jeudi 25 janvier 2024

Emilie ST JOHN MANDEL – la mer de la tranquilité – Rivages 2023

 

L'histoire

Un voyage dans le temps très poétique. Il commence en 1912 par l'exil forcé du jeune Edwin, aristocrate qui ne rentre pas dans le rang de la bienséance. Sur une île proche de Vancouver, il vit une mystérieuse aventure, il entend une mélodie de violons puis un bruit étrange qu'il n'identifie pas.

En 2020, Mirella, lors d'un concert entend aussi cette même étrange mélodie que l'on attribue à un compositeur contemporain quelque peu déjanté. Nous passons en 2203, ou une autrice, Olive, fait la promotion de son dernier livre, alors que la Terre a déjà installé 2 colonies sur la Lune et continue de chercher des espaces de vie dans l'Univers. Elle entend dans un taxi une chanson qu'elle ne retrouve pas malgré ses recherches. Intelligence artificielle a fait d'énormes progrès et peu de choses échappent aux humains. Elle vient d'écrire un livre tentant de retracer le passé de l'humanité, mais échoue a trouver des renseignements sur une mystérieuse île et sur ces habitants étranges au large de la Colombie Britannique. Puis nous passons à 2401 où l'humanité a conquis pas mal de planètes, et s'est installée surtout sur notre lune où deux communautés de scientifiques, et de chercheurs, écrivains ou autres artistes vivent tranquillement. Pourtant Zoey, qui appartient à l’Institut du Temps pour veiller à la cohésion de l'univers, entend elle aussi des sons étranges. Avec l'aide de son frère, ils vont tenter de remonter le temps.



Mon avis

L'un des gros succès littéraire de la rentrée est ce livre, où l'autrice s'invite dans la science-fiction. Mais ici pas de cauchemars orwelliens, juste une réflexion sur la nature humaine. Emily Mandel reprend d'ailleurs des personnages de ces derniers livres pour nous faire vivre une aventure qui ressemblerait bien à un monde parallèle.

Une théorie a émergé chez les transhumanistes de la Silicon Valley, théorie avec laquelle Emily St. John Mandel va s'amuser : Alors que vous êtes en train de lire cet article, puis que vous comptez aller vous reposer, ou préparer le repas, sortir le chien ou aller travailler, imaginez deux secondes, que vous ne soyez que le simple fruit d'une programmation informatique dans une sorte de vaste simulateur. Oui, et si nous vivions dans une simulation ? Qu'est-ce que l'existence dans ce cas ? Serait-ce si grave de vivre une pseudo vie dans une simulation si nous n'en sommes pas conscient ? « Si nous vivons dans une simulation, comment saurions-nous qu'il s'agit d'une simulation ? » Et comment vivre dans ces conditions si nous en avons l'intuition ?

L'auteure, d'une manière facétieuse, propose, pour répondre à cette question, d'éclater le monde en mille morceaux, de déchirer l'espace-temps, de croiser les histoires possibles avec grâce et poésie en une construction brillante mais sans rigueur et questionnement scientifique, car ce n'est pas son propos. Elle veut nous sensibiliser vers une quête de sens rationnel, aux dangers que peuvent prendre les progrès techniques, dans certains domaines, notamment ceux qui touchent à la morale. De même, elle se fait fine observatrice aussi des manipulations de masses, des peurs (elle revient sur la pandémie du Covid sans le citer mais qui semble aussi avoir donné au Monde un changement de perception). Ici on est plus proche d'un univers poétique, la science-fiction n'étant qu'un moyen. J'ai pensé au très beau film « la Jetée » de Chris Marker ou l'ambiance du film de Resnais « l'année dernière à Marienbad ». Les fans de livres de sci-fi pure et dure ne seront pas charmés je pense par de roman totalement atypique, plein de tendresse, et dont la fin éclaire le tout début ce qui est une jolie façon de conclure. Ici les mots et les dialogues sont totalement maîtrisés et font sens, et finalement c'est le possible futur de l'humanité que l'écrivaine canadienne effleure, un futur qu'elle aimerait doux et léger, loin des drames du monde. Finalement un très joli livre qui se lit facilement et qui nous emmène très loin, peut-être un peu sous une lune douce à peine ennuagée.

Nota : Pas la peine d'avoir lu ses romans plus anciens pour entrer dans ce nouvel opus, même si j'ai bien envie de les lire.


Extraits

  • Pour ma part, je suis convaincue que si nous nous tournons vers la fiction post-apocalyptique, ce n'est pas parce que nous sommes attirés par le désastre en soi, mais parce que nous sommes attirés par ce qui, dans notre esprit, risque fort de se produire.

  • Colonie Deux était apaisante par sa symétrie et son ordre. Parfois, cependant, l’ordre peut se révéler étouffant.

  • Jeune homme, déclara son père, nous n'avons fait qu'apporter la civilisation à ces gens... - Et pourtant, reprit Edwin, on ne peut s'empêcher de remarquer qu'ils semblent plutôt préférer la leur, en fin de compte. Leur propre civilisation, j'entends. Ils se sont très bien débrouillés sans nous pendant pas mal de temps, n'est-ce pas ? Plusieurs milliers d'années, si je ne m'abuse ?"
    "Pourquoi partons-nous du principe que ces contrées lointaines nous appartiennent ? - Parce que nous les avons gagnées, Eddie, déclara Gilbert après un bref silence. On peut supposer que les natifs d'Angleterre n'ont pas été unanimement ravis de l'arrivée de notre aïeul au vingt-deuxième degré, mais bon, l'Histoire appartient aux vainqueurs. - Guillaume le Conquérant, c'était il y a mille ans, Bert. Nous devrions quand même être capables de nous montrer un peu plus civilisés que le petit fils dément d'un pillard viking.

  • La première colonie lunaire fut construite sur les vastes plaines silencieuses de la Mer de la Tranquillité, à proximité de l'endroit où les astronautes d'Apollo 11 avaient aluni en un siècle reculé. Leur drapeau était toujours là, au loin, fragile petite statue sur la surface sans vent.
    L'immigration dans la colonie suscita un vif intérêt. La Terre était alors extrêmement surpeuplée et nombre de régions en avaient été rendues inhabitables par les inondations ou la chaleur.

  • Peut-être croyons-nous à un certain niveau que si le monde devait prendre fin et être réinventé, si quelque catastrophe inconcevable devait survenir, alors nous pourrions être réinventés, nous aussi, sous la forme de personnes meilleures, plus héroïques, plus respectables.

  • Nous ne savons toujours pas pourquoi telle personne tombe malade et pas telle autre, ni pourquoi tel patient survit tandis que tel autre meurt. La maladie nous effraie parce qu'elle est chaotique. Elle a quelque chose de terriblement arbitraire.

  • À Buenos Aires, Olive rencontra une lectrice qui tenait absolument à lui montrer son tatouage. « J’espère que vous ne trouverez pas ça bizarre », dit la femme en remontant sa manche pour révéler sur son épaule gauche une citation du livre – 'Nous savions que ça allait arriver' – tracée d’une belle écriture cursive.
    Olive en eut le souffle coupé. Ce n’était pas simplement une réplique de 'Marienbad', c’était un tatouage qui figurait dans Marienbad. Dans la seconde moitié du roman, son personnage Gaspery-Jacques avait cette phrase tatouée sur le bras gauche. Vous écrivez un livre avec un tatouage fictif et voilà que celui-ci prend corps dans la réalité ; après ça, presque tout semble possible. Elle avait déjà vu cinq tatouages semblables, mais c’était toujours aussi extraordinaire d’observer comment la fiction pouvait déteindre sur le monde et laisser une marque sur la peau de quelqu’un. – C’est incroyable, dit-elle dans un murmure. C’est incroyable de voir ce tatouage dans le monde réel. – C’est la phrase de votre livre que j’ai préférée, dit la femme. Elle est vraie dans tellement de domaines, n’est-ce pas ?

  • Si des moments qui se sont produits à des siècles différents viennent à se fondre les uns dans les autres, eh bien... d'une certaine manière, Gaspery, on peut considérer ces moments comme des fichiers corrompus.

  • Nous savions que ça allait venir mais nous avons agi de façon incohérente. Nous avons stocké des provisions - juste au cas où - mais nous avons envoyé nos enfants à lécole, parce que comment voulez-vous travailler avec les gosses à la maison ? (Nous raisonnions encore en termes d'activité professionnelle. Le plus choquant, rétrospectivement, est de voir à quel point, tous, nous étions à côté de la plaque.)

