mercredi 29 juin 2022

Moussa KONATE – La malédiction du Lamantin – Poche Points


Dans le cadre du marathon des mots, manifestation littéraire à Toulouse la littérature africaine était à l'honneur cette année.

L'histoire

Le commissaire Habib doit enquêter sur un mystérieux crime commis à Kokri, en plein pays Bozo, une ethnie qui vit le long du fleuve Niger au Mali. Mais les croyances ancestrales en « Maa » le dieu tout puissant du fleuve ne vont pas être faciles pour le commissaire et son jeune adjoint Sosso.


Mon avis

Cet adorable petit polar est le troisième de la série du Commissaire Habib que nous a concocté Moussa Konabé. Entre les croyances animistes et un islam à la sauce malienne, le poids des croyance est implacable. Écrit avec beaucoup d'humour, et de vivacité, l'auteur puise dans les traditions du peuple bozo, qui vit traditionnellement de la pêche et dont les croyances mélangent leurs propres divinités et un 'islam quelque peu fantasque.

Le livre vaut surtout pour ce voyage un peu court dans le delta du Niger et dans le style amusant de ce qui est en fait un joli conte. Konaté a tout du griot. Son regard est aussi bienveillant et il nous passe un message de respect et d'empathie.



Biographie :

Moussa Konaté est né en 1951 à Kita au Mali et mort en 2013. Il est diplômé de lettres à l'université de Bamako puis enseignant. Il se met à écrire en 1998/ Les enquêtes du commissaire Habib (6 romans) se situent dans différentes régions du Mali. Il est est d'ailleurs reconnu comme l'un des grands écrivains de ce pays dont il a exploré les croyances et les ethnies dans ces romans.


Extraits :

  • En fait, c'est comme si tu me disais : "Fais comme font les autres, rentre dans le rang et ne cherche pas plus loin."
    Si tu le monde courbait la tête, avalait sa conscience, tu imagines dans quel état serait notre pays ?
    Je ne veux pas être une exception, je veux être honnête, c'est tout.

  • De quel droit des gens n'ayant aucun lien avec la police pouvaient-ils se donner l'autorité d'imposer au chef de la brigade criminelle d'abandonner une enquête ordonnée par le procureur de la République ? Était-ce la république ou la gérontocratie ? Certes, on pouvait comprendre l'attachement des personnes âgées aux traditions ancestrales, mais elles n'étaient ni élues ni nommées. À supposer qu'on leur cédât une fois, ne faudrait-il pas céder toujours ? Ne deviendraient-elles pas les vrais maîtres du pays, qu'elles gouverneraient strictement selon les traditions millénaires ? À quoi cela pourrait-il mener, sinon au chaos ?

  • Si tu me demandes s'il y a un pouvoir, je te répondrai qu'il y en a en fait deux. Il y a ceux qui sont au pouvoir par la grâce de la colonisation, et ceux qui s'estiment les héritiers du pouvoir ancestral.
    Au sommet même de l'état, on reconnaît cette dualité. Une autre m'a trouvé au bureau sans rendez-vous; ils pourront rencontrer n'importe quel ministre, n'importe quel président de la République de la même façon.

  • Écoute, mon cher, ne perdons pas de temps : tu as fauté et du dois payer. Ou c'est à moi que tu paies directement et ça te fera six mille francs, ou tu vas payer à la fourrière et ça te coûtera douze mille francs. Décide-toi vite et laisse-moi faire mon boulot.
    Ah, quel pays ! se désola le commissaire. Des agents de police qui rackettent au su et au vu de tous !


En savoir plus :

sur les Bozos : http://bamada.net/mali-les-bozos-un-peuple-de-leau


 

lundi 27 juin 2022

Sally Rooney – Normal People – Éditions de l'Olivier - 2021

 

L'histoire

Connell et Marianne ont grandi ensemble dans une ville au nord de l'Irlande. Amis, amoureux, l'un est fils de la femme de ménage et cherche sa voix, l'autre est riche, timide mais se dévoile aussi comme curieuses d'expériences notamment sexuelles, sans jamais perdre de vue Connell. Est-ce que l'amour est si difficile à dire ?


