jeudi 25 août 2022

Gilda PIERSANTI – Illusion tragique – Poche Pocket - 2018

 

L'histoire

Un jeune garçon qui trouve la mort en étant projeté d'un pont à Rome. Une écrivaine célèbre qui réussit à tuer son mari en commettant le crime parfait. Un drôle de type qui est amoureux fou d'une poupée gonflable. Où est le faux, où est le vrai. Ce polar passionnant de Gilda Piersanti vous emmènera jusqu'à la dernière phrase au bout d'un suspense bien mené.


Mon avis

Lire Gilda Piersanti, cette romaine installée à Paris et qui écrit directement en français est un pur régal. Après la série des Bleu Catacombes, Jaune Caravage, Rouge abattoirs et Vert Palatino qui mettent en scène 2 inspectrices aux caractères bien trempé, nous retrouvons ici un petit polar à l'intrigue particulièrement originale. Mais où- va-t-elle chercher tout cela ?

L'auteure mène le lecteur par le bout du nez dans ce roman labyrinthique et original, qui, dès le deuxième chapitre bascule. Quel lien unit Mario et Elisabetta ? Que cherche à nous dévoiler l'auteure qui couche sur papier ses souvenirs ? Deux intrigues qui s'entremêlent dans ce récit sombre à l'ambiance oppressante et pesante. Ici, Piersanti dissèque avec justesse l'enfance et ses blessures et apporte une certaine réflexion sur le métier d'écrivain, sur la frontière entre la fiction et la réalité et le rapport lecteur/auteur. Des révélations inattendues, une intrigue captivante, une narration habile et des personnages complexes font de ce roman une lecture singulière, surprenante et sombre. Totalement addictif, il faut lire Piersanti qui s'est imposée, à juste titre comme une écrivaine de talent. Tous ces polars passionnants sont disponibles en poche.


Extraits :

  • Autrefois, sa mère lui avait révélé ce qu'elle appelait 'le secret des femmes' : 'On croit que, par nature, nous sommes plus fidèles que les hommes, mais il n'en est rien. C'est que, généralement, nous nous satisfaisons de nos rêves et que nous ne passons pas à l'acte. Mais nous rêvons constamment d'une autre vie, ne t'y trompe pas ! Celles qui ne sont pas infidèles s'inventent des passions et couchent chaque nuit avec un homme différent. Et puis, il y a celles comme moi qui ont compris que mieux vaut s'offrir des passions réelles et remplacer par des feux nouveaux ceux qui se sont éteints. Comme le font les hommes.'
    C'était la vie que sa mère s'était choisie. Mais son père ne voyait pas les choses de la même manière : le jour où il l'avait surprise avec un voisin, il avait décroché son fusil de chasse.

  • Je n'avais pas conscience, cette nuit-là, que j'avais pris l'habitude de glisser du monde de mes romans à celui de ma vie sans plus percevoir les limites du passage. J'ignorais que j'avais gommé toute frontière entre la fiction et le réel. Corrompue par le va-et-vient des histoires que j'inventais depuis des décennies, je me croyais maîtresse du temps et des événements et ne faisais plus la distinction entre ma vie rêvée et ma vie réelle.

  • On dit que les mots ne comptent pas, que seuls les actes comptent. En ce qui me concerne, ce sont toujours les mots qui, d'une manière ou d'une autre, ont déterminé mes actes.

  • On vit constamment dans le faux sans le savoir, on s'accommode d'une illusion qui répond à la perfection à ses fantasmes et qui permet d'éviter de faire face à la réalité.

  • Le pouvoir n'est souvent qu'une question de forme : il suffit d'en prendre la posture pour s'en sentir investi.

Biographie

Née à Tivoli en 1957, Gilda Piersanti est une écrivaine française de romans policiers.
Née en Italie, Gilda Piersanti habite à Paris depuis vingt ans.
Elle reste un an à l’Ecole d'Architecture de Rome et obtient un doctorat en Philosophie (thèse sur l'esthétique de Baudelaire). Elle exerce l'activité de critique littéraire, traduit des œuvres de la littérature française et est commissaire pour deux expositions concernant Constantin Guys et Charles Meryon.
Elle se consacre exclusivement à l'écriture depuis 1995. Son premier roman, "Rouge abattoir" (2003), a été adapté pour France Télévision sous le titre "Hiver rouge" (2011), un film de Xavier Durringer, avec Patrick Chesnais et Jane Birkin. "Bleu catacombes" en 2007 reçoit les Prix du Polar Méditerranéen 2007, Prix SNCF du polar européen 2007. Le roman est adapté pour France Télévisions, avec Patrick Chesnais et Jane Birkin.
Elle est aussi l’auteur d’un roman intitulé "Médées", dans lequel elle réinterroge à la faveur d’une intrigue très contemporaine le mythe de Médée, la mère infanticide.
"Illusion tragique" reçoit, en 2018, le Prix Méditerranée Polar et le Prix des lecteurs Quais du polar/20 minutes.

Nota : je n'ai pas trouvé excellentes les adaptations télévisuelles qui sont transposées à Paris. Alors que chaucun des 4 romans ont pour thème un quartier de rome. De plus le personnage de Mariella De Luca ne correspond pas non plus à l'inspectrice déterminée des romans.