  • Cela fait un choc de se réveiller dans un monde et de se retrouver dans un autre à la tombée de la nuit, mais en réalité la situation n'est pas tellement inhabituelle. Vous vous réveillez mariée, et votre conjoint meurt dans le courant de la journée; vous vous réveillez en temps de paix, et à midi votre pays est en guerre; vous vous réveillez dans l'ignorance et, le soir venu, il est clair qu'une pandémie est déjà là.


Biographie

Née à Comox, Colombie-Britannique en 1979, Emily St. John Mandel est une romancière canadienne anglophone.

Elle passe son enfance sur l'île de Denman. Elle s'inscrit à une école de danse de Toronto, The School of Toronto Dance Theatre, puis vit un temps à Montréal, avant de s'installer à New York.
Elle est aujourd'hui mariée et vit à Brooklyn avec son mari et sa fille.

Son premier roman, "Dernière Nuit à Montréal" (Last Night in Montreal), a été finaliste du ForeWord Magazine's 2009 Book of the Year. "On ne joue pas avec la mort" (The Singer's Gun, 2010), son deuxième titre traduit en France, remporte le Prix Mystère de la critique en 2014. Son troisième roman, le premier publié au Canada, est "Les Variations Sebastian" (The Lola Quartet, 2012).
Elle publie en 2014 "Station Eleven", un roman dystopique se déroulant dans un monde post-apocalyptique après qu'un virus a ravagé la Terre.
Cela lui vaut des nominations aux PEN/Faulkner Award et Baileys Women's Prize for Fiction, ainsi que d'être finaliste du National Book Award 2014.
En savoir plus : https://fr.wikipedia.org/wiki/Emily_St._John_Mandel

Son site : https://www.emilymandel.com/



mercredi 24 janvier 2024

Ellery QUEEN – Le mystère des frères siamois - - Réédition chez Archipoche 2019.


 

L'histoire

Le célèbre inspecteur Queen, accompagné de son fil Ellery se retrouvent coincés en montagne, avec un départ d'incendie. Pour échapper aux flammes, ils continuent leur ascension pour finir par trouver refuge dans une étrange maison, celle du Docteur Xavier. Outre sa femme, peu aimable y séjournent d'étranges personnages. Quand le lendemain, leur hôte est retrouvé assassiné, les deux inspecteurs sont chargés par la police, mobilisée par le feu, de trouver le coupable.



Mon avis

Sous le pseudonyme Ellery Queen, se cachent Manfred B. Lee et Frederic Dannay, deux cousins de Brooklyn qui dépassés par leur premier succès en librairie ont dû se consacrer à l'écriture à plein temps.

Si vous aimez les polars style Agatha Christie, vous aimerez ceux des 2 cousins qui n reprennent tous les codes, avec un sens de l'horreur voir du malsain, en prime.

Le roman a été édité en 1933, et l'on y retrouve quelques clichés typiques : la femme hystérique, une riche jeune femme française Madame Carreau et ses deux fils qui sont siamois relié par le sternum et très gentils, le frère du docteur, une invitée. Mais on retrouve aussi un étrange homme à tout faire Bones (os) en anglais, un grand type peu aimable, un étrange Monsieur Smith, voyageur égaré et repoussé par le feu de forêt comme les deux enquêteurs, une cuisinière mutique.

Plus étrange encore, on découvre dans le cabinet médical que s'est fait construire le Docteur Xavier, des animaux (chats, souris, lapins) qui sont également siamois, fruit des expériences de ce médecin renommé en chirurgie. Hors certaines cages sont ouvertes et dans cette maison lugubre, se promène donc des « choses ».

Coupés du monde, il y a un assassin parmi ce petit monde, qui signe ses deux meurtres (celui du Docteur Xavier puis de son frère) en laissant dans leur mains une carte coupée en deux. Le 6 de pique pour le premier et un valet de carreau pour le second sont découverts mais sans empreintes digitales (la médecine légale en 1933 ne connaissait pas l'ADN et autres). Il va falloir toute l'intuition du fils et la logique du père pour trouver enfin l'assassin, alors que les flammes d'un incendie commencent à mettre sérieusement en difficulté les duo d'inspecteurs et les suspects.

On retrouve bien les codes du polar classique : milieu clos, nombre de suspects limités, deux Sherlock Holmes (dont l'un des personnages porte le nom), mais avec un goût du macabre et des références au roman de Lewis Carroll « Alice aux pays des merveilles », dont on se souvient du jeu de carte et de la terrible reine de carreau qui veut couper la tête à tout le monde. Or il y a une Madame Carreau dans la liste des suspects et reine en anglais se dit « Queen » comme Ellery qui se fie plus à son imaginaire qu'à une déduction logique. Ce n'est d'ailleurs pas le seul roman dans lequel Ellery fait référence à Caroll, même si il y a plus pour moi du Edgar A. Poe dans la façon de raconter l'histoire, dans le style policé et correct de l'époque.

A lire pour cette intrigue un peu à tiroirs, où l'atmosphère est de plus en plus anxiogène, heureusement compensée par les traits d'humour d'Ellery.


Extraits

  • Tu n’es pas sensible au pittoresque. Tu ne sais pas reconnaître la beauté des étymologies indiennes. Et puis, en plus, c’est drôle, parce que nos compatriotes qui voyagent se plaignent des noms « étrangers » comme ils disent : Lwow, Prague (pourquoi Pra-ha, je vous demande un peu !), Brescia, Valdepanas et même ces bons vieux Harwich et Leicestershire d’Angleterre. Et pourtant, ce sont souvent des mots d’une syllabe - Hum ! - Comparés à nos noms indigènes comme Arkansas, Winnebago, Scholarie, Otsego, Sioux City, Susquehanna et Dieu sait encore quoi... Ça, c’est un héritage ! Oui, m’sieu, ce sont des Peaux-Rouges tout peinturlurés qui ont hanté collines, là-bas, de l’autre côté de la vallée, et cette montagne là, qui va nous tomber sur la tête ; oui, m’sieu, des Peaux-Rouges en mocassins et peau de daim tannée, avec des cheveux tressés et plein de plumes de dinde. Et la fumée leur servait de signaux...

  • Et puis tout à coup, il vit le feu. Il eut d’abord l’impression d’être victime d’une illusion d’optique. Il lui sembla que ses yeux noyés de larmes découvraient une espèce de quatrième dimension et plongeaient leur regard dans un abîme infernal, au cœur d’un univers fantastique. Mais il se rendit bite compte qu’il arrivait au bord de l’incendie… cela craquait, éclatait, flamboyait en une conflagration monstrueuse et incandescente, qui changeait sans cesse de forme, telle une créature extraordinaire issue du rêve d’un fou. Les flammes semblaient mues par une intelligence infernale. Elles montaient, insidieuses, dévorant la broussaille et les branches mortes, dardant des espèces de langues qui rampaient, léchaient brutalement les taillis, puis se prolongeaient brusquement en tentacules qui s’emparaient des troncs desséchés et des basses branches, les faisant flamber en un éclair, et ne laissant ensuite que de longues traînées lumineuses dont le rougeoiement rappelait la lueur des tubes au néon. Une immense colonne de flammes venait ensuite, qui, avec une irrésistible férocité, consumait tout ce qui restait.

  • Cela vous ennuierait d’être baptisés Sherlock Holmes, docteur ? Dans certains milieux, ce serait considéré comme plutôt flatteur, vous savez ?
    - J’ai horreur des romans policiers.
    - Et bien, vous avez tort. Moi je les adore.
    - L’ennui, c’est leur atroce fatras médical. Un véritable amas de sottises. Ils pourraient tout de même se renseigner à des sources sérieuses. Mais pensez-vous ! Et quand ils mettent des Anglais dans leurs histoires, je veux dire quand c’est écrit par des Américains, ils les font parler comme des… comme… - Vous êtes mauvais public. Je me rappelle avoir lu un roman où on assassinait quelqu’un avec une bulle d’air injectée au moyen d’une seringue. C’était censé faire quelque chose comme une explosion coronaire. Or, il se trouve, comme vous le savez, que cela est mortel une fois sur cent, et encore ! Et bien, cela ne m’a pas empêché de lire ce livre avec plaisir.

