mercredi 12 juin 2024

Katarina Mazetti – Mon doudou divin – Editions Gaïa - 2012

 

 

L'histoire

Wera, pigiste en mal de succès trouve un sujet qui intéresse le magazine suédois Circulaire, dont la cible est les bobos chics. Elle va s'infiltrer dans une petite communauté « La Béatitude » qui veut réinventer un nouveau Dieu ? Installée dans un ancien camps de scout mal entretenu, elle se retrouve avec 4 autres individus plus le couple qui dirige le groupe. Des personnages qui ont tous quelque chose à cacher et qui sont (selon elle) totalement cinglés. Mais peut-on vivre sans Dieu ou sans croyance ?



Mon avis

La suédoise Katarina Mazetti s'empare d'un sujet complexe : la croyance en un Dieu. Non sans humour, le récit alterne entre les pensées de Wera et celles de Madeleine, une femme mystérieuse, plus toute jeune, qui ne se sépare jamais de son sac à dos noir.

Le couple qui les héberge a tout du cliché (voulu) : Annette, femme grassouillette, figure maternelle et son époux Adrian, le gourou habillé d'une robe de moins bleu foncé, qui énonce platitudes sur platitudes. Parmi les invités, il y aussi Karim, un jeune homme musulman qui est pour la fusion des 3 religions à Dieu unique (catholique et juifs), une mystérieuse dame grise qui ne se lie pas beaucoup et ne parle que par poèmes, le médecin radié Bertil qui fait la démonstration que l'humain a besoin de croire en quelque chose, ce quelque chose qu'il appelle Dieu mais qui est fait pour le rassurer (qui, croyant ou pas, n'a jamais dit un jour « au mon dieu ») ? Annette fait une crise de féminisme en rappelant que les hommes ont rejeté les déesses mères antiques pour mieux contrôler les femmes. Adrian lui veut un dieu écologique et bienfaisant concrètement. Madeleine veut oublier ses péchés et renouer avec la foi. Wera qui enregistre en secret ce petit monde, s'en fout royalement, et propose elle des dieux à la carte. Les discussions sont vives, chacun campant sur ses positions. Mais Wera découvre vite que tout le monde a quelque chose à cacher : que contient le sac noir de Madeleine, qui est ce docteur Bertil, assez riche mais radié de l'ordre des médecins. Annette et Adrian forment un couple mal assorti et qui ne s'entend plus. Karim a un besoin immense de reconnaissance. La femme grise est insignifiante, personne ne fait attention à elle.

D'une plume malicieuse qui sait aussi parfois se faire un peu angoissante, l'autrice suédoise s'en donne à cœur joie pour démystifier les religions. Mais pourtant, ne reste-t-il pas en chacun de nous ce petit désir de croire en quelque chose ?

Petit roman facile à lire, il vous fera réfléchir sur le poids de la religion, vos croyances, et peut-être vous faire réfléchir et remettre en questions vos certitudes. C'est bien fait, sans leçons de morale, çà se lit vit et c'est très drôle. La fin est assez épique mais je ne spolie pas.



Extraits

  • Les images le montrent bien : s'il existait une quelconque entité divine, elle serait malveillante et il faudrait la combattre par tous les moyens !
    " Le Dieu des catholiques qui a sur les mains le sang de millions de séropositifs et qui déclare que l'amour physique est un péché, pendant que les curés violent des petits garçons. Le Dieu tu-ne-tueras-point des bombardiers, qui laisse ses serviteurs bénir les bourreaux avant l'attaque. Le Dieu des musulmans qui pousse de jeunes hommes à se faire exploser en même temps que des innocents. Qui sert d'alibi pour réduire des femme en esclavage, pour faire d'elles le bétail des hommes et des prisonnières de leur propre corps. Le Dieu des juifs qui construit un nouveau mur de Berlin, le Dieu des hindous qui massacre les sikhs et les musulmans... et inversement...
    "Oui, les apôtres de toutes les religions avancent dans le sang, baignent dans le sang, tiennent des peuples entiers en esclavage dans un abominable abus de pouvoir ! LA FOI EN "DIEU" EST UNE PANDÉMIE QUI MENACE L'EXISTENCE DE L'HUMANITÉ !"

  • A la place de l’orgueil se déroule la Faiblesse-du-moi. Tu ne fais l’affaire que lorsque tu as acheté tel ou tel produit ou assimilé tel ou tel message ! Et nous devenons des victimes faciles pour les experts et les publicitaires, aussi faciles que nous l’avons un jour été pour le prêtre qui nous promettait le royaume des cieux.
    Au lieu de l’Avarice nous visons dans un Gaspillage porteur de mort. Nous savons tous que nous avons hypothéqué les ressources du futur et que nous sommes en train de les dilapider dès aujourd’hui. Nous avons mangé la nourriture de nos enfants, comme des parasites. Nous avons fabriqué nous même l’apocalypse qui nous attend.
    Le péché capital Luxure est devenu une industrie de luxure qui nous pousse dans l’Ennui. Qui peut vivre le vertige d’un baiser lorsque les sens ont été stimulés à outrance par des copulations routinières dans tous les orifices du corps ? L’amour comme exercice de fitness interminable où celui qui flanche doit feindre ses orgasmes !

  • Je travaille comme journaliste free-lance dans une petite localité. Si petite que les automobilistes de passage sont sidérés de tomber sue le panneau "Merci de votre visite, à bientôt" alors qu'ils croyaient tout juste arriver. Oui, il est parfaitement possible de louper complètement la ville, si on n'y prend pas garde. Je projette de déménager, mais il faudrait d'abord que ma vieille mère décide de mourir, elle n'en a plus que pour un an ou deux, au grand maximum. On n'est pas les meilleures amies du monde, mais on observe une sorte de neutralité armée, et je suis son seul enfant.

  • Je n'ai évidemment pas approché la solution du mystère d'un seul millimètre : qu'est ce qui peut bien pousser des personnes totalement ordinaires et normales ( en tout cas en apparence) à mettre en veilleuse leur existence de tous les jours pour venir sonder le fond de leur âme dans ce décor glauque ?

  • Et autre chose ! Toutes les cultures depuis l'aube des temps ont eu des mythes et des dieux - et à moins d'être cinglé au point de croire en tous, on est bien

  • obligé de tirer la conclusion que c'est un simple mortel qui les a bricolés au coin du feu dans sa hutte !

  • M'est venue à l'esprit la définition italienne des scouts : "un groupe d'enfants vêtus comme des idiots, menés par un idiot vêtu comme un enfant."

  • Ils étaient issus d'horizons divers et n'avait qu'une seule chose en commun :
    Aucun n'entretenait de relation avec le bonhomme surnaturel et barbu qui passait ses journées sur un trône la haut dans la stratosphère à trier les chèvres des moutons.

  • Il parlait comme un sauveur et il ressemblait à un dictateur, jamais auparavant je ne me suis rendu compte à quel point ces deux rôles sont si proches.

  • Ma voisine mange du yoghourt russe et du ginseng et pense qu'elle vivra au moins jusqu'à quatre-vingt-dix ans. Je lui ai demandé pourquoi elle voulait atteindre un tel âge plutôt que de mourir dix ans plus tôt comme la plupart des gens. Que se passe-t-il donc de si spécial entre quatre-vingts et quatre-vingt-dix ans? Il me semble que c'est précisément la période de vie dont on pourrait se passer.

  • Personne n’a encore réussi à profaner mon petit esprit méfiant et acariâtre avec des mystifications évangéliques, et si un jour je me sentais merveilleusement rachetée de mes péchés, j’irais immédiatement consulter un psy !

  • L'épouse (?) d'Adrian, Annette, vêtue d'une couverture de cheval indienne brodée. Elle avait le menton appuyé dans ses grosses mains rouges et elle regardait Adrian fixement, le visage totalement inexpressif. Je n'ai pas su déterminer si elle était fière de lui ou si elle prenait des mesures à vue de nez pour lui confectionner une nouvelle tenue.

  • Nous les femmes, nous avons solidairement mis un pied hors de notre foyers pour nous charger des fardeaux de nos hommes, mais eux n'ont pas encore porté les nôtres, alors qu'ils s'en trouveraient bien plus heureux ! Et ne serait-ce pas suffisant, ça, vouloir rendre le monde meilleur pour la moitié de l'humanité, pour ne pas dire toute l'humanité ?

  • Mais évidemment que DIEU existe ! avait-il rugi subitement. C'est à dire pas en tant qu'être divin ! Mais le concept "DIEU", c'est le plus grand politicien, le plus grand manipulateur et lèches bottes de tous les temps, et ses fidèles, ces abrutis malléables, peuvent se constituer en lobby, le plus grand de toutes les sociétés !



Biographie

Katarina Mazetti est une journaliste et écrivaine suédoise, née en 1944. Elle grandit à Karlskrona, port naval du sud de la Suède. Après des études de journalisme, elle amorce sa carrière dans des journaux locaux. Plus tard, elle reprend ses études et obtient une maîtrise de littérature et d’anglais à l’Université de Lund.

Elle travaille comme professeur à Malmö, puis comme producteur et journaliste à la Sveriges Radio (Radio suédoise) de 1989 à 2004. En littérature, elle publie des livres pour tous les âges, ainsi que des critiques littéraires, des chansons, des comédies et des chroniques pour des journaux et la radio. Son premier ouvrage de littérature d'enfance et de jeunesse est un livre d’images écrit en vers hexamètres classiques.

Elle vit pendant vingt ans avec son compagnon et ses quatre enfants dans une petite ferme du nord de la Suède avant de s'installer à Lund. Publié en 1998, son premier roman destiné aux adultes, "Le mec de la tombe d'à côté" ("Grabben i graven brevid") est fondé sur son expérience en tant que femme d'agriculteur. Il a été traduit en 22 langues et a connu un grand succès. Vendu à 450 000 exemplaires en suédois, il sera adapté au théâtre, à la télévision et au cinéma. En 2002, le film, réalisé par Kjell Sundvall, est un succès, vu par plus d’un million de suédois. En 2008, elle signe un roman historique intitulé "Le Viking qui voulait épouser la fille de soie" ("Blandat blod").
Elle est également l'auteur de la série jeunesse "Les Cousins Karlsson" ("Kusinerna Karlsson") ayant pour héros les quatre cousins Karlsson (7 tomes, 2012-2016).

