dimanche 29 mai 2022

Corinne ROYER- Ce qui nous revient – Actes Sud - 2019

 

L'histoire

A 10 ans, Elena Gorki quitte le domicile familial pour avorter d'un enfant trisomique.

Elle ne reviendra jamais. Sa fille Louisa, passionnée de sciences, a du mal à comprendre ce départ.La jeune femme fait des études de médecine et travaille avec Marthe Gautier, celle qui a découvert le chromosome surnuméraire de la trisomie 21, et que l'histoire n'a pas reconnue.


Mon avis

Un livre magnifique qui mêle la fiction à la véritable histoire de Marthe Gautier (1925 - 2022). Marthe Gautier qui a d'ailleurs été consultée pour ce roman est décédée le 30 avril dernier. Chercheuse à l'INSERM, spécialisée en cardiopédiatrie qui a joué un rôle essentiel dans la découverte, en 1959, du chromosome surnuméraire responsable de la trisomie 21 en collaboration avec le professeur Jérôme Lejeune, lequel s'est approprié ses recherches. Elle sera réhabilitée en 2014 et recevra des récompenses pour ses recherches. A la retraite dans sa maison dans l'Orne, elle se passionnera pour la botanique.

Corinne Boyer a effectué de nombreuses recherches sur les travaux de Marthe Gautier et nous livre une histoire passionnante entre 2 femmes, sœurs de cœur qui doivent affronter les préjugés masculins. Racontée par les voix de Louisa, sa mère Elena et Marthe, ce roman est couronné par une écriture qui sait se faire poétique ou cinglante. Plus que la réhabilitation d'une grande chercheuse, c'est aussi le combat de deux femmes pour leur indépendance, leur amitié indéfectible faite de résiliences, de pertes et qui décrit parfaitement le monde machiste qui règne encore peut-être un peu sur le domaine de la recherche. Un livre à lire pour le sujet, pour l'écriture somptueuse, pour que les enfants atteints de trisomie ne soient plus jamais considérés comme des débiles.


Extraits :

  • Sitôt que les Gorki quittent la Maison du Poète et s'installent rue des Convalescents, les facultés de Nicolaï à appréhender le présent et toute incursion dans l'avenir se dissolvent dans une addiction cinéphile. (...)
    Les histoires jouées sur l'écran l'inféodent désormais à une sorte de déni de réalité, vivant toutes les existences de ces personnages joyeusement fantasques ou furieusement déboussolés, héros titanesques ou déshérités esseulés au milieu du néant. Vivant toutes les existences mais se tenant obstinément en dehors de la sienne.

  • Elle se remémore ces mots de Victor Hugo, "Prendre corps à corps le destin, étonner la catastrophe par le peu de peur qu'elle nous fait, tantôt affronter la puissance injuste, tantôt insulter la victoire ivre, tenir bon, tenir tête."
    Louisa tient bon
    Louisa tient tête.

  • L'enfance est le lieu de tous les possibles. Ensuite on ne fait que refermer des portes, verrouiller des cadenas. Toute notre vie, il nous faut hanter ces lieux-là, les lieux des années premières que, selon les circonstances, nous avons lâchement ou courageusement désertés.

  • Il faut vous remémorer cette phrase que je vous ai dite et que vous avez dû noter quelque part au sujet des enfants porteurs de trisomie 21 : ces enfants ont quelque chose en plus, cessons de croire qu'ils ont quelque chose en moins ou même quelque chose en trop.


Biographie :

Née en 1967, Corinne Boyer vit entre Saint-Étienne, Paris et Uzès.. Elle intervient en tant que rédactrice indépendante pour plusieurs magazines. Elle collabore également avec des artistes à l'édition d'une collection intitulée "Résidence en résonance". Ce qui nous revient est son quatrième roman.