  • On distingue trois types habituels de frères siamois. Il y a d’abord les pygopages qui sont joints par les région fessière ; dans cette variété-là, les reins des deux jumeaux communiquent. Ensuite, il y a les xilophages, ce sont des jumeaux unis par le sternum. Et pour finir, il y a ceux qu’on appelle le type côte-à-côte. Ils sont unis par le devant, c’est-à-dire que, dans leur cas, les foies communiquent et, naturellement, l’appareil circulatoire est commun.

  • Le monde est plein de gens bizarres qui font un tas de vilaines choses, et généralement il est bien difficile de dire pourquoi ils les font. Les êtres humains sont souvent inconséquents.

  • Chez les diabétiques, la rigidité intervient parfois pas plus de trois minutes après la mort. C’est dû à l’état particulier du sang.

  • J'ai le regret de vous faire connaître que l'incendie de forêt qui ravage la vallée où vous vous trouvez isolés, se développe en échappant à tout contrôle. Il n'y a plus aucune chance d’arriver à circonscrire le sinistre.

  • Tu avoueras que c’est tout de même un drôle de façon de finir des vacances. Des ennuis, rien que des ennuis ! J’en… J’en brûle de fureur. Je te jure, El, que tout ça me contrarie. C’est bien simple, ça me coupe l’appétit. - Eh bien, pas à moi, rétorqua Ellery avec un soupir. Je pourrais m’envoyer un bifteck de pneu avec des joints de culasse frits arrosé d’essence. Je crève de faim.

  • C’est le genre de choses qu’on trouve dans les romans policiers où il est question de sociétés secrètes et autres histoires abracadabrantes. Rien de tout cela dans la vie réelle.

  • Xavier avait été un praticien renommé, il avait même été un pionnier dans certains domaines inexplorés de la chirurgie, mais de là à l’imaginer comme un docteur Moreau du roman de Wells… Non, c’était ridicule !

  • L’assassin, outre son idée très médiocre de créer des indices invraisemblables que personne n’aurait été capable d’interpréter en temps normal, a commis une très grave erreur.

  • Le vol sans distinction de toutes sortes d’objets sans valeur, cela porte un nom, ça s’appelle la kleptomanie.


Biographie

Célèbre déchiffreur d'énigmes, Ellery Queen est lui-même longtemps resté un personnage mystérieux. On sait aujourd'hui que sous ce nom fameux se cachent Manfred B. Lee et Frederic Dannay, deux cousins nés en 1905 à New York (États-Unis), dans le quartier de Brooklyn.
Tous deux travaillent dans la publicité (Lee après son passage à l'université) quand, en 1928, ils participent pour s'amuser à un concours de romans policiers : Le Mystère du chapeau de soie remporte le prix et un tel succès que l'éditeur les engage à continuer d'écrire - Ellery Queen est né en 1929.
Peu après naîtra son homologue Barnaby Ross, qui produira une autre série de romans, réimprimés sous la signature d'Ellery Queen. Lee sous le nom de Queen, Dannay sous celui de Ross, le visage masqué, font des tournées de conférences dialoguées qui ont aussi un grand succès.
Ils créent leur second grand « détective » : Drury Lane. Ils fondent aussi en 1941 la revue Ellery Queen's Mystery Magazine qui publie les meilleures nouvelles policières. Entre les romans, les nouvelles, les anthologies, les deux cousins ont écrit plus de quatre-vingts ouvrages.
Manfred B. Lee est mort le 2 avril 1971. Frederic Dannay est quant à lui décédé le 3 septembre 1982.

En savoir plus ici : https://fr.wikipedia.org/wiki/Ellery_Queen



lundi 22 janvier 2024

Stéphane CARLIER – L'enterrement de Serge – Poche Pocket - 2023

 

L'histoire

Dans une petite ville à 80 km du Creusot, il va y avoir l'enterrement de Serge, le fils de Gilberte. La cérémonie promet d'être triste. Seules sont présentes, Arlette, la compagne de Serge, sa mère et une amie, la sœur bling-bling et son mari très près de ses sous ainsi que Garance, leur fille de 16 ans, scotchée à son portable.

Mais tout ne va pas se passer comme prévu.


Mon avis

J'avais beaucoup aimé le dernier Carlier « Clara lit Proust », celui-ci ne déroge pas à la règle, avec les portraits de toute une famille, un peu comme monsieur-madame, nous tous quoi. D'abord il y a le défunt Serge, qui a connu des déboires, de la prison et qui grâce à la rencontre d'Arlette, femme de ménage s'est assagit devenant chauffeur de bus scolaire. Ensuite comme au jeu des 7 familles, je demande la mère, une femme de 84 ans, en pleine forme qui outre une maison familiale au Creusot, possède un petit pavillon à Houlgate, et qui a une annonce à faire. La sœur du défunt est une femme désagréable, peu heureuse en ménage, avec un mari qui ne pense qu'à l'argent, surtout celui qu'il empoche, pas du tout celui qu'il doit dépenser. Elle le trompe d'ailleurs avec un homme dont on ignore tout si ce n'est qu'au moins elle s'éclate sexuellement.

Et puis il y a Garance, adolescente que ses parents « soûlent » et qui aimait bien son oncle là où ses parents le considéraient comme un minable, un raté. Un vieux compagnon en fauteuil roulant et les deux préposés funéraires, avec chacun une histoire viennent compléter le tableau.

Mais tout ne se passe pas comme prévu, l'inhumation est remise d'un jour pour cause de grève des employés du cimetière. C'est l'occasion pour la famille de régler quelques comptes, mais aussi de se ressouder grâce à tous les amis venus inopinément.

Comme toujours on retrouve chez Carlier ce mélange d'humour et de tendresse. Oui les personnages pourraient faire des parfaits clichés de ce qu'ils sont, mais non ils évoluent au fil des pages et le final réserve une bien jolie surprise à Arlette, cette femme de ménage simple, facilement méprisée ou ridiculisée.

L'auteur alterne entre les situations farfelues et son écriture si humoristique avec des moments de grande tendresse et de poésie. C'est tout cet humanisme joliment masqué par les mots qui me fait aimer cet auteur, dont les romans ne sont pas des chefs d’œuvre de la Littérature avec un grand L mais si plaisant à lire.


Extraits

  • La mort est le seul moyen d'échapper à ce cauchemar et, à vrai dire, il n'aura ni regrets ni trop d'hésitations : les satisfactions qu'il retire de l'existence sont insignifiantes à côté de l'horreur fondamentale qu'elle lui inspire.

  • Le père de Garance, le visage figé dans une grimace de constipé hémorroïdaire, décortique un document qui doit être sa facture.

  • Il est tombé amoureux. D'ailleurs, pourquoi on dit tombé ? On devrait dire monté puisque c'est ce qu'on ressent quand ça nous arrive. Il est monté amoureux, cette nuit.

  • La profession de croque-mort est à recommander aux personnes déprimées parce qu’être confronté chaque jour au malheur d’autrui est un moyen efficace d’échapper au sien.

  • Pourquoi les riches en veulent toujours plus ? Ça ne les rendra pas immortels. Surtout qu’on le sait bien, tous les anciens braqueurs vous le diront - et ce sont des gars qui ont brassé des millions d’Euros : le blé, c’est un mensonge qu’on se raconte à soi même. La vrai richesse, on l’a en se promenant en bord de Saône au début de l’automne, en sentant le parfum du forsythia dans l’air du soir, en faisant rire ou frémir un gamin à qui on lit une histoire. C’est dans ces moments là qu’on est vraiment puissant.

  • On est jeté dans cette vie comme un caillou au hasard et la suite dépend surtout de l'endroit où on est tombé.

  • Mais bon, la vie ne marche pas comme ça. Un homme dans la force de l'âge ne peut pas dire à une famille croisée sur une aire d'autoroute Prenez moi avec vous, je suis vraiment seul et vous ne m'inspirez que de l'amour. Quand on écrit un livre, oui, on peut s'approprier la vie des autres, c'est même encouragé. Mais, dans la vie, c'est plus délicat

  • Donc, ce que je voulais vous dire, c'est ça : les gens que vous aimez, n'attendez pas pour leur dire. Parce qu'après il est trop tard, on se retrouve à faire des listes à trois heures du matin et à les lire bêtement devant un cercueil.

  • La tendresse est probablement la chanson la plus triste du répertoire français. L'écouter dans un corbillard garé devant un cimetière, un lundi après-midi, sous un ciel menaçant, relevé de l'exploit. Ça pourrait faire l'objet d'une épreuve olympique.

