dimanche 19 novembre 2023

Linewood BARCLAY – Origine Inconnue – Belfond 2023

 

L'histoire

A 42 ans, Miles est un milliardaire qui a fait fortune dans le développement d'applications. Mais son médecin lui apprend qu'il est atteint d'une maladie génétique incurrable, la maladie de Huntigton et qu'il lui reste au mieux 5 ou 6 ans à vivre. Si Miles n'est pas marié et n'a pas d'enfants, dans sa jeunesse, il a fait don de sperme, et ainsi est le père biologique de 9 jeunes adultes aujourd'hui.

Non seulement il doit les contacter, mais en plus de leur annoncer qu'il est le père biologique, accepter que les enfants fassent un test ADN pour voir si ils ont la maladie. Il retrouve facilement Chloé, une étudiante qui fait des documentaires et sympathise avec cette fille retrouvée . Mais les autres enfants semblent avoir totalement disparus. Avec l'aide de son équipe de fidèles et de Chloé, Miles mène l'enquête...



Mon avis

De temps en temps, lire un bon polar addictif ne fait pas de mal. Si vous êtes fan du genre, le dernier Barclay vient de sortir et nous entraîne dans des rebondissements à presque chaque chapitre.

Très « cinématographique », les personnages se multiplient, avec les bons, les méchants, à un rythme effréné. L'auteur ne s’embarrasse pas de faire de la morale ou des développements sur ce que peut représenter la PMA (procréation médicalement assistée), ni sur ce que peuvent ressentir les enfants qui en sont issus . Il écrit des polars aux intrigues bien ficelées, mais nous met quand même en garde contre les dérives malsaines qui peuvent être liée à l'ADN dans la filiation, et notamment une forme d'eugénisme. C'est très bien structuré avec un final en brio, et bref on se détend devant ce « page turner » addictif.

L'auteur a une façon très personnelle façon d'amener ses récits, même si parfois il existe quelques digressions, des personnages trop nombreux et des rapports entre eux pas vraiment indispensables pour le bon déroulement de l'histoire. C'est le cas par exemple de la série sur Promise Falls.Ce dernier roman étant un one-shot, les personnages sont plus essentiels, plus fouillés, mention spéciale pour Chloé, une de ces héroïnes attachantes comme l'auteur aime à les dépeindre, mais aussi à Rhys et Kendra les deux tueurs froids et méthodiques qu'on aurait presque aimé voir mis un peu plus en avant. L'explication du roman fait la part belle aux recherches ADN, avec cette société qui s'appelle WhatsMyStory, et qui existe de nos jours sous d'autres noms, et qui promet de retrouver les origines d'une personne et ses correspondances avec d'autres individus.

Je n'avais jamais lu cet auteur qui pourtant est très connu aux USA, et j'ai passé un bon moment, avec tout ce qu'il faut d'humour et de répliques percutantes, sans oublier le petit fond, léger certes, mais qui peut nous amener à réfléchir à nos origines, et aux manipulations génétiques qui seraient totalement immorales.



Extraits :

  • - A propos de cette nuit..
    - Arrête-toi tout de suite.
    - J'allais juste te dire que...
    - Tu vas dire que dalle, l'interrompit-elle avant d'ajouter en se penchant pour chuchoter : C'est un peu comme une énorme envie de hot-dog, tu vois ? Tu sais que ce n'est pas bon pour toi, mais il t'en FAUT un, alors tu trouves un stand, t'en achétes un, tu le manges, et c'est bon, et tu te détestes un peu, mais tu es rassasié.
    - Je suis un hot-dog.
    - Tu as tout compris.

  • Jeremy lui avait fait comprendre qu'elle devait trouver des filles "adaptées". Au début, elle pensait que ça voulait dire jolies. Et, bien sûr, il voulait que ses recrues soient séduisantes. Mais ce qu'il sous-entendait vraiment, c'était qu'elles devaient être vulnérables. Des filles issues de foyers modestes, de familles monoparentales. Des filles sans lien avec des personnes exerçant une influence quelqconque. Des filles qui n'avaient personnes vers qui se tourner. Des filles qui seraient prêtes à satisfaire les besoins de Jeremy et de ses acolytes en échange d'une vie meilleure.
    Les fugueuses par exemple, comme Nicky.

  • Un enfant a besoin d'un père, répétait ta grand-mère. Une mère ET un père. Deux mères, ce n'était pas naturel. (...). C'est un peu le sentiment que j'ai eu moi aussi, au début. Il m'a fallu du temps pour comprendre que tu étais aimée, et que c'était la seule chose qui comptait.

  • Quand il se trouvait derrière ces portes, il avait l'impression d'appartenir à un club Playboy privé. Les gens qu'il avait croisé là-bas ! Des maires, des gouverneurs, des stars de cinéma... des membres de la famille royale ! En vingtième position dans l'ordre de succession au trône, mais quand même ! Et bien sûr, il y avait les filles.

  • A propos du temps perdu, tu sais, on ne peut pas passer sa vie entière sur un tapis de course. Parfois, il faut en descendre et aller se poser sur la plage. S'installer dans un hamac avec un bon livre et s'endormir.

  • Tu sais, les gens mentent sur eux-mêmes sur Internet. Tu crois avoir rendez-vous avec George Clooney et tu te retrouves avec Danny DeVito.

  • La maladie de Huntington... c'est comme si on prenait Alzheimer, Charcot et Parkinson et qu'on les mettait dans un mixer.

  • Peut-être que c'était ça le mariage, songeait-il. Un malheur continuel, mais qui vous donnait au moins quelqu'un à qui parler.

  • Tous ces gens en mal d'enfants... Parfois, il avait juste envie de leur dire : Mais bon sang, adoptez ! Et certains, mon Dieu, quand on voyait leurs têtes, ne devaient surtout pas se reproduire. Rendez-nous service et épargnez-nous votre progéniture.

  • Ce que tu dois comprendre, et je te le dis en toute amitié, c'est que tu n'es rien.
    Tu es aussi insignifiante qu'une fourmi. Tu es un insecte au fond d'une chaussure. Tu es une capote usagée, ma chère. Personne ne t'écoutera jamais, personne ne te prêtera la moindre attention. Tu seras balayée.

  • Parmi la foule, on croisait également quelques visages parfaitement anonymes, dont la beauté compensait le manque de notoriété. Des femmes magnifiques, certaines bien plus jeunes que d’autres. Starlettes en herbe, mannequins, hôtesses de l’air, danseuses, dont beaucoup cherchaient à se faire un peu d’argent en attendant que leur carrière à Broadway décolle.

  • Quand vous aviez grandi dans une famille dysfonctionnelle, vous pensiez que toutes les familles étaient pareilles. Vous pouviez quitter la vôtre et tomber sur une autre, encore plus détraquée. Miles supposait que c’était ainsi que Gilbert voyait le monde, en se disant que ça pourrait être encore pire.



