L'histoire
1922. Le capitaine de police de l'Empire britannique, Wyndham, décide de se désintoxiquer de l’opium dont il est devenu dépendant. Sur les conseils des son médecin, il part pour un séjour de 10 jours dans un ashram spécialisé dans le traitement des addictions dans un village perdu de l'Assam. Le traitement est difficile, et Wyndham repense à sa toute première affaire à Londres alors qu'il n'était qu'un jeune officier de police. Et quand un résident de l'ashram est trouvé mort dans des conditions suspectes, notre capitaine va renouer avec un lointain passé.
Mon avis
Voici le quatrième roman de la série Wyndham, le célèbre capitaine de Sa Majesté dans l'Empire des Indes. Et aussi l'âge de raison pour le héros, qui a toujours aimé les bonnes choses de la vie : l'alcool, le tabac, les jolies femmes mais hélas l'opium dont il est devenu trop dépendant et qui pourrait nuire au reste de sa carrière.
L'âge de raison aussi pour son auteur qui délaisse un peu le coté humoristique qui est pourtant sa marque de fabrique au profit d'une histoire qui relie le passé de son héros à ce qu'il vit dans l'Ashram. Voila donc le capitaine parti pour les régions montagneuses de l'Assam, qui vit de production de thé, loin de son fidèle lieutenant Sat.
Le traitement n'est pas de tout repos, il s'agit de vider le corps par des breuvages hématiques, avec une alimentation de riz-lentilles bouillies et des tisanes. Fièvres, délires, mauvais sommeil, le traitement de moines hindouistes n'est pas de tout repos. Et voilà qu'un patient du centre est retrouvé mort, dans des circonstances qui semblent suspectes à notre fin limier. Quand il commence à retrouver un peu de santé, l'un des moines bouddhistes lui propose de s'installer à Jatinga, le petit village montagneux proche, où il n'y a pas grand chose à faire, à part le club so british fréquenté par les blancs de la bonne société. L'occasion est trop belle pour aller fouiner au sujet de ce mort et de succomber (chastement) aux charmes de la si jolie Emilie Turner, femme de l'homme d'affaires qui règne sur la région.
Mukherjee nous emmène aussi dans les bas fonds de Londres, en 1905, où un crime horrible à eu lieu. Si le tout jeune agent de police Wyndham comprend qui est le meurtrier, la police et les habitants ont un coupable tout trouvé en un homme de confession juive. A l'époque, l'exode des juifs chassés de Russie pour s’installer à Londres était mal perçu par le peuple, un racisme primaire et stupide. Et comme bien souvent, l'étranger est le bouc émissaire, et si les preuves directes implique le suspect, il n'en est pas moins l'objet d'une machination montée avec la complicité de la pègre locale. Malgré ses protestations le jeune agent comprend qu'il vaut mieux ne rien dire, sous peine d'être à son tour menacé, le jeune juif est pendu et un sentiment de culpabilité reste toujours enfoui dans la mémoire du capitaine. On sait que l'auteur se documente soigneusement avant d'écrire, et sa vision de Londres 1905 reste celle d'une ville coupée en deux, les beaux quartiers à l'ouest et près du port, les bouges où vivent la pègre locale, les migrants juifs qui travaillent dans le textile ou comme employés de maison, les pubs crasseux où l'on sert du whisky frelaté ou de la mauvaise bière dans des ruelles sales et véritables coupe-gorges. La pègre est en charge des basses œuvres qui vont l'enrichir, mais plus encore certains bourgeois si respectables en apparence. Bref toujours le même schéma récurrent.
Deux enquêtes pour le prix d'une et sous des airs de ne pas y toucher, l'auteur tacle la politique migratoire actuelle de la Grande Bretagne, son isolement en raison du Brexit. Néanmoins je regrette un peu dans cette histoire le manque d'humour si caractéristique de l’œuvre (mais il y a quand même des petites phrases bien senties) mais j'apprécie le travail d'horlogerie pour retrouver un passé lointain, qu'il soit londonien ou à ce que l'on appelait les colonies d'Inde. Tout comme la jolie prise de position contre toute forme de racisme, qui a guidé l'auteur dans sa démarche, au détriment du légendaire « fair-play » so british.
Extraits :
Avant les Juifs étaient venus les Irlandais pour échapper à la famine, et avant eux les Huguenots fuyant les guerres de religion. Il y a toujours eu quelqu'un pour fuir quelque chose et venir là sans rien parce qu'il n'avait pas le choix, et qu' une vie de manque vaut mieux que pas de vie du tout.
Il y a une raison qui fait que les jeunes idéalistes deviennent de vieux cyniques. C'est ce que l'on appelle l'expérience.
Alors qu'à l'évidence, les ennuis sont le plus souvent provoqués par des gens qui vous ressemblent et non par ceux qui sont différents. Peut-être est-ce pour cela que j'avais toujours été du coté du perdant. Certains me qualifiaient d'opposant. Je me trouvais simplement correct. Je jugeais donc écœurant qu'Harmsworth puisse vouloir faire de moi un complice pour répandre ses demi-vérités et ses informations déformées.
Nous sommes peut-être tous créés à l’image de la divinité, mais certains sont visiblement plus proches de l’original que d’autres.
S’attarder sur des histoires d’amour, comme admettre aimer la cuisine française, est une faiblesse plutôt répugnante et résolument non anglaise.
C’était aussi une ironie. Vous pouviez apparemment être poursuivi pour avoir dit la vérité à propos d’un homme riche, mais répandre mille calomnies sur les pauvres et en sortir indemne.
En fait, c’était pire avant leur arrivé. Mais les gens ne veulent pas l’entendre. C’est plus facile de rendre quelqu’un d’autre responsable de vos difficultés que de vous regarder dans la glace et voir la poutre dans votre œil. Et les torchons comme La Gazette sont ravis de fournir les cibles. Diviser pour mieux régner.
Nous sommes outragés à l'idée qu'un homme avec une teinte de peau différente puisse avoir la témérité de manger dans la même pièce que nous, en négligeant allègrement le fait que ce pays est le sien et que nous y sommes les étrangers.
Faute d'information sur eux je décide de m'en remettre à l'intuition naturelle de l'Anglais quant aux étrangers. Autrement dit, compter sur les préjugés ancrés et aiguisés pendant des générations.
Biographie
Née en 1974 à Londres,
Abir Mukherjee a grandi dans l’ouest de l’Écosse dans une
famille d’immigrés indiens. Fan de romans policiers depuis
l’adolescence, il a décidé́ de situer son premier roman à une
période cruciale de l’histoire anglo-indienne, celle de
l’entre-deux-guerres.
Premier d’une série qui compte déjà̀
quatre titres, "A Rising Man" (L’attaque du
Calcutta-Darjeeling) a été́ traduit dans neuf pays.
En savoir
plus :
Sur le roman
vidéos
Presse
Dans l'univers du roman
Sur l'antisémitisme en Grande Bretagne
https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_des_Juifs_au_Royaume-Uni
https://www.cairn.info/revue-revue-d-histoire-de-la-shoah1-1998-2-page-183.htm
Sur les problèmes raciaux en Grande -Bretagne
Sur la province d'Assam en Inde
Sur le suicide des oiseaux à Jatinga