Voir ici : https://fr.wikipedia.org/wiki/Katarina_Mazetti


mardi 11 juin 2024

Agnès LEDIG – Se le dire enfin – J'ai lu – 2021 -

 

 

L'histoire

Édouard, 50 ans, décide d'abandonner sa femme, sur un coup de tête, en portant la valise d'une vieille dame anglaise. Cela faisait longtemps que son couple battait de l'aile. Il arrive au gîte du « Doux Chemin », perdu dans la forêt de Brocéliande. Accueilli chaleureusement par Gaëlle, la maîtresse des lions, il va rencontrer son fils muet Gauvain et une étrange et très belle jeune fille Adèle. Dans sa poche la lettre de son grand amour qui n'habite pas loin.


Mon avis

On retrouve dans ce roman, les thèmes chers à Agnès Ledig : la connexion avec la nature et la lutte contre les violences faites aux femmes. Cette fois-ci c'est la forêt de Brocéliande, haut lieu druidique avec ses arbres magnifiques, ses légendes, ses méandres qui sert de décor.

Les personnages sont tous un peu fracassés par la vue. Gaëlle qui vit seule depuis la mort de son mari et doit s'occuper de Gauvain, enfant mutique et hypersensible. L'étrange Adèle qui est une cavalière hors-pair et qui cache aussi un lourd secret. Susan, l'écrivaine un peu trop fureteuse, qui espionne en douce les activités des membres. Puis il y a Raymond, le voisin bourru mais sympathique, qui parle une sorte de patois hilarant. Enfin Platon, le chat philosophe observe son petit monde en distribuant coups de griffes ou affections selon.

Édouard fait le point sur sa vie. Il n'aime plus sa femme, trop superficielle, trop dans l'apparence, et espère renouer avec celle qu'il a toujours aimé qui vit dans la région justement.

La paix de la nature, la mer déchaînée, les petites bruines de cet été finissant et l'heure des grands choix et des révélations.

Agnès Ledig sait dire en douceur les malheurs et sa poésie n'est plus à démontrer. Mais, c'est son deuxième livre, et j'aurais aimé qu'elle change de sujet. J'aurais aussi aimé plus de place à la magie de Brocéliande, aux légendes et un peu moins d'introspection de la part d’Édouard, qui hésite encore. 465 pages c'est un peu trop pour révéler ce que l'on a compris dès les premières pages. Et les personnages sont un peu trop clichés pour moi. On est loin de la puissance d'écriture d'une Tiffany Mc Daniel, bref ce livre ne laissera pas des souvenirs mémorables.

Mais c'est bien écrit, c'est page turner si on ne connaît pas.



Extraits

  • Platon s’approcha de l’arbre à pas de loup, grimpa le long du tronc couvert d’une mousse épaisse, ses griffes largement déployées pour atteindre l’écorce et s’y agripper. Deux énormes branches jumelles – qui, à deux mètres du sol, partaient à l’opposé l’une de l’autre – offraient à son corps gracile une zone plane et confortable. Il s’allongea et ferma les yeux. Le chat pouvait rester ainsi des heures sans bouger. À l’affût du moindre bruit, en sécurité, perché là-haut au bord d’une clairière calme.
    Le temps s’écoulait, rythmé par l’agitation alentour et les nombreux chants d’oiseaux.
    Le bruissement des feuilles répondait au murmure imperceptible des graminées qui dansaient dans le vent. L’animal, enveloppé de verdure, se laissait bercer par le concert que la nature lui jouait, riche de milliers de solistes. Platon ne céderait jamais sa place car il sentait qu’elle était sienne. Rien ne pouvait s’opposer à cette douce vérité. Après sa sieste, il pandicula avec soin puis s’éloigna comme il était venu, vers sa maison de Doux Chemin, intrigué par cette sensation éprouvée durant son sommeil. Il se retourna juste avant de bifurquer vers le sentier qui menait au hameau, pour regarder le tilleul une dernière fois. Rien ne serait plus comme avant.

  • Que veux-tu ? Avec qui ? Pourquoi ? Comment ? Pose-toi ces questions mille fois et agis. Tu as plus de printemps derrière toi que devant. Il est temps. Le passé est révolu. Le présent est ici. Tu y joues un rôle, ton rôle. L'avenir s'imposera. Attends.
    La liberté est l'oxygène de certains amours. Elle en a besoin, toi aussi, tu le sais. Tu respires mieux depuis que tu es ici; Et il n'y est pas question de feuilles ou de béton. Tu es un affranchi. Un affranchi du couple. L'idée te convient, elle convient à Elise. Certains canapés ont des messages subliminaux à délivrer.
    Rien n'empêche de s'aimer. Surtout pas cette liberté-là. Vivre seul à deux donne envie de partager plus fort les moments plus rares. Tu as l'âge où tout bouge, tout se remet en question, tu as lâché quelques certitudes, compris quelques règles simples, imaginé assez de scénarios pour savoir celui qui te convient. réfléchis et à la fois arrête de réfléchir. Vis.

  • Lui revint la description que Gaëlle avait fait de son fils, et qui le replongea au creux de sa propre enfance. L’hypersensibilité dont il avait souffert, sur laquelle il n’avait jamais posé de mots. Il avait dû appartenir à cette catégorie d’enfants différents qu‘on appelait aujourd’hui précoces, ou dys-quelque chose. Quarante ans plus tôt, ce genre de dépistage n‘était pas monnaie courante. Le comportement de cet adolescent le renvoyait à sa propre réalité – il en fut consolé. Sa différence, ressentie depuis toujours, ne lui apparaissait plus comme une faiblesse mais comme un fait dont il s’était accommodé.

  • Elise.
    Il y pensait le matin, le soir, dans tous les moments où de belles choses se présentaient à lui et qu'il avait envie de partager. Elle était l'incarnation du beau dans ce monde plutôt laid.
    Elle était une nuit de pleine lune quand on a peur du noir.
    Elle était le rayon de soleil sur le feuilles d'automne.
    Elle était la première fleur du printemps.
    Elle était la campagne enneigée à l'aube.

  • S'il y a bien deux choses sur lesquelles l'homme n'a aucune prise, c'est le temps qu'il fait et le temps qui passe.

  • Puis il demanda au vieil homme s’il connaissait bien la forêt, sa légende, s’il croyait à la magie qu’on lui prêtait. — C’est en nous qu’est la magie, les arbres sont juste un moyen de nous la montrer. Pour d’autres ce sera la mer ou la montagne.

  • Et si je fais le mauvais choix ?
    -Et si tu fais le bon? Personne n'a dit que la vie était facile. Traversons la en de grandes enjambées heureuses plutôt qu'en rampant.

  • Quand elle alluma le ventilateur au centre de la roue, le mécanisme s'enclencha et délivra ses premières bulles. Elle éclata de rire. De ce rire enfantin qu'elle n'avait pas perdu. Qui avait fait fondre Edouard à quinze ans. Qui le faisait fondre à cinquante. Ce rire, aussi petit et innocent soit-il, désintégrait toutes les peines, toutes les peurs. Il s'installait au premier plan, cachant derrière lui toute la misère du monde.

  • Le miroir aux fées, ou lac de Morgane. Encaissé et entouré de végétation, le lieu et protégé du vent, d'où la surface immobile, comme un miroir. Le Val sans retour est un des lieux les plus symbolique de la forêt. Élève de Merlin, la fée Morgane, après avoir trouvé son amoureux Guyomard dans les bras d'une autre, jeta une malédiction sur les amants infidèles en les enfermant dans ce Val. Lancelot du Lac réussi un jour à les libérer. La réputation sulfureuse de Morgane a fait scandale quand l'abbé Gillard l'a fait apparaître sur le chemin de croix de l'église du Graal. je te montrerai quand nous la visiterons. Gaëlle resta silencieuse un long moment lui pensait aux avances d'Adèle. La ressemblance est troublante avec la fée. Belle, élancée aux atouts certains, aux cheveux longs noirs, libre et provocante. Un peu magicienne.

  • Cette liberté immense et trop soudaine lui donna le vertige. Un angoissant vertige. Tous ses repères voltigeaient, ce q'il avait construit s'effritait. Il se sentait disparaître à l'intérieur de lui-même, n'être qu'un éboulement, un puits naturel qui se forme, sans pouvoir s'accrocher aux parois trop friables. Il allait mourir sous ses propres gravats.

  • Au moyen age une ancolie sur un tableau voulait dire que celui-ci recelait un message caché. C'était aussi la signature de Léonard de Vinci, dont le célèbre dessin de l'Homme de Vitruve illustre les proportions du corps humain, dans lesquelles on retrouve le nombre d'or.

  • Éprouvant le besoin de le toucher, il s'approcha du tilleul. Une sorte de fluide invisible l'envahit, l'aidant à apprivoiser le vertige du vide.
    Ne te sens pas coupable. On a parfois besoin de se retrouver seul pour faire le point. Tu as aimé ta femme. Peut-être pas aussi fort qu'il est possible, mais tu l'as aimée. Puis tu l'aimes moins. Différemment. Tu as de l'affection. Une simple affection. même le désir s'en est allé. Alors pourquoi tu restes ?
    Par confort ? Par habitude ? La peur de décevoir ? Ou celle, plus insidieuse, de faire mal ? Tu réfléchis beaucoup, alors que tu as déjà toutes les réponses.
    Cherche bien. Cherche en toi. Tu sais. Pieds nus dans l'herbe mouillée, il pensait à Elise. Tout sonnait juste au fond de lui. Oui. Tout sonnait juste. 