BIOGRAPHIE

Né à New Haven, Connecticut , le 22/03/1955, Linwood Barclay est un auteur et un ancien éditorialiste. En 1959, il émigre à Toronto au Canada avec sa famille alors qu'il est tout juste âgé de quatre ans. Tout en suivant ses études, il fait divers petits boulots avant d'entamer une carrière de journaliste en 1977, aussitôt son diplôme de littérature anglaise (BA) obtenu à l'Université Trent de Peterborough (Ontario). Il commence dans un petit journal local "The Peterborough Examiner" (1977-1979), passe ensuite quelque temps au "Oakville Journal Record" (1979-1981) et finit par entrer en 1981 au "Toronto Star", le journal le plus distribué au Canada.

Il passe par tous les postes, gravit tous les échelons de l'édition avant de devenir, en 1993, le plus populaire des chroniqueurs de la page "Vie quotidienne". Il se retire du journalisme en 2008.

Il commence à écrire des livres en 1995 et publie quatre ouvrages humoristiques de 1996 à 2000 ainsi que quatre thrillers de la série "Zack Walker" de 2004 à 2007. Après le succès de "Cette nuit-là" ("No time for goodbye", 2007) , "Les Voisins d'à côté" ("Too close to home", 2008), couronné au Canada par le Arthur Ellis Award, est son deuxième roman.
"Ne la quitte pas des yeux" ("Never Look Away", 2010) est son troisième roman paru chez Belfond en 2011 en France. "Contre toute attente" ("The Accident", 2011) a été adapté en mini-série TV, avec Bruno Solo dans le rôle principal, en 2016 sous le titre "L'Accident". "Fenêtre sur crime" ("Trust Your Eyes", 2012) a été sélectionné pour le Grand prix des lectrices de ELLE 2015. "La fille dans le rétroviseur" ("A Tap on the Window", 2013) a obtenu le Prix Saint-Maur en poche catégorie Coup de cœur de la Griffe noire 2015. En 2021, il publie "Du bruit dans la nuit", un thriller psychologique empreint de folie et d’humour noir. Régulièrement en tête des ventes en Angleterre et aux USA, traduit dans une dizaine de langues, Linwood Barclay s'affirme comme un auteur majeur du polar.
Il vit à Burlington, Ontario, avec son épouse Neetha dont il a eu deux enfants.


Voir ici : https://fr.wikipedia.org/wiki/Linwood_Barclay

son site ici ; https://www.linwoodbarclay.com/


samedi 11 novembre 2023

Ragnar JONASSON – A qui la faute – Editions de la Martinière 2023

 

L'histoire

Quatre amis d'enfance partent pour une partie de chasse dans le grand ouest islandais. Le temps est particulièrement maussade et en plus une tempête s'abat alors que les 4 voyageurs tentent de gagner un refuge d'urgence en montagne. Mais arrivés au refuge, une drôle de surprise les attend. Les amitiés de jeunesse ne semblent pas résister au temps, et c'est l'heure des règlements de comptes.


Mon avis

Selon le journal américain le Times, Jonasson est le meilleur auteur de polars de son époque. C'est vrai qu'il figure toujours en bonne place dans les ventes, ce qui confirme que les polars nordiques sont toujours à la mode.

Je n'avais jamais lu cet auteur, voilà chose faite. Bon les énigmes en huit-clos, ce n'est pas nouveau, mais ici cela se passe dans des paysages aussi magnifiques qu'inquiétant. C'est un court roman, structuré en petits chapitres où prennent tour à tour les quatre protagonistes. Daniel, exilé en Angleterre où il mène une vie de comédien médiocre, Helena femme froide et calculatrice ne se remet pas de la mort de son mari 5 ans plus tôt. Armann lui a fait fortune dans le tourisme, il fait figure d'homme assuré, solide malgré un passé de drogué et de petit délinquant dans sa jeunesse. Gunnlaugur, juriste dans une société, sans ambition est un homme impulsif, mais falot. Il est amoureux depuis longtemps d'Hélena qui pourtant n'est pas une femme pour lui.

Chacun a donc un passé peu existant qu'il cache soigneusement aux autres.

Si l'intrigue semble un peu du déjà lu, les paysages grandioses et sauvages d'Islande, ici déchaînés et hostiles, donnent à ce récit une dimension particulièrement angoissante, et aucun des personnages n'attire la sympathie et pourtant on continue à lire.

Très page turner, j'attends de lire d'autres livres de Jonasson pour me faire une idée globale de son travail.


Extraits :

  • On lui avait toujours appris à faire les choses correctement, à obéir à ses parents, à travailler, à ne jamais faire de vagues, et il y était parvenu - presque trop. Parfois, il avait eu la sensation de passer à côté de sa vie, de rater toutes les aventures de la jeunesse. Désormais, il avait vécu une expérience extrême, un acte effroyable qui l’avait fait basculer vers le mal.

  • Il repensa à Daniel, perdu et livré à lui-même dans ce désert hostile, sans doute mort depuis longtemps. Mourir de froid pouvait cependant prendre un long moment, bien plus que ce que la plupart des gens soupçonnaient : le corps humain pouvait montrer une capacité extraordinaire à résister dans des conditions extrêmes. Ils n'avaient toutefois aucune chance de tomber sur lui. Dieu seul savait ou son corps gisait dans la neige, coincé entre deux congères, à quel endroit il avait contemplé les ténèbres pour la dernière fois en songeant que c'était terminé, que personne ne viendrait à sa rescousse.

  • Été comme hiver, la nature avait beau être majestueuse, elle n’en demeurait pas moins meurtrière. Se perdre dans les terres hautes d’Islande était sans doute similaire au fait de se perdre dans le Sahara, le froid pouvait être aussi dangereux que la chaleur.

  • Jamais il n'avait eu aussi froid.
    Daniel avait beau être recouvert de plusieurs couches de laine sous son épaisse doudoune, rien n'y faisait : l'air glacial parvenait quand même à s'insinuer à travers ses vêtements. Ses compagnons de voyage ressentaient-ils la même chose ? Il n'osait pas poser la question, de peur de paraître faible. La tête baissée, il avançait péniblement, secoué par le vent et les paquets de neige. Il ne discernait plus le paysage, ni même le sol sur lequel il progressait ; son monde s'était réduit à des tourbillons blancs traversés par des vagues silhouettes en mouvement.

  • Jamais il n’avait éprouvé une telle sensation. Il flottait, quelque part entre le sommeil et la veille alors qu’il était bien réveillé, quelque part sur la frontière entre l’imagination et le monde réel, peut-être précisément parce qu’il savait au fond de lui que la réalité était bien pire que tout ce qu’il aurait pu imaginer.

  • A cet instant, alors qu'elle aurait dû se concentrer sur tout autre chose-le froid, la tempête, l'homme au fusil-, Vikingur se matérialisa soudain dans son esprit. Elle aurait tant aimé qu'il soit là, auprès d'elle. S'il avait été là, il n'y aurait eu aucun problème.

  • On est au milieu de nulle part, on peut s'estimer heureux d'avoir du chauffage et de l'électricité, mais s'il se passe quelque chose... Tu vois, si on...
    - Que veux-tu qu'il se passe ? demanda Daníel qui tenait toujours son verre vide à bout de bras, attendant qu'Ármann le serve. - Je ne sais pas, répondit Gunnlaugur. N'importe quoi... Si on se retrouvait bloqués...