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mercredi 24 août 2022

Tony Hillerman – Le vent qui gémit – Rivages noir - 2006

 

L'histoire

L'agent Bernadette Manuelito, de a police tribale navajo découvre un corps abandonné dans une voiture. Hélas elle ne respecte pas a scène de crime, les navajos ayant la mort en horreur. Mais très vite, bien qui mise à mal par ces supérieurs, elle va mener sa contre-enquête. Et retrouver la vraie scène de crime, dans un minuscule arroyo qui pourrait bien attirer les convoitises des chercheurs d'or.


Mon avis

Il est toujours agréable de lire ou relire un Tony Hillerman, surtout que celui-ci est paru en France deux ans avant son décès en 2008.

Familier de la culture navajo qu'il n'a cessé d'étudier et de louer, l'intrigue va se concentrer sur plusieurs points

Tout d'abord Fort Défiance, un fort militaire qui a « hébergé » les navajos lors de la longue marche, autrement dit le retour sur leurs terres ancestrales forcé par le gouvernement de l'époque.Ce fort a ensuite été un lieu de stockage d'armements militaires et d'essais d'armes, pour être abandonné et laissé en l'état, à l'abandon, après la guerre du Vietnam. Puis il y a eu les exploitation minières en Arizona et en Utah, massacrant les écosystèmes pour exploiter des mines de cuivre, plomb, uranium. Enfin il y a le mythe du « veau d'or » une légende qui mentionne la présence de gisements d'or dans la réserve. Plusieurs explorateurs l'ont affirmé dans le passé, avec des poussière d'or trouvées dans le sable des petit canyons.

C'est aussi le premier roman où l'écrivain met en scène la policière Bernie Manuelito, une navajo traditionaliste et attachée aux valeurs ancestrales du peuple. Épaulée par le sergent Jim Chee, par le lieutenant à la retraite Joe Lepahorn et sa colocataire Louisa (chercheuse à l'université), ils vont ensemble résoudre l'énigme à la mode navajo. Beaucoup de poésie et de tendresse pour l'écrivain qui nous fait à chaque fois enter un peu plus dans l'âme navajo.

Comme toujours, une carte et un lexique des mots navajo en fin de livre sont joints, car le lecteur américain, tout comme le lecteur français ignore les termes navajos.


Extraits :

  • On m'a appris que c'était une chose juste de posséder ce que l'on a. Mais si on commence à avoir trop, cela montre que l'on ne se préoccupe pas des siens comme on le devrait. Si l'on devient riche, c'est que l'on a pris des choses qui appartiennent à d'autres. Prononcer les mots "Navajo riche" revient à dire "eau sèche"

  • Quand le sergent Jim Chee sortit par la porte latérale du quartier général de la Police Tribale Navajo, il était d'une humeur compatible avec les conditions météo qui étaient exécrables.

  • Un aperçu de l'écriture de Ton Hillerman en anglais : As always, Leaphorn awoke at middawn before the edge of the sun rose over the horizon. It was a Navajo hogan habit, dying out now, he presumed, as fewer and feer of the Dineh slept in their bedrolls on hogan floors, went to bed early because of lack of electric lighting, and rose with the sun not only for the pious custom of greeting Dawn Boy with a prayer but because hogans were crowded and tradition made stepping over a sleeping form very bad manners.


Biographie

Né à : Sacred Heart (Oklahoma) , le 26/05/1925 et décédé à Albuquerque (Nouveau Mexique en 2008, Tony Hillerman est le fils d'un farmer il est le dernier de trois enfants. Il fait ses études dans une école de filles en raison d'une mesure exceptionnelle envers les enfants de farmer. Il finit ses études secondaires en 1942 et rejoins l'armée en 1943 pour combattre durant la Seconde Guerre Mondiale. Blessé il est décoré de la silver cross et du purple heart. Il est démobilisé en 1945.

Il rejoint l'université d'Oklahoma dont il sort diplômé en 1948. La même année il se marie. Le couple aura six enfants.
Il travaille comme journaliste de 1948 à 1962 pour différents journaux. Il obtient ensuite, une maîtrise en journalisme. Il deviendra enseignant dans cette matière de 1966 à 1987 à l'université d'Albuquerque .Son premier roman paraît en 1970. Ses romans se déroulent presque tous en territoire Navajo. Il est décédé d'un cancer.



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Patricia CORNWELL – Monnaie de sang – livre de poche - 2014

 

L'histoire

Quand Kay Scarpetta trouve 7 pièces de monnaies dans son jardin, elle sait que quelque chose ne tourne pas rond. Quelques minutes après c'est un meurtre commis dans son quartier qui va éveiller ses soupçons et son intérêt. D'autant qu'il est difficile d'expliquer le tire et la munition. Comme a son habitude, pour résoudre le mystère, la célèbre spécialiste en médecine légale va pouvoir compter sur ses proches pour résoudre le mystère.


Mon avis

L'Agatha Christie du Massachusetts. Ainsi pourrait-on qualifier Patricia Cornwell dont les intrigues mêlent technologies de pointe et personnages familiers. Il y a l'enquête, menée par son équipe ou des experts amis, et puis il y a aussi le petit monde dans lequel vit le docteur le plus célèbre des USA. On y retrouve son mari, un ancien agent du FBI à la retraite, sa sulfureuse nièce Lucy petit génie de l'informatique, et Marino le policier aussi bourru que borné.

Cela se lit tout seul, pas d'effets de style, mais une intrigue qui passe surtout par les longues investigations des équipes scientifiques, ce qui est au cœur des romans de l'auteure, et puis le dénouement, arrive en fin de livre, assez inattendu.