     

Biographie

Agnès Ledig est une romancière française née à Strasbourg en 1972.
Après une expérience en agronomie, elle décide d’intégrer l’école de sages-femmes de Strasbourg. Spécialisée en prévention, contraception et accompagnement émotionnel des femmes, elle obtient son diplôme et devient sage-femme libérale. Elle est sage-femme libérale en Alsace jusqu'en 2015. Elle est l'épouse d'un agriculteur normand et mère de trois enfants.
Agnès Ledig commence à écrire en 2005, pendant la maladie de son fils Nathanaël, souffrant d'une leucémie. Pour répondre aux questions que posaient tous ceux qui se préoccupaient de Nathanaël, elle tenait un bulletin hebdomadaire. Un professeur de médecine qui suivait l'enfant lui a révélé son don de transmission et l'a encouragée à écrire. Quand Nathanaël est parti, elle ne s'est plus jamais arrêtée.

"Marie d’en haut" (2011), son premier ouvrage, a remporte le prix "coup de cœur des lectrices" du roman Femme Actuelle 2011.
En moins de cinq ans, Agnès Ledig s'est imposée comme l'une des romancières françaises les plus aimées du grand public. Ses trois best-sellers, "Juste avant le bonheur" (2013), prix Maison de la Presse 2013, "Pars avec lui" (2014) et "On regrettera plus tard" (2016) sont aujourd'hui traduits en 12 langues.
En 2016, elle publie son premier album jeunesse, "Le Petit Arbre qui voulait devenir un nuage", illustré par Frédéric Pillot, qui illustrera également son deuxième album, "Le cimetière des mots doux" (2019). En 2020, elle publie son septième roman "Se le dire enfin", suivi de "La toute petite reine" (2021).

son site : https://www.agnesledig.fr/biographie


jeudi 6 juin 2024

Jens LILJESTRAND – Et la forêt brûlera sous nos pas – J'ai Lu 2023

 

 

L'histoire

Didrik, sa femme Carola et leurs 3 enfants dont un petit bébé de 3 mois passent leurs vacances d'été au nord du Lac Siljan dans le comté de Dalécarlie au centre ouest de la Suède. Lorsque des incendies éclatent un peu plus au Nord, dans le Jamtland et le feu se propage à toute vitesse. Se rendant compte du danger, Didrick est sidéré de voir que sa luxueuse berline tout électrique est à court de batterie, et on leur conseille de se rendre dans une ville à 11 kilomètres de là, puis dans un camps de réfugiés climatiques à Ratviik, où des familles s'entassent déjà, avec le peu de bien qu'ils ont peu récupérer. Touristes mais aussi habitants évacués, il faut prendre un train pour Stockholm. Mais le fils cadet est introuvable tout comme sa sœur adolescente. La mère Carola, dont l'entente avec son mari n'est pas au beau fixe, décide de partir et laisse son mari partir avec le bébé. Mais à Stockholm c'est un climat de guerre civile. Les militants écologistes sont en rage contre le gouvernement qui n'arrive pas plus à gérer ces feux qu'à apporter des secours. Les magasins sont pillés, le renfort de la police et des barrages pour empêcher de rentrer dans la capitale sont installés. Bienvenue en enfer. C'est la première des 4 histoires comptées dans ce livre.


Mon avis

Jens Liljestrand est un documentariste spécialisé dans l'écologie. Ce premier roman, traduit en 22 langues est toujours un best-seller en Suède, mais aussi dans les pays nordiques.

Ici, il nous livres 4 histoires, racontées par quatre protagonistes qui vivent chacun la situation des ces feux monstres selon leur ressenti.

Didrik, ce père de famille, consultant réputé en questions environnementales n'est en fait qu'un homme qui prêche de belles paroles, se-complait dans le statut de « réfugié climatique » alors qu'il n'a fait que des boulettes. Assez riche pour se payer de belles vacances, car la famille devait partir en Thaïlande, n'hésitant pas à dévorer une cote de bœuf bien saignante, dès son arrivée à Stockholm, il se réfugie chez sa maîtresse, Mélissa, à qui il a fait les promesses classiques du type qui n'a pas envie de quitter sa femme et son confort. Mélissa, influenceuse, souvent sans le sou, vit pour l'été dans un bel appartement qui est prêté par des riches propriétaires en vacances. Elle essaye de lire un livre, et pour elle, les questions de réchauffement climatiques existent, mais elle part du principe qu'il faut profiter un maximum de la vie et de ses plaisirs. Un peu raciste sur les bords, auto-centrée, elle finit par mettre dehors son ex-amant dont elle ne supporte plus les mensonges. Malgré les supplications de celui-ci. Elle garde toute fois Becka, qui grandit, ne voulant pas faire vivre l'enfer à ce bébé, qu'elle remettra plus tard à sa mère Carolina.

André, fils d'une ancienne star du tennis prend à son tour la parole. C'est le fils de l'homme qui a loué son appartement à Mélissa. Mal dans sa peau, mais admirant son père qui pourtant le traite de loser, il profite pourtant de la fortune immense que son père gaspille, sans se préoccuper une seconde de ce qui se passe, hors de sa maison de vacances dans l'île de Sandham, privilégiée par un climat agréable.

Enfin Vilga, l'adolescente de 16 ans, l'aînée de la famille de Didrik, fait elle un autre choix. Retrouver son petit frère, que le père a littéralement jeté dans une voiture d'inconnus et reste introuvable. Pour cela, elle fait preuve d'une grande intelligence, aide aux camps de réfugiés et est finalement la seule personne sympathique de ce gros pavé de 700 pages.

Bien évidemment, tout y passe : la surconsommation, L'auteur condamne fermement la société de consommation, et surtout les plus riches d'une absolue irresponsabilité. Quoiqu'il arrive, ils restent centrés sur leurs modes de vie, convaincus qu'ils auront toujours les ressources pour se tirer d'affaire contrairement aux plus démunis qui n'ont aucune chance de survivre aux pénuries.
Sceptiques, résignés, indifférents ou indignés : lorsqu'ils sont confrontés à une situation de crise, les personnages réagissent tous de la même manière, sauver leur peau avant tout.

Mais 700 pages, avec un interminable chapitre sur la famille d'André, c'est trop. On sature un peu. D'autant que l'on connaît déjà les problèmes liés au réchauffement climatique, mais héla, individuellement comment réagirions-nous face à une catastrophe (on pense aux inondations qui ont frappé cet hiver/printemps en France), aux feux de 2022 dans les landes, où la terre est toujours chaude en sous-sol. Mais nous n'avons pas encore vécu une forme d'apocalypse où la société se divise, et se meut en une double guérilla. Les écologistes furieux manifestent, tandis que les pillards en profitent ce qui rend Stockholm invivable. Et dans tout le pays où malgré l'aide de la Norvège, ces méga-feux n'arrivent pas être circoncis.

Le mérite de l'auteur est de nous démontrer que nous n'avons pas tous la même solidarité, le même désir quand le vrai danger est là.

Mais une écriture plus resserrée, moins de détails répétés sur les états d'âme des principaux protagonistes aurait à mon avis été bien plus percutant. On fini noyé sous une masse d'informations, alors que nous ne sommes plus de bébés et que la plupart d'entre nous sont quand même au courant du réchauffement climatique et de ces conséquences, si bien démontrées dans ce livre. Que ferions-nous personnellement dans une telle situation entre guérilla civile et incendies monstrueux ? Pour ma part, j'ai constaté l'entraide des populations lors des inondations en France, et je crois que tout ce qu'anticipe notre auteur pourra être évité si nous nous donnions les vrais moyens de vivre plus simplement . N'oublions pas que seuls les dirigeants, les politiques peuvent vraiment orienter au mieux les choix car non, on n'a pas de planète B. Mais cela c'est un autre combat, très peu évoqué dans le livre, alors qu'il me semble crucial.



Extraits

  • Je sors sur le ponton. Le petit bocal en verre se trouve là, juste à côté de l’échelle. Le thermomètre flotte comme d’habitude à la surface de l’eau, attaché à l’un des poteaux par un petit fil en nylon, j’ai une soudaine envie d’y jeter un coup d’œil. Vingt-neuf degrés. Je ne vois pas le dauphin, le vent a dû l’emporter. Je regarde l’orée du bois. La fumée est passée de gris foncé à noire comme la poix. Entre les cimes des arbres, j’entrevois des flammes. Le ciel est une bouillie de suie et de cendres traversé de traînées écarlates, il tremble dans la chaleur, malgré le vent j’entends les craquements des arbres et des buissons. Je fais volte-face et je me dirige vers le petit vieux.
    — Allez, venez ! Nous pouvons nous serrer dans la voiture, vous ne pouvez pas rester, vous le comprenez bien !
    La société ne doit pas gaspiller du temps et des ressources inutilement, juste parce que vous…
    Il demeure immobile. J’avance d’un pas vers le banc, je tends une main. Le vieux corps se fige, un mouvement imperceptible sous les vêtements, des tendons, du cartilage qui se tendent. L’idée de le hisser du banc, le guider, le porter, le transbahuter jusqu’à la maison puis à la voiture où se trouve déjà une famille de trois enfants avec tout son paquetage me fatigue d’avance.

  • La civilisation court à sa perte et à terme aussi toute l'espèce, la plupart des gens pensent sans doute que l'être humain existera sur cette plante dans cent ans, trois à cinq cents ans c'est aussi possible de se l'imaginer, sous une forme quelconque, au moins dans certaines régions, mais dans mille ans ? Dix mille ans ? C'est ridicule, pourquoi existerions-nous encore ? Elle sourit de ses dents d'une blancheur éclatante. Et dans cela réside une certaine liberté. Une consolation. Il n'y a pas de problèmes environnementaux, il n'y a pas de crise climatique, il n'y a pas de fin du monde. Ce qu'il y a, ou y avait, c'est une espèce de mammifères qui s'est multipliée ah point de briser tous les écosystèmes dont elle dépendait, ce qui l'a menée au suicide collectif et c'est dommage, bien sûr, si on a le malheur d'appartenir à cette espèce, mais dans une perspective cosmique ou évolutive, c'est tout à fait insignifiant. Ça n'a pas la moindre importance. Elle balaie le public du regard. Certains prennent des notes, mais le majorité d'entre nous l'écoutons sans broncher. Alors qu'est-ce qui importe ?