  • Serge et son père. Ces deux-là, c'était comme le café et le dentifrice, ils n'allaient pas ensemble.

  • Une dernière chose ,qui n'a rien à voir .Je peux me tromper mais j'ai l'impression qu'il y a quelque chose entre ma mère et Mme Vilmotte. Vendredi,elles ont débarqué dans la chambre alors que je dormais .À mon réveil,elles regardaient par la fenêtre et il me semble qu'elles se tenaient la main.Je n'ai plus le temps de creuser la question mais si effectivement elles sont ensemble ,rassure Gilberte.Dis-lui ,s'il te plait,que rien ne pourrait me rendre plus heureux que de la savoir amoureuse.

  • Ses parents s’apprêtent à lui payer une école de dessin en plein cœur de Paris à neuf mille balles de frais de scolarité mais c’est Arlette qui est « trop cool » avec son clafoutis. franchement, y a des baffes qui se perdent.

  • Il n'en a rien fait, heureusement- depuis quand les maîtres de cérémonie funéraire donnent leur avis sur les prestations de la famille aux obsèques ?



Biographie

Né Argenteuil, Val d'Oise , le 31/08/1971, Stéphane Carlier est un écrivain français.
Après une hypokhâgne et une maîtrise d'Histoire à Paris IV, il est pigiste dans diverses rédactions parisiennes (France-Soir, Gala, L'Express).
En 1996, il entre au ministère des Affaires étrangères qui l'affecte aux Etats-Unis, où il passe dix ans (New York, Los Angeles, Palm Springs) puis en Inde, à New Delhi. A son retour, il passe deux ans et demi à Lisbonne avant de s'installer en Bourgogne, où il réside aujourd'hui.

Afin que son patronyme n'influence pas les éditeurs, il signe son premier roman Antoine Jasper et l'envoie par la poste, depuis Los Angeles, où il vit à l'époque. Sylvie Genevoix, alors éditrice à Albin Michel, est la première à le contacter.
Son troisième roman, Les gens sont les gens, paru en 2013, est sélectionné pour le Prix Orange du Livre. Les droits sont optionnés pour le cinéma, tout comme ceux des "Perles noires de Jackie O." et d'"Amuse-bouche".
Il envoie "Le Chien de Madame Halberstadt" aux éditeurs par la poste, sous le nom de Baptiste Roy. Quatre d'entre eux se montrent intéressés, dont le Tripode, qui le publie en 2019 avec un certain succès (17 000 exemplaires écoulés).
Son huitième roman, "Clara lit Proust" (également envoyé par la poste) est publié par Gallimard, dans la collection blanche, en septembre 2022. Fin janvier 2023, plus de 30 000 exemplaires sont écoulés et sept traductions en cours (Italie, Allemagne, Espagne, Brésil, Grèce, Roumanie, Bulgarie).




vendredi 19 janvier 2024

Masaro TOGOWA – Le pass-partout – Edition DENOEL – 2023 -

 

 

L'histoire

Dans les années 1950 à Tokyo, la résidence K est uniquement réservées aux femmes. Veuves de guerre, veilles femmes, 150 studios permettent une tranquillité et une sécurité dans le Japon d'après-guerre . Si certaines travaillent, la majorité reste quand même des femmes ayant dépassé la soixantaine, et qui pour beaucoup s'ennuient. Par sécurité une clé permet d'ouvrir toutes les habitations. Mais quand la clé disparaît mystérieusement, des petits ou grands secrets nous sont révélés.


Mon avis

Publié au Japon en 1962, ce polar à la sauce nippone vient d'être publié en traduction française pour la première fois, alors que son autrice, très célèbre au Japon est décédée en 2016.

Le passe-partout a des faux airs d'un roman d'Agatha Christie. Dans la résidence K, sept femmes vont retenir notre attention. Chacune a quelque chose à cacher ou jalouse une autre femme. Certaines sont riches, d'autres sont pauvres comme cette « Madame Algues », aux airs de mendiante et fouineuse qui se procure le passe-partout pour espionner une voisine qu'elle soupçonne du vol d'un violon de grande valeur. Et voilà que ce passe-partout passe de mains en mains chez les résidentes, permettent de découvrir des secrets ou de rétablir des vérités.

Le style est vif, concentré sur les faits, mais le véritable propos du roman est le sort de ses femmes vieillissantes, sans famille ou avec une famille trop éloignée, qui s'ennuient la plupart du temps. Elle doivent aussi composer avec les règles de l'établissement notamment ne pas recevoir de compagnie masculine ou prévenir d'une visite auprès des 2 gardiennes qui se relayent, toutes les deux aussi seules et peu passionnées par ce travail routinier.

C'est la description d'une capitale en pleine rénovation et mais aussi de la situation des femmes de cet époque. Sous prétexte de leur offrir la sécurité, on les enferme en fait dans des petits studios, avec douches et cuisines commune sur le palier. Ces femmes, sur lesquels l'autrice pose un regard à la fois amusé et ironique, vont s'imaginer des choses sans réelles importances, alors que des faits plus graves ont été commis dans le plus grand secret. Il faut bien sur attendre l'épilogue pour le dénouement des 7 intrigues, les unes totalement futiles et 3 autres un peu moins.

La solitude, l'absence totale de sororité – sauf quand cela arrange l'une des héroïnes, renvoie l'image d'un pays où les droits de la femme ont bien du mal à percer, et les femmes jugées trop âgées qui sont finalement comme emprisonnées dans la résidence K. Bien sur, elles peuvent sortir faire quelques emplettes, ou des promenades mais elles n'ont pas beaucoup d'argent et les dépenses sont essentiellement consacrées à la nourriture. Pas d'entraide, certaines ne sortent presque jamais, confinées dans des petits logements. Bien sur il faut se replacer dans le contexte et le temps où le livre a été écrit.

A la fois surprenant, d'une écriture précise sans fioriture, parfois cocasse, ce petit livre est une jolie surprise.


Extraits

  • Comme l’avait dit la femme, ce trou était idéal pour enterrer la valise.
    Il lui tendit la lampe de poche avant de commencer à casser à la pelle le ciment dur comme de la pierre de l’un des sacs. Les morceaux s’entassaient sur le sol. Puis il dut faire de nombreuses allées et venues jusqu’au robinet, un petit seau de métal à la main. La conduite d’eau tremblait avec un bruit effrayant. Bientôt, le ciment eut la bonne consistance. La femme ouvrit la valise. La tête de l’enfant, cachée par la couverture, était complètement invisible. La femme prit la pelle, remplit la valise de ciment, puis la referma.
    « On lui a fait un beau cercueil, déclara-t-elle posément, les deux mains sur le couvercle.

  • Le feu était vert pour lui, il voulait en profiter. Juste avant le carrefour, il aperçut du coin de l’œil une femme avec une écharpe rouge qui lui rappela encore les joues des filles de sa terre natale. Est-ce pour cette raison que les pneus de son véhicule glissèrent sur les rails du tramway ? Impossible de le savoir. Mais lorsque le conducteur novice donna un coup de frein, son camion avait déjà dérapé : comme guidé par la main du destin, il fonçait droit sur la femme. La dernière chose qu’il vit avant de fermer les yeux fut son expression ébahie alors qu’elle était projetée contre son pare-brise.

  • Pendant quelque temps, les journalistes amateurs montrèrent aux travestis du quartier d’Ueno la photo du cadavre.

  • Elle habite à la résidence K pour femmes.

  • Mon exaspération n'était pas dirigée contre une personne ou une chose spécifique, mais contre le hasard qui avait voulu que soit modifié le déroulement des opérations. Le hasard, qui n'hésite pas à trahir les plannings soigneusement élaborés par les êtres humains et conduit, avec une complète indifférence, à des situations insensées.
    Cela m'est insupportable, parce que j'ai l'impression que la grandeur de l'âme humaine est piétinée. Ce que l'être humain a décidé en conscience est nécessairement important, même lorsque le résultat qui en découle paraît ridicule.

  • Chacun d'entre nous est le jouet d'une illusion.



Biographie

Née à Tokyo , le 23/03/1933 et décédée le 26 avril 2016, Masaro Togawa est une ancienne chanteuse, actrice, et romancière
Elle est l'une des leaders du roman policier japonais. Le supplément littéraire du Times l'a qualifiée "la P.D. James japonaise".
Elle commença à écrire en 1961 dans les coulisses en attendant de monter sur scène. Elle publiera son premier roman en 1962 ("The master key"). Il remporta le prestigieux prix " Edogawa Rampo".