  • On est au milieu de nulle part, on peut s'estimer heureux d'avoir du chauffage et de l'électricité, mais s'il se passe quelque chose... Tu vois, si on...
    - Que veux-tu qu'il se passe ? demanda Daníel qui tenait toujours son verre vide à bout de bras, attendant qu'Ármann le serve.
    - Je ne sais pas, répondit Gunnlaugur. N'importe quoi... Si on se retrouvait bloqués...


BIOGRAPHIE

Ragnar Jónasson est un écrivain islandais, auteur de romans policiers. Il a découvert à 13 ans les livres d'Agatha Christie et entreprend la traduction, à 17 ans, de quatorze de ses romans en islandais.
Diplômé en droit de l'Université d'Islande à Reykjavik (1996-2001), il travaille comme juriste dans la société de gestion des fonds Gamma de 2015 à 2019. Depuis 2019, il est banquier d'investissement à l'Arion Bank. Il enseigne le droit à l’Université de Reykjavik depuis 2009.
Ragnar Jónasson est également écrivain, romancier et nouvelliste. Il se lance dans l'écriture avec la publication d'un roman policier intitulé "Fölsk nóta" (2009), premier volet de la série policière "Dark Iceland" dont le personnage récurrent est le jeune policier Ari Thór. L'intrigue de la série se déroule à Siglufjördur, la ville la plus au nord de l'Islande, d'où sont originaires ses grands-parents et où a grandi son père.

"Mörk" ("Náttblinda", 2014) a été élu "Meilleur polar de l’année 2016" selon le Sunday Express et le Daily Express, et a reçu le Dead Good Reader Award en Angleterre. Découvert par l’agent d’Henning Mankell, Ragnar Jónasson a accédé en quelques années au rang des plus grands auteurs de polars internationaux. Ses œuvres sont traduites dans une trentaine de pays. Il écrit également en anglais.
Il est le cofondateur, avec l'écrivaine Yrsa Sigurðardóttir (1963), du Festival international de romans policiers Iceland Noir, en 2013.
Marié et père de deux filles, il vit avec sa famille à Reykjavik.

Voir ici : https://fr.wikipedia.org/wiki/Ragnar_J%C3%B3nasson

son site : http://www.ragnarjonasson.com/



Piergorgio PULIXI – Le chant des innocents – Gallmeister - 2023

 

L'histoire

Une fille de 13 ans seulement est retrouvée à coté de sa victime, le couteau encore dans sa main, 86 six coups, et elle avoue le meurtre, mais sans en donner les raisons. Bientôt d'autres meurtres par des adolescents sont commis, ce qui met le commissariat dans tout ses états. D'autant que son commissaire, Strega, a été suspendu, et refuse de collaborer avec la psychologue qui lui a été assignée. L'inspectrice Teresa Brusca a pourtant bien besoin de son aide. Car derrière ces meurtres, tout deux pensent que se cache un individu qui les manipule. Mais on ne trouve aucune trace de relations entre les différents criminels...


Mon avis

Pulixi, l'auteur de polars sardes nous concocte ici une énigme pas très compliquée à comprendre et bien trop axée sur la personne de commissaire Strega, ambigu mais volontaire. Ici, vous ne retrouverez pas s le charme de son premier roman, qui mêlait la culture traditionnelle sarde à une énigme policière, ni la description magnifique de la Sardaigne intérieure.

L'auteur s'essaye au polar psychologique, à travers son commissaire, et si l'intrigue de départ est intéressante, sa résolution finale est un peu décevante. Certes, pas de temps morts, de chapitres courts, mais beaucoup trop de redites sur le personnage de Strega, homme qui recherche la justice, peu sociable, sans véritable foyer (il reste obsédée par son ex-femme remariée depuis). Mais tout cela ne vaut « 'Ile des âmes » son premier roman qui s’inscrivait dans un cadre original.

Ça se lit, mais quand on a lu les précédents, j'avoue que celui-ci est décevant. Espérons que Pulixi reviendra à son écriture et sa première impulsion, celle de nous faire connaître sa Sardaigne natale sous des angles imprévus.

Il faut aussi dire que le « Chant des Innocents » était son tout premier roman, publié en Italie en 2015. Puis suivi par « l'illusion du mal » en 2022. Mais les traductions de son éditeur français Gallmeister ne se font pas dans l'ordre logique. En effet la première traduction était celle de « l'ile des Âmes » qui a connu un très beau succès littéraire et critique. Aussi on peut espérer que l'auteur se rapprochera plus, dans le futur, de son intention première.


Extraits :

  • C'était son problème. Les cadavres au sol, les lacérations, la brutalité des coups de couteau qui avaient profané la peau, tout était comme une partie de lui . Il était immergé dedans . Le mal s'insinuait dans tous les fibres de son être,se mêlait à son sang . Il percevait la douleur et le désespoir des victimes, et leur chant, dans son esprit, formait désormais un chœur assourdissant.

  • l alla s’asseoir sur le grand canapé, et s’abandonna au jazz de la pluie.
    Quelques minutes plus tard, il l’entendit arriver.
    Sofia s’assit avec désinvolture à côté de lui comme si elle n’était jamais partie.
    — Tu en as mis, du temps. Où tu étais ? demanda-t-il.
    Elle ne répondit pas. Elle se contenta de se lover dans ses bras, comme toujours.
    Strega l’effleura du bout des doigts et l’embrassa sur la tête. — Je sais que tu te poses la question, et la réponse est oui : il y a une femme endormie sur ton lit. Mais pas la peine d’être jalouse. C’est juste une amie.Elle secoua la tête, visiblement irritée.— Il fait trop froid pour passer la nuit dehors, dit Strega en essayant de l’amadouer. Pas vrai ?Elle le fixa de ses immenses yeux verts, et il crut la voir acquiescer.— OK, tu es fatiguée. Bonne nuit, petite.La chatte miaula et ils s’endormirent ensemble, comme toujours.

  • Le mal est contagieux, commissaire, et vous le savez. Il ne s’agit pas de vengeance ici, mais d’exemple.

  • Bonne question : pourquoi s’imposait-elle ça ? Pour elle, ce métier n’était pas une mission, comme il semblait l’être pour Vito. Il n’avait rien de romantique. Ce n’était pas un moyen de compenser le mal par la justice, comme le faisaient croire les téléfilms policiers. C’était seulement un travail difficile et mal payé. Rien de plus.

  • Elle se demanda s’il était humainement possible de lire tous ces livres en une seule vie, apparemment oui. Strega était quelqu’un qui vivait les livres : on voyait sur leur dos les marques d’usure d’un lecteur avide.

  • Elle ignorait que Vito sans son travail était un homme mort. Les attentes et les responsabilités étaient le carburant qui lui permettait d'avancer, qui le poussait à se lever le matin.