  • La nature ne négocie pas. On ne peut ni la convaincre, ni l'apaiser, ni la menacer. Nous sommes une catastrophe naturelle qui s'étend depuis dix milles ans, nous sommes la sixième extinction de masse, nous sommes un super-prédateur, une bactérie meurtrière, une espèce invasive, mais pour la nature nous sommes qu'une ride sur la surface. (...) Lorsque nous disons que nous sommes en train de "détruire la planète" ou d'"endommager la nature" c'est un mensonge égocentrique. Nous ne détruisons pas la planète. Nous ne détruisons que nos possibilités d'y vivre.

  • Désolé pour le bruit, mais je suis en train de ranger la voiture, nous devons nous dépêcher de partir.. Les informations, enfin ça dépend de ce que vous entendez par là. Bien sûr qu on a reçu des informations indiquant quil fallait partir etc., mais dans une perspective à long terme, cette canicule extrême est causée par une crise climatique que toutes les autorités du monde occidental connaissent depuis des décennies sans avoir agi, et là je pense qu on aurait pu mieux nous INFORMER, je veux dire, pas maintenant, mais il y a dix, vingt ou trente ans, on aurait au moins pu nous INFORMER que l'Etat n'avait pas l'intention de remplir sa mission la plus importante, à savoir protéger la population mondiale d'une série de catastrophes très prévisibles.

  • Nous devons leur apprendre que le pire n’est pas ce que la nature va nous faire. Mais ce que nous nous ferons les uns les autres.

  • L'insolence, l'égoïsme, l'absence totale de reconnaissance qui semblent couler dans ses veines, tout cela se pose comme une pellicule sale, grasse, sur le bonheur qui à l'époque m'emplissait chaque fois que je plongeais dans ses yeux bleu clair.

  • Lorsque nous disons que nous sommes en train de "détruire la planète" ou "d'endommager la nature", cer c'est mensonge égocentrique. Nous ne détruisons pas la planète. Nous ne détruisons que nos possibilités d'y vivre.

  • Pourtant, la chaleur c'est la mort, me dis-je, assis sur le quad, à regarder les flammes danser dans les cimes des arbres autour de moi. C'est mourir, faner, flétrir, se désintégrer, devenir cendre. La chaleur fait de nous des êtres indolents, paresseux, passifs, indifférents. Puis vient le feu. Et avec lui l'anéantissement.

  • Une époque où les journaux usaient encore de titres comme LE SUPER ÉTÉ CONTINUE! 0u LA CHALEUR MÉDITERRANÉENNE EST DE RETOUR! comme si la canicule était un phénomène dont il fallait se réjouir, les plages, la baignade, les terrasses, les soirées à transpirer dans les festivals de musique, les enfants euphoriques qui jouent dans le jet de l'arroseur de jardin, une époque où la Méditerranée était synonymne de cocktails et de traces de bronzage. Pourtant, la chaleur C'est la mort, me dis-je, assis sur le quad, à regarder les flammes danser dans les cimes des arbres autour de moi. C'est mourir, faner, Flétrir, se désintégrer, devenir cendre. La chaleur fait de nous des êtres indolents, paresseux, passifs, indifférents. Puis vient le feu et avec lui l'anéantissement.

  • Devenir mère c'est se briser, une plaie qui ne cesse jamais de saigner, s'ouvre à plusieurs reprises. Il y a des mots spéciaux que seule une mère peut prononcer, des larmes qui n'appartiennent qu'à elle.

  • C'est tout ce bordel aussi, dis-je avec un geste vers la situation chaotique sur le quai. La vie s'écoule et ce serait différent si l'on pouvait se projeter dans un avenir radieux, se dire que toi et moi on pourrait profiter d'une vie un peu luxueuse après cinquante, soixante ans, mais ça ne se passera pas comme ça, hein ? La vie c'est ça maintenant et ça va aller de mal en pis. Tout. On ne peut qu'espérer mourir avant que ça ne devienne totalement insupportable. Mais la chaleur, l'eau, la nourriture. Qu'on réussisse à faire fonctionner la société quelques années de plus, avant que la prochaine pandémie ne referme tout. Qu'on ne soit pas obligés de manger des insectes. Que les racistes et les fous ne conquièrent pas encore plus de régions du monde. Qu'il y ait du café à boire dans notre maison de retraite.


Biographie

Jens Liljestrand , né le 18 décembre 1974 à Västervik , est un auteur , critique littéraire et journaliste suédois .
Il fait ses débuts en tant qu'écrivain en 2003 avec le livre de reportage Made in Pride . En 2004, il publie un autre livre reportage, Nous sommes des scouts suédois , portrait d'enfants de la classe moyenne et des différentes ambitions qui les nourrissent. Ses débuts dans la fiction ont eu lieu en 2008 avec le recueil de nouvelles Paris – Dakar . Il a été suivi en 2011 par Adonis , construit autour des membres d'un groupe de chant de Lund .
"Et la forêt brûlera sous nos pas", son deuxième roman, le premier traduit en France, est un livre ouvertement militant. Il cherche à mettre la littérature au service d’une cause, celle qui, aux yeux de l’auteur, devrait ­désormais prévaloir sur toutes les autres : Le réchauffement climatique.

Jens Liljestrand a reçu le prix de littérature Tidningen Vi 2008 ; selon la motivation "pour ses histoires déchirantes et surprenantes, où il dépeint le délire de l'homme suédois contemporain avec une précision linguistique sans faille et un humour cruel".

mardi 4 juin 2024

Agnès LEDIG – Un abri de fortune – Livre de poche 2024 -

 

L'histoire

Ils sont trois (une adolescente, un jeune homme et une femme de 45 ans) a été accueillis en stage de réinsertion/pause aux Censes Perdues, une ferme écologique dans un vallon perdu des Vosges. Ils vont devoir aider le sympathique couple de fermiers qui leur offre l'hébergement et la nourriture en échange de petits travaux (jardinage, monter une clôture, cuisiner). Une ambiance idyllique pour chasser les démons intérieurs qui les entravent et un hymne au ressourcement dans la pleine nature.




Mon avis

Voilà un livre charmant, très facile à lire où même les situations les plus difficiles sont traitées par la douceur.

Karine, la plus âgée, est une femme séduisante, mais en dépression, suite à une liaison avec un pervers narcissique, et une dévalorisation de soi. Rémy, un jeune homme qui est en liberté conditionnelle après 4 ans de prison et un grand gaillard protecteur. Il a tué le compagnon de sa petite sœur, elle même décédée sous les coups du dit compagnon et reste rongé par la culpabilité. Enfin Clémence, à peine majeure est anorexique et a passé de longs mois en hôpital spécialisée. Son père, un homme violent a tué sa mère sous ses yeux. Un drame qui la fait se réfugier dans la privation de nourriture pour ne surtout pas devenir une femme autrement dit pour elle, une proie.

Et puis il y a le couple d'hôtes, charismatiques, qui ont choisi de retaper une vieille ferme et qui rêvent de vivre en autonomie. Sans parler de Jean, le seul qui parle à la première personne, toujours assis sur un banc pas loin de la ferme, un vieil homme rongé par la maladie qui observe ce petit monde, et discute poliment avec les nouveaux arrivés, dont il a tout de suite cerné les problèmes. Très vite, les règles sont établies, et les nouveaux arrivant sont mis au travail, progressivement. Bientôt des chèvres vont arriver, pour faire des fromages, et il faut bâtir leur grand enclos. Lors de ce travail difficile, Karine ancienne professeures d'histoire découvre un escalier étroit, caché dans la végétation luxuriante, et puis les tombes de 3 bébés. La gendarmerie est prévenue, un technicien de la police scientifique est présents. Les petits squelettes sont datés de 50 ans. Pas un cas très passionnant pour les institutions mais têtue Karine mène son enquête, aidée par Rémy qui gagne en force et Clémence qui gagne en assurance.

Ici les féminicides et les violences faites aux femmes sont le fil du livre, mais sans aucun pathos. D'ailleurs les explications du pourquoi ces 3 inconnus sont envoyés là ne sont divulguée qu'à petites touches, le lecteur lui aura compris depuis longtemps. Mais c'est la nature luxuriante, malgré la sécheresse, qui apaise les âmes. Belle démonstration de ce que l'immersion dans une ferme loin de tout peut être une excellente thérapie.

Si ce livre n'est pas le chef d’œuvre du siècle, il a le mérite de nous rendre heureux, l'écriture simple et apaisante de l'autrice, ainsi que des petits suspens, nous offre une bien jolie pause, dans nos vies sur-actives. Sans oublier l'histoire des Vosges, pendant la deuxième guerre mondiale, entre collabos et résistants où l'on peut encore trouver des bombes ou des mines. Ici on réinvente sa vie, on se découvre des passions, on se laisse bercer par le chant des oiseaux ou du coq malicieux qui braille à toute heure. Car la romancière n'oublie pas des petits traits d'humour. Bref si vous voulez faire une jolie pause, ce livre est pour vous ! Et nous incite à faire des pauses dans des forêts, des jolis paysages, loin des smarphones, ordinateurs et télévision !!


Extraits

  • Elle interrogeait son coeur, il répondait avec sa tête. Elle l'a fait remonter plus loin, quand il était petit, adolescent, toutes les situations où le couteau était là et tournait inlassablement. Ils ont décortiqué ses écorchures d'enfance qui s'étaient métamorphosées en rage enkystée. Les cicatrices invisibles qui tiraillent en profondeur. Les béquilles qu'il a trouvées pour mettre un couvercle sur sa rancoeur. Elle lui a fait revivre le jour où tout s'est déchiré d'avoir tellement gardé, encaissé, ruminé. La cuve pleine de fiel et de déception qui déborde de cette crasse des autres qu'on a trop acceptée.
    Il se souvient avoir beaucoup pleuré. Elle a été la première à lui avoir parlé de sensibilité. Au fil des séances, elle lui a appris à se comprendre et à se protéger.
    Il a fait de grands progrès. Maintenant, il se maîtrise, apprend à lâcher prise. A accepter. OK, je n'y peux rien, je passe mon chemin.