Mon avis

Franchement je n'ai vu aucun intérêt à ce roman que l'on nous présente comme le roman aux millions d’exemplaires vendus, et à l'adaptation en série TV. Si la jeune auteure a voulu démonter les mécaniques entre l'adolescence et l'âge adulte, avec ses cultes, ses secrets, les premières expériences avec la drogue, l'alcool et le sexe, le roman n'arrive pas à la hauteur de ses ambitions. Certes les 2 héros sont des personnages décalés, avec des personnalités fragiles et troubles, mais on se perd dans des dialogues sans fond et surtout, alors qu'ils sont respectivement étudiants en Lettres et en Histoire on cherche sans les trouver des références intellectuelles.

Le style trop dialogué trop stéréotypé ne permet pas de faire de ce livre un ouvrage unique. Et comme chaque adolescence est particulière, il ne peut en aucun cas en faire une généralité. Oui on parle de génération « no future » mais on en parle à chaque génération je suppose. Rien à voir avec le personnage de Lucy, drôle et haut en couleur (Lucy in the sky) ou de Kya (Là où dansent les écrevisses) si intense.

Peut-être cette sorte de vide et de psychologie bon marché est-il voulu par l'auteure ou est-ce juste un phénomène de mode ? Personnellement je dirais que ce livre est d’un ennui remarquable.


Biographie :

Sally Rooney est née en 1991 en Irlande du Nord. Son premier roman « Conversations entre amis » a rencontre un immense succès. Elle est diplômée d'un master en littérature anglaise et américaine au Trinity College à Dublin en 2013. Elle a reçu des prix littéraires et a participé au scénario de la mini-série tv dont s'inspire le roman.


Extraits :

  • il imaginait toujours, comme par réflexe, des façons de se blesser grièvement quand il était bouleversé. Le fait de se présenter une douleur bien plus forte et totale que celle qu’il éprouvait réellement le soulageait brièvement, peut être à cause de l’énergie mentale que cela exigeait, de la rupture provisoire du fil de ses pensées.

  • Elle est un abysse dans lequel il s’engouffre, un espace vide à remplir.

  • Quand il est avec elle, il a l’impression d'ouvrir une porte, de quitter la vie normale et de refermer la porte derrière lui.

  • Franchement , quand on regarde la vie que mènent vraiment les hommes, c’est triste , dit Marianne .Ils contrôlent la totalité du système social et n’ont rien trouvé de mieux pour eux- mêmes ?

  • Ça lui semblait si fou de devoir porter un uniforme chaque jour et de s'attrouper toute la journée dans un immense bâtiment, sans même avoir le droit de regarder où elle voulait. Même le mouvement de ses yeux tombait sous le coup du règlement de l'école.

  • Il pourrait lui dire n'importe quoi, même des trucs bizarres, elle ne le répéterait jamais à personne, il le sait.


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Pete FROMM – La vie en chantier – Gallmeister poche (Totem) - 2019


 

L'histoire

Taz et Marnie retapent difficilement une maison en piteux état à Missoula (Montana). Marnie tombe enceinte mais meurt lors de l'accouchement. Voilà Taz confronté au chagrin dévastateur et à s'occuper d'un bébé, Midge. Les amis sont là, la belle-mère aussi, ainsi que la présence d'une étudiante baby-sitter qui prend les choses en main. Mais le chagrin est difficile à surmonter, il f faut reprendre le travail, et tenter de terminer enfin cette maison.


Mon avis

Un charmant roman écrit sans pathos par Pete Fromm qui s'attaque à deux sujets importants, la perte d'un être cher et la paternité que le héros assume tant bien que mal. Menuisier chevronné, il n'en reste pas moins pauvre. Mais il n'y a ni noirceur ni culpabilité dans ce roman où Taz discute avec Marnie, l'épouse défunte, comme un rituel secret.

Toute la jolie écriture de Pete Fromm témoigne d'une beauté qui se diffuse tout au long du livre, sans rechercher l'esthétique littéraire mais les sensations authentiques, les non-dits, C'est aussi un livre sur l'amitié profonde, dont Taz ne se rend pas compte, la vie simple dans une petite ville avec ses beaux quartiers hors de prix et celle des artisans, pas riches, mais qui se contentent des joies simples : un pique-nique dans une zone secrète de la rivière, un beau meuble poli et vernis, des petites fêtes pour Midge, sans chichis mais avec ce qu'il y a de plus beau, le cœur. Et le très beau personnage d'Elmo, la baby-sitter subtile, mère de substitution à la fois pour la petite fille que pour le papa.