En savoir plus ici : https://fr.wikipedia.org/wiki/Masako_Togawa

mardi 16 janvier 2024

STEPHANE CARLIER – Clara lit Proust – Galliard 2022

 

 

L'histoire

Clara est une jeune fille sans histoire qui travaille pour un petit salon de coiffure peu fréquenté, malgré la verbe de sa patronne. Elle a un petit ami, JB, pompier et beau gosse qui ne s'intéresse qu'au hard-rock et aux sports. Le dimanche c'est poulet rôti chez ses parents puis balade aussi ennuyeuse que possible, tout comme sa relation avec JB. Mais un jour, un client inconnu du salon de coiffure -  qui a une clientèle d'habitués -  oublie un livre de poche : « Du coté de chez Swann » de Proust. La jeune fille le récupère, et après quelques mois d'attente, elle, qui ne lit pas, ouvre le livre, d'abord déconcertée puis fascinée par l’œuvre du grand écrivain dans lequel elle se reconnaît.



Mon avis

Voilà un livre charmant qui se lit très vite (192 pages) et qui nous confronte à 2 univers.

Il y a le petit salon de coiffure où l'on vit au rythme de la radio Nostalgie, des potins, le tout sous la direction de Madame Habib, ronchonneuse, trop maquillée, avec les coiffeurs. Nolwenn qui parle peu et commet quelques bourdes, Patrick, un fan de mangas qui est le meilleur coiffeur du salon mais qui ne travaille que le samedi et  Clara discrète qui ne veut fâcher personne. Elle mène un petite vie qui se résume à ses trajets de bus pour aller au salon, une relation déclinante avec son bellâtre de copains qui ne s'intéresse qu'aux sports et au hard rock et les traditionnels déjeuners du dimanche midi avec le sempiternel poulet rôti, la petite balade et les discussions sans intérêts de ses parents. Bref une jeune femme comme il en existe des milliers.

Mais voilà, un client oublie un jour un livre de poche « Du coté de chez Swann » et Clara le récupère discrètement. Avant de l'ouvrir, il se passera un peu de temps. Car Clara ne lit pas beaucoup. Et Proust au début c'est quand même une écriture qui n'est pas facile. Mais, avec de la patience, l'aide d'un dictionnaire, Clara se retrouve dans les mots du célèbre auteur de «  A la recherche du temps perdu ». Encouragée par une cliente-amie, Clara va lire les sept volumes, en se trouvant des affinités avec l'auteur, et cela va totalement bouleverser sa vie.

Roman initiatique, roman aussi sur le charme que la littérature peu avoir sur nous, ce livre est absolument charmant. De plus, avec humour, l'auteur distille quelques exercices de style, et cite quelques extraits de « la Recherche ».

Dans mon adolescence, j'avais passé un été à lire « A la recherche du temps perdu », les longues vacances estivales permettant de lire des « gros livres ». Si je ne me souviens plus très bien de tous les détails, mais j'avais aimé la finesse de son analyse psychologique, et l'observation méticuleuse de la société de son temps. Un bel hommage lui est ici rendu, alors que Proust, avec ses longues phrases, sa ponctuation indécise n'est pas le plus facile à lire des écrivains.

Mais reste le pouvoir magique des livres qui peuvent vous faire changer de vie, d'opinions, vous faire voyager, vous entraînez sur des chemins inattendus. Plein de tendresse, d'humour et d'une belle écriture, ce livre plaira aux amateurs de littérature.


Extraits

  • Marcel [Proust] n’a pas son pareil pour réconforter son lecteur esseulé. D’abord en le rendant plus intelligent, ce qui n’est pas rien, et aussi en lui faisant réaliser que l’amour n’existe pas, qu’il n’est qu’une fabrication de notre cerveau en réponse à notre frustration existentielle, à notre terreur de l’abandon, que la personne qu’on croit aimer n’a rien à voir avec qui elle est réellement, on la désire parce qu’elle nous échappe mais que, une fois qu’on l´a, on ne comprend même plus ce qui nous la faisait désirer, qu’on est de toute façon irrémissiblement seul, et qu’ainsi donc, en amour, on ne fait jamais que souffrir le martyre ou s’ennuyer comme un rat mort.

  • Plus on le lit, plus on l'aime, tu as remarqué ? - C'est vrai, dit Clara. C'est parce qu'on se fait à son rythme. Au début, on est là, Je comprends pas, cette phrase devrait s'arrêter et elle continue, mais c'est parce qu'on le lit trop vite, c'est une erreur. Il faut prendre son temps, faire des pauses. Maintenant, quand je le lis, j'ai l'impression de l'entendre me parler. - Une vraie proustienne...Et son humour, tu as remarqué comme il est drôle ? - Oui ! C'est très visuel, on est vraiment dans un film par moments. Quand il descend de son fiacre parce qu'il a vu une fille sur le trottoir et qu'il tombe sur la Verdurin qui croit que c'est pour elle qu'il a accouru.- C'est merveilleux ! Tu vas voir, c'est de plus en plus drôle. Tu as commencé Le côté de Guermantes ?- Oui, j'ai lu le début que j'ai adoré mais je me suis arrêtée pour relire Un amour de Swann. Je ne sais pas pourquoi j'ai eu envie. - Ça arrive avec ce grand livre. On éprouve souvent le besoin de revenir en arrière. Sans doute pour être sûr qu'on n'a rien loupé.

  • À la lecture de ces pages, quelque chose d’un peu magique s’est passé qui, pour la première fois, lui a laissé penser que les livres pouvaient être meilleurs que la vie.

  • Marcel devenu adulte boit une gorgée de tisane au tilleul dans laquelle il vient de tremper une madeleine et quelque chose d'extraordinaire monte en lui, reprend vie. "Toutes les fleurs de notre jardin et celles du parc de M. Swann, et les nymphéas de la Vivonne, et les bonnes gens du village et leurs petits logis et l'église et tout Combray et ses environs, tout cela prend forme et solidité, est sorti, ville et jardins, de ma tasse de thé. "

  • Elle n'est pas peu fière : elle lit A la recherche du temps perdu. Elle en est capable. Ce n'est pas rien. Anaïs ne pourrait pas lire A la recherche du temps perdu. Nolwenn, n'en parlons pas. Et le fait que c'est arrivé comme ça, par hasard et seulement par curiosité, contribue au sentiment de triomphe qui grandit en elle.

  • Et puis c’est une histoire édifiante. Ils ne sont pas nombreux, ceux qui se réinventent. On prend généralement pour argent comptant la version de la réalité qu’on nous présente en premier, on s’abstient de la questionner par manque d’audace, parce que c’est plus facile, plus confortable et, ce faisant, on vit la vie imparfaite et frustrante de quelqu’un qui ne nous ressemble que de loin.

  • Plus elle le lit, mieux elle le comprends. Il n’emploie pas de mots compliqués, c’est juste que ses phrases, souvent, vont voir ailleurs. Une fois qu’elle le sait, qu’elle a compris qu’il ne l’abandonne pas mais reviendra la chercher, ça va tout seul.

  • Se peut-il que tout ne soit chez l’homme que mensonge, hypocrisie, médiocrité ? Que la vie ne soit qu’une comédie des apparences à pleine plus plaisante qu’un reflux gastrique ? Que rien ne soit jamais à la hauteur du désir qui le précède ? Que le seul salut possible, la seule expérience envisageable de bonheur se trouve dans les œuvres d’art ?

  • Entendre sa voix de lectrice lui donne l'impression de retrouver une amie très chère. Une chaleur se diffuse en elle, une force, le sentiment que, quand elle lit aux autres, à haute voix, rien de grave ne peut lui arriver. Elle est faite pour ça, pour faire entendre la musique des mots, il ne faut plus qu'elle en doute.

  • Ce livre est si vaste, il aborde tellement de questions qu'il est quasiment impossible quand on lit de voir le monde autrement que par son prisme. La moindre chose devient proustienne. Une grappe de glycine, le violet de ses fleurs sur le vert de ses feuilles. La poussière en suspension dans une lame de lumière traversant une pièce sombre.

  • Proust, ce n’est pas difficile, c’est différent. Mais bon, il pourrait quand même aller à la ligne plus souvent.