  • Tu ne peux pas mentir à un cheval en cachant tes émotions. C'est un animal subtil, d'un sensibilité sensorielle remarquable. Il nous perçoit très finement. Son statut de proie lui fait privilégier la relation aux autres, instinct grégaire.
    - C'est pour ça qu'ils sont malheureux s'ils sont seuls ?
    - Absolument.
    Un peu comme les humains, pense Rémy. Cette peur de la solitude pousse parfois à de mauvais choix. Comme sa soeur.
    Adrien a réfléchi un moment avant de poursuivre.
    - Nous, nous avons tendance à conscientiser tout ce qui nous anime, le cheval va te proposer de vivre et de le ressentir. Il réactive le coeur et le corps là où le cerveau prend trop de place. Il te ressent comme si tu étais un autre cheval. Si tu mets un couvercle sur tes émotions, il montrera des signes de stress, et dès que tu acceptes ce qui te traverse, il se détend. Une sorte de contagion émotionnelle. Un miroir grossissant. Tu ne peux pas mentir à un cheval en cachant tes émotions. C'est un animal subtil, d'un sensibilité sensorielle remarquable. Il nous perçoit très finement. Son statut de proie lui fait privilégier la relation aux autres, instinct grégaire.
    - C'est pour ça qu'ils sont malheureux s'ils sont seuls ?
    - Absolument.
    Un peu comme les humains, pense Rémy. Cette peur de la solitude pousse parfois à de mauvais choix. Comme sa soeur.
    Adrien a réfléchi un moment avant de poursuivre.
    - Nous, nous avons tendance à conscientiser tout ce qui nous anime, le cheval va te proposer de vivre et de le ressentir. Il réactive le coeur et le corps là où le cerveau prend trop de place. Il te ressent comme si tu étais un autre cheval. Si tu mets un couvercle sur tes émotions, il montrera des signes de stress, et dès que tu acceptes ce qui te traverse, il se détend. Une sorte de contagion émotionnelle. Un miroir grossissant.
    - C'est pour ça qu'ils sont malheureux s'ils sont seuls ?
    - Absolument.
    Un peu comme les humains, pense Rémy. Cette peur de la solitude pousse parfois à de mauvais choix. Comme sa soeur.
    Adrien a réfléchi un moment avant de poursuivre.
    - Nous, nous avons tendance à conscientiser tout ce qui nous anime, le cheval va te proposer de vivre et de le ressentir. Il réactive le coeur et le corps là où le cerveau prend trop de place. Il te ressent comme si tu étais un autre cheval. Si tu mets un couvercle sur tes émotions, il montrera des signes de stress, et dès que tu acceptes ce qui te traverse, il se détend. Une sorte de contagion émotionnelle. Un miroir grossissant. Tu ne peux pas mentir à un cheval en cachant tes émotions. C'est un animal subtil, d'un sensibilité sensorielle remarquable. Il nous perçoit très finement. Son statut de proie lui fait privilégier la relation aux autres, instinct grégaire.

  • Autour de lui, les cimes des grands arbres oscillent avec le vent, les feuilles bruissent, les insectes volent en tous sens dans une étrange danse, le bois mort repose et nourrit les vivants. Et lui, assis là, immobile, à se demander pourquoi. Pourquoi lui, pourquoi là, pourquoi cet éternel recommencement, quand le soleil se lève ?

  • Il rêve de l’odeur d’une pluie d’orage sur un sol brûlant, d’un lever de soleil sur une colline endormie, de toucher un arbre, qu’il ait cent ans ou deux seulement, de s’égratigner contre l’écorce, de regarder les feuilles tomber puis d’autres repousser au printemps suivant. Il rêve de tout ce qui raconte les recommencements. Les cerisiers en fleur qui annoncent le printemps, les agneaux dans les champs qui tapent dans les pis de leur mère pour grandir goulûment, les colchiques à l’automne qui font oublier l’été brûlant, les rentrées littéraires, le réveillon de Noël.

  • Il confie aux fleurs et aux feuilles immenses ses funestes pensées et sa colère. Les plantes n'ont qu'à onduler dans le vent pour les dissiper. Ce jardin est un filtre qui transforme le noir en couleur. Il vous happe, vous donne envie de danser dans les allées, vous bouscule, vous perd et vous retrouve, vous envoie dans la mousse et le long des ruisseaux, vous caresse la peau, vous prend par la main, vous ouvre les yeux sur le merveilleux et vous relâche à la sortie, lavé de vos émotions les plus tristes.

  • Enfouir des graines dans le sol, c'est un acte d espoir. On plante le récit d un désir possible.

  • Elle se sent vide de savoir. Certes, elle a étudié l’histoire, mais tant d’autres compétences s’offrent à elle comme à chaque être humain qui peuple cette terre et ne discerne du monde qu’une partie infime et ridicule. Elle en a le vertige.

  • Dans ce jardin, elle retrouve un sentiment de sécurité. Les plantes lui veulent du bien. Elle peut même ressentir leur gratitude d'avoir été arrosées, ou délivrées d'une herbe étouffante. En en prenant soin, elle se libère elle-même du processus envahissant du passé.

  • Ils aiment l'idée de cette clairière au milieu du vivant, qui traverse le temps. Les feuilles d'automne y tomberont, l'herbe de printemps y poussera. Des animaux sauvages viendront frôler les stèles, des insectes les escalader ont, le vent les caressé ra. Et elles seront toujours là, comme les absents dans le cœur de ceux qui restent.

  • Le vert, une couleur qui ne demande pas d’ajustement de l’œil, qui diminue physiologiquement l’excitation neuronale et les angoisses du passé.

  • Elle n'a pas seulement savouré un œuf frais, elle a aussi mangé un peu de gentillesse qui flotte au dessus de ce lieu, de la fantaisie qui pousse un peu partout, des nuages calmes qui passent sans se poser de questions et de l'insouciance des poules de M. Seguin qui se fichent des buses tournoyant plus haut dans le ciel.

  • A l'aube du premier jour en compagnie de cette nouvelle communauté, Adrien déambule dans la hêtraie avec son chien. Il aime ce moment où le soleil n'a pas encore dépassé la montagne. Où les nuages se colorent de rouge pour l'annoncer. Où les bancs de brume dans les coins froids des champs s'attardent à l'abri du vent avant de se dissiper. Où chante l'écho du premier train qui progresse dans la vallée en contrebas. Où il se sent plus proche des arbres que des humains. Il aime l'odeur d'humus des matins de printemps, le chant du pic épeiche dans la canopée, ses pas dans les feuilles de l'automne précédent.

  • Qui pensait qu'on en serait à ce point aujourd'hui en terme de sécheresse, de feu de forêt, d'inondation ? Tout s'accélère. Ici, nous voyons souffrir les arbres, les plantes, le sol, les rivières, au quotidien. Nous constatons la dégradation précipitée des conditions météo. Il faudra revenir à des métiers basiques, et à l'objectif simple de se lever le matin pour travailler à se nourrir, et se coucher le soir avec la gratitude d'avoir l'estomac satisfait.

  • Regarde là-haut, toutes les étoiles. Quand j'étais petite, mon père me disait qu'elles étaient là pour absorber nos soucis. Il y en a des milliards dans l'univers, alors on a le droit d'avoir chacun la nôtre pour veiller sur nous et aspirer nos peines. Il suffit de choisir la tienne et de lui faire confiance.



Biographie

Agnès Ledig est une romancière française, Après une expérience en agronomie, elle décide d’intégrer l’école de sages-femmes de Strasbourg. Spécialisée en prévention, contraception et accompagnement émotionnel des femmes, elle obtient son diplôme et devient sage-femme libérale. Elle est sage-femme libérale en Alsace jusqu'en 2015. Elle est l'épouse d'un agriculteur normand et mère de trois enfants.

Agnès Ledig commence à écrire en 2005, pendant la maladie de son fils Nathanaël, souffrant d'une leucémie. Pour répondre aux questions que posaient tous ceux qui se préoccupaient de Nathanaël, elle tenait un bulletin hebdomadaire. Un professeur de médecine qui suivait l'enfant lui a révélé son don de transmission et l'a encouragée à écrire. Quand Nathanaël est parti, elle ne s'est plus jamais arrêtée.

"Marie d’en haut" (2011), son premier ouvrage, a remporte le prix "coup de cœur des lectrices" du roman Femme Actuelle 2011.
En moins de cinq ans, Agnès Ledig s'est imposée comme l'une des romancières françaises les plus aimées du grand public. Ses trois best-sellers, "Juste avant le bonheur" (2013), prix Maison de la Presse 2013, "Pars avec lui" (2014) et "On regrettera plus tard" (2016) sont aujourd'hui traduits en 12 langues.
En 2016, elle publie son premier album jeunesse, "Le Petit Arbre qui voulait devenir un nuage", illustré par Frédéric Pillot, qui illustrera également son deuxième album, "Le cimetière des mots doux" (2019). En 2020, elle publie son septième roman "Se le dire enfin", suivi de "La toute petite reine" (2021).

voir ici : https://fr.wikipedia.org/wiki/Agn%C3%A8s_Ledig

Son site : https://www.agnesledig.fr/biographie



samedi 1 juin 2024

Julia May JONAS – Le délicieux professeur V. - Editions Dalva - 2023

 


L'histoire

La narratrice, la cinquantaine vit en colocation avec son mari, un professeur d'Université émérite, accusé d'avoir couché avec des étudiantes majeures et consentantes, ce qui est interdit. Pour des raisons financières, elle n'a pas divorcé, alors que le professeur est sous le coup d'une procédure disciplinaire. Et puis leur mariage était fondé, pour ces ex soixante-huitards, sur la libération sexuelle, où chacun pouvait vivre ses expériences. Elle même a eu quelques aventures très discrète. Et voilà qu'arrive le très beau jeune professeur Vladimir, un homme marié avec une enfant. Enfermée dans sa solitude de femme mature, elle se met à désirer cet homme trop beau. Mais est-ce juste un fantasme ? Une revanche sur son mari ?


Mon avis

Premier roman de Julia Jonas, ce livre a le mérite de s'intéresser aux femmes matures, aux seniors dans leurs ressentis.

Il y a le corps qui change face à la ménopause : prise de poids, peau moins ferme, et tous les complexes qui vont avec. La beauté de la jeunesse a disparu, le corps n'est plus un ami. Régimes, produits de soins luxueux, rien n'y fait. La narratrice doit vivre avec ce corps.