Mais la beauté évoquée ne s'exprime pas uniquement dans les sentiments. L'auteur américain nous laisse la possibilité d'accompagner dans son deuil un artisan qui doit apprendre à se construire sans la pièce maîtresse qu'il formait avec sa femme, un ébéniste méticuleux et sensible aux essences de bois qu'il travaille dans un Montana qui nous charme avec des paysages préservés et intimes.
Si le symbolisme de la reconstruction de soi n'est pas spécialement novateur, il fait pourtant mouche dans ce récit. L'auteur montre sans effort au-delà de ce que le deuil détruit, tout ce qui soude.


Biographie :

Pete Fromm est né en 1958 dans le Wisconsin. Il a d'abord été ranger avant de se consacrer à l'écriture. Reconnu comme un grand écrivain, il vit à Missoula (Montana) avec sa famille.


Extraits :

  • Au lieu des pins ponderosa sur la colline, des trembles sur la berge, de leurs feuilles sous l'eau encore dorées, constellant le barrage des castors, il voit des troncs calcinés se détachant sur le bleu glacial du ciel telles des pointes de lances noircies.
    Même les peupliers ne sont plus que l'ombre d'eux-mêmes, leurs doigts griffus se refermant sur du vide. La terre est carbonisée. Les étangs sont comme huilés, graissés. Il ne reste rien.

  • Une fois, j'ai récupéré du vieux bois dans une distillerie du Tenessee. Des grosses poutres d'un mètre sur deux, encochées et mortaisées, qui servaient à retenir les tonneaux de bourbon. C'était tout un boulot, de réussir à les couper suffisamment pour pouvoir en faire quelque chose. Mais quand je m'y mettais, la vache, tout l' atelier embaumait...
    Une odeur de whiskey, de caramel et de vanille. J'avais envie de les couper rien que pour parfumer l'atelier.

  • Lorsque le futur marié lève le voile sur ses tempes délicates, je me dis qu'on devrait les prévenir : un avenir fait d'enterrements, d'emprunts automobiles, d'impôts et d'enfants malades la nuit. C'est un boulot que vous ne saurez pas faire, le bras nu enfoncé jusqu'au coude dans l'évier bouché, parmi les pelures d'aubergine brûlées à la dérive absurde.

  • Malgré la chaleur torride de ce tout début de mois de juillet, l’eau est si froide qu’elle les saisit .
    Ils y pénètrent en riant , le souffle court, avant de nager plus loin jusqu’aux rapides, puis ils se laissent repousser en aval et tournoient dans le courant , la respiration plus régulière à présent .
    Taz passe les bras autour du ventre de Marnie, ils regardent les nuages glisser dans le ciel , aussi inoffensifs que des coups de pinceau : cela fait des mois qu’aucune goutte n’est tombée ….. 

  • J'ai appelé la Nouvelle-Zélande, hier soir, dit Taz.- Ça fait quoi ? D'appeler un pays tout entier ? (Rudy le copain de Taz)


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vendredi 24 juin 2022

Pete FROMM – Lucy in the Sky – Gallmeister poche (Totem) - 2022

 

L'histoire

Lucy, 14 ans. Grande perche pour son âge, les cheveux coupés à ½ cm par son père, a l'âme rebelle et les idées bien arrêtées. Ce garçon manqué, qui s'habille en jeans, sweets et baskets ne voit jamais son père, bûcheron qui part de longs mois au Canada pour travailler. Elle est en conflit permanent avec sa mère qui l'a eu à 16 ans, une femme qui n'assume pas totalement sa maternité et a des amants, tout comme Lucy, qui ne se préoccupe pas de l'opinion des autres, a le verbe haut et drôle mais qui cache une peur terrible de l'abandon.


Mon avis

Un roman sur l'adolescence à la fois drôle et émouvant. Cette Lucy là, vous ne l'oublierez pas. Elle est grande pour son âge, refuse toute féminité (son père lui rase les cheveux deuils qu'elle est enfant), vit un amour compliqué avec son meilleur ami Kenny, un garçon fragile dont on se demande si elle ne joue pas le rôle de grande sœur, et a le chic pour se mettre dans des situations embarrassantes.

Surtout le rapport mère-fille est ici pointé du doigt. On se demande parfois qui est la plus adulte des deux. La mère volage, privée d'adolescence par sa grossesse et souvent abandonné par ce père drôle mais trop souvent absent. Cette mère, féminine et jolie femme n'assume pas vraiment ses infidélités, pas plus quelle n'assume son rôle de mère. Lucy, elle, assume ses relations avec Kenny, puis Tim un gentil gaillard qui voudrait l'épouser, alors qu'elle n'a que 15 ans. Lucy trompe son ennui et sa solitude en passant ses journées de vacances dans les bras de ses amoureux, mais aussi des nuits à guetter le retour de Maman. Papa est parti pour toujours par sa faute. Elle redoute l'abandon et elle passe le plus clair de son temps seule, à faire le ménage et la cuisine pour la mère sans savoir si elle rentrera après son travail.