  • A chaque fois , elle souligne la phrase ou dessine un petit cœur juste en face dans la marge.


Biographie

Né à Argenteuil, Val d'Oise , le 31/08/1971 Stéphane Carlier suit une hypokhâgne et une maîtrise d'Histoire à Paris IV, il est pigiste dans diverses rédactions parisiennes (France-Soir, Gala, L'Express). En 1996, il entre au ministère des Affaires étrangères qui l'affecte aux Etats-Unis, où il passe dix ans (New York, Los Angeles, Palm Springs) puis en Inde, à New Delhi. A son retour, il passe deux ans et demi à Lisbonne avant de s'installer en Bourgogne, où il réside aujourd'hui.
Afin que son patronyme n'influence pas les éditeurs, il signe son premier roman Antoine Jasper et l'envoie par la poste, depuis Los Angeles, où il vit à l'époque. Sylvie Genevoix, alors éditrice à Albin Michel, est la première à le contacter.
Son troisième roman, Les gens sont les gens, paru en 2013, est sélectionné pour le Prix Orange du Livre. Les droits sont optionnés pour le cinéma, tout comme ceux des "Perles noires de Jackie O." et d'"Amuse-bouche".
Il envoie "Le Chien de Madame Halberstadt" aux éditeurs par la poste, sous le nom de Baptiste Roy. Quatre d'entre eux se montrent intéressés, dont le Tripode, qui le publie en 2019 avec un certain succès (17 000 exemplaires écoulés).
Son huitième roman, "Clara lit Proust" (également envoyé par la poste) est publié par Gallimard, dans la collection blanche, en septembre 2022. Fin janvier 2023, plus de 30 000 exemplaires sont écoulés et sept traductions en cours (Italie, Allemagne, Espagne, Brésil, Grèce, Roumanie, Bulgarie).

En savoir plus : https://fr.wikipedia.org/wiki/St%C3%A9phane_Carlier



jeudi 11 janvier 2024

David SAFIER – Sacrée famille – Presse de la cité 2012 -

 

 

L'histoire

Emma Wünschmann a sacrifié sa carrière prometteuse dans l’édition pour se consacrer à ses enfants. Un choix qu’elle regrette aujourd’hui. En effet, la librairie jeunesse qu’elle possède à Berlin périclite, et sa famille ne se montre pas d’un grand soutien. Sa fille adolescente a honte d’elle, son fils vit reclus dans ses livres. Quant à son mari, il se montre très fatigué ces derniers temps…
Lorsqu’un ancien collègue lui demande d’accueillir dans sa librairie la célébrissime Stephenie Meyer, Emma y voit l’occasion de relancer son commerce. Malheureusement, la rencontre préliminaire avec l’auteur se passe très mal. Alors qu’Emma et sa famille, tous déguisés en monstres pour l’occasion, sont sur le chemin du retour, ils ont le malheur de croiser une étrange vieille dame qui leur jette un sort : chacun se retrouve propulsé dans la peau du personnage dont il porte le déguisement – momie, la créature de Frankenstein, loup-garou ou vampire. Afin de briser le sortilège, il leur faut retrouver la vieille femme. Mais, pour cela, ils vont devoir développer l’esprit d’équipe !


Mon avis

Qui a dit que les auteurs allemands n'avaient pas d'humour ? David Safier nous démontrer le contraire, avec une hisoire complèment loufoque, d'une famille où chacun se déteste comme il se doit. Mais alors que la maman oblige tout le monde à se déguiser sur le thème « créatures d'horreur » pour une soirée importante pour elle, une vieille femme leur jette un sort. Ils seront les personnages qu'ils incarnent dans leur déguisement, jusqu'à la retrouver.

Loufoque à souhait, pour ne pa dire totalement déjanté, cette drôle de quête ne masque pas la tendresse sous-jacente que l'auteur porte à la famille, mais aussi aux valeurs que sont l'altruisme, la bienveillance et la solidarité.

Evidemment, le style est tout aussi hilarant que l'histoire improbablle qu'il nous concote, sorte de conte malicieux pour grands enfants.

La narration alterne les voix des différents membres de cette famille en crise, mais cela ne gêne en rien la lecture, tant les personnages nous « ressemblent ». Quelle mère n'a pas eu envie d'envoyer au diable ses rejetons trop insolants ? Quel ado ne s'est pas fait son petit trip rebelle ? Mais dans l'adversité, finalement tout le monde va faire front commun.

Même si il y a quelques longueurs, on s'amuse énorment devant ces personnages qui quelque part nous ressemblent, avec leurs défauts (la mère qui veut tout contrôler, l'ado addict à son smartphone, le petit frère taciturne mais qui ne loupe pas une occasion de tacler sa sœur, et le mari un peu effacé et stressé par son travail. Cela pourrait faire cliché, mais c'est tellement hilarant qu'on oublie cela. Un bon moment de lecture.


Extraits

  • Je n'avais toujours pas compris pourquoi certains ados commençaient à fumer de l'herbe à la puberté, alors que c'était plutôt les parents qui en avaient besoin pour surmonter cette étape de l'existence.

  • Ce que la prof principale de Fée m'avait expliqué devait être vrai : à la puberté, les synapses se réorganisent entièrement dans le cerveau des adolescents. En traduction, cela signifiait qu'on pouvait leur accrocher sur la tête une pancarte portant l'inscription : "Fermé pour travaux".

  • La première fois que, chez le médecin, j’ai vu à l’échographie la petite chose flottante qui poussait dans mon ventre, j’en ai eu chaud au cœur. Profondément émue, j’ai tendu le doigt vers l’écran en murmurant : « C’est tellement beau. » Et j’ai été à peine déstabilisée quand le médecin m’a répondu : « Ça, c’est votre vessie. »

  • Ah, ils grandissent trop vite ! Et plus on vieillit soi-même, plus on a l'impression que quelqu'un a appuyé sur le bouton "avance rapide" de notre vie.

  • Elle préférait manger la nourriture macrobiotique qu'elle avait emportée - cela ressemblait un peu à ce qu'on donnait aux détenus dans les prisons thaïlandaises. Pour crépir les murs.

  • Si tu me comprends, agite ta queue. (Une phrase qu'aucune mère n'aurait pu dire de bon cœur à son fils.)

  • Crétin !... Amibe !... Zigounette ! - Tu commences à manquer d'objectivité, observa Dracula. - P'tite zigounette ? - Cette fois, tu n'es plus du tout objective, et c'est totalement hors de propos, fit-il d'un ton offensé. Les mots pouvaient donc l'atteindre malgré tout. Tant mieux ! - Minicalifragilisticexpialidocieux zi...

  • Connais-tu ce proverbe indien : « Plus on aime quelqu’un, plus on a envie de le tuer » ? me demanda mon employée. Et je me dis : La vache, qu’est-ce que je dois aimer ma famille !

  • Je pouvoir transformer toi parce que tu étais vulnérable, parce-que tu étais dans moment de malheur. - Et seul un instant de bonheur peut réparer cela.


Biographie

Né à Brême , le 13/12/1966, David Safier est un écrivain allemand.
Après le lycée, il étudie d'abord le journalisme. Depuis 1996, il travaille comme scénariste et romancier.
Il s'est imposé dans le monde littéraire avec son premier roman, "Maudit Karma" ("Mieses Karma", 2007), qui devient un best-sellers en quelques semaines.
Il a publié quelques romans, tous traduits en français. En 2003, il reçoit le Prix Adolf Grimme dans la catégorie des fictions et de divertissement pour la série "Berlin, Berlin". Il vit et travaille à Brême.En savoir plus : https://fr.wikipedia.org/wiki/David_Safier et son site : https://www.david-safier.de/



GRAIG JOHNSON - A vol d'oiseau – Gallmeister 2016 (ou Totem poche)

 

 

L'histoire

Le célèbre shérif Walt Longmire assiste avec son comparse Henry Standing Bull à la chute d'une jeune femme, qui entraîne sa mort. Mais plus surprenant, un petit bébé de 6 mois emmailloté a survécu à la chute. Une enquête en pleine réserve Cheyenne du Montana ou notre shérif doit composer avec la fort jolie mais peu amène chef de la police tribale Lolo Long.