En savoir plus :

Sur Marthe Gaultier : - https://www.francetvinfo.fr/societe/droits-des-femmes/video-j-ai-ete-degoutee-comment-marthe-gautier-la-decouvreuse-de-la-trisomie-21-a-ete-effacee-de-l-histoire_4658037.html


Gabino IGLESIAS – Santa Muerte – Poche 10/18 - 2021

 

L'histoire

Fernando, mexicain sans papiers réfugié à Austin Texas, travaille comme dealer pour une organisation maffieuse latino. Et lorsque celle-ci se voit menacée par un gang de tatoués, il faudra au moins les forces conjuguées d'un tueur à gage russe, d'un chanteur portoricain un peu barge et d'une prêtresse de la Santeria. Mais plus que tout, Santa Muerte (Déesse de la mort, très respectée au Mexique).


Mon avis

Un polar hilarant ou pour reprendre les mots de François Busnel (La Grande Librairie), la rencontre de Tarantino dans le barrio (quartier en espagnol). On s'amuse beaucoup avec ce petit livre qui mélange polar, fantastique et religion. Iglésias, dont c'est le premier roman traduit en français s'amuse avec les codes de polars qu'il emporte dans les croyances populaires. Mais aussi des jolies pages sur ce qu'est être émigré latino aux USA, où tu as le choix entre femme de ménage, prostitution ou servir le banditisme local. Un petit bijou d'humour qui se lit facilement et bien sur au 2ème degré. On pense aux livres d'A. Nonymous dans le genre faux gore et personnages improbables.


Extraits :

  • Quand on t'enlève un être cher, non seulement l'illusion s'effondre, mais c'est comme si tu te retrouvais soudain jeté dans un cachot, entouré de murs oppressants. La haine devient un cancer qui te ronge de l'intérieur et le seul remède est la vengeance. Le sang. L'action. Les gens disent tout un tas de conneries sur la vengeance, mais comment quelque chose qui paraît si bon, si libérateur, et si légitime pourrait-il être mauvais ?

  • Le rêve américain. Mais c' est des conneries, tout ça. Le rêve américain est aussi factice que le steak dans ton burger à un dollar et que les rires préenregistrés des sitcoms. Et pour toi, c' est encore pire. Tu n' as pas de diplôme, Tu n' as pas de qualifications, Tu n'as rien. Tu es un problème. Un sans-papiers de plus. Un bouffeur de haricots. Un clando. Un sujet de blagues. Tu es une question sur laquelle débattent les hommes politiques blancs dans le confort de leurs bureaux. Et quand tu en prends conscience, n'importe quelle offre devient alors synonyme de salut, la décision la plus désespérée se transforme en solution idéale, l'idée la plus pourrie te redonne un peu d' espoir.

  • Quand tu te retrouves nez à nez avec le canon d’un flingue, ça remet en cause tout ce que tu pensais savoir. Ça brise des trucs en toi, ça chamboule des convictions que tu pensais inébranlables.
    Le solide devient liquide et tout se met à couler comme de l’eau. Les choses prennent la consistance mouvante des ombres qu’on voit dans les rêves.

Biographie :

Gabino Iglesias est un écrivain, professeur, journaliste et critique littéraire d’origine portoricaine. Après la publication de son premier roman, Gutmouth, en 2012, il s’essaye à son genre de prédilection : le roman noir. Mais il ne souhaite pas se laisser enfermer dans des normes génériques, et Santa Muerte (Zero Saints) naît de cette volonté de s’affranchir des codes de la littérature de genre. Parmi les thèmes chers à l'auteur, on relève l’altérité, la frontière, ainsi que le mal du pays.

En plus de son activité d’écrivain, Gabino Iglesias est rédacteur en chef des critiques littéraires pour le magazine Pank et journaliste pour LitReactor. Il est également professeur au lycée et enseigne la littérature en ligne dans le cadre du Master de création littéraire proposé par l’université Southern New Hampshire.
Gabino Iglesias vit à Austin, au Texas.


En savoir plus :

vendredi 27 mai 2022

Joël DICKER – l'énigme de la chambre 622 – Editons Rosie Wolfe – 2020


 

L'histoire

En 2001, un banquier est assassiné dans un palace des Alpes Suisses. L'enquête de police n'aboutit pas à confondre un suspect. En 2018, alors qu'il est très affecté par la mort de son éditeur (Bernard de Fallois) et la rupture avec sa petite amie, l'auteur se voit proposer d'élucider ce nouveau mystère et de remonter le temps. Qui a tué ce banquier et pourquoi ? Une machination implacable va alors être démontée.