  • Moi je dis qu'il y a une raison pour laquelle on t'a envoyé chez la psy, tu sais? Il y a quelque chose qui cloche chez toi. Ici tout l monde te déteste, et toi, comme ça, pour remonter dans leur estime, pour te racheter, tu as la brillante idée de te faire arrêter pour harcèlement. Bravo, félicitations, tu es le roi des cons Strega

  • Tu crois que je n'ai pas essayé? Ils ne disent rien, et chaque fois les avocats et les assistants sociaux coupent court au bout de dix minutes au nom des droits des mineurs.


BIOGRAPHIE

Piergiorgio Pulixi est un écrivain italien, auteur de romans policiers et de romans noirs, membre du collectif Mama Sabot, créé par Massimo Carlotto, dont il est l'élève.
Après une expérience d’écriture collective de romans noirs, il s’est lancé dans une saga policière en 4 volumes, primée par le prix Glauco Felici et le prix Garfagna. Il est aussi l’auteur d’une série intitulée I canti del male (Les Chants du mal). L’Île des âmes est son dernier roman, publié en 2019 par Rizzoli, et le premier traduit en France.

lundi 30 octobre 2023

CAMERON MC CABE – Coupez ! - Éditions Sonatine 2018

 


L'histoire

Cameron Mc Cabe est monteur de cinéma dans les années 30, pour des studios anglais. Alors qu'il travaille sur le montage d'un film mélodramatique, le producteur vient lui demander de couper toutes les scènes où une jeune starlette Estrella joue. Ne comprenant pas bien la décision du producteur, Mc Cabe va découvrir que la jeune actrice prometteuse est morte. En fait il s'agit d'un suicide. Mais le meurtre de l'acteur principal Jensen vient rebattre les cartes et le teigneux inspecteur de Scotland Yard soupçonne très vite Mc Cabe d'être le criminel. Entre les deux hommes un jeu macabre s'insinue...


Mon avis

Voilà un polar inclassable et totalement atypique, tant par son contenu que par la personnalité de son auteur.

Dans une première partie, Cameron Mc Cabe, écossais qui a vécut aux USA, travaille comme monteur pour des studios de cinéma à Londres, en 1930. Lorsque le producteur du film lui demande de couper toutes les scènes où figure la jeune actrice Estella Lamarre, celui se pose des questions. D'autant que la starlette montante était promise à une belle carrière. L'enquête démontre vite qu'il s'agit d'un suicide, elle aurait été rejetée par l'acteur principal du film, Jensen, qui lui préfère la vedette du film, la Star Maria Ray que Mc Cabe aime aussi.

Mais quand Jensen est assassiné, empoisonné puis tué par un coup de revolver, l'inspecteur de Scotland Yard suspecte assez vite le monteur. Qui de son coté mène aussi une enquête pour comprendre la vérité. Finalement inculpé, et sans avocat, il arrive à se faire acquitter en retournant les preuves peu convaincantes il faut dire de l'accusation. Il en fera un livre qui aurait un certain succès.

Dans un long épilogue, un vieux détective qui n’apparaît que deux ou trois fois dans le récit de Mc Cabe vient brouiller un peu plus les pistes. Si il se livre à une analyse très précise du roman, tout en y apportant ses propres critiques, il laisse entrevoir un autre meurtrier.

Véritable ovni dans le polar, le roman Coupez ! N'est pas de lecture facile, surtout dans l'épilogue. Mais plus incroyable encore, Cameron Mc Cabe n'est pas du tout un auteur mais le pseudonyme d'un certain Ernest Bornemann, qui a écrit d'autres livres toujours sous pseudonyme. Son identité n'a été révélée qu'en lors d'une réédition dans les années 1970.

Paru pour la première fois en 1937, la seconde partie du roman, le fameux épilogue, est de loin la partie la plus intéressante. Il raconte aussi l'auteur qui a dut fuir l’Allemagne face à la montée du nazisme, et une vie qui elle-même est un roman.

Polar qui ouvre la porte aux polars psychologiques, mais aussi à ces polars qui ne sont qu'un prétexte pour dénoncer une injustice, un drame politique ou social, cet ouvrage rédigé d'une main de maître, va en surprendre plus d'un. D'une part parce que le vrai coupable est révélé par les investigations du vieux détective, et encore est-on sûr qu'il est le bon. Car sur la liste des potentiels assassins il sont au moins 5 à avoir eu des raisons de supprimer l'acteur. Ainsi Bornemann, nous propose à notre tour d'être détective, en semant ici ou là des indices. Mais sans en faire non plus un jeu à part entière.

Sur le style, l'auteur dans la première partie a très bien saisi l'ambiance du Londres des années 30, avec son parfum Hollywood, ses clubs de jazz, sa vie nocturne agitée ou tranquille selon les lieux de la capitale britannique. C'est le monde du cinéma Ambiance hitchcockienne, avec sa femme fatale, les quartiers chics où fleurissent les bars de renom, le petit monde du cinéma un peu imbu de lui-même. Tout cela pour démonter dans l’épilogue la société qui se construit, l'avènement du capitalisme, qui laisse de coté les pauvres, le début du conditionnement de la société aux médias de masse, et tout ce que nous connaissons depuis.

En cela l'auteur fait un excellent travail d'anticipation, en renvoyant chaque protagoniste à son rôle presque assigné par la société.

Si vous aimez les polars à l'ancienne comme on dit mais avec un coté totalement ubuesque, ce livre est pour vous.


Extraits :

  • J'entendis les tramways dans King's Cross Street, un drôle de coup de klaxon d'un bus de passage et un camion si lourd qu'il fit trembler les murs. Puis une faible mélopée s'éleva du plateau B. Ils étaient encore en train de faire des raccords pour la scène du night-club de Black and White Blues. Et je percevais les bruits du plateau A, aussi. Robert Seaman tournait Conversation after Midnight.

  • Le point culminant de toute comédie burlesque est le bris d'un objet - le bris de vaisselle est toujours très efficace mais le bris du crâne, ça c'est du solide.


BIOGRAPHIE

Ernst Wilhelm Julius Bornemann dit Ernest Bornemann, parfois écrit Borneman, est un écrivain de roman policier, un scénariste, un anthropologue, un ethnomusicologue, un musicien de jazz, un critique de jazz, un psychanalyste, un sexologue et un militant socialiste allemand.

Il fait des études à l'université de Berlin de 1931 à 1933. Membre du Parti communiste d'Allemagne, il fuit l'Allemagne après l'arrivée au pouvoir des nazis en 1933. Il obtient l'asile politique en Angleterre. Il apprend l'anglais et poursuit ses études à l'Université de Londres jusqu'en 1935, puis à l'Université de Cambridge pendant deux ans.

Dès 1937, il publie son premier roman policier "Coupez!" (The Face on the Cutting-Room Floor) signé Cameron McCabe. À Londres, il rencontre l'ethnologue et psychanalyste américain Géza Róheim et, sous son influence, s'intéresse à l'anthropologie. Passionné de jazz, il publie en 1940 une encyclopédie "Swing Music. An Encyclopaedia of Jazz".
La même année, il est déporté au Canada dans un camp réservé aux citoyens d'un pays ennemi. Il est libéré et travaille pour la BBC et pour l'Office national du film du Canada. En 1947, il est responsable du département cinématographique de l'UNESCO à Paris.
En 1948, il fait paraître "Tremolo", roman dont le héros est un joueur amateur de clarinette, passionnée de jazz.