Ici Cornwell s'attaque aux politiciens corrompus, qui font régner leurs lois propres et leurs petites magouilles visant à blanchir de l'argent sale.

Dans le genre polar sympa de l'été, vous aimerez le livre qui est assez addictif. Ce n'est pas le polar de l'année, mais on l'avale quand même, même si on sait qu'il faudra une suite. (Inhumaine parue au Livre de poche).


Extraits :

  • Marino : J'veux dire que vous vous montriez plus clinique, avant. Quand on a commencé à bosser ensemble. Vous étiez un peu froide et impersonnelle. - Scarpetta : Je préfère considérer cela comme un compliment. […] Je répète son commentaire comme s'il m'avait amusée, bien que tel ne soit pas le cas - Froide et impersonnelle. - Marino : J'avais précisé un peu.- Scarpetta : Scarpetta : Et vous avez attendu tout ce temps avant de m'avouer cela ? - Marino : Non, je l'ai déjà dit, même derrière votre dos. Vous avez changé. - Scarpetta : J'étais aussi épouvantable à cette époque ? - Marino : Ouais, et j'étais un vrai connard. On s'était bien trouvés.

  • La mort subite est rare. La rupture de la vertèbre cervicale C2 peut être une de ses causes. Ce genre de dislocation est souvent constaté lors de pendaisons avec importante chute préalable du corps, du haut d’un pont ou d’un grand arbre, par exemple. Il se rencontre aussi dans les accidents de voiture ou de plongée, une hyperflexion du rachis cervical lorsque la tête heurte avec violence le tableau de bord ou le fond d’une piscine. Si la moelle épinière se rompt, le cœur et les poumons s’arrêtent immédiatement de fonctionner.

  • Il est faux de dire que l'on ne nous impose jamais plus que nous n'en pouvons supporter. A ceci près que ce n'est pas imposé. Cela survient, rien d'autre.

  • Mais qu'est-ce qui déconne avec les gosses d'aujourd'hui ? Plus personne ne les élève. Ce serait le mien, je lui botterais le cul.
    Je me dispense de lui rappeler que son fils unique, Rocco, aujourd'hui décédé, avait fait du crime sa profession. Marino lui a pas mal botté les fesses, avec le résultat que l'on a pu constater.

  • Le soleil filtre par les vitraux français qui se trouvent au-dessus de chaque palier. Ses rayons illuminent les scènes de vie sauvage qui scintillent comme des joyaux. Les rouges et les bleus vivaces ne m’inspirent pourtant aucune joie ce matin. Ils m’évoquent au contraire des gyrophares de véhicules d’urgence.

  • En réalité, il est impossible de suivre toutes les innovations qui voient le jour en matière de logiciels malveillants, ceux qui enregistrent les frappes de clavier pour les expédier à des pirates. Tu ouvres un simple fichier joint à un mail et tu te retrouves contaminée. Difficile de se concentrer lorsque tu me fais des trucs comme ça…


Biographie

Née en 1956 en Floride, Patricia Daniels est une descendante de Harriet Beecher Stowe, l'autrice de La Case de l'oncle Tom. Après l'obtention de son diplôme, au Davidson Collège (Caroline du Nord), Patricia Cornwell épouse son professeur d'anglais, Charles Cornwell le 14 juin 1980. Celui-ci devient pasteur après avoir quitté l'enseignement. Ils divorcent peu après, en 1988.

Patricia Cornwell poursuit sa carrière de journaliste en se spécialisant dans les faits-divers criminels et les armes à feu. Puis, elle occupe un poste d'informaticienne à l'Institut médico-légal de Richmond en Virginie ; elle s'inspire de la directrice de la morgue pour créer le personnage de "Postmortem", Kay Scarpetta.
Ce livre obtient de nombreux prix : le Dagger Award, le Macavity Award, l'Anthony Award et le très envié Edgar Poe Award. En 1992, en France, il obtient le Prix du Roman d'Aventures. Dès lors, Patricia Cornwell s'attache à faire vivre de nombreuses histoires à son héroïne et écrit une autre série, en parallèle, mettant en scène Judy Hammer et Andy Brazil.
En 2004 -2005, alors qu'elle réside dans le Massachusetts, état qui autorise les mariages homosexuels, elle épouse Staci Gruber, une neurologue réputée de Harvard.


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vendredi 19 août 2022

Berengère COURNUT – Née contente à Oraibi – Éditions Le tripode - 2019

 

L'histoire

Tayatitaawa (nom que l'on peur traduire par celle qui salue le soleil en riant) est née au sein du clan du Papillon à Oraibi, un petit village qui se situe sur la 3ème mesa au nord- est de l'Arizona. Élevée dans les traditions de son camps, cette petite fille sauvageonne a le goût des aventures et de la liberté. Comment trouver sa place dans le monde fermé des hopis et dans le monde tout simplement ? C'est l'enjeu de ce fabuleux romans.


Mon avis

Comme je une passionnée par les Amérindiens, mon avis sera forcément subjectif. Mais par essence même une critique littéraire est subjective. On peut analyser le texte avec les outils rationnels qui nous sont enseignés, mais notre ressenti devant un livre dépendra de notre personnalité, notre culture, nos influences.