Mon avis

Après avoir lu le dernier roman de Dicker (L(affaire Alaska Sanders), j'ai décidé de lire d'autres livres de Dicker. Celui-ci ne m'a pas déçu. Ce 5ème roman se passe dans sa ville natale, Genève et une station touristique cotée. Il y a du Agatha Christie dans ce roman, et comme toujours avec Dicker, un rebondissement à chaque chapitre, le tout assez clairement identifié, comme il en a l'habitude.

De plus il rend un hommage à son éditeur, un homme cultivé et sage qui le guidera jusqu'à son décès.

Le mécanisme du pouvoir est assez bien démontré, tout comme un amour passionnel fait de ruptures et de retrouvailles.

Mais Dicker interroge aussi sur la filiation, ce que l'on lègue. Et sur les 3 personnages principaux, l'héritage moral n'est pas brillant : un père banquier qui pense que son fils est un imbécile et le renvoie à l'échec. Une mère, comtesse déchue qui tient d'une main de fer ses filles qui doivent se marier avec un homme riche et puissant. Un comédien raté qui s »oppose au carriérisme de son fils. Tous ces troubles semés à l'adolescence vont engendrer un mal de livre des protagonistes qu'ils traîneront comme un boulet et qu'ils auront du mal à surmonter. Car à Genève, dans la haute société suisse, la réussite doit se faire à tout « prix ». On note aussi la persistance d'un anti-sémitisme notoire dans ce joli monde.

Par ailleurs le roman fait référence au roman policier classique (référence à Agatha Christie, mais aussi à Gaston Leroux. Il emprunte aussi les codes du théâtre de boulevards dans des passages irrésistiblement drôles, et des « feuilletons populaires » du 19ème siècle.

Mais comme à son habitude malicieuse, le roman s'écrit sous nous yeux, l'écrivain se fait appeler Joël, et le roman est écrit parfois au « je » quand il s'agit de l'enquête menée par l'écrivain et sa complice, et au « il/elle) quand il s'agit des récits ou témoignages recueillis. Sur ce cold case, il y a sans cesse des retours au passé.

Extraits :

  • Le plus important n’est donc pas comment notre histoire s’achève, mais comment nous en remplissons les pages. Car la vie, comme un roman, doit être une aventure.

  • La vie est un roman dont on sait déjà comment il se termine: à la fin, le héros meurt. Le plus important n’est donc pas comment notre histoire s’achève, mais comment nous en remplissons les pages. Car la vie, comme un roman, doit être une aventure. Et les aventures, ce sont les vacances de la vie.

  • Transmission mon fils, très important la transmission. C'est comme ça que les gens ne meurent jamais vraiment : quand bien même leur corps peut être rongé par les vers de terre, leur esprit survit au travers de quelqu'un d'autre. Et ainsi de suite.

  • -Quand rentrez vous à Londres ?demandai-je à Scarlet.
    -Lundi prochain, dans huit jours. Et vous ?
    -Je ne sais pas très bien. Je n'ai personne qui m'attende à Genève. Certains appellent ça la liberté, moi j'appelle ça la solitude.

  • Le paradis, c'était d'un ennui mortel à la longue. Si Eve avait fini par bouffer cette pomme, c'était parce qu'elle cherchait une bonne excuse pour ficher le camp !

  • Le rire constitue une forme de perfection inaltérable. On ne le regrette jamais, on le vit toujours pleinement.


Biographie :

Né en 1985 à Genève, après une formation en droit et une année au cours Florent à Paris, Joël Dicker publie quelques nouvelles puis en 2012 « la vérité sur l'affaire Harry Québert » qui en fait une star du polar.

Bernard de Fallois (1926 – 2018) fonde en 1987 sa propre maison d'éditions, de taille réduite pour échapper aux contraintes des grands groupes financiers. Son catalogue édite Marcel Pagnol, Robert Merle, Françoise Chandernagor, Raymond Aron. Connu pour ses goûts simples et vivant de façon modeste, ce grand éditeur est passé par les grandes maisons d'éditions dont il a enrichit les catalogues.