Son mari John, professeur émérite de leur petite université d'Albany, qui couche avec des étudiantes de 20 à 25 ans est convoqué pour un conseil de discipline, qui devrait l'exclure de sa chaire. Les deux époux ne se parlent plus, ils cohabitent dans leur jolie maison, se parlent peu et se disputent très souvent. Elle aurait pu divorcer. Mais elle, également enseignante, n'a pas des grosses ressources financières, et d'emblée de jeu leur couple s'est construit sur l'idée de la libération sexuelle, propre à leurs générations. Elle même a commis des petites incartades, très secrètes, et ne s'en vante pas.

Par contre à l'université où elle enseigne la littérature féminine et anime un atelier d'écriture, ses étudiantes, collées à leur smartphone, de la génération Me-too ne la comprennent pas. Pourquoi ne divorce-t-elle pas de ce monstre ? Et comme si cela ne suffisait pas, on lui conseille poliment de démissionner, ce qu'elle refuse.

Mais surtout, il y a l'arrivée de ce nouveau professeur, Vladimir, un homme séduisant, qui le sait et en joue. Sous le charme, notre héroïne fantasme sur cet homme qu'elle désire. Ils ont déjà une complicité intellectuelle. Marié à Cynthia, une très jolie femme, dépressive (à moins que cela ne soit qu'un caprice et une perversité déguisée, tant elle traite mal son mari), la narratrice la surprend dans les bras de son mari. Et c'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase. Cynthia qui écrit un livre qui devrait être un succès lui pique le mari et est pressentie pour la remplacer. Elle monte donc un petit piège pour récupérer Vladimir et coucher avec lui. Mais au fond d'elle-même, ce n'est pas un réel désir. Elle n'a pas de sentiments pour cet homme, même si elle se persuade du contraire.

Ce premier roman est, à ma connaissance, l'un des rares qui s'intéresse à l'intimité et au ressenti d'une femme d'âge mur. Bercé de littérature, de projets de livres à écrire, il nous dresse le portrait d'une héroïne banale, tiraillée entre les démons de midi et l'amour qu'elle porte toujours, très enfoui, à son mari.

Même si elle juge que les jeunes étudiantes étaient conscientes et sûrement fascinées par un professeur charismatique, elle condamne tous ces hommes qui s'intéressent aux jeunettes, à leurs corps non entamé par l'âge, et se revendique elle aussi le droit d'avoir une aventure avec un homme plus jeune. C'est une autre forme de féminisme qui se joue là, et ce livre, malgré quelques longueurs a le mérite de nous faire réfléchir sur ces femmes moins désirables, parce que déjà vieilles aux yeux de tous, comme si la sexualité ne devait plus être une préoccupation. Combien de femmes de plus de 58 ans (l'âge de la narratrice) vivent seules, sans trouver un amoureux crédible et sincère ? Combien de femmes préfèrent aussi leur solitude et leurs routines pour ternir leur image et taire leurs besoins affectifs et charnels.

Pour le reste, je trouve le roman un peu long et une fin convenue. Mais notre héroïne dont on ne saura jamais le nom, n'est pas une femme d'action. C'est une intellectuelle qui a toujours « tout bien fait » dans sa vie. Une excellente scolarité, une fille au caractère bien trempé, qui vit avec une autre femme, des velléités d'écriture dans un milieu ou tout le monde veut écrire son livre, cette femme est touchante, dans ses doutes, ses questionnements, ses régimes ou ses excès d'alcool, ses relations compliquées avec sa fille, qui lui reproche son passéisme, ses collègues et ses étudiantes qui n'ont pas connu la belle époque des boomers et de la sexualité débridée.. Personnellement, je trouve que cette période post soixante-huitarde n'a pas été profitables aux femmes. Il fallait coucher pour être cool, pour se vanter auprès des copines, mais où est passé l'amour véritable, les sentiments et surtout celui de dire non quand le type ne vous plaisait pas. 

 

Biographie

Née en 1981, Julia May Jonas est autrice, metteuse en scène et direc-trice d’une compagnie de théâtre. Elle a enseigné dans plusieurs universités américaines et vit à Brooklyn avec sa famille. Elle donne des cours de théâtre au Skidmore College. Le délicieux professeur V. est son premier roman.

Son site : https://www.juliamayjonas.com/

Les éditions Dalva donnent la parole à des jeunes autrices.



vendredi 31 mai 2024

JADD HILAL – Le Caprice de vivre – Editions ELYSAD - 2023

 

 

L'histoire

3 jeunes cohabitent dans un immeuble parisien. Souleyman, ostéopathe cool, préoccupé par la condition animale, le narrateur Houmam qui rêve  de devenir un grand écrivain et la sulfureuse Warda, une journaliste grand-reporter passionnée de vérité.

Un trio de trentenaire, dont les caractères et les intérêts vont diverger lors d'un projet de Warda. Une analyse très fine de la jeunesse arabe en France loin des clichés.



Mon avis

Pour son troisième livre, le jeune auteur Jadd Hilal a choisi de s'intéresser aux relations de trois jeunes trentenaires d’origines musulmanes diverses.

Il a Souleyman, jeune homme cool, qui est ostéopathe de métier mais se passionne pour la cause animale et couche avec Warda sans se poser trop de questions sur l'avenir. Houmam lui rêve de devenir écrivain, erre dans le Paris cosmopolite et branché et est secrètement très amoureux de la seule fille du trio. Warda, une sacrée jolie fille, a un caractère bien tranché, et règne sur les 2 garçons avec une alternance de tendresse ou de cruauté. Car Warda s'est donné une mission : prouver que son grand-père a été parmi ceux qui ont été responsables des massacres de Juifs en Irak au début des années 40 . Elle s'indigne parce que les deux garçons ne la soutiennent pas dans son projet. Cette jeune femme, intelligente, éprise de vérité, féministe qui a rejeté tous les symboles de son éducation est le personnage central de ce livre. Elle passe son temps à se heurter avec Houmam qu'elle traite de tous les noms, parce qu'il ne la suit pas dans son projet. En fait le jeune homme qui a du mal à trouver sa voix d'écrivain est aussi tiraillé par sa vie parisienne et à son histoire familiale, à ce sentiment de culpabilité qui habite Houmam qui a choisi de ne pas suivre les siens en Palestine. Alors chaque fois qu'on s'en prend aux arabes, il se révolte, s'imagine que ce sujet est tabou car il ne fait que renforcer les préjugés, souligner leur sauvagerie. Ce a quoi Warda, affranchie de tous les tabous répond en le virant de leur colocation.

Le jeune auteur raconte avec beaucoup de justesse cette relation d'amour-haine, faite d'élans amoureux suivie de rejets tout aussi intenses. Cette version actuelle de Jules et Jim, d'une femme entre deux hommes, montre aussi combien il est difficile d'aimer tant que l'on n'a pas résolu sa propre quête d'identité. Un mal-être que le sexe et l'humour ne peuvent que dissimuler quelques instants. Drôle, pertinent, il nous montre la jeunesse actuelle, loin des clichés. Ce sont des jeunes bien intégrés dans la société française, malgré les questionnements internes d'Houmam, Lequel aime flâner dans Paris, et se prendre une sérieuse cuite quand tout devient ingérable. Et confond un peu ce qu'il prend pour de l'amour pour la trop flamboyante Warda avec le désir pour cette femme fascinante.

Ici pas de prêche pour ou contre une religion, on voit bien que ces jeunes s'en foutent totalement, ce qui leur importe c'est réussir dans leur métier ou leur quête (protection des animaux, recherche de vérité, quoi écrire), dans un style vif, non dénué d'humour ni de quelques noms d'oiseaux ! Finalement ces trois jeunes sont bien plus la représentation de la jeunesse d'aujourd'hui, quelque soit son origine. Et cela fait un bien fou !


Extraits

  • La Rose des sables Cette histoire commence avec la découverte que fit Warda Shahid. Je me souviens du jour, de l’heure, de l'instant où tout débuta. Où nous prîmes chacun ce chemin sans retour. C'était en 2017, un soir de juillet. Je quittais les locaux de Champenel à Paris, où je venais de discuter avec mon éditeur Tristan Phoriche de mon dernier manuscrit Hors-sol, et m'engageais rue Clovis. J'étais comme après chaque refus malheureux comme les pierres.
    Demeurait toujours, à trente-quatre ans, cette maudite sensation que l'écriture me faisait perdre mon temps. Plus nombreux étaient les mois que je consacrais à tel ou tel texte, plus pénible était l'amertume devant le «non». Même lorsque c'était «oui» d’ailleurs, le bonheur restait en demi-teinte. J'avais publié quelques années plus tôt mon premier roman, Jamais la nuit, qui eut un succès pour le moins discret. C'était une histoire compliquée, démonstrative, qui s'était vendue à une centaine d'exemplaires. J'avais été invité à la RCF, où un journaliste me demanda si j'avais écrit «un livre arabe ou un livre sur les Arabes» et cela fut le coup de grâce, s’il en fallait, à mes velléités littéraires.

  • Warda, Souleymane et moi prenions. Il me fallait trouver Rome. Notre Rome, à tous les trois. Je me mis à écrire. Je me mis à cette histoire que je raconte ici. Celle de notre trio d'amour et d'amitié, qui se séparait petit à petit et que je décidai de réunir tant bien que mal par mes mots. C’était surtout l’éloignement de Warda que j'essayais de conjurer, l'éloignement de ma rose des sables que j'aimais à en crever la bouche ouverte et pour laquelle je craignais de devenir un étranger. Je ne pouvais en vouloir qu'à moi-même. J'avais été un odieux paternaliste, pas vrai, à la juger, elle et ses recherches. Aussi paternaliste que tous ces types qui avaient passé leur temps à lui donner des leçons. Au cours de notre première année à Louis-le-Grand, il y eut déjà ce Brice qu’elle fréquenta et qui consacra des heures entières au Troquet des cœurs à ergoter sur l'importance de l'amour, du couple, de l’horizon à deux pour s'envoyer en l'air. Warda en vint un soir à lui hurler qu'elle ne désirait rien de plus que sa «bite», et l’homélie reprit de plus belle. Sa «bite», ne le saisissait-elle pas, n'était que «l'aboutissement».