C'est aussi l'univers sans avenir pour les jeunes d'un village du Montana que nous raconte Pete Fromm. Les lycéens les plus chanceux iront à l'Université de Missoula, les autres s'engageront auprès de la base militaire du coin, ou iront travailler dans les champs de leurs parents. C'est une autre vision de l'Amérique rurale, où le voisin épie l'autre, où la sexualité est taboue et surtout où une fille comme Lucy n'a pas sa place. Trop rebelle, tenant tête à tout le monde, même si elle se détruit aussi par ses remarques acerbes, Lucy recherche son d'identité, sa place dans le monde qui ne soit pas épouse ou fille facile et surtout à échapper ce rôle infligé dans l'enfance de garçon manqué. On peut parler de roman d'apprentissage, du passage de l'enfance à l'adolescence et à la vie adulte, mais Lucy ne fera jamais rien comme les autres.

Encore un personnage inoubliable qui va rejoindre la galerie des égéries de Gallmeister, cet éditeur français qui signe des jeunes auteurs et en fait des best-sellers


Biographie :

Pete Fromm est né en 1958 dans le Wisconsin. Il a d'abord été ranger avant de se consacrer à l'écriture. Reconnu comme un grand écrivain, il vit à Missoula (Montana) avec sa famille.


Extraits :

  • Il avait le souffle court, et je sentis son haleine chaude et humide me chatouiller le sommet du crâne lorsqu’il dit : Ce que tu dois te rappeler, Luce, ce sont les retours. C’est tout ce qui compte. Le départ, ce n’est rien. Le temps que je passe loin d’ici, ce n’est rien. Rappelle-toi seulement les retours à la maison.
    On aurait dit un hypnotiseur. Un magicien plein d’espoir.
    Je me débattis, aplatie comme une crêpe entre eux deux. Il était loin d’en savoir autant qu’il croyait. Il devait partir, voir le vaste monde, des endroits dont nous pouvions seulement rêver. Pendant qu’il se promenait dans la géographie, nous restions là, toujours les mêmes. À attendre.

  • Je me remis à traîner dans la maison. Pourquoi ne pouvais-je pas être une de ces ados qui dorment jusqu’à midi ? La moitié de la journée était déjà écoulée avant qu’ils ne sortent de leur lit. (...)
    Je n’avais plus rien à faire, rien de ce à quoi j’imaginais que la plupart des filles consacraient de longues heures. Je n’avais pas de cheveux à essuyer ou à friser, à coiffer ou à sculpter avec du gel.

  • "Où est le "hors- bord, Mame ?
    C'est ainsi qu'il appelait la tondeuse électrique, avec sa proue dentée qui maintenait ma coupe à une longueur régulière de cinq millimètres .
    Comme si, en réussissant à me raser le crâne d'assez près , il parviendrait à supprimer le jambage de mon second chromosome X pour le réduire à un Y.
    Garçon manqué......
    J'avais passé toute mon enfance à ressembler à l'unique photo de lui enfant qu'il possédait , le visage perdu au milieu d'une armée d'enfants tondus, un troupeau de réfugiés ?, il n'avait jamais précisé. "

  • On choisit ses chaussettes. On choisit pas ses parents.

  • J’ai pas besoin d’une nouvelle vie, Maman. J’ai besoin de nouveaux parents. Elle se tut, et alors que j’allais dire que j’étais désolée, elle me mit les clefs de sa voiture dans la main. Comme une bénédiction. Les derniers sacrements.

  • Pendant toutes ces années, c’est pour ça que je l’avais laissé me raser la tête : si la seule chose qui lui manquait ici, c’était d’avoir un fils avec qui faire des trucs, je serais presque aussi bien qu’un garçon, je serais ce qu’on pouvait trouver de plus approchant. Je ne m’étais pas aperçue que ça ne servait à rien. Comme les baisers de Maman. Il partait quand même.

