elle fait venir un vautour dressé pour
chasser les serpents venimeux et sauve la vie à un des hommes de
main de Georges qui lui témoignera une admiration et une soumission
totales. Car on meurt beaucoup dans le travail difficile de
l'abattage des arbres. De plus, pour limiter l'exploitation, le
gouvernement veut instaurer une réserve naturelle et protégée.
Pour maintenir ses intérêts, lors d'une partie de chasse Georges
abat un représentant de l’état mais ne sera pas inquiété malgré
les soupçons du shérif, ses hommes témoignant pour lui.
Serena, admirée et respectée perd l'enfant qu'elle
portait et apprend qu'elle ne peut plus en avoir. Elle découvre que
Georges a eu un fils illégitime avec une cuisinière de la petite
communauté et cherche par tous les moyens à le faire supprimer,
entrant de plus en plus dans la folie. Georges s'en rend compte et
réussit à mettre à l'abri la femme et l'enfant.
Mais Georges est impliqué aussi dans une double
comptabilité, et sait que la police va l'arrêter. Il remet ses
livres comptables au shérif et lui promet de venir se rendre le
lendemain. Le temps de réaliser son rêve : abattre un puma.
Mais c'est le puma sauvage qui le tue. Comprenant qu'elle est ruinée,
que son mari ne l'aime plus, Serena se donne la mort en mettant le
feu à la maison.
Le film est hélas sorti au mauvais moment, de gros
films étant à l'affiche. Mais je ne remettrais pas en cause
l'interprétation sublime de J. Lawrence, qui s'empare de ce
personnage, et laisse monter la folie qui la mènera à la
catastrophe. Pour le film, Bier a fait reconstruire un vrai petit
village en Caroline du Nord, avec sa voie ferrée, son église, ses
forêts, et la maison des Pemberton tout au bout de main-street,
grande mais sans tape à l’œil ostentatoire. Elle a décidé aussi
d'y tourner les scènes d'intérieures. Sa palette de couleurs
sourdes, des bruns, des gris, des verts passés contrastent avec
l'élégance de Serena qui seule porte des couleurs chatoyantes et
luxueuses, signe de richesse autorisé. Bradley Cooper qui peut
rentrer dans plein de registres facilement et qui avait déjà tourné
avec Lawrence dans Happiness Thérapy, se fond dans ce personnage
finalement fade de petit seigneur local. Il marche avec un temps de
retard par rapport à son ambitieuse femme, il ne sait pas la
consoler de la perte de l'enfant tant désiré, sinon en lui offrant
bijoux et robes. Les rôles secondaires sont aussi parfait et les
décors grandioses. Dommage que ce drame ayant eu des problèmes de
financement et n'ayant pu concourir aux Oscars ait été un peu
oublié. C'est un vrai film d'autrice, sans temps mort et toujours en
tension.