 

lundi 23 mai 2022

Rebecca WATSON – Sous la peau – Editions Grasset - 2021

 

L'histoire

Un traumatisme dont on ne se remet pas. Une jeune femme qui chaque jour a sa routine quotidienne qui se résume à métro-boulot-dodo et surtout des terribles crises d'angoisses qui la font se g atter jusqu'au sang, lui donne des envies de suicide. Et surtout chaque jour la peur de se retrouver face à son agresseur.

Mon avis

Raconter les conséquences d'un viol et la peur de recroiser son agresseur, ce n'est pas une histoire nouvelle. Depuis le mouvement « Me too », nous sommes habituées à ce sujet douloureux et de nombreuses figures de la littérature féminine s'en sont fait écho du sujet. L'américaine Rebecca Watson ne réussit pourtant pas son pari de nous émouvoir ou de nous alerter à cause d'une narration totalement illisible. Tout le monde n'est pas Marguerite Duras, ou Georges Perec ou Cortazar. Le récit est du coup brouillé, le message aussi. Une écriture plus simple, sans pathos, aurait à mon avis été bien plus efficace que ce récit sans ponctuation, avec des mots qui se juxtaposent, pour enchaîner 2 actions (la pensée mentale envahissante et les tâches quotidiennes).

Bref je n'ai pas aimé du tout cette forme sans formes justement, qui ne structurent pas le récit. L'auteure a voulu rendre compte d'un quotidien bouleversé en jetant les mots qui viennent instinctivement mais du coup on se perd dans cette avalanche. C'est très certainement voulu et des critiques ont adoré ce livre. Mais , je ne trouve rien de percutant et de fort dans ce qui aurait pu être un très grand livre, débarrassé de ces mots trop vite jetés.


Extraits :

- Je traverse, dépassant mes propres vaisseaux, des lignes rouges

qui se précipitent, encore plus de rouge, des cavernes autour

de moi comme des fraises équeutées, je sens une douleur dans

mon corps (dans lequel je suis, que je traverse), sourde puis

aiguë, comme une scie qui se déplace à l’intérieur de moi,

régulière, d’avant en arrière, raclant tandis que je voyage, et qui

commence à émettre un son mélodique

qui résonne

qui chante? est-ce mon corps (ça racle) ça s’élève

qui chante? est-ce dans mes veines?

le son devient plus fort (ça racle) ça s’élève

tandis que je continue

à voyager, à rougir (ça racle) ça s’élève

dépassant à toute allure une autre voie, portant ainsi davantage

de sang et cela tout en tombant à travers mon corps jusqu’à

ce que

lumière !

******************************

- non non pas maintenant non non

loin de ça pas cette partie-là

concentre-toi sur l’après, l’après, même si ça ne peut pas

avoir été juste après, je dois louper quelque chose ici, quelque

chose manque, parce que la suite dont je me souviens a lieu

dehors, dehors quand je sens ce gel étrange, cette brûlure, une

douleur chaude et pourtant glacée le choc de ça

mon dieu

mon dieu

fêter un autre putain de matin en se réveillant comme ça

combien maintenant? des douzaines? ramper éveillée

maintenant

bien plus que ça réveillée pour de bon

maintenant, se lever

pour de bon maintenant

*******************

- ça résonne fort et, attends ça s’élève ça s’élève ça racle

attends

non les ongles dans ma peau

non! une alarme qui résonne

non! putain de rêve qui me pousse à gratter ma putain de peau!

merde!

ma tête! un poids lourd sur mes yeux la tête tendue

glissant dedans et dehors elle s’arrête l’alarme!

pianoter sur le téléphone

la bouche sèche


Biographie :

Née en 1980, Rebecca Watson a publié dans plusieurs revues prestigieuses comme le Times Literary Supplement ou The White Review. Grand espoir des lettres britanniques à tout juste 25 ans, elle est également critique littéraire pour le Financial Times. Sous la peau, est son premier roman.


samedi 21 mai 2022

Isabelle FLATEN – Triste Boomer – Poche Points - 2022

L'histoire

John, PDG d'une importante firme se retrouve à la retraite. Et bien seul. A part des amis d'enfance vivant loin de Paris, il n'a aucune énergie, ressasse le passé et ne mène aucun des projets qu'il s'était fixé. Mais surtout ce célibataire arrogant manque cruellement d'amour. Il se met alors à rechercher sur internet ces anciennes petites amies et surtout Salomé, la femme de sa vie qu'il n'a pas su écouter.