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lundi 20 juin 2022

Kimberley FREEMAN – Fleurs sauvages – Livre de poche - 2015

 

L'histoire

Emma, 32 ans vit à Londres où elle est une étoile de la danse classique. Et puis une semaine en 2009, tout s »effondre : son petit ami la quitte, et elle tombe dans les escaliers et se fracture le genou. Malgré les opérations, elle ne pourra plus danser. Elle retourne vivre dans sa famille en Australie et apprend que sa grand-mère lui légué une maison en Tasmanie, qu'elle ne pourra pas vendre avant 6 mois. Partie pour préparer la vente, elle découvre alors la vie secrète de cette grand-mère tant aimée.


Mon avis

Un gentil roman qui se laisse lire facilement, et qui a le mérite de nous éclairer sur le sort des femmes en Tasmanie, cette île rattachée à l'Australie au début du siècle dernier. Le personnage de Beattie, la grand-mère va a l'encontre de tout. Enceinte d'un homme marié, celui-ci l'emmène en Australie mais se montre joueur, buveur, incapable de gérer sa famille. Beattie s'enfuit avec sa fille Lucy en Tasmanie, où elle trouve un emploi de couturière, puis un emploi dans une ferme qu'elle finira pas gagner au poker. La ferme produit de la laine des moutons. Et très vite elle s'éprend d'un aborigène, un « noir » et fait scandale dans le village voisin. Elle perd la garde de sa fille, mais gagne une fortune considérable, épouse un député et devient une femme convenable.

Tout le roman repose sur le vécu de Beattie, femme en avance sur son temps, qui agit selon ses désirs et se met à dos la société trop pieuse et surtout trop raciste de la ville.

On sait que la Tasmanie, lors de sa colonisation anglaise, utilisa les aborigènes comme des esclaves dans les plantations puis furent décimés par l'alcool, la prison, les mauvais traitements. En 1833, il ne restait plus que 300 aborigènes tasmaniens. Mais par leur très bonne connaissance des terres, ils furent nombreux à être embauchés comme bushrangers.

Roman agréable à lire, mais à mon avis, pas assez fouillé dans les rapports entre les communautés. Certes le personnage de Beattie est fort et en fait une héroïne, mais le livre manque de dynamisme, il est très narratif, mais n'explore pas totalement la psychologie des personnages. Il a au moins le mérite de nous éclairer sur une partie du monde que nous connaissons peu.


Biographie :

Kimberley Freeman Wilkins est née en 1970 à Londres. Kim Wilkins a grandi et vit à Brisbane. Elle est diplômée en littérature anglaise et en création littéraire de l'Université de Queensland.
Elle a publié trois romans et a reçu, à deux reprises, en 1997 et en 2000, le Prix Aurealis du meilleur roman fantastique australien.


Extraits :

    - Quelle injustice de devoir vieillir ! Elle se fichait pas mal de son entreprise, de sa richesse, de l'hôtel particulier qu'ils avaient construit sur le port. Elle aurait volontiers échangé tout cela contre un retour dans le temps, pour revivre cette année 1939, pour toujours (Beattie)
  • Je venais de comprendre que je cherchais quelque chose dans tous ces cartons. Je voulais connaître la raison pour laquelle ma grand-mère avait hérité gratuitement de cette ferme, l’Identité de cette petite fille sur la photo, le passé de ma grand-mère ...avant qu'elle ne devienne cette femme d'affaires accomplie... (Emma)

  • Il y a deux sortes de femmes sur Terre : celles qui font les choses et celles qui se laissent faire.

  • Tout ce qu' elle voulait, c'était un travail décent, sûr et bien payé, mais ils étaient des milliers à vouloir la même chose. Elle faisait partie de cette foule de gens pour qui il était impossible de monter en grade.

 

 

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lundi 13 juin 2022

Jamey BRADBURY – Sauvage – Gallmeister Poche 2021

 

L'histoire

Tracy, 17 ans, vit avec son père et son frère dans le nord de l'Alaska. De sa mère décédée elle a un don magique qui ne peut s'accomplir que lors d'un rituel très particulier. Mauvaise élève, bagarreuse, elle n'aime que ses chiens pour devenir musher et la forêt proche où elle chasse et vagabonde. Et soudain, après un incident en forêt, son père bien seul pour tout le travail à faire dans une ferme d'élevage de chiots de couse engage un jeune homme de son âge Jesse. Un individu mystérieux au passé incertain, charismatique, dont Tracy va se sentir proche. Mais la réalité va la mener jusqu'au bout de l'irréparable.