Mon avis

Lire un Craig Johnson, c'est comme déguster un délicieux chocolat ou votre gourmandise préférée. Parce que c'est drôle, sans répit et avec le style inimitable de l'auteur qui publie régulièrement des enquêtes de son héros favori. On retrouve bien évidemment sa tribu : Cady, « la prunelle de ses yeux » qui va se marier et veut célébrer son mariage en territoire indien, Henri Standing Bear l'ami de toujours, surnommé « la nation Cheyenne » et son assistante préférée Vic, dite the killer, la femme qui roule à 300 km/h et tire plus vite que son ombre. Et bien sur Le chien, une énorme boule de poils, un brin alcoolique, et surtout capable d'attaques féroces avec ses 70 kilos poids de forme.

Ici, notre Shérif, même si il est loin de son comté d'Absaroka, connaît tout le monde dans la réserve. Mais il doit composer avec la toute jeune chef de la police tribale, Lolo Long, une jeune femme qui a fait l'armée, arrête illico tout suspect sans autre procédure, et roule dans sa ranger rutilante à une vitesse défiant les lois de la gravité.

Il faudra toute la patience de Longmire pour aider la jeune femme à devenir une bonne policière et mener une enquête qui nous promène des hautes crêtes du Montana aux braconniers de cerfs (ce qui est interdit) et autres rencontres plus ou moins plaisantes.

Comme d'habitude, les coutumes indiennes notamment Cheyennes sont expliquées. Craig Johnson qui, dans sa vie, côtoie les amérindiens de différentes ethnies (Cheyennes, Crows etc) refuse d'employer le terme politiquement correct de « native américan people », en nous expliquant que ce mot fait bien rire les ethnies indiennes qui préféraient un peu moins de correct et un peu plus de moyens pour vivre dans une région difficile où les ressources sont captées par les blancs. Comme toujours Johnson défend toujours les ethnies indiennes, même si un meurtrier peut se trouver parmi eux. Et c'est aussi pour cela qu'on l'aime, sa fidélité sans faille à ses amis qui lui racontent leurs vies sur les différentes réserves indiennes du Montana.

Une enquête menée tambour battant par le duo Longmire et Long, qui se finit par le joli mariage de sa fille, dans le lieu de ses rêves.


Extraits

  • Le diazepam est utilisé pour traiter les spasmes musculaires , les épilepsies et autres effets secondaires de l'addiction à l'alcool . Le baclofen a les mêmes indications , mais plus précisément pour contrôler les spasmes . La tizanidine est un relaxant musculaire , comme le dantroléne . L'oxybutinine est un anticholinergique qu'on utilise pour soulager les difficultés du système urinaire et de la vessie , et la prégabaline est un anticonvulsif . [...] La personne qui prend ces médicaments de façon régulière pour que ce soit gravé dans un bracelet médical , est dans un tel état , qu'elle peut à peine tenir debout , encore moins pousser quelqu'un du haut d'une falaise .[...]. Mais elle pourrait envisager de sauter .

  • Je ne savais pas que vous travailliez le dimanche les gars.
    Il enleva ses lunettes de soleil et nous contemplâmes tous deux le jour splendide. — Ni la pluie ni la neige … — Çà, ce sont les services postaux. (Je réfléchis quelques instants et citai :) «Ni la neige, ni la pluie, ni la chaleur, ni la nuit n'empêchent jamais que chacun d'eux ne fasse, et le plus vite possible, la course qui lui est assignée.» — Ouah, je crois que je n'avais jamais entendu la phrase entière.Je hochai la tête. — Ils l'ont volée à Hérodote, qui parlait des courriers persans à cheval du temps de la guerre entre les Grecs et les Perses, aux environs de 500 avant J.-C. Il secoua la tête incrédule. — Vous êtes sûr que vous êtes shérif ?

  • Elle avait été une beauté à une époque, mais les années et le dur labeur l'avaient éreintée ; Lucian aurait dit, on ne peut pas les faire labourer le vendredi et danser le samedi.

  • Avec un peu de chance , il est vraiment bourré et inconscient , ce qui est préférable à un peu bourré .

  • Ouais, je sais. Personne n'était au courant , surtout pas moi . Pourquoi en informer le putain d'agent responsable de l'enquête ? - Je le jure , mon titre devrait être l'Agent-qui-n'-a-pas-la-moindre-idée-de-ce-qui-se-passe-bordel.

  • Difficile à dire. Henry et moi avons vu une femme tomber du haut d'une falaise, et nous essayons de decouvrir qui a pu faire ça. - Isaac Newton ?

  • La bibliothécaire de l'université est méchante . Je n'aime pas avoir affaire à elle , elle a l'Alzheimer indien . Mm, oui, c'est bien vrai .[...]- Que veux tu dire , Lonny ? - C'est quand on oublie tout sauf les rancunes.

  • Les écoles de la réserve étaient systématiquement classées comme les pires de l'État. Le salaire offert aux professeurs n'était pas ridicule, mais le taux de renouvellement du personnel était épouvantable et l'absentéisme, endémique.

  • Le Jimtown Bar n'a rien d'impressionnant en soi ,[...] .
    Les deux mots d'ordre du lieu , qui étaient brodées à l'arrière de casquettes vendues en souvenir , avaient toujours été TOURNEES ET DEROUILLEES TOUS LES SOIRS, ET SOIREE SPECIALE LE VENDREDI , CANARDE , POIGNARDE , ou VIOLE , au choix .

  • On voit rarement la promesse de l'homme chez un garçon, mais on voit presque toujours la menace de la femme chez la fille. Et parfois, la menace n'est pas anodine.

  • Jusqu'à cette année, la contribution officielle de Lonnie au gouvernement tribal s'était limitée à des siestes pendant le conseil. Un mois auparavant, lorsqu'on avait découvert que le précédent chef était coupable de détournements de fonds au bénéfice d'un compte privé appartenant à sa fille, une réunion d'urgence avait été convoquée. Comme, une fois de plus, Lonnie s'était endormi, il avait été incapable de se défendre et le conseil avait unanimement voté pour qu'il devienne le nouveau chef.

  • On apprend beaucoup de quelqu'un en examinant son bureau , même s'il n' y a rien posé dessus


Biographie

Né Huntington, West Virginia , le 12/01/1961, Craig Johnson est un écrivain américain, auteur d'une série de romans policiers consacrés aux enquêtes du shérif Walt Longmire.
Il obtient un doctorat d'études dramatiques et se balade pas mal à travers les États-Unis. Il devient successivement pêcheur professionnel, chauffeur routier, charpentier et cow-boy. Il enseigne également à l’université et fait un temps partie de la police de New York, avant de se consacrer pleinement à l’écriture.
Par la suite, il obtient un doctorat d'études dramatiques et se balade pas mal à travers les États-Unis. Il devient successivement pêcheur professionnel, chauffeur routier, charpentier et cow-boy. Il enseigne également à l’université et fait un temps partie de la police de New York, avant de se consacrer pleinement à l’écriture.
Outre la série Walt Longmire, il a publié une dizaine de nouvelles isolées et recueils de nouvelles. Longmire a été adaptée à la télévision américaine sous le titre Longmire, avec l'acteur australien Robert Taylor dans le rôle-titre.
Il vit avec son épouse Judy, dans les contreforts des Bighorn Mountains, dans le Wyoming.

Craig Johnson est lauréat de nombreux prix littéraires, dont le Tony Hillerman Mystery Short Story Contest pour la nouvelle "Un vieux truc indien", le Prix NouvelObs/BibliObs du Roman noir étranger, 2010 pour "Little bird" ou encore le prix Critiques Libres 2013 dans la catégorie Policier - thriller pour "Le Camp des morts".


samedi 6 janvier 2024

MARIA HUMMEL – Le musée des femmes assassinées – Actes sud ou Babel poche 2020

 

 

L'histoire

Le Roques, le musée d'Art contemporain de Los Angeles est en ébullition. Le vernissage de l'artiste peintre Kim Lord, une jeune femme qui défraye souvent la chronique doit y présenter 11 toiles qui représentent 11 féminicides (soit la restitution en peinture de la scène de crime, soit des images de la victime, sur à chaque toile, la jeune artiste glisse un autoportrait d'elle. Hors le soir du vernissage, où toute l'intelligentsia, les artistes, collectionneurs et autres est présente, Kim Lord ne se présente pas, mais laisse une lettre au controversé directeur du Musée dans laquelle elle fait don de ses 11 toiles. Coup de pub ? Caprice d'une artiste qui bouleverse les codes ? Mais les jours passent et la star montante des arts, alors que l'exposition bat son plein est toujours absente. Maggie, la rédactrice des catalogues du musée se met à enquêter de son coté...