Mon avis

Hilarant, ce petit livre n'est sans doute pas un chef d’œuvre de la littérature française, mais il est des plus réjouissant. Car si l'histoire en elle-même est banale, c'est la façon de la raconter qui est originale. Le propre PC portable de John nous éclaire sur sa vie, pc en révolte contre les smartphones par ailleurs et qui se reboute quand il n'est pas content. Deux voisines commères à souhait commentent aussi la vie de John. Quant à Salomé, c'est par les trait d'un vieux portait du grand-père du Manoir dont elle a hérité qui commente ses choix, sa vie et le bon vieux temps où les femmes étaient juste bonnes à assure la reproduction de l'espèce et où les enfants se prenaient des coups de ceinture ou des fessées pour remettre tout ce beau monde en marche.Et de temps en temps un narrateur intervient quand le PC est éteint ou le tableau hors de vue.

Isabelle Platen fait passer l'air de rien des messages féministes et une critique de la société des bobos, de la culture New-age et de la société de consommation. De plus elle cite des philosophes comme Platon, Nietzsche reconnu pour sa misogynie ou Kierkegaard, pas tendre non plus.


Extraits :

  • Les littératures de tout temps, des Liaisons dangereuses au Rouge et le Noir, en passant par La Dame aux camélias, regorgent de désillusions amoureuses. Certaines midinettes contemporaines exploitent le filon sans scrupules, flouent les lecteurs naïfs en concluant la romance par une happy end dans le but de les fidéliser. Et ça fonctionne, il suffit de regarder les ventes de Barbara Cartland ou des titres de la collection Harlequin. (le Marquis du tableau)

  • Le coup de la panne est ma blague favorite, je suis taquin de nature. Un brin tordu aussi. Pour l’agacer je buggais. Ça me prenait toujours quand il ne le fallait surtout pas, au moment où, entre deux calls, il rédigeait un mail à son dircom pour formaliser les next steps business et upgrader le benchmark avant le meeting du lendemain. Furieux, John m’assommait le clavier d’une main rageuse à la recherche d’une touche magique qui lui restituerait ses données asap. En vain. Il tentait alors la méthode douce, me caressait le pavé tactile d’un doigté de plume. Ça me rendait tout chose, je cédais et nous reprenions le business as usual. E crainte qu’il me remplace par un collaborateur sans humour, je n’abusais pas de la plaisanterie. Nous étions en osmose, j’étais sa moelle, il était mon sang et nous turbinions à l’unisson. Chaque clic nous précipitait au cœur des choses. Nous étions suspendus à la pulsation de la messagerie, inscrits dans le vorace tourbillon de affaires comme dans la plénitude de l’existence. C’était le bon temps. Mais depuis que John a vendu sa start-up, il me délaisse. Du big boss tout feu tout flamme qui me sautait dessus dès l’aurore afin que j’illumine son réveil de mon écran, seule subsiste l’ombre. Je passe la plupart de mon temps sur off. Un moribond. Réfugié sur le cloud, je revisite ma mémoire, ce puits sans fond des jours heureux, le lieu de ma nostalgie, et me creuse le disque dur dans l’espoir d’y piocher un élément qui permettrait la résurrection de notre duo. (Le PC)

  • La voisine : T’as vu les volets de Johnny sont fermés ?
    L’autre voisine : Oui j’ai vu. Donc ça y est, il se met en ménage ou quoi ?
    La voisine : Tu veux vraiment le savoir ?
    L’autre voisine : Oh il peut courir tous les jupons qu’il voudra, je m’en fiche, il ne me fait plus rêver. Et tiens-toi les côtes, je lui ai piqué l’idée.
    La voisine : Qu’est-ce que tu veux dire ?
    L’autre voisine : J’ai fait comme lui, je suis partie à la chasse aux ex mais en plus moderne, sur les réseaux sociaux. Pour le moment j’ai trouvé deux morts, quatre vieux cons et depuis hier je tchatche avec Roland, un type avec qui j’avais couché le temps d’un été et qui se souvient très bien de moi. J’y passe mes soirées, c’est dingue tout ce que j’avais oublié. Passe tout à l’heure, je te montrerai à quoi il ressemble.