  • Il y a de quoi être emmerdé de ce que cette affaire sur mon grand-père montrerait du Moyen-Orient, d’accord. Mais fermer sa gueule comme tu le fais ? Tu ne vois pas à quel point c’est lâche que tu n’écrives pas sur des cruautés de ce genre, plutôt que sur notre trio dont tout le monde s’en fout.

  • - La mort, la mort... Il n'y a pas que la mort dans la vie.Elle rit à sa tautologie.

  • Je me repris, curieusement, à rêver de la vie d'écrivain. C'était idiot, et on ne manqua pas de me le répéter. On me disait «tu es fou», on me disait «tu es irresponsable», on me disait «cinq pour cent! Cinq pour cent des auteurs vivent de leur plume, Houmam Basara! Et toi? Petit étranger né d’ailleurs tu crois en faire partie?» Que répondre? Comment signifier que ce n'était pas un choix? Que je ne souhaitais pas un nouveau travail, une maison à la campagne? Que je voulais seulement faire ce vers quoi tout m'arrachait aussitôt que je ne le faisais pas? Chaque film vu, chaque musique entendue, chaque livre lu. Comment dire que j'étais configuré à présent, comme un chien courant après une balle? Que c'était en somme écrire ou mourir? «Ne savez-vous pas qu'il y a le mot “vain” dans “écrivain”? Croyez-vous que je me fasse des illusions? Croyez-vous que je puisse faire autrement? Ne voyez-vous pas qu'il y a aussi le mot “cri”? Que le cri, on ne le retient pas?» C'est ce que j'aurais dû rétorquer. Mais je le dis, je suis de ceux qui échouent dans la vie. Qui s'en consolent par les mots.

  • Pendant que je bifurquais, désenchanté, dans la rue Descartes, je reçus un appel de Warda, Warda la «rose des sables» comme je la surnommai un jour en discutant avec Souleymane, le troisième et dernier membre de notre colocation de la rue Monge.
    — Ya Allah, mais combien de fois il faut que je t'appelle pour que tu décroches, Houmam? C'était un ton auquel elle m'avait habitué. Elle téléphonait à toute heure, en tout lieu et s’indignait quand nous ne lui répondions pas. Ce jour-là, notre conversation dura peu. J'eus seulement le temps de comprendre que son avion depuis Bagdad venait d’atterrir à Charles-de-Gaulle et que Souleymane et moi avions «intérêt à être là», que nous n’allions «pas en revenir». Je ne mesurais pas, ce soir de juillet, à quel point cela serait juste, à quel point nous ne reviendrions en effet jamais, à ce que nous étions. À quel point les trois bateaux de nos vies prendraient le cap vers une terre nouvelle, d'où ils ne feraient marche arrière.

  • La fameuse circonstance baudelairienne. J'y croyais dur comme fer. Je quêtais, depuis des mois, chaque occasion qui me poussait à prendre telle rue, tel métro. Pourquoi? Pour y trouver de l'inspiration pour écrire, un peu ; pour combler l'ennui, beaucoup. Cette fois-ci, le lapin blanc fut justement un livre de Baudelaire, les Tableaux parisiens, que tenait un homme s'engageant dans le club. Je le suivis et descendis des marches éclairées de rose. La moquette rouge au sol atténuait le bruit de nos pas et le tumulte de la rue extérieure se tut, pendant que nous processions l’un derrière l’autre. Arrivé en bas, je me réfugiai immédiatement sur un tabouret du côté du bar, d’où je fixai mes chaussettes. Quelle idée. Moi Houmam, dans un club de strip-tease? Moi, dont le cœur et les couilles sont prises par celle à qui je ne pus jamais rien dire d'autre que mon silence ? 

     

Biographie

Jadd Hilal, né en 1987, est un écrivain français, lauréat du Grand prix du roman métis de la ville de Saint-Denis de La Réunion, du Prix du roman métis des lycéens et du Prix de la première œuvre littéraire francophone pour son premier roman Des ailes au loin.
Après des études de littérature anglophone, Jadd Hilal a vécu un an en Écosse, puis a été journaliste pour la presse romande en Suisse. Actuellement, il est chargé d'enseignement à l'université Sorbonne-Nouvelle, doctorant à l'université Paris-Sorbonne, professeur de lettres et chroniqueur de philosophie sur Radio Nova.

Il publie son premier roman en 2018, Des ailes au loin, aux éditions Elyzad. D'origine libano-palestinienne, il s'est inspiré de son histoire familiale pour ce roman choral dans lequel se racontent quatre générations de femmes, de mère en fille, fuyant les guerres du Moyen-Orient, de 1930 aux années 2000, de Haïfa (Palestine) à Beyrouth (Liban), en passant par Bagdad (Irak) et Genève (Suisse). La condition féminine, l'exil sont les thèmes centraux de cette œuvre. Récompensé en 2018 à La Réunion par le Grand prix du roman métis et le Prix du roman métis des lycéens, le titre a figuré sur plusieurs sélections de prix littéraires.
En 2019, Jadd Hilal est lauréat du Prix de la première œuvre littéraire francophone et du Festival du premier roman de Chambéry. Il vit aujourd’hui à Lyon, où il est chroniqueur de philosophie pour radio Nova et professeur de lettres modernes à l’université Paris-Sorbonne.

lundi 27 mai 2024

Patricia MELO – Celles qu'on tue – Editions Buchet-Castel - 2023

 

 

L'histoire

La narratrice est une jeune avocate envoyée de Sao-Paulo dans la province de l'Acre, une région au nord-ouest du Brésil, à la frontière entre le Pérou et la Bolivie. Elle doit y recenser les violences faites aux femmes et les nombreux féminicides qui restent impunis ou peu punis, les Blancs, jugés comme la caste dominante ne se gênant pas pour violer, tuer, ou torturer des jeunes indigènes. Il peut aussi d'agir de maris violents, élevés dans le culte du mâle, souvent alcoolisés.

La région défrichée pour la culture du caoutchouc est aussi aux mains de cartels qui continuent (encouragés sous l'ère de Boslonaro) à défricher la forêt pour y faire de l'agriculture et de l'élevage.

Choquée par ces procès express, menacée par un petit ami qui a tout du pervers narcissique, la jeune femme va pourtant apprendre à aimer cette région dont la végétation luxuriante et qui est adoptées les tribus indigènes, notamment des femmes.



Mon avis

Voilà un grand livre et le dernier roman de Patricia Mélo qui est réputée pour être une auteure majeure de son temps.

Elle crée une héroïne, avocate à Sao Paulo, une femme courageuse qui est envoyée dans la région reculée de l'Acre. Elle doit y recenser les violences faites aux femmes et les nombreux féminicides. Elle même a été élevée par sa grand-mère, sa mère ayant été tuée par son père lorsqu’elle avait 4 ans et ce souvenir est totalement occulté de sa mémoire.

De plus son petit ami, qu'elle n'envisage pas comme compagnon de vie, lui retourne une gifle, puis la harcèle de mails où il s'excuse, puis menace, puis s'excuse, comportement typique du pervers narcissique. Mais pas seulement. Le machisme est de mise (le roman a été écrit sous la présidence de Bolsonaro), et le statut de la femme est remis en question. Celle-ci est une propriété, un objet bon à satisfaire les désirs de son mari (fiancé, concubin), d'élever les enfants et de tenir sa maison.

La société est également classée en castes : en haut les blancs, ceux qui détiennent l'argent et le pouvoir, puis les noirs, et tout à la fin les peuples premiers, les indigènes dont on aimerait bien se débarrasser puisqu'ils ont des terres intéressantes pour la culture.

Mais c'est sans compter sur la volonté tenace d'un groupe de femmes indigènes, de l'avocate des femmes et d'une journaliste. Ici les procès pour féminicides sont vite expédiés. Les jurés sont achetés par ceux qui ont commis des crimes horribles ou sont condamné à un peu de prison qui se transforme en sursis. Il y a toujours des circonstances atténuantes..

Ce roman est structuré en chapitre, avec en exergue, une liste non exhaustive des crimes et des femmes tuées. Certaines familles ne portent même pas plainte, sachant que la justice ne va pas les écouter, puis les séances avec des indigènes où elle s'initie à l'ayahuasca, décoction de plantes hallucinogènes, utilisée par les chamanes. De ses rêves éveillés, elle atteint un autre degré de conscience et renoue avec sa mère si absente. Mais elle porte en elle une rage contre ces hommes qui se croient tout permis, et rêve même de les tuer.

Avec ce livre, Patrica Mélo nous offre un grand roman, issus de témoignages. On sait qu'au Brésil et dans beaucoup de pays de l'Amérique latine, une femme est tuée tous les 6 heures.

Elle dénonce une justice corrompue, une culture machiste et patriarcale, dans un style fluide, mais sans concessions. Traversé heureusement par des moments d'humour et surtout l'amitié sororale de ces femmes en lutte. Et des moments de poésie dans la nature, en compagnie des femmes indigènes qui l'on adoptée.

Pourtant en 2006, le Brésil avait adopté la loi Maria da Penha contre les violences domestiques et familiales, considérée comme l'une des meilleurs au monde, mais elle reste impuissante, et n'est utile qu'à la femme blanche de la ville. Publié en 2019, le livre fait aussi référence à la politique génocidaire de Bolsonaro au pouvoir qui a causé de grands dégâts écologiques et humains en Amazonie, ajoutés à ceux déjà causés.

Une lecture universelle, car on peut penser à d'autres féminicides (en Iran par exemple), d'une clarté limpide et qui flotte un peu avec la magie des traditions indigènes, que personne ne pourra jamais éradiquer. Le roman pose aussi la question de la justice dans les états reculés, et le combat d'une poignée de résistantes (dont certaines sont assassinées comme la journaliste qui publie une photo où l'on voit l'avocat de 3 jeunes ayant violé, torturé puis tué une jeune fille de 14 ans) en train de discuter avec des jurés ce qui est totalement interdit dans le droit brésiliens.