En 1960, il travaille en Allemagne de l'Ouest à la création d'une station de télévision nationale. En 1976, il obtient un doctorat pour une étude approfondie de l'origine et l'avenir de patriarcat, "Das Patriarcat".
De 1982 à 1986, il est président de la Deutsche Gesellschaft für Sozialwissenschaftliche Sexualforschung (DGSS). En 1990, il reçoit la Magnus-Hirschfeld-Medaille.
Durant les dernières décennies de sa vie, il vit à Scharten en Haute-Autriche, où il se suicide à l'âge de 80 ans.



Joséphine TASSY – l'Indésir – Éditions L'iconoclaste - 2023


 

L'histoire

Nuria apprend en pleine nuit où elle a fait la fête la mort de sa mère. Cette femme qu'elle n'aime pas et qui ne l'a jamais aimée non plus. Elle se dit qu'elle s'en fiche et assiste à l'enterrement, sans émotions. Mais à travers diverses rencontres, elle va finalement se faire un portrait de cette mère si étrangement absente et si tellement présente.


Mon avis

Parler de l'indésir pour cette jeune autrice de 28 ans est une façon de démystifier l'amour maternel. Sa mère, femme blanche, capricieuse, parfois alcoolique, changeant souvent de partenaire ne l'aime pas. Elle n'a aucun geste maternel vis-à vis de cette enfant élevée par son père, un homme noir et sa grand-mère .

Supposée étudiante, elle vit dans un minuscule studio à Paris, sort beaucoup, n'a pas de petit ami régulier. A l'annonce de la mort de sa mère, cela semble totalement lui être indifférent. Elle se rend aux obsèques plus par « devoir » que par désir, en compagnie d'un jeune homme qu'elle a rencontré la veille et qui va la suivre dans ses pérégrinations. Car si elle veut oublier cette mère que finalement elle ne connaît pas, tout un tas de témoins et d'amis de cette femme vont se mettre sur son chemin, avec chacun leur vision de la mère. Un ange pour certains, une femme pas commode pour d'autres, une femme incapable d'aimer selon sa grand-mère Maja qui vit dans le Sud-Est de la France.

Petit à petit, Nuria va se remettre en question, toujours accompagné d'Abel, ce garde-fou nécessaire.

Mais ce qui surprend le plus dans ce roman c'est l'écriture. Avec brio, comme l'on souligné les critiques de presse, elle peut passer d'un style épuré et froid à des fulgurances lyriques et poétiques. Elle joue aussi avec la typologie, utilisant le « en italique », ce que le grand écrivain argentin Cortazar avait déjà utilisé, (des sous-textes en caractères plus petits pour témoigner de ce que le personnage pense vraiment). Mais sans se revendiquer d'un courant comme Oulipo (qui use des jeux de mots, de l'écriture automatique, de toutes les possibilités du langage), l'autrice invente son mode d'écriture, comme elle incline son héroïne a changer sa perception des choses. En découvrant sa mère, elle même se découvre, sa fausse carapace d'indifférence craque doucement, pour en revenir à non pas ce que l'on doit être, mais ce qu'on est vraiment.

Filiation, ce qui relève de l'inné notre hérédité et de l'acquis ici se fondent dans un récit parfois dérangeant. Et pose la question la plus taboue qui soit : une mère est-elle capable d'indésir pour son propre enfant ? On ne parle pas ici de grossesses de filles trop jeunes, de viol, de traumatisme. Ou de syndrome post-partum. On parle des femmes qui ont un enfant et qui n'arrivent pas à l'aimer.

Le seul défaut que je trouverais à ce roman est de ne pas avoir su rendre l’héroïne totalement sympathique. Choix voulu par l'autrice ? Après tout ce n'est que son premier roman.



Extraits :

  • Je souris de réapprendre en regardant ces deux couillons qu’ être enfant, être parent, ce n'est pas une histoire de goûters en rentrant de l'école, de souvenirs à la plage en été, de mots d'amour, ce n'est même pas une histoire de claques qui échappent, de devoirs pas finis, de déjeuners trop longs où tout le monde s'ennuie. Je souris d'eux qui m'apprennent par accident qu'aimer c'est s'en vouloir, et encore en vouloir

  • Autant de monde que ce matin au Père-Lachaise. Indescriptible parce qu'incroyable, cette foule. Tous ces gens. Des dizaines. Comment ? Comment tous ces gens ont pu l'aimer? Je suis pas jalouse, sidérée seulement. Je ne comprends pas qu'elle ait su se faire aimer de tant de gens, et qu'elle n'ait jamais essayé de se faire aimer de moi.

  • Ce matin, je me suis réveillée, et j'ai vu mes vêtements éparpillés, au bout de mon lit, la fenêtre où hier le téléphone a sonné, c'était en pleine nuit, je regardais les lampadaires et je ne les voyais pas, j'étais nue, mais les voisins ne le savaient pas, j'avais éteint la lumière. J'avais la peau chaude et moite d'avoir dansé, j'ai répondu au téléphone et Jeanne m'a dit Maman est morte.

  • Constance envie à ma mère l'enfant qu'elle aurait su aimer, et son pouvoir sur les hommes, sur les femmes aussi. Elle lui envie des choses qu'elle aurait pu avoir, si elle avait voulu. Constance, t'avais qu'à m'aimer, moi, et t'avais qu'à séduire, c'est pas bien compliqué. Tu es jalouse d'une vie que tu aurais pu avoir, si tu l'avais choisie. Faut se méfier des désirs ignorés. Ils reviennent te foutre des claques déguisées en rancœur.

  • On se souvient des bons moments en images, des idées générales, un sentiment diffus de joie, mais seuls les mauvais moments gardent la précision des paroles dites, des gestes donnés.

  • Je crois qu’il est plus simple d’aimer une femme aujourd’hui. Je ne crois pas qu’il soit plus simple d’aimer être seule.

  • Dans le microclimat de nos sentiments post-mortem, il fait un temps d'après l'orage.

  • Ça fait longtemps que j'ai compris que le pouvoir, c'est pas les jolies filles qui le possèdent. C’est ceux qui leur imposent d’être les plus belles pour seulement exister.

  • Aimer c’est s’en vouloir, et encore en vouloir.

  • Trop de monde. C'est le plaisir de la boîte, ce trop. Trop chaud, trop petit, trop noir, trop fort. La boîte te prend le corps et te le secoue, jusqu'à ce que tu te résignes à ne pas être bien, à ne pas être toi. Tu n'as plus que le choix de devenir quelqu'un d'autre.

  • bats-toi pour ton désir
    attise-le comme un feu qui réchauffe et ne brûle pas
    attise-le comme le feu du jaune de tes yeux

  • Tu es jalouse d'une vie que tu aurais pu avoir, si tu l'avais choisie. Faut se méfier des dé- sirs ignorés. Ils reviennent te foutre des claques déguisés en rancœur.