  • Les W, comme on appelle les jumeaux, poussent et s’épanouissent comme des fleurs, arrosés chaque jour par un entourage béat d’admiration qui applaudit des deux mains chacune de leurs galipettes et chacune de leurs apparitions dans une pièce. Ce sont des mioches on ne peut plus ordinaires mais je me tais pour ne pas briser leurs illusions. Le jour où je les ai surpris en train de barbouiller la tapisserie d’Aubusson du grand salon, j’ai cru que j’allais sortir de mon cadre pour leur en coller une. (le Marquis)


Biographie :

Née à Strasbourg en 1957, Isabelle Flaten s'est mise à l'écriture dans la seconde moitié de sa vie. Elle vit à Nancy et a déjà publié 11 romans.


En savoir plus :


 

jeudi 19 mai 2022

Joël Dicker – L'affaire Alaska Sanders – Rosie Wolfe éditions - 2022

 

L'histoire

En 1999, le corps sans vie de la jeune mannequin Alaska Sanders est retrouvé abandonné sur une plage en bord d'un lac. La petite ville (fictive) de Mount Pleasant, dans le New Hampshire est bouleversée. Très vite, les enquêteurs arrêtent 2 jeunes du village, preuves ADN à l'appui. Le meurtrier présumé se suicide dans le commissariat, son complice qui plaide son innocence est condamné à perpétuité. Mais 11 ans plus tard, l'affaire rebondit. Une preuve de l'innocence du condamné arrive et l'enquêteur Gahalowood aidé de son ami le célèbre écrivain Marcus Goldman reprend l'enquête. Les langues se délient, et petit à petit, un horrible machination est dévoilée. Qui était vraiment Alaska Sanders ?


Mon avis

Enfin un bon polar ! Une enquête passionnante qui va vous tenir en haleine jusqu'à la dernière page et le dernier mot.

Comme souvent avec Dicker, le roman est très bien structuré. Ici c'est l'écrivain qui raconte, entrecoupé de chapitre sur les interrogatoires de la police, les témoignages des témoins, chaque chapitre identifie parfaitement où nous nous situons. De plus le style est assez humoristique et avec beaucoup d'auto-dérision, en fait le livre s'écrit sous nos yeux.

L'intrigue est passionnante, justement parce que nous assistons à une vraie enquête. Ici pas de policier « héros maudit », pas de clichés traditionnels. Nous sommes les témoins de l'action précise et concise (même si le roman fait 570 pages) tant il y a des rebondissements.

Par ailleurs, Dicker nous montre le fonctionnement d'une petite ville, en apparence tranquille, mais où les jeunes n'ont pas un avenir des plus prometteurs (il faut des prêts étudiants très onéreux à rembourser ou alors avoir la chance d'être remarqué dans un sport par exemple). Mais aussi les non-dits, les commérages, la police trop pressée par son procureur de trouver les meurtriers.

Ce roman est une suite des romans de l'auteur suisse « L'affaire Harry Quebert » paru en 2012 et du « livre du Baltimore » publié en 2015 (en poche). Mais vous pouvez très bien lire ce roman sans avoir lu les 2 premiers.


Biographie

Joël Kicker est né en 1985 à Genève où il vit toujours. Après divers emplois, il se consacre à l'écriture de polars qui sont en général de grands succès littéraires. Depuis 2021, il dirige sa propre maison d'éditions « Rosie Golfe ». Il a écrit 5 romans. 

https://www.joeldicker.com/


Extraits :

  • Un couple ne coule des jours heureux que l'espace de quelques mois. Ensuite, c'est du travail, des compromis, de la frustration, des larmes. Mais ça en vaut la peine, parce que le résultat est une unité qui n'est pas due à de la chimie ou de la magie, cette unité, vous l'avez construite. L'amour n'existe pas par lui-même, il se bâtit.