Avec Tayatitaawa, cette jeune fille hopi que nous suivons de son enfance à sa majorité (18 ans), la majorité chez les hopis se fait à la première menstruation, nous allons vivre un voyage extraordinaire. Et aussi pénétrer dans la culture pourtant assez opaque des hopis, indiens pueblos, qui vivent de la culture des mais (il existe de nombreuses variétés), de la courge, les haricots noirs) et ont quelques troupeaux de chèvres. Le village où vit la jeune hopi est en déclin. Les maisons perchées et entassées sur la mesa se vident peu à peu. Les jeunes préfèrent la vie en ville, où les conditions de vie sont meilleures. Où la vie dans d'autres clans, plus riches et plus prestigieux comme le clan des Ours sur la 2ème mesa dont est issu son père, un homme silencieux, dont on sait qu'il a fait avant d'épouser sa mère un long voyage. Ce père trop vite disparu était un homme sage, un conteur à ses heures et surtout très tolérant envers sa fille un peu rebelle.

Tayatitaawa bien qu'élevée dans la traditions (le respect des ancêtres et des aînés, les fêtes qui rythment les saisons, ne fait rien comme les autres jeunes filles de son âge. Elle n'est pas pressée de se marier (le mariage est libre et non pas arrangé et est une cérémonie importante dans la vie de la femme. Les hopis sont une société matriarcale et exogame (chercher un mari hors du clan), mais la situation des femmes est paradoxale. Si la cheffe du village est une femme, souvent la plus âgée ou la plus sage, les autres ne participent pas aux cérémonies religieuses courantes, qui se passent dans des pièces souterraines appelées kiva, et où les dieux sont représentés par des kachinas (qui donneront les fameuses poupées hopis qui sont aujourd'hui pour les hopis qui vivent encore dans les 3 mesas une source non négligeable de revenus).

Si les hommes hopis sont destinés au tissage, à l’agriculture ou à la surveillance du bétail. Les femmes s’occupent de la maison, de la nourriture, d'aller chercher l'eau parfois à des heures de marche, et sont spécialistes selon les clans en poterie et en vannerie.

Mais surtout, nous assistons à la guérison de la jeune fille qui se plaint de mal de dos. A travers des pratiques chamaniques, les femmes et hommes-médecines soignent par les plantes, mais aussi par l'interprétation des rêves. Bien avant le courant des médecines douces et de l'herboristerie, bien avant Freud, les chamans savaient guérir dans une médecine holistique inspirée par leur propre mytholigie. C'est le prix à payer pour gagner sa liberté et fuir une vie qui serait monotone pour la jeune fille curieuse du monde.

La réserve Hopf est située dans la grande réserve Navajo et est gérée par elle. Mais les hopis sont un peuple discret, qui préserve encore aujourd'hui ses traditions.

A noter que l'édition propose un cahier de photos, issues des archives, qui nous permet de nous rendre compte de l'extrême pauvreté de ce peuple, mais qui a en lui une richesse intérieure sublime.

Galerie Photo 







 

 
danse rituelle, jeune fille hopi avec sa coiffure macaron qui indique qu'elle veut se marier et sa mère, kachinas, maman et son enfant, le village d'Oraibi, poterie et tissage en feuille de yuca et troisième  mesa où se situe Oraibi.


Extraits :

  • Il était maintenant midi. Le soleil tapait fort, il valait mieux prendre un peu de repose avant la danse publique. Nous aurions pu chercher les membres du clan de l’Ourse parmi la foule, mais ma mère préférait rester discrète. Elle ne souhaitait pas voir la famille de mon père tant qu’elle n’était pas sûre que son fils allait bien. Patangwupööqa a proposé que nous trouvions refuge chez son frère de la Citrouille. Cet homme et sa femme nous ont accueillis avec beaucoup de gentillesse, nous offrant abondamment à boire et à manger.

  • Les quatre anciens ont rappelé que, pour un un clan fragile comme le nôtre, l'urgence était de ne pas péricliter. Il fallait que nos familles puissent vivre dans une certaine prospérité. Pour cela, il fallait veiller à ce que chacun se conduise en bon Hopi, selon des principes de vie mesurés, afin d'éviter maladies et mauvaises récoltes. Bien guidé, le clan du Papillon pouvait se maintenir, voire se renforcer ; laissé en friche et en errance, il courait le risque de disparaître.
    Avec une pointe

  • « Alors comme ça, tu voyages dans la Maison des morts ?» Je ne savais pas trop quoi répondre : étais-je vraiment venue ici de mon plein gré ? Et qu'étais-je censée y faire ? Comme s'il avait entendu mes interrogations, Màasaw a dit : «En passant d'un monde à l'autre, tu ne fais rien d'autre que ce qu'on fait tes ancêtres au moment de l'Émergence, puis des migrations. Tu es jeune, tu n'es sans doute qu'au début de ton voyage et nous sommes là pour te guider, si tu le souhaites.» Mon seul souhait pour le moment aurait sans doute été de revoir mon père et de lui parler. Toujours comme s'il m'avait entendue, Màasaw a précisé : «Si tu décides de rester ici, tu ne devras chercher personne. Celui qui a été ton père ou n'importe qui de ta famille dans l'autre monde ne te sera plus rien dans celui-ci. De même que tu passes toi-même des frontières, il faut accepter le voyage des âmes et des esprits.»

  • Selon lui (le père de Tayati), dans l'existence, il y avait un temps pour agir en commun et un temps pour se faire sa propre expérience du monde. Contempler les animaux, les roches et les végétaux pour les comprendre était un devoir au moins aussi important que celui d'honorer les esprits, et en tout cas plus noble que de surveiller ses voisins.