Mon avis

Encore un beau livre signé Gallmeister (maison d'édition française) qui sait signer des jeunes auteurs. Après Nell et Eva (Dans la Foret), Turtle de My Absolute Darling, Lucy de Peter Fromm, voici Tracy. Connectée avec la nature glaciale de l’Alaska cette héroïne use de ses dons comme une nécessité vitale. A la fois têtue et naïve, elle se rêve en musher pour gagner les plus grandes courses du monde dont l'Iditardod, la plus difficile course de chiens. Mais Tracy est reliée par sa mère, une femme qui a aussi le don mais dont on devine la fragilité qui la conseille et lui fixe des règles. Si cela n'est pas mentionné dans le livre, on pourrait penser à une femme inuit, car Jamey Bradbury semble s'être inspirée des traditions chamaniques des peuples de l’Arctique.

Ce roman est inclassable. Ni polar au sens classique du terme, ni fantastique, proche de la nature sans en faire le sujet principal, on écoute la voix de Tracy qui se pose des questions, va s'inventer des histoires. Face à elle, un père aimant mais qui ne la comprend pas et surtout le personnage de Jesse, je dirais son double maléfique, ce Jesse qui va provoquer des sentiments contradictoires envers l'héroïne, la peur, la méfiance, l'amour impossible.

Ici il est question de trouver son chemin dans la vie, et de savoir utiliser un don ou ne pas l'utiliser mais pour cela Tracy n'a pas les codes, elle ne sait pas. Pour ne pas spoiler je ne parlerais pas du don et de la manière de le faire vivre. Il y a aussi le rapport à la mère. Trop vite disparue, sans donner les réponses, alors Tracy fouille sa mémoire pour chercher des indices, sur cette femme dépressive, malade, qui semble-t-il a pu contrôler le don. Il y a l'amour infini du père et le soutien indéfectible de son petit frère, mutique mais observateur. Et les chiens que Trace (comme une trace de pas dans la neige) comprend mieux que personne

La structure du roman est à la première personne du singulier au « je », sauf quand Tracy entend penser ceux sur lesquels elle a pratiqué le don. Seul, une partie de Jesse va lui échapper et lui nuire. Car Tracy, malgré ses pratiques qui peuvent sembler horribles, ne peut pas pénétrer totalement l'esprit de Jesse, individu à l'apparence gentille mais qui sait la manipuler, jusqu'au drame. Il n'y a ni pardon, ni rédemption dans ce livre, si ce n'est la résilience de Tracy à la toute fin où elle va vivre sa vie sauvage. Mais il y a l'instinct de protection, celui de protéger ceux qu'elle aime le plus au monde, son père, son frère et Jesse. Moralement, elle prend la place de la mère trop vite disparue, une place bien trop lourde pour elle.

Un livre déroutant, vous n'aurez jamais lu une histoire pareille, mais attachant aussi, par l'incroyable imaginaire qu'il développe.

La critique lui a fait un excellent accueil, alors si vous n'avez pas froid aux yeux, si le petit coté gore ne vous dérange pas, faites cette expérience de littérature unique et fabuleuse.


Biographie :

Jamey Bradbury est née en 1979 dans le Midwest. Après avoir obtenu une maîtrise en beaux-arts de l'Université de Caroline du Nord, elle est tombée amoureuse de l'Alaska et s'y est installée. Elle y vit depuis quinze ans.

Elle a été réceptionniste, actrice, assistante littéraire, secouriste et bénévole à la Croix Rouge. Elle partage aujourd’hui son temps entre l’écriture et l’engagement auprès des services sociaux qui soutiennent les peuples natifs de l’Alaska. Chaque année, elle fait partie de l'équipe des bénévoles encadrant l'Iditarod, la célèbre course de chiens de traîneau dont elle s'est inspirée pour écrire son œuvre. 

Sauvage est son premier roman et a reçu le Prix Littérature Monde Étonnants Voyageurs de Télérama.


Extraits :

  • C'est comme ça, la vie n'est qu'un vautour avide. J'ai lu des choses sur les vautours, ils mangent et mangent et mangent encore, même quand ils sont repus ils continuent, ils dévorent tout ce qu'ils ont devant eux. La vie avale un truc et ça ne fait que la rendre plus avide, alors elle se met à en avaler d'autres.