  • Nous avons tous une mouette en nous, cette tentation de fainéantise et de facilité. souvenez-vous de toujours la combattre, Marcus. La majorité de l'humanité est grégaire, mais vous êtes différent. Parce que vous êtes écrivain. Et les écrivains sont des êtres à part. Ne l'oubliez jamais.

  • La nostalgie est notre capacité à nous convaincre que notre passé a été pour l'essentiel heureux, et que par conséquent nos choix ont été les bons.

  • Sergent, votre femme est merveilleuse. Son seul défaut est de s'être mariée avec vous.

  • La stupidité de rester au bureau jusqu'à pas d'heure. Ce sont les Américains qui ont inventé ça. Prouver sa valeur au travail en restant au bureau plus tard que les autres, en envoyant des e-mails en pleine nuit et pendant le week-end. Ça n’a aucun sens. En réalité, si vous devez faire des heures supplémentaires, c’est parce que vous n'avez pas réussi à accomplir le travail demandé pendant le temps imparti et qu'il faut donc vous virer.

  • Le piège de l'argent, Marcus, c'est qu'il peut acheter toutes les sensations, mais jamais de véritable sentiment. Il peut donner l'illusion d'être heureux sans l'être vraiment, d'être aimé sans l'être réellement. L'argent peut acheter un toit, mais pas la sérénité d'un chez-soi.


dimanche 15 mai 2022

Véronique OLMI – Bakhita – livre de poche ou Albin Michel.

 

Véronique Olmi romance la vie de Sainte Bakhita, la première femme noire à être canonisée par Jean-Paul II en 2000, et s'attache sur les ¾ du livre à nous raconter son enfance.


L'histoire

Petite fille de 7 ans (elle serait née en 1869) la petite Bakhita vit dans un petit village du Darfour (Soudan). Alors qu'elle joue seule aux abords du village elle est enlevée par des mercenaires négriers. Elle va alors passer de maîtres en maîtres, certains cruels. Ainsi elle sera scarifiée « parce que c'est plus joli », puis violée, puis soumises à des durs travaux de servitude. L'auteure ne nous épargne pas cette enfance écorchée, rendue encore un peu humaine par des amitiés de passage avec d'autres fillettes. Elle sillonne ainsi l’Éthiopie, car les esclaves se vendent et se revendent.

Elle est finalement rachetée par un consul italien qui l'emmène en Vénétie. Elle sera tout d'&abord employée par une famille avec laquelle la toute jeune femme (19 ans) liera un lien fort avec la petite fille qu'elle seule sait apaisée. Puis affranchie à 21 ans, celle qui a du subir aussi les regards mauvais (on la surnomme la Moretta, la noiraude) elle dévide d'entrer au couvent à Venise, puis finir sa vie en tant que religieuse pour l'orphelinat de Schio à Vicence. Très malade et affaiblie par les tortures dont elle a été victime pendant 13 ans, Sœur Gioseffa Margherita Fortunata Maria Bakhita meurt en paix en 1947.


Mon avis

Certains critiques littéraires ont trouvé que Véronique Olmi avait fait quelques écarts historiques avec la vraie vie de Bakhita (mais le livre est un roman, pas une biographie).

Le livre est une dénonciation de l'esclavage souvent par des commerçants arabes dans cette région de l'Afrique de l'Est. Parce qu’elle nous détaille, mais sans pathos, toute l’enfance de cette petite fille dont on dit qu'elle a été vendue de 7 à 12 fois, nous prenons la mesure de ce qu'on pu vivre les femmes africaine dans cette période tourmentée.

Nous pouvons aussi y lire une critique du Mussolinisme, qui se sont servis de la vie de Bakhita pour se déculpabiliser de leur idéologie malsaine.