  • Le papillon est fragile, il ne faut pas tenter de le retenir quand il a envie de s’envoler.

  • L'inquiétude ne doit pas devenir superstition. Entendre une chose mauvaise ne veut pas dire qu'elle s'est produite ou qu'elle se produira. Redouter la méchanceté est légitime, mais refuser d'écouter les peurs de ses frères et une faute.


Biographie

Bérengère Cournut (née en 1979 à Asnière ) est correctrice dans la presse et l’édition et écrivaine française.
Un temps secrétaire du traducteur Pierre Leyris, dont elle accompagne les œuvres posthumes chez l’éditeur José Corti (Pour mémoire, 2002 ; La Chambre du traducteur, 2007), elle publie son premier roman, "L’Écorcobaliseur", en 2008.
Elle a publié trois livres aux éditions Attila et deux plaquettes de poésie à L’Oie de Cravan, où elle déploie un univers littéraire onirique empreint de fantaisie langagière.
Elle est également auteure de "Palabres" (Attila, 2011), publié sous le pseudonyme Urbano Moacir Espedite en collaboration avec Nicolas Tainturier (ils apparaissent en page de couverture comme "traducteurs du portugnol").
Enfin, elle publie en 2016 un roman intitulé "Née contente à Oraibi" (Éditions Le Tripode) inspiré d'un voyage qu'elle a fait sur les plateaux de l'Arizona, à la rencontre de la tribu amérindienne des Hopis.



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Sur les hopis

mercredi 17 août 2022

Henry-David THOREAU – Walden ou la vie dans les bois – Totem poche N° 78 – éditions 2017 (existe aussi chez d'autres éditeurs).


 

L'histoire

En 1845, Henri David Thoreau part vivre 2 ans dans une cabane qu'il a construire, à 50 km de Concord (actuel Massachusetts). Il fera des aller-retours à Concord mais vivra en autarcie et entouré de la nature.

Surtout il méditera sur la vie humaine, la place de l'homme dans cette jeune société américaine.


Mon avis

Ce grand classique de la la littérature américaine n'a pas pris une ride. Bienévidemment, il faut le remettre dans son contexte, de 1845, où les USA étaient encore en pleine colonisation.

Mais Walden, par son écriture (que l'on pourrait dire maniérée mais c'est ainsi que l'on écrivait à l'époque pour les jeunes lecteurs) est aussi un texte fondamental. Il prédit le mouvement écologiste actuel et aussi le courant de « nature writing » qui influencera de plus en plus de jeunes auteurs. Le nature wrtiting consiste à écrire des romans où la nature sauvage est la toile de fond de l'intrigue.

Il ne faut pas idéaliser Walden. Il n'a pas vécu en totale autarcie. Il reçoit des visiteurs, il se rend souvent à Concord, il trouve de l'aide. Ce n'est pas un aventurier total. Ce temps-là, il médite et surtout critique la société de son temps. Les bondieuseries, l'accumulation de biens aux dépens de la nature, l'utilisation des animaux (bœufs, chevaux) pour l'agriculture, les hiérarchies admises. Il n'est pas contre le travail, mais le travail productif (se nourrir, construire sa maison) mais à une échelle raisonnable, ce qu'il faut pour vivre simplement et heureusement.L'opposition chez Thoreau se fait entre le destructible et l'inépuisable. Il se considère comme pauvre, mais un pauvre heureux parce qu'il se débarrasse du superflu pour aller à l'essentiel de ce qu'il est (et qui vaut pour lui, il précise que c'est à chacun de chercher sa voie).

On ne peut pas dire que ce livre appartienne à un genre littéraire précis : tour à tour poétique, guide pratique, méditations intimes, pamphlet politique avec comme seule architecture littéraire les saisons. Increvable gentil anarchiste, il passera quelques jours en prison pour avoir refusé de payer ses impôts. Il a mis plusieurs années à peaufiner son texte, les traducteurs ont aussi eu beaucoup de mal à rester fidèle à son récit.


Extraits :

  • Mieux que l'amour, l'argent, la gloire, donnez moi la vérité. je me suis assis à une table où nourriture et vins riches étaient en abondance, et le service obséquieux, mais où n'étaient ni sincérité, ni vérité; et c'est affamé que j'ai quitté l'inhospitalière maison

  • Après une tranquille nuit d’hiver je m’éveillai avec l’idée confuse qu’on m’avait posé une question, à laquelle je m’étais efforcé en vain de répondre dans mon sommeil, comme quoi – comment – quand – où ? Mais il y avait la Nature en son aube, et en qui vivent toutes les créatures, qui regardait par mes larges fenêtres avec un visage serein et satisfait, sans nulle question sur ses lèvres, à elle. Je m’éveillai à une question répondue, à la Nature et au grand jour. La neige en couche épaisse sur la terre pointillée de jeunes pins, et jusqu’au versant de la colline sur laquelle ma maison est située semblaient me dire : En Avant ! La Nature ne pose pas de questions, et ne répond à nulle que nous autres mortels lui posions. Elle a, il y a longtemps, pris sa résolution. « Ô Prince, nos yeux contemplent avec admiration et transmettent à l’âme le spectacle merveilleux et varié de cet univers. La nuit voile sans doute une partie de cette glorieuse création ; mais le jour vient nous révéler ce grand ouvrage, qui s’étend de la terre droit là-bas dans les plaines de l’éther. »