  • L’eau ne suit pas un cours rectiligne, elle contourne les arbres et les rochers, se faufile par les cols des montagnes, sans jamais cesser de descendre jusqu’à son but. À observer Jesse, j’ai commencé à apprendre que, pour obtenir ce que l’on veut, il est parfois plus simple de prendre son temps et de contourner les obstacles au lieu de tenter de passer en force.

  • e passais autant de temps que je pouvais dans la forêt. À me voir, vous vous seriez peut-être dit, Mais t’as que dix-sept ans, t’es une fille, t’as rien à faire toute seule dehors dans la nature sauvage où un ours pourrait te déchiqueter, un élan te piétiner. Mais la réalité, c’est que si on m’emmenait moi et n’importe qui d’autre dans la nature sauvage et qu’on nous y abandonnait, vous verriez bien lequel de nous deux en reviendrait une semaine plus tard, saine et sauve, et même en pleine forme. Je fais du traîneau pratiquement depuis que je sais me tenir debout, et à l’âge de dix ans j’emmenais des petits attelages sur la piste pour des sorties de deux jours, et parfois plus, sans autre compagnie que celle de mes chiens. J’ai participé à l’Iditarod Junior dès que j’ai pu, et à seize ans je concourais dans mes premières compétitions professionnelles.

  • La vie avale un truc et ça ne fait que la rendre plus avide, alors elle se met à en avaler d'autres. Ça commence par Maman. Elle marche dans la nuit et ne revient jamais. Ensuite ce sont les chiens, cédés les uns après les autres. Puis notre mode de vie. Puis Papa, la façon dont les choses se passaient entre nous deux. Et si vous croyez qu'il est possible de s'habituer à ce genre de deuils, c'est que vous n'avez pas encore assez vécu. Rien ne reste.

  • Le problème quand on a un secret c'est qu'on en a vite deux. Puis trois, puis tellement qu'on finit par avoir l'impression que tout risque de se déverser sitôt qu'on ouvre la bouche.

  • On ne peut pas fuir la sauvagerie qu'on a en soi.


En savoir plus :

Sur l'Iditarod : https://fr.wikipedia.org/wiki/Iditarod_Trail_Sled_Dog_Race



jeudi 9 juin 2022

Jeanine Cummins – Américain Dirt – Éditions Rey – 2020 - ou poche 10/18 2021

 

L'histoire

Lydia bibliothécaire, et son fils de 8 ans Luca voient leur famille massacrée par un des cartels de la drogue à Acapulco (Mexique). Son mari,journaliste d'investigation pour un grand quotidien connaît l'identité  du nouveau chef du cartel qui fait la loi depuis quelques mois dans la ville. 16 personnes sont tuées et achevées, autrement dit toute sa famille, et Lydia connaît leur assassin un lecteur assidu de la librairie qu'elle dirige.

Se sachant en danger, elle doit fuir au plus vite en protégeant ce qu'elle a de plus cher au monde son fils. Mais où aller à par «El Norte » autrement dit les États-Unis où elle a un oncle qui vit à Denver. Déjà il faut fuir Acapulco, joindre Mexico et se diriger vers la frontière, rendue de plus en plus inaccessible par les polices mexicaines et américaines. Il faut sauter sur des trains de marchandises puis trouver un passeur qui ne soit pas un escroc. Des lieux de passages dangereux, des amitiés de fortune mais solides, des « coyotes » (passeurs frauduleux), tout un univers que découvre Lydia, dans sa fuite pour essayer de recommencer une vie ailleurs.


Mon avis

Un livre à lire absolument pour comprendre que le phénomène migratoire n'est pas un rêve d'absolu ou un mirage d'un monde meilleur mais juste pour sauver sa peau. En 2017, un migrant mourrait toutes les 21 heures à la frontière entre le Mexique et les USA, et à l'intérieur du continent d'Amérique Latine, un migrant mourrait toutes les 90 minutes. Le nombre de personnes déclarées disparues au Mexique s'élève officiellement à 40 000 et chaque jour, la police découvre des fosses communes où s'entassent des milliers de morts. Ce n'est pas une fiction c'est une réalité dans ce pays dominés par les cartels qui font la loi et qui s'infiltrent partout. Le Mexique reste 1er au triste rang des journalistes tués.

Ce roman raconte le difficile parcours des migrants, les femmes et les jeunes filles surtout. Comment il faut savoir se fondre dans la foule, se cacher, avoir de quoi survivre, pouvoir payer un passeur. Et plus que tout c'est aussi un roman d'amour entre une mère qui doit taire ses angoisses et ses peurs pour protéger son enfant, mais on se demande parfois si ce n'est pas l'enfant doué d'un sens de l'observation hors du commun qui protège sa mère.