  • j'oublie que ma mère est morte et je suis de bonne humeur. On l'enterre tout à l'heure. C'est pour ça que Jeanne, (la grand-mère) qui se couche avec les poules, m'a prévenu si tard. Elle venait elle-même de l'apprendre. C'est terrible de se sentir bien le jour de l'enterrement de sa mère.


BIOGRAPHIE

Parisienne d’origine marseillaise et martiniquaise, elle voyage, aime étudier selon ses envies, aussi bien les politiques publiques que le swahili, l’histoire de l’art, la finance, les sciences cognitives. Elle est aujourd’hui chercheuse en économie du développement. On sent dans L’indésir l’influence des lectures, les nouvelles de Salinger, le roman philosophique avec Hermann Hesse, le théâtre de Tennessee Williams et la poésie amoureuse d’Aragon.

Son insta : https://www.instagram.com/josephinesultane/?hl=fr




mardi 24 octobre 2023

E. LILY YU – L'odyssée de Firuzeh – Éditions de l'Observatoire - 2023


 

L'histoire

Omid (surnommé affectueusement Atay), sa femme Abay, leur fille de 8 ans Firuzeh et son petit frère Nour, se préparent à quitter Kaboul, devenu trop dangereux avec la guerre entre Talibans et Américains. Ils ont vendu tous leurs biens pour payer le passeur et se rendre en Australie, où il existe déjà une communauté afghane de réfugiés. Mais le long voyage ne se passe pas comme il le devrait, avec un passage horrible dans un camps hostile de réfugiés et la menace d'expulsion . Mais Firuzeh a de la ressource et un peu de magie vient ponctuer ce récit difficile.


Mon avis

On dit beaucoup de choses sur les migrants, mais connaît-ton vraiment leur réalité. Il aura fallu 9 ans de recherches, de visite de camps, de discussions à la journaliste américaine Lily Yu pour écrire ce roman, totalement captivant.

Omid et Bahar sont des petites gens vivant à Kaboul. Omid tient un garage, Bahar veille sur ses deux enfants, en faisant quelques travaux ménagers. Les enfants vont à l'école. Mais voilà, les Talibans sont entrés dans Kaboul et il n'est pas question de vivre sous ce régime dictatorial pour Omid et sa famille. Il vend tout ce qu'il a pour payer un passeur. Discrètement une nuit, ils partent serrés les uns contre les autres pour Peshawar, au Pakistan voisin, où ils sont hébergés quelques jours avec une autre famille afghane sur le départ. Firuzeh et Nasima (la fille de l'autre couple) deviennent amies et complices. Les voilà ensemble dans l'avion pour Jakarta, une première escale, avec des faux-papiers – qui ne tromperont personne - et des billets d'avions.

Quelques jours à Jakarta dans une pension maussade et sale et ils doivent embarquer dans un navire direction l'Australie. En fait pas exactement un navire mais plutôt un bateau de pèche, instable, où ils sont serrés comme des sardines. Une grosse tempête manque de faire chavirer le bateau et Nazima se noie. L'embarcation est finalement sauvée par un navire australien. Mais de de Perth, de Sidney ou de Melbourne en vue. Ils sont conduits dans un camps de réfugiés sur l’île de Nauru, autrement dit un enfer. Les tentes en toiles sous le vent et la pluie, des lits militaires, des repas de riz, poulet, pain et des coups de matraque pleuvent entre les injures. Seule Firuzeh comprend l'anglais. Le temps passe et la seule solution est d'aller à l'infirmerie, où l'on distribue des somnifères qui endorment les adultes désœuvrées. Si le turbulent petit Nour se fait des amis, quand il ne se dispute pas avec sa sœur (de façon très drôle d'ailleurs), Firuzeh parle avec Nasima ou son fantôme qui la conseille, et rencontre Farah, une jeune femme qui lui donne des sucreries et du coca-cola – on comprend vite que Farah qui semble avoir de l'argent pour s'acheter ce qu'elle veut se prostitue auprès des gardes. Les parents de Nazima ont eu leur titre de séjour et s'envolent pour Perth. La famille de Firuzeh elle reçoit une lettre : 2 000 dollars pour rentrer dans son pays ou rester dans ce camps, dans la promiscuité, la saleté (une douche pas semaine, dans des sanitaires qui empestent), la nourriture infecte, les vents et les moissons.

Puis un jour, arrive une lettre : la famille de Nasima n'a pas oublié ses amis et a réussi à faire appel. Ils arrivent alors dans le froid glacial de Melbourne pour recommencer une vie. Mais quand on ne parle pas la langue, quand trouver du travail pour qui n'a qu'un titre de séjour renouvelable ou pas tous les 2 ans), c'est difficile. D'autant que les enfants sont conquis par le mode de vie occidental. Alors que les parents économisent dollars après dollars, et malgré l'aide d'une association caritative, le fossé se creuse entre les traditions afghane (toujours recevoir un ou une invité avec un thé chaud et des pâtisseries qui coûtent cher, au grand dam du père), les enfants rêvent de cette vie occidentale où on va au cinéma, où les filles se maquillent, comme les copines de Firuzeh, Shirin qui vient d'Iran ou une autre adolescente afghane. Et puis le visa n'est pas renouvelé, alors que les 2 parents travaillent durs, que les enfants – malgré beaucoup de difficultés scolaires, tentent d'y arriver... Mais il y a Nasima qui conseille Firuzeh, et malgré l'adversité, finalement il resteront ici, et les autres dans l’infini océan.

Ce roman, surtout vu par Firuzeh est magnifique parce qu’il y raconte une réalité que l'on ne connaît pas, mais sans sombrer dans le pathétique. Pour cela, l'autrice insère les inénarrables chamailleries entre le frère et la sœur (qui pourtant s'aiment évidemment), les contres que racontent Abay, et l'amie imaginaire Nasima, la petite voix de la raison qui guide la jeune fille tout au long du livre, à se demander si son fantôme n'est pas réel. Cela donne un charme envoûtant à ce livre, qui ainsi combat la dureté. Les amitiés fortes qui se nouent, la solidarité grâce à une association caritative, la force de Firuzeh qui observe beaucoup mais refuse de se laisser abattre, la poésie, l'humour impayable de Nour, le choc des cultures font de ce livre un incontournable, en écho avec l'actualité. Des gens qui doivent abandonner tout, sans sacrifier à leur valeur de politesse, des gens qui ont enfin des noms, une histoire derrière eux, tout cela vous attrape aux tripes, laisse aussi vous échapper un sourire et nous rappelle à notre éternel devoir de bienveillance.