  • Parfois, après une indigestion de société humaine et de commérages, ayant usé jusqu'à la corde tous mes amis du village, je m'en allais à l'aventure plus loin encore vers I'ouest que là où d'ordinaire je m'arrête dans des parties de la commune encore plus écartées "vers des bois nouveaux et des pâtures neuves", ou bien, tandis que le soleil se couchait, faisais mon souper de gaylussacies et de myrtilles sur Fair-Haven Hill, et en amassais une provision pour plusieurs jours. Les fruits ne livrent pas leur vraie saveur à celui qui les achète non plus qu'à celui qui les cultive pour le marché. Il n'est qu'une seule façon de l'obtenir, encore que peu emploient cette façon-là. Si vous voulez connaître la saveur des myrtilles, interrogez le petit vacher ou la gelinotte. C'est une erreur grossière pour qui ne les cueillit point, de s'imaginer qu'il a goûté à des myrtilles. Jamais une myrtille ne va jusqu'à Boston ; on ne les y connaît plus depuis le temps où elles poussaient sur ses trois collines. Le goût d'ambroisie et l'essence du fruit disparaissent avec le velouté qu'enlève le frottement éprouvé dans la charrette qui va au marché, et ce devient simple provende.

  • Fais en sorte que gagner ta vie ne soit pas ton métier, mais ton loisir. Jouis de la terre, mais ne la possède pas. C’est par manque d’entreprise et par manque de courage que les hommes se trouvent là où ils sont, à acheter et à vendre, et à passer leurs vies à trimer comme des serfs.

  • Aimez votre vie, aussi pauvre soit-elle. Il est possible de connaître des heures plaisantes, palpitantes, somptueuses, même dans un asile de pauvres. La lumière du couchant se reflète de façon tout aussi éclatante dans les fenêtres de l'hospice que dans celles du manoir.....

  • La plupart des luxes, et beaucoup de ce qu’on appelle les conforts de la vie, ne sont pas seulement non indispensables, mais constituent de véritables entraves à l’élévation de l’humanité.

  • Les livres doivent-être lus avec les mêmes concentration et circonspection que celles avec lesquelles ils furent écrits. Les livres sont le trésor précieux du monde, et le digne legs des générations et des nations.

  • L’opinion publique est un tyran bien faible comparée à l’opinion personnelle que nous avons de nous-mêmes. Ce qu’un homme pense de soi, voilà ce qui détermine, ou plutôt oriente, sa destinée.

  • A l’état sauvage toute famille possède un abri valant les meilleurs, et suffisant pour ses besoins primitifs et plus simples ; mais je ne crois pas exagérer en disant que si les oiseaux du ciel ont leurs nids, les renards leurs tanières, et les indiens leurs wigwams, il n’est pas dans la société civilisée moderne plus de la moitié des familles qui possède un abri. Dans les grandes villes et cités, où prévaut spécialement la civilisation, le nombre de ceux qui possèdent un abri n’est que l’infime minorité. Le reste paie pour ce vêtement le plus extérieur de tous, devenu indispensable été comme hiver, un tribut annuel qui suffirait à l’achat d’un village entier de wigwams indiens, mais qui pour l’instant contribue au maintien de sa pauvreté sa vie durant.

  • J’avais dans ma maison trois chaises : une pour la solitude, deux pour l’amitié, trois pour la société.

  • La nature est aussi bien adaptée à notre faiblesse qu’à notre force. Le composé d’anxiété et de tension que certains éprouvent perpétuellement ressemble fort à une maladie incurable. Nous sommes poussés à exagérer l’importance du travail que nous accomplissons; songeons pourtant à tout ce qui est fait par d’autres et non par nous! Ou bien encore à ce qui se serait passé si nous avions été malades.

  • Soyez un Christophe Colomb pour des continents et des mondes entièrement nouveaux situés à l'intérieur de vous-mêmes, ouvrez de nouvelles voies navigables, non pas pour le commerce, mais pour la pensée.

  • Nous avons besoin de l’effet tonique de la Nature sauvage (…). Nous ne pouvons jamais avoir notre content de Nature. Nous devons nous régénérer à la vue de l’inexhaustible vigueur, à la vue des paysage vastes et titanesques - le bord de mer et ses épaves ; les terres sauvages et leurs arbres, les vivants comme ceux qui sont en voie de putréfaction ; les nuages d’orage et la pluie qui tombe pendant trois semaines en entrainant des crues. Nous avons besoin de voir nos propres limites transgressées, et que des formes de vies paissent librement en des lieux où nos errances ne nous mèneront jamais. J’aime voir que la Nature regorge de tant de vie qu’elle peut se permettre d’offrir des sacrifices par myriades, et de laisser des animaux se manger les uns les autres ; (…) Tout cela produit sur l’esprit de l’homme sage une impression d’innocence universelle. Le poison n’est finalement pas vénéneux, et les blessures ne sont jamais fatales.

  • Des millions d'individus sont assez éveillés pour effectuer un travail physique; mais seulement un sur un million est assez éveillé pour accomplir un effort intellectuel couronné de succès, un sur cent millions seulement est voué à une existence poétique ou divine. Etre éveillé, c'est être vivant.

  • La vraie moisson de ma vie quotidienne est quelque chose d'aussi intangible et d'aussi indescriptible que les teintes du matin et du soir. C'est un peu de poussière d'étoile, c'est un morceau d'arc-en-ciel que j'ai attrapé.

  • Soir délicieux, où le corps entier n’est plus qu’un sens, et par tous les pores absorbe le délice. Je vais et viens avec une étrange liberté dans la Nature, devenu partie d’elle-même.