Mon avis

Maria Hummel qui a déjà publié des poèmes et 2 romans se lance dans le polar et le polar féministe.

Elle commence très fort par la description de son artiste, une jeune femme de 23 ans, qui s'empare des féminicides en les représentant (et se représentant aussi parfois dans certains tableaux). Scènes de crime reconstituées à partir des photos qu'elle a récupéré, ou à défaut portrait des ces femmes qui ont défrayé en leur temps la chronique lors des ces faits divers atroces, mais aussi héroïnes de fiction, puisqu'elle met en scène la victime du roman de James Ellroy « Le Dahlia Noir ». Avec un réalisme cruel, et une scénographie bien étudiée par le musée, l'exposition est supposée faire réfléchir le public à la violence et notamment les violences faites aux femmes.

Mais alors que l'exposition bat son plein, la jeune peintre, habituée aux scandales a totalement disparu. Connaissant son caractère affirmé, aussi bien dans ses créations que dans la vie, son entourage ne s'inquiètent pas trop. Son absence au vernissage est-il un coup de pub ? Elle lègue toutefois l'ensemble des 11 tableaux au Roques Muséum, une aubaine pour ce musée qui connaît des problèmes financiers et dont le nouveau directeur se réjouit. D'autant que l'exposition est un succès, le tout Los Angeles se presse pour découvrir, critiquer ou encenser l'artiste.

Mais voilà Kim Lord ne réapparaît pas et il semble impossible que la jeune artiste prometteuse se soit enfuie. Il faut tout de même atteindre la page 289 soit après avoir lu les 2/3 du roman que Kim Lord a été assassinée ainsi que l'enfant qu'elle portait.

Que se passe-t-il avant la découverte du corps. La police a mené une enquête, mais de son coté Maggie, la narratrice aidée par un détective privé, mènent aussi leur enquête.

Le milieu de l'art, ses compromis et les petites magouilles des collectionneurs privés sont bien exposés, mais hélas fagocités par la propre histoire personnelle de Maggie, ses souvenirs avant de venir s’installer à LA, avec son amoureux de l'époque qui se trouve aussi être l'amant actuel de Kim Lord. Un bon tiers du roman se noie donc dans la vie de Maggie, ses émotions, son passé, ce qu'elle veut faire de sa vie et masque donc le sujet principal qui semblait important : pourquoi a-t-on tué cette jeune artiste ? Y a-t-il un rapport avec son art dérangeant et la fascination morbide qu'il suscite ?

Il faut encore attendre une trentaine de pages pour que l'enquête soit résolue et bouclée. Et l'autrice en se focalisant sur Maggie, la narratrice, passe à coté de son sujet : pourquoi les scènes violentes et les crimes nous passionnent-il ? Où est passée l’empathie pour la victime ?

Si ce polar se veut féministe en dénonçant des féminicides et la mort de Kim Lord, la fin brouille aussi le message. Reste des descriptions assez intéressante de la Cité des Anges, loin des clichés de Sunset Boulevard, des studios Hollywood, mais une ville plus confidentielle, faite de petits restos, de petites places où il fait bon vivre.

Bref un avis très mitigé par ce polar dont l'écriture est assez monotone aussi. Peu ou pas beaucoup d'humour, pas d'émotions assez fortes pour susciter l'intérêt.


Extraits

  • Après les inquiétudes concernant la soirée et son refus de participer au catalogue de Natures mortes, je commence à penser qu'elle a de bonnes raisons de ne pas parler de son passé. On sent en elle une histoire de violence. Nous avons peut etre en commun plus que ce que je ne le pensais.

  • Nous sommes tellement différentes, parfois je me demande ce qui nous unit. Est-ce seulement ce moment de jeunesse prolongée ? Parce que nous ne savons pas comment vieillir ? Ou pourquoi nous le devrions ? Aucune de nous n'est mariée, ni mère, aucune n'a grimpé assez haut dans sa carrière, aucune n'a moins de trente ans. A cet âge, nos propres mères élevaient déjà leurs enfants, et leurs amies encore célibataires choisissaient pour la plupart dans une liste assez courte d'occupations : enseignante, infirmière, secrétaire ou religieuse. Notre génération sait - nous le savons depuis l'enfance - que nous pourrions être n'importe qui. Nous sommes des pionnières dans cette nouvelle ère que le féminisme et le contrôle des naissances ont ouverte : libre sexuellement, sans le fardeau des enfants, capables de payer nous-mêmes. Nous n'avons pas exactement besoin des hommes, ils le comprennent et, qui sait, comptent dessus, d'une façon qui était inconcevable pour leurs pères.

  • Je me souviens d’une déclaration de Kim Lord au sujet de la peinture, le médium qu’elle a choisi pour s’exprimer : le Tueur des Femmes esseulées, le Rôdeur nocturne, le Dormeur macabre - on donne aux monstres de Los Angeles des surnoms très évocateurs. Dans le même temps, leurs victimes ressemblent à des mannequins. Il y a ce vernis de glamour sur leur souffrance et leur humanité, a-t-elle dit.

  • Avant longtemps le ravissant minois d’une énième femme assassinée apparaîtra à côté de celui de Laci, et celle-ci s’effacera pour rejoindre à son tour la toile de fond des autres victimes d’homicide. Nous qualifierons son cas de résolu ou non résolu, comme si connaître l’identité du meurtrier expliquait pourquoi elle a vu sa vie abrégée. Au final la raison de sa mort deviendra le cadre de toute son existence, et non pas le nombre infini de raisons pour lesquelles la défunte méritait de vivre.

  • Je ne comprend pas encore ces interprétations, mais j'ai une vague idée de ce que Kim cherchait à accomplir. Bonnie Lee Bakley a misé sur son physique toute sa vie, et la progression des portraits me rappelle que vieillir a dû la terrifier. Je me souviens d'une déclaration de Kim Lord au sujet de la peinture, le medium qu'elle a choisi pour s'exprimer : "le Tueur des Femmes esseulées, le Rôdeur nocturne, le Dormeur macabre - on donne aux monstres de Los Angeles des surnoms très évocateurs. Dans le même temps, leurs victimes ressemblent à des mannequins. Il y ce vernis de glamour sur leur souffrance et leur humanité, a-t-elle dit. La photographie en est partiellement responsable, je pense. C'est un moyen de communiquer l'immédiateté, qui ne capture que l'éclat à la surface des choses et des gens. C'est pour cette raison que j'ai voulu peindre ces femmes

  • Peut-être que les amitiés les plus précieuses naissent avec l'admiration. C'est vrai en ce qui concerne mes sentiments envers Yegina. Ce même jour où j'ai été prise de panique quand j'ai pensé à mon avenir insondable dans cette ville, elle m'a rappelé toute la valeur qu'il y a d'appartenir à quelque chose de plus grand que soi-même.

  • Bas Terrant est le nouveau directeur du musée. Yegina a en horreur son zèle de blondinet BCBG et sa volonté de publicité tous azimuts pour faire du Rocque une “destination incontournable” plutôt qu’un musée. Étant donné que Yegina a passé sa vie entière à mépriser les masses, et qu’elle se définit sans complexe comme élitiste, elle a failli en venir aux mains avec Bas quand il lui a parlé de son programme d’expositions et du créneau où elle pourrait insérer une nouvelle idée “populaire”, L’Art de la course automobile.

  • Peut-être aussi qu’à ce moment j’ai senti à quel point j’avais été naïve au sujet de Los Angeles. J’étais venue ici avec l’idée que la métropole ensoleillée serait pour moi le catalyseur d’un nouveau départ, au lieu de quoi les possibilités vertigineuses quelle offrait me tétanisaient.

  • Je suppose que nous nous doutions de ce qui allait arriver avec cette exposition : elle allait nous mettre en avant, et mettre en avant l'anxiété oppressante de la plupart des femmes due à notre vulnérabilité fondamentale, une peur aussi rationnelle qu'irrationnelle, comme celle née de pas qu'on entend derrière soi en pleine nuit, et qui les amplifie cent fois. Mais nous avons caché notre inquiétude sous l'excitation d'une expo à succès.

  • L'important, c'est que je ne sais pas vraiment, et vous non plus. Nous ne savons que ce que nous voyons, et ensuite nous laissons