L'écriture électrique de Jeanine Cummins nous fait vibrer à chaque rebondissement et on se prend à souhaiter que les deux héros arrivent enfin à trouver la paix dans un pays qui n'est pas le leur, où il faudra se cacher encore pour avoir la fameuse carte verte. L'entraide entre migrants est aussi forte que la défiance vis-à vis d'individus suspects ou peu scrupuleux. De plus, on comprend que Lydia n'est pas une pauvre femme sans ressources. Elle parle l'anglais, a des moyens financiers, pas énormes mais assez pour survivre avec son fils. Bien loin des clichés et furieusement en écho avec l'actualité en Ukraine. Un livre à lire absolument pour en finir avec les migrants, pour comprendre que chaque histoire est complexe et qu'un jour nous aussi, nous aurons hélas pas d'autres choix que celui de partir vers un ailleurs où notre sécurité sera assurée.


Biographie :

Jeanne Cummins est une romancière américaine née en 1974 à Cadix en Espagne d'une mère espagnole et d'un père américain. Elle même a épousé un migrant mexicain un universitaire recherché dans son pays. American Dirt est son quatrième roman qui a subi une controverse de la part de l'écrivaine et féministe mexicaine Myriam Gurba qui avance l'idée que Jeanine Cummins n'a pas la légitimité pour écrire des histoires mettant en scène des personnes issues d'autres communautés que la sienne. Mais le roman a fait l'objet de recherches très sérieuses de la part de l'auteure et elle n'a en aucun cas fait un plagiat quelconque. Americain Dirt a été un énorme succès Outre Atlantique.


Extraits :

  • En suivant les rails qui traversent la ville, elle est terrifiée à l’idée que quelqu’un les remarque, que le garde de la veille soit en route pour son travail à bord de son véhicule – est-ce que ces hommes font la navette pour aller travailler ? Si c’est comme ça que ça s’appelle ? Est-ce qu’ils embrassent leurs femmes et leurs enfants le matin, grimpent dans la berline familiale et partent pour une journée de viols et de chantages, puis reviennent le soir, épuisés et affamés, manger leur rôti de bœuf ?

  • La fuite de la violence et de la pauvreté, les gangs plus puissants que leurs gouvernements. Elle écoutait raconter leur peur et leur détermination, tout résignés qu’ils étaient à atteindre les Estados Unidos ou à mourir sous l’effort, parce que demeurer dans leur pays signifiait que leurs chances de survie étaient encore plus minces.

  • Le taux d'affaires criminelles non résolues au Mexique dépasse les quatre-vingt dix pour cent. L'existence d'une policia en tenue constitue un poids illusoire à l'impunité réelle du cartel. Lydia le sait. Tout le monde le sait.

  • Le seul bénéfice que procure l'état de migrant, d'avoir adopté aussi complètement ce déguisement, c'est une quasi-invisibilité. Personne ne les regarde, en fait les gens s'emploient à ne pas les regarder.

  • Il est donc bien là. Le réservoir de chagrin qui se remplit, intense et profond sous la meurtrissure, la preuve que son humanité est toujours présente, intacte. Il faut qu'elle l'enterre de nouveau, c'est trop tôt pour le laisser s'exprimer.

  • Elle songe à quel point les migrants doivent faire preuve de capacité d'adaptation. Ils sont obligés de changer d'avis, chaque jour, chaque heure. Et de ne s'entêter que pour une seule chose : survivre.

  • Les différentes façons de mourir à bord de "la Bestia" sont plus épouvantables les unes que les autres : vous pouvez être écrasé entre deux wagons quand le train emprunte une courbe. Vous pouvez vous endormir, tomber du toit, être aspiré sous les roues, avoir les jambes sectionnées (…) Pour finir il y a la violence ordinaire omniprésente : on peut mourir battu, poignardé, à moins qu'on vous tire dessus. Le vol est évidemment à prévoir. Les enlèvements en vue de rançon sont monnaie courante. Les kidnappeurs torturent souvent leurs victimes pour mieux persuader la famille de payer. Dans les trains, les uniformes représentent rarement ce qu'ils sont censés représenter. La moitié des gens qui se prétendent migrants, "coyotes", ingénieurs des chemins de fer, ou membres de la migra travaille pour le cartel. Tout le monde touche des pots-de-vin.


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