Biographie

Henry David Thoreau (1817-1862) naît à Concord, dans le Massachusetts. À l’âge de vingt ans, il rencontre Ralph Waldo Emerson, qui devient son mentor et l’initie au transcendantalisme. Thoreau se retrouve à merveille dans ce mouvement de pensée pour lequel la proximité avec la Nature revêt une dimension spirituelle. 

Dans ses écrits, Thoreau mène des réflexions sur la vie simple, loin de la société, prônant l’individualisme et une certaine forme d’oisiveté dans la communion avec la nature. «Poète-naturaliste», père de ce qui deviendra le nature writing, Thoreau est aussi un militant convaincu qui se bat notamment contre l’esclavagisme et prône la désobéissance civile - idée promise à un grand avenir. Sib ouvrage publié en 1849, « la désobéissance civile » inspirera Ghandi, Martin Luther King ou Nelson Mandela.

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dimanche 14 août 2022

Bernard FARINELLI – Les grands lointains – Éditions Le chant des pays/ Souny - 2016

 

L'histoire

Tristan, la quarantaine, vit et travaille comme trader dans une banque parisienne. Lors d'un dîner un peu trop arrosé, il se met à critiquer haut et fort la société de consommation actuelle, le système bancaire et les spéculations. La sanction tombe. On l'envoie pour 6 mois dans un coin paumé des Pyrénées, dans un village où il ne reste que 4 habitants et un château fort a moitié en ruines. Petit à petit il s'attache à ce coin perdu. Mais va-t-il revenir à la civilisation moderne ?


Mon avis

Un adorable livre sur la vie simple que prône son auteur. Un histoire simple aussi, où le personnage principal, Tristan, au caractère excentrique, va redonner vie à ce village perdu. Mais aussi retracer son passé, à travers les témoignages et les histoires de ces générations de campagnards qui ont vu leur village se dépeupler, les jeunes n'ayant plus le goût de l'agriculture dans un milieu montagnard hostile. Vous ne trouverez pas d'intrigues spécifiques, ni de fin non prévisible. Ici, on recueille le témoignage des anciens, ceux qui ont connu la Guerre, ceux qui vivent chichement et qui ne gaspillent pas.

A l'heure où nos forêts flambent, où les vagues de canicule se succèdent, voilà un ouvrage qui nous rappelle aussi le vivant, les terroirs et les savoir-faire abandonnés. Et un critique de la société de consommation qui gaspille, pour du futile, les ressources de la planète. Ce n'est certes pas un best-seller, mais un petit livre qui vous fera méditer, sans discours complexe sur nos modes de vies, bien mis à mal.

L'auteur prône la vie collaborative, l'entraide, le don autour de ce château dont il retrace l'histoire, siècle après siècles. La vie du hameau revit, des jeunes viennent s'installer avec leurs idées et mettre leurs compétences au profit ce hameau, dans un souci non pas d'un tourisme de masse, mais d'une société simple où l'on aime ce que l'on fait, et où l'on bâtit son destin.


Extraits :

  • Martial racontait sa vie par bribes. Vieux garçon d'une famille de 5 enfants, il avait succédé au père à l'âge de 14 ans. Il avait travaillé du matin au soir... Il côtoyait la sobriété par nécessité, avec à ses marges, la pingrerie paysanne. Il s'était loué pour gagner un peu d'argent, complétant les fruits de sa ferme. Il avait fait les cent tâches qu'un homme de l'époque devait avoir à sa panoplie : les travaux de la vigne, des champs, de la maison. Il avait emmagasiner un petit pécule, le même qui lui avait permis de prendre sa retraite à 70 ans, et de rester dans sa maison avec une maigre retraite. C'était la vie. Vieux garçon, il n'avait pas eu de compagnie et pas de descendance. Il vieillissait seul. Terriblement seul.

  • Quand il parvint au sommet de la côte méandreuse, le château imposa sa masse devenue immense Fatigue intense, ou effet lunaire, peu importe. Tristan était saisi à la gorge par une poignée de pierres, comme si il suffoquait. Le château était venu à lui et l'interpellait.

  • Tu as vu cette société ? On va rester sans plus rien de local. La seule vérité c'est l'économie chinoise, mais je m'en fous de tout cela, cela ne durera qu'un temps. Les gens se réveilleront aussi la-bas. On nous fait vivre dans une atmosphère de fin du monde, plus de nature, un climat fou, des intolérants dans tous les coins.

  • Quand je vois toute la foule dans les rues ou le métro à la télé, j'ai peur. Je me dis que ce n'est pas humain, que je suis d'une autre civilisation, d'une autre galaxie.. La folie des villes tentaculaires, est -elle un progrès ? Prendre l'avion toutes les semaines ? Bouger sans cesse pour tout et rien ? C'est de l’esbroufe tout cela, c'est fait pour nous faire produire et consommer.

  • Si vous faites le compte de ce que coûte le progrès, vous vous apercevrez, primo, que beaucoup n'y ont pas accès, et, deuzio, ceux qui y arrive, travaillent pour le payer. Et ils sont bouffés par l'obstentation, mais il ne fait pas leur dire. De toutes façons, ils ne veulent pas entendre. Quant aux riches, ils s'en foutent. Ils ont tellement de fric que ce type de réflexion ne les concernent pas. L'essentiel c’est que les classes inférieures rentrent dans leur business.