Bakhita n'aura jamais reçu d'instruction. Les mauvais traitements et les traumatismes qui en ont découlé sont si violents qu'elle en oubliera même son nom de naissance et celui de sa famille et sa langue natale. D'ailleurs elle ne parlera jamais très bien italien mais une langue où se mélange des mots arabes, africains. Du plus, si l'entrée en religion est le seul choix possible pour cette jeune femme, l'auteure n'est pas persuadée de sa foi profonde en ce catholicisme qui ne peut en rien répondre à la vie volée de la petite fille.

L'écriture est pourtant douce, surtout dans la partie italienne du livre. Car, autant son enfance a été tragique, autant Bakhita a un don inné avec les enfants qu'elle aime comme une mère, et qu'elle sait apaiser. Un don de résilience qui devrait nous faire méditer aussi, face à nos petites épreuves de la vie.

J’ai lu ce livre avec passion. Passion pour cette histoire que je ne connaissais pas, passion pour cette héroïne hors du commun, et passion pour l'écriture qui sait se faire poétique et pour les messages universels qu'il transmet. Au-delà de l'horreur, il y a la rédemption, non pas au sens religieux du terme mais au sens de donner une voix à sa vie.


Biographie

Véronique Olmi est née en 1969 à Nice. Elle a écrit 16 romans à ce jour. Elle écrit aussi pour le théâtre. Elle a obtenu des prix littéraires dont pour Bakhita, le Prix du roman Fnac 217 et le prix Patrimoine BPE 2017.


Extraits :

  • Tout est concentré sur la marche et le courage qu'il faut pour la faire. Mais cette envie de vivre qui la saisit là, dans cette captivité où elle est moins considérée qu'un âne, est comme une promesse qu'elle se fait : elle veut vivre. Cette pensée est à elle. Personne ne peut la lui prendre. Elle a vu les esclaves abandonnés aux vautours et aux hyènes. Elle a vu les esclaves invendables, et ceux bradés aux miséreux. Elle ne sait pas si elle vaut de l'argent, une chèvre, quatre poules, du sel, des bassines en cuivre, des colliers, des pagnes, une dette, une taxe, elle ne comprend pas contre quoi on l'échange, mais elle sait une chose : elle ne veut pas mourir abandonnée au bout de la route. Alors elle obéit. Elle marche. Elle se concentre sur l'effort. Elle est avec Binah, sauvée de la bergerie et du berger. Elle marche. Et elle a une amie. Une autre vie que la sienne, à laquelle elle tient aussi fort qu'à la sienne.

  • Elle se tait et elle sourit. Elle attend. Elle sait très bien attendre. Elle a eu tant de maîtres, elle a reçu tant d'ordres fous, elle sait que se taire est souvent la plus prudente des attitudes.

  • Esclave, elle ne sait pas ce que c'est exactement. C'est le mot de l'absence, du village en feu, le mot après lequel il n'y a plus rien.

  • Elle sait qu’il ne faut s’attacher à personne, qu’à Dieu. C’est ce qu’ils disent, mais elle n’y croit pas. Ce qu’elle croit, c’est qu’il faut aimer au-delà de ses forces, et elle ne craint pas les séparations, elle qui a quitté tant de personnes, elle est remplie d’absences de de solitudes

  • Et c'est comme ça que dorénavant elle avancera dans la vie. Reliée aux autres par l'intuition, ce qui émane d'eux elle le sentira par la voix, le pas, le regard, un geste parfois.

  • Cet amour"immense", cet amour du jour qui se lève et du jour qui se couche, cet amour de tout ce qui vit, de tout ce qui est, cet amour...
    Ça n'est pas supportable. On lui a creusé la poitrine jusqu'au cœur, on le lui a arraché, et maintenant elle voit. De quoi il est plein.

    En savoir plus :

    - https://www.youtube.com/watch?v=6A_EdcyHNbA

    - https://www.youtube.com/watch?v=AX2UeK4YKJA

    -https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-grande-table-1ere-partie/veronique-olmi-une-sainte-se-raconte-1122480

    - https://www.franceinter.fr/emissions/boomerang/boomerang-du-mardi-08-fevrier-2022