Extraits

  • Voilà la conclusion à laquelle je suis arrivée au cours de ma deuxième semaine au tribunal : nous, les femmes, nous tombons comme des mouches. Vous, les hommes, vous prenez une cuite et vous nous tuez. Vous voulez baiser et vous nous tuez. Vous êtes furax et vous nous tuez. Vous voulez vous amuser et vous nous tuez. Vous découvrez nos amants et vous nous tuez. Vous vous faites larguer et vous nous tuez. Vous vous trouvez une maîtresse et vous nous tuez. Vous vous sentez humiliés et vous nous tuez. Vous rentrez fatigués du travail et vous nous tuez.

  • Je l’ai vu. Dans la salle d’audience, Milton & Rondiney & Edson & Nildo & Ricardo & Ítalo & Rodrigo & Fares & Brayan, tous avaient dit la même chose. Problèmes sexuels. Problème avec la boisson. Adultère. Certains venaient au tribunal en compagnie de leurs psychiatres, invoquant l’aliénation mentale. Je ne me souviens de rien, prétendaient-ils. Ayez pitié de nous, argumentaient-ils : nous sommes épileptiques. Nous sommes bipolaires au degré maximal. Nous sommes schizophrènes. Mais la vérité, c’est que la plupart sont totalement normaux et sains d’esprit, de la même façon qu’ils sont totalement assassins. Enfants, misère, chômage, alcoolisme, rien de tout ça n’est le véritable problème. La raison est tout autre : ils tuent des femmes parce qu’ils aiment tuer des femmes. Comme on aime aller à la pêche ou jouer au football.

  • Au XXème siècle. Les types venaient ici, depuis le Nordeste, pour fuir la sécheresse, pour travailler dans les exploitations d'hévéas, et ils venaient seules. Sans femme. Ils tuaient les indigènes malavisés. Les femmes étaient un produit de luxe ici. Alors on les volait. À leur père, leur mari, leur village. Et on les vendait. On achetait une femme pour le prix de cinq cents kilos de caoutchouc. Quand j'ai su ça je me suis dit : putain, moi, putain, moi, avec mon caractère pas gentillet pour un sou, avec mon sang chaud, moi, qui vit de mon argent, qui ne courbe l'échine devant rien, moi, avec ma langue bien pendue, célibataire, sans enfants, avec mon cœur plein de haine à déverser, je vais maintenant travailler dans cet endroit où hier encore on chassait les femmes dans la forêt au lasso ? Où les femmes étaient vendues, commandées, volées ? Ça sent mauvais pour l'Acre, je me suis dit, m'a-t-elle raconté en lâchant un éclat de rire sonore, presque scandaleux J'aime bien être le cailloux dans la chaussure de ces gens-là.

  • Je vais devoir faire attention avec toi, avait-il répondu. Une femme intelligente, c’est la merde. Ce qu’il me disait en réalité, à ce moment-là, c’était qu’en général les femmes sont bêtes. Mais bien entendu, étant sous le charme et intoxiquée par mes propres hormones, je ne m’en étais pas rendu compte. Pire : j’avais inversé les signaux, transformé le négatif en positif.

  • Peut-être bien qu'un jour, dans le futur, je ne me souviendrais plus de l'odeur lourde, dense, de la terre réchauffée par le soleil après une pluie torentielle dans la sylve. Mais je n'oublierais jamais à quel point le concept de solidarité de ce peuple m'a surprise, un concept qui peut ne pas entrer dans la logique du envahit-tue-pille-vole-et-vend qui marque tout pays colonisé, mais qui, dans la pulsation de la vie de la forêt, dans le déploiment ininterrompu des cycles de naissance, de floraison, de décomposition et de retour à la poussière de la nature, se révèle structurel pour l'idée de survie humaine.

  • Le dentiste assassin s'était blessé le bras droit avec le couteau qui lui avait servi à tuer sa femme. Avant de se présenter à la justice avec son avocat hors de prix, son état s'était compliqué, et il avait perdu son bras. Le jury a trouvé que cela était déjà, en soi, une punition suffisante. Un dentiste sans bras droit est comme un chanteur sans voix. Un narrateur sans langue. Un joueur de foot sans pied. Le pauvre. Alors, le dentiste homicide est sorti du procès par la grande porte du tribunal, tout sourire, sa nouvelle petite amie accrochée à son bras bionique.

  • Tuer des femmes est la soupape de sécurité de la mono-haine des protomachos. Bien sûr que je parle d'une façon générale. Une partie des protomachos déverse sa fange sur les homosexuels, les immigrés, les transgenres, les noirs, les pauvres mais la majorité, la grande majorité, concentre toute sa haine sur les femmes.

  • Carla travaillait depuis près de quatre ans dans l'Acre, elle avait une compréhension de cette réalité qui m'échappait totalement. Ce qu'elle me disait là, c'était que nos institutions ne sont pas préparées pour s'occuper des peuples indigènes.

  • Takuna était une déesse solitaire qui vivait dans une grotte du soleil, à côté d’un pied de cuiatá, un arbre sacré dont les graines lui assuraient santé et beauté. Mais Takuna avait beau être forte et en forme, elle n’était pas heureuse. Elle ne pouvait pas jouer, ni parler, ni danser, parce qu’il n’y avait personne d’autre dans le trou du soleil. Alors Takuna a décliné peu à peu jusqu’à ce que le soleil ait une idée.

  • Une des tâches les plus importantes du nouvel ordre planétaire sera de s'occuper du traumatisme des animaux qui on souffert de la cruauté humaine. Tu n'imagines pas à quel point la faune est furax contre nous. Je ne parle pas seulement des boeufs, des vaches et des poules, qui vivent et meurent de la façon la plus cruelle qui soit. Les abeilles sont furieuses, et les baleines, punaise, t'imagines pas à quel point les baleines sont révoltées de devoir avaler des tonnes de sacs plastiques ;...presque toutes les espèces animales nous détestent profondément, parce que nous avons généré un massacre d'animaux sans pareil dans l'histoire du monde. En matière d'éradication, nous sommes plus puissants que les incendies, les inondations, les cyclones et les tremblements de terre. Rien n'égale le pouvoir humain quand il s'agit d'éradiquer la vie animale.

  • Des gens racontent que les gosses étaient jetés en l'air et rattrapés par le ventre, embrochés sur la pointe de la lance. Je n'en doute pas. Ces colonels des berges, dont les villes portent aujourd'hui leurs noms, sont tous des assassins..Ces gens là n'ont jamais respecté la démarcation des terres indigènes.

  • Nous avions brûlé tout ce qui leur appartenait : les vêtements ensanglantés. Les souvenirs. Les chaussures. Les ceintures. Les envies. Les chapeaux. Les portefeuilles. Les cheveux. Les idées. Les papiers. Pour qu'ils ne nous tirent pas vers la terre des morts. Ou qu'ils ne soient pas tentés de rester parmi nous, comme des ombres.

  • Mais je n'oublierai jamais à quel point le concept de solidarité de ce peuple m'a surprise, un concept qui peut ne pas entrer dans la logique du envahit-tue-pille-vole-et-vend qui marque tout pays colonisé, mais qui, dans la pulsation de la vie de la forêt, dans le déploiement ininterrompu des cycles de naissance, de floraison, de décomposition et de retour à la poussière de la nature, se révèle structurel pour l'idée de survie humaine.

  • Tout à coup, j’ai entendu résonner en moi la voix de Zapira, anô gueda iu ra rauê gueda, et je voyais les pieds nus des indigènes, sur la terre battue, des pieds enfilés dans des tennis, tongs, vieilles baskets, sandales de plastique, chaussures usées jusqu’à la corde, et mes pieds, tous marquant le rythme, terô, terô, terô, auê, les mains de Zapira tressant des lanières de babaçu, et le vent dans les cocotiers, et la Femme aux Pierres Vertes, la promenade dans la sylve, le courbaril géant de plus de trente mètres de hauteur, moi à côté de cet arbre colossal (je suis minuscule sur la photo prise par Marcos), et le symbole de la clé sur ma pierre verte, le bain dans le lac au clair de lune, les guerrières chevelues, mes pensées semblaient être des singes sauvages, sautant de branche en branche, des petites paillotes du village à ma table de travail, pleine d’assassins, de violeurs, d’agresseurs, d’abuseurs, des odeurs de la sylve à la gifle d’Amir sur mon visage, puis à la végétation poussant librement partout, et aux aras, tinamous, toucans, harpies féroces, hoccos, agamis, et au goût du cipó, mes pieds dans l’eau fraîche.

  • Rien de plus facile que d'apprendre à détester les femmes. Les professeurs ne manquent pas. Il y a le père. L’État. Le système judiciaire Le marché. La culture. La propagande. Mais ce qui l'enseigne le mieux, d'après Bia, ma collègue du cabinet, c'est la pornographie. 

      

Biographie

Née à Rio de Janeiro , le 02/10/1962, Patrícia Melo est une écrivaine brésilienne, auteure de romans policiers.
Elle a d’abord travaillé comme scénariste pour la télévision. À partir de 1993, elle signe des épisodes du feuilleton "A Banquira do povo" et de quelques adaptations pour des téléfilms, notamment de "Élémentaire, ma chère Sarah" ("O Xango de Baker Street") de Jô Soares.
En 1994, elle se lance dans le roman policier avec "Acqua Toffana". Depuis, elle explore l’univers violent des quartiers pauvres dans "O Matador : le tueur" ("Ô Matador", 1995) puis dans "Enfer" ("Inferno", 2000), qui raconte, de façon très réaliste, l'ascension et la chute d'un caïd de la drogue dans une favela de Rio de Janeiro. Le roman est récompensé par le prix Jabuti 2021, l'un des prix littéraires brésiliens les plus prestigieux.
En 2010, elle signe "Le voleur de cadavres" ("Ladrão de Cadáveres"), roman noir qui se déroule dans la chaleur torride du Brésil. Un livre fort qui interroge la mince frontière qui sépare le bien et le mal.
Son roman, "Celles qu’on tue" ("Mulheres empilhadas", 2019) nous embarque entre réalité et cauchemar, dans une enquête où la violence prime sur la loi.
Patrícia Melo a quitté São Paulo pour la Suisse, où elle vit avec son mari, le chef d'orchestre John Neschling (1947), qu'elle a épousé en 2012.