Biographie

Né en 1953, Bernard Farine vit dans un petit hameau du bocage bourbonnais et travaille en Auvergne. Son métier : le développement local. Sa passion : l’écriture. Ses combats : l’environnement, la campagne, l’équilibre homme-nature. Il est titulaire d'un DEA de lettres et d'un DESS en économie et développement. - Romancier. - Cadre pédagogique au Centre national de la fonction publique territoriale (en 2000)


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samedi 13 août 2022

DOLORES REYES – Mangeterre - Éditions de l'Observatoire - 2020


 

L'histoire

« Mangeterre » est le surnom d'une jeune adolescente des favelas de Buenos-Aires. Nous allons suivre ses aventures surprenante pendant quelques années. Elle doit son surnom parce qu'enfant, elle mangeait de la terre, au grand dam de ces parents. Puis cela devient un besoin et après ce drôle de grignotage, la jeune fille a des visions : celui de personnes disparues, surtout des femmes battues et tuées à l'instar de sa propre mère, morte sous les coups de son père ? Mais ces visions s'accompagnent aussi de cauchemars, des femmes qu'elle n'a pu sauver, et des questions sur sa propre vie.


Mon avis

Pour ce premier roman, Dolorès Reyes crée un stupéfiant personnage de femme. Avaler de la terre et avoir des visions, cela peut être un don mais aussi une punition. Mange terre a ce besoin quasi vital de manger de la terre, puis elle accède non sans souffrances à voir le destin de personnes disparues ou de femmes battues. Après elle doit boire des litres d'eau et ne dort pas, en proie à de terribles cauchemars.

Très pauvre, vivant dans un taudis en compagnie de son frère protecteur, l'adolescente a fui l'école, et reste désœuvrée dans un quartier dangereux. A Buenos-Aires, et aux environs, les demandes affluent, et celle qu'on surnomme la sorcières accepte certaines demandes et trouve les disparus, souvent des femmes battues et tuées. Les féminicides sont un fléau en Argentine et la police ne semble pas très efficace pour retrouver les assassins.

Un roman court, fait de petits chapitres, mais à l'écriture efficace.

L'auteure fait appel aux croyances populaires dans la magie, encore très présente en Argentine, et aussi à l'importance de la Terre et de l'Eau, deux éléments assez proches du féminin selon la tradition.

Ce premier roman est assez déroutant, car si Mangeterre est une jeune fille de son temps, buvant trop de bières, fumant, s’accommodant de son sort, elle ressent en elle une profonde solitude et toute la violence du monde.

La fin est « ouverte », on ignore la suite du destin de la jeune fille, mais si l'on en croit la « Mae » (voyante), après ces épreuves terribles, sa vie devrait aller mieux, et surtout elle se trouve enfin et se choisit un prénom (l'importance du prénom ou du nom est aussi une tradition que l'on retrouve dans beaucoup de croyance : les nonnes catholiques changent leur prénom, mais aussi les Amérindiens qui ont un nom qui les qualifie).Ce premier roman est prometteur, on espère retrouver l'auteure dans de prochaines œuvres.


Extraits :

  • Assise sur le sol, j'ai passé la main sur la terre où j'ai planté le couteau et l'en ai retiré. ça m'a plu. J'ai refait ce geste, mais cette fois j'ai laissé le couteau, essayé de le bouge, d'écarter la terre pour l'ameublir peu à peu. La terre est forte mais n'a pas protesté.

  • Je garde dans mes cauchemars le son de cet endroit, un ramassis de douleur et de pestilence. Même le soleil me déroute, il saigne sur ma peau enflammée et mes yeux, brûlants comme si on y avait versé de l’acide, luttent pour ne pas pleurer. La douleur, un jaune poubelle, jaune fièvre, ou un gris tôle, un gris malade. Seule la douleur semble ne jamais mourir.

  • J'ai fermé les yeux et je l'ai vu.
    C'était comme si je revenais dans une nuit ancienne. Une nuit qui s'était consumée et n'existait plus et qu'on voyait de là, à ce moment précis, dans ma tête.

  • J'ai caressé la terre qui me donnait des yeux neufs, me permettait d'avoir des visions auxquelles j'étais la seule à accéder. Je savais combien les messages des corps volés sont douloureux.
    J'ai caressé la terre, serré le poing et soulevé dans ma main la clé qui ouvrait la porte par laquelle Maria et tant d'autres filles étaient parties, filles aimées, elles, de la chair d'autres femmes. J'ai soulevé la terre et avalé, toujours plus, beaucoup plus pour que naissent ces yeux neufs et que je voie.

  • Non, ça ne marche pas comme ça, ai-je lâché en tâchant de ne pas la regarder, de ne pas parcourir mentalement le temps sec, les années orphelines qui meurtrissaient mon corps comme du papier de verre frotté sur la peau, et qui avait fait que jamais une femme ne prononcerait le mot "fille" en s'adressant à moi. Je suis venue manger la terre de votre fille, lui ai-je dis en me levant.
    Et je suis sortie seule à l'air libre afin de récupérer une vie.

  • C'était comme si je revenais d'une nuit ancienne. Une nuit qui c'était consumée et n'existait plus et qu'on voyait de là, à ce moment précis, dans ma tête.


Biographie

Née en 1978 à Buenos-Aires, Enseignante , féministe et militante socialiste, Dolores Reyes vit à Caseros dans la province de Buenos-aires, en Argentine.
"Mangeterre" et son premier roman


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