Extraits :

  • Tu sais comment on combat un cauchemar ? Est-ce que tu sais seulement de quoi est fait un cauchemar ? Non. Tu assembles des bouts d'histoires pour te créer un chez-toi ou une famille. Certains bouts, on te les donne, d'autres, tu les fabriques toi-même en vivant ta vie. Un cauchemar, c'est quand les bouts les plus moches et les plus féroces s'agglutinent ensemble, et partent chasser d'autres histoires pour les dévorer. Firuzeh dit : Tu ne peux pas te battre contre une histoire. Bien sûr que si. Il suffit de casser un cauchemar en petits bouts d'histoires dont il est constitué, et boum, plus de cauchemar.Et donc ?Tu vis dans un cauchemar. Tu devrais le mettre en pièces. Tu es cinglée.(réponse de Firuzeh à Nasima)

  • Mais où irons-nous ? fit Omid, les yeux écarquillés. Jadis, il n'avait été qu'un petit garçon aux genoux croûtés, pas plus lourd qu'un sac de blé. Jadis, Hassan l'avait porté sur ses épaules. Je n'en sais rien, répondit Hassan. N'importe où, Là où vont ceux qui quittent l'Afghanistan. C'est un pays d'exilés, un pays d'hirondelles migratrices. Toutes finissent par trouver un lieu où se poser. Toi aussi, tu trouveras.

  • Alors pourquoi ta famille à toi a quitté l’Afghanistan ? Ils refusent de me le dire.Ils refusent de te le dire ? Abay dit que je n’ai pas besoin de le savoir. Mais bien sûr que si ! On a besoin de raisons autant qu’on a besoin d’eau et d’air. Je serai la meilleure amie que tu aies jamais eue. Je te la trouverai, ta raison.

  • Firuzeh dit : Atay est un héros. Il transperce les lions et les dragons de sa lance. Il vaincra le div maléfique du ministère de l'Immigration, et lui coupera la tête.
    Assez, dit Atay posément. Votre mère a raison. Firuzeh insista. Elle raconterait cette histoire comme il le faudrait. Tu iras sur ton cheval tacheté - enfin, dans ta voiture - jusqu'au bureau du ministère, et tu brandiras la vérité contre eux, telle une épée. Vous ne voyez pas ce qui se passe vraiment en Afghanistan ? Nous ne pouvons pas y retourner : nous nous ferions tous tuer. Et la vérité leur transpercera le cœur.

  • Ne les laisse pas te briser ou te rendre plus dure. Ce monde est sans pitié, il n’a pas été conçu pour toi.

  • A-t-il quelque chose de juste ce monde ? rétorqua Abay. Ou est-ce que tout nous enseigne à nous soumettre à Dieu ?

  • L’ennui, déclara Nasima, c’est pire que les requins. Ils avaient vu les ailerons au loin la veille, mais à présent la mer n’avait plus à leur montrer que des bouteilles en plastique, des paquets de chips et des entrelacs d’algues.
    Firuzeh rétorqua qu’elle préférait l’ennui.

  • Les histoires vont là où les gens vont, dit Nasima. Elles résident dans les rêves, les récits, les souvenirs. Cela fait plus d’un siècle que les djinns se sont établis ici. Ils sont venus avec les premiers Afghans, l’endroit leur a plu, et ils sont restés.

  • Et pourtant, on est toujours ici, à attendre. Chacun de nous attendait quelque chose, et c’était cela qui nous faisait tenir. À présent, on n’a plus rien à attendre. À présent chaque minute de nos vies est un gâchis. Le temps nous cisaille les nerfs. Et ça fait mal. Très mal.

  • Comme quand j’étais en vie. Je n’étais qu’un espace en forme de fille dans l’univers. Quelque chose à nourrir. Auquel on met des chaussures et des robes. Qu’on élève comme il faut, comme un mouton, afin de pouvoir l’amener un jour au marché. Mais quelque chose qu’on ne voit pas, pas vraiment. Personne ne voit jamais vraiment sa fille. Pas comme on voit ses fils. Qui eux valent quelque chose. Qui eux travailleront un jour.

  • Merci", dit Grace aux photos. D'être montés à bord de ces bateaux. D'avoir lutté. D'avoir menti. De ne pas avoir lâché. D'avoir vécu. D'avoir trouvé la mort. D'avoir travaillé treize ou quatorze heures par jour dans une supérette à Footscray avant de déménager dans les collines. Pour les appels téléphoniques longue distance et les visites occasionnelles, pleines de gêne réciproque, lors desquelles Grace devenait soudain la parente riche et choyée, avec sa peau vierge de cicatrices, ses blessures invisibles. Merci, c'était bien trop peu.

  • Un rêve fracturé. Des bruits de pas creux sur un long quai, l’eau clapotant en contrebas. Les vibrations et les grondements familiers d’un moteur d’autocar. Des clôtures argentées s’ouvrant à leur passage pour les avaler. Firuzeh battit des paupières pour ouvrir les yeux, elle vit, et elle oublia.

BIOGRAPHIE

Autrice américaine, E. Lily Yu a écrit des nouvelles plusieurs fois récompensées.
En 2021, paraît son premier roman "On fragile waves" traduit par "L’Odyssée de Firuzeh", après neuf ans de recherche. Elle travaille actuellement à un second roman "Jewel box" à paraître en 2023 aux États-Unis.

Son site : https://elilyyu.com/


Je vous conseille aussi cet article qui vous permettra de comprendre aussi ce qui se passe dans le pacifique. https://fr.wikipedia.org/wiki/Solution_du_Pacifique



jeudi 19 octobre 2023

Catriona WARD – la dernière maison avant les bois – Éditions Sonatine 2023


L'histoire

Ted Bannermann vit dans la dernière maison de l'impasse de Needless Street à Portland. Cet homme d'une quarantaine d'année vit seul, avec sa chatte Olivia, et des temps en temps la visite de sa fille à peine adolescente Lauren, franchement insupportable. Ted ne travaille pas, en raison de problèmes de santé. Il vit la plupart du temps chez lui, et sort juste pour le nécessaire, ou va se promener dans les bois.

Il se souvient aussi qu'il y a 11 ans, une petite fille a disparu dans les bois, que son corps n'a jamais été retrouvé et Ted a très peur que le « Meurtrier » comme il l'appelle ne revienne tuer un autre enfant. Mais c'est l'installation d'une nouvelle voisine Dee qui va changer et bouleverser le destin de Ted.



Mon avis

Voilà un polar pas banal du tout, comme vous n'en n'avez probablement jamais lu.

Dans ce roman choral, vous allez de surprises en surprise. Il y a Ted qui parle de son quotidien bien monotone, mais aussi Olivia, la chatte qui observe tout et qui sait se comporter en félin royal, en allant consoler son maître, et qui se lie d'amitié avec un autre chat, nommé Nocturne qui partage discrètement sa chasse avec elle. Lauren, qui rend visite en général le week-end à son père est toujours maussade, jamais contente, et la papa prend bien conscience que ce n'est pas facile d'éduquer une pré-adolescente, qui risque bien de lui causer du souci plus tard. Et puis il y a Dee, une femme qui a perdu sa petite sœur Lulu, ainsi que sa famille. Lulu, qui avait 9 ans était la petite chouchoute de la famille, au grand désarroi de Dee, toujours punie. La police a eu beau chercher, l'enquête ne mène à rien, et Dee veut savoir ce qui est devenue de sa sœur. Dee a tout perdu dans cette épreuve : sa mère, ivre de chagrin a fini par quitter le domicile conjugal, son père a sombré dans l'alcoolisme et la dépression et est finalement mort d'un AVC . Dee qui rêvait d'être danseuse classique n'a pas pu se payer des études et a vécu de petits boulots. Hors Dee a entendu parler de Ted, qui a l'époque avait été interrogé par la police, mais rien de suspect n'avait été trouvé et aucune charge retenue contre lui. Mais pour Dee cela reste une piste à suivre, et elle va s'installer dans la voisine voisine de Ted.

Nous avons donc : un chat qui parle et qui lit la bible en cachette, un homme pas très beau, qui ne prend pas plus soin de lui que de sa maison, et qui semble très attaché au souvenir de sa mère, une petite boite à musique cassée dont la ballerine ne tourne plus, un vieux magnétophone où la mère de Ted prenait des notes pour ses recherches. Ted qui aime manger, souvent des choses incongrues, décide de s'en servir pour mémoriser ses recettes de cuisine.

Mais alors qui a commis ce crime odieux et pourquoi ? Je ne peux pas spolier le livre, ce serait vous ôter toute envie de le lire. Mais pour brouiller les pistes, déstabiliser le lecteur, l'autrice sait y faire. Qui est au fond Ted, qui vit isolé dans une maison dont les fenètres sont remplacées par des panneaux de bois (posés il y a 11 ans quand il était suspecté par la police, puis innocenté, il était au super marché à l'heure des faits, mais la mentalité des citoyens est ce qu'elle est, et des faux justiciers lui ont défoncés les fenêtres. Si tout cela est passé, Ted n'a pas songé à remettre des fenêtres en verre, juste quelque petits trous dans les bois. Puis il y a eu des oiseaux morts trouvés dans son jardin, piégés à la glu, que Ted a eu le supplice de devoir enterrer, car les oiseaux et la nature il aime cela, mais sans trop s'aventurer dans ces bois maléfiques semble-t-il.. Et quels sont ses rendez-vous où il est absent plusieurs heures chaque semaine ?

Caroline Ward tisse sa toile comme une araignée littéraire, avec des rebondissements, et une psychologie fouillée des personnages. Souvent bien des polars nous laissent deviner le coupable à mi-lecture ou assez facilement. Là, c'est un labyrinthe méticuleux, dans une ambiance de plus en plus stressante qui va vous tenir en haleine.

Et surtout ce roman a aussi une vocation, mais cela vous le lirez dans la postface.Addictif à souhait, on a beau jouer les détectives, on aura bien du mal à se douter de la fin. Encore une belle publication des Éditions Sonatine, toujours à la recherche de l'original.


Extraits :

  • Je vais te confier un secret, chaton. Tout le monde se sent comme ça par moment. Parfois, les choses vont mal et on a l'impression que rien ne pourra s'arranger, que l'avenir est bouché, comme le ciel un jour de pluie. Mais tu sais, la vie ça change à toute vitesse. Les choses bougent tout le temps, les bonnes comme les mauvaises, et le ciel finira par se dégager. Je te le promets. e crois que les enfants ressentent la douleur plus fort que les adultes, parce qu'ils ne savent pas encore jusqu'à quelle intensité elle peut monter.

  • Il y a une forte odeur de nettoyant ménager qui fait penser à une prairie en fleurs, en version chimique. J'imagine que dans le futur, on atteindra un moment où plus personne ne connaîtra le parfum d'une vraie prairie. Mais bon, si ça se trouve, d'ici là, les vraies prairies auront disparu et les fleurs seront fabriquées en laboratoire. Du coup, les ingénieurs feront en sorte que les fleurs aient une odeur de nettoyant ménager, parce qu'ils penseront que c'est ça, la véritable odeur des fleurs.

  • comme les fois d'avant, je ne me sens pas fier d'utiliser une photo de profil qui n'est pas la mienne, mais je sais que sans ça, personne n'accepterait de me rencontrer…

  • Les dieux sont plus proches qu'on pourrait le croire. Ils vivent au milieu des arbres, derrière un voile si fin qu'un simple coup d'ongle suffirait à le déchirer.

  • J’ai deux critères pour juger les gens ; comment ils traitent les animaux et ce qu’ils aiment manger. Ceux qui adorent la salade ont forcément mauvais fond. A l’inverse, ceux qui ont un faible pour le fromage ont tendance à m’inspirer confiance.

  • Pendant des semaines, j'emmagasine mes pensées les plus inintéressantes pour les raconter à l'homme-scarabée [son psy]. C'est du boulot, parfois, de trouver assez d'idées pour tenir une heure.

  • D'une manière générale, les animaux de compagnie valent mieux que leurs propriétaires. J'ai de la peine pour tous ces chiens, chats, lapins et souris forcés non seulement de vivre avec des gens, mais pire encore, de les aimer.

  • Les deux sœurs avaient les mêmes yeux que leur mère : les mêmes grands iris marron teintés de vert foncé, les mêmes longs cils noirs. Sauf que ce n'était pas cette ressemblance que voyait Dee chaque fois qu'elle croisait le regard de Lulu, mais le fait que sa sœur était la préférée de ses parents.

  • Quand on est arrivé à la maison, maman m’a fait couler un bain, puis elle m’a déshabillé et m’a examiné sous toutes les coutures. Elle a trouvé une coupure sur mon mollet qui saignait. Alors elle a sorti sa trousse d’infirmière et elle m’a fait deux points de suture pour refermer la plaie. Elle me cassait, puis elle me réparait, et ensuite elle recommençait – c’était comme ça, avec ma mère.

  • On ne peut pas deviner comment sont les gens juste à partir de ce qu'ils font. On peut très bien faire quelque chose de mal sans être quelqu'un de mauvais. Et à l'inverse, ça doit aussi arriver que des gens mauvais fassent quelque chose de bien une fois de temps en temps. Ce que je veux dire, c'est qu'on ne peut jamais savoir.

  • Dans notre vie de tous les jours, il est parfois difficile de dire à nos proches ce qu'on pense ou ce qu'on ressent. Et quand on garde des secrets, on finit souvent par se sentir très seul.

  • Le regard des autres transforme ma maison en un endroit que je ne reconnais pas.

  • Je voudrais que les gens sachent que tout ça, c'est uniquement une question de bienveillance. Nous sommes apparus pour protéger l'enfant. C'est ça qui compte.

  • C’est le jour où j’ai découvert ma raison d’être. Tous les chats en ont une, de la même manière que tous les chats peuvent devenir invisibles ou lire dans les pensées. (Sur ce dernier point, on est vraiment très forts.) 

     

BIOGRAPHIE

Catriona Ward est née à Washington, DC. Sa famille a beaucoup déménagé et elle a grandi notamment aux États-Unis, au Kenya, à Madagascar, au Yémen et au Maroc. Elle écrit des romans et des nouvelles, et des critiques pour diverses publications

En anglais : https://en.wikipedia.org/wiki/Catriona_Ward

Son site : https://us.macmillan.com/author/catrionaward

Son insta : https://www.instagram.com/catward66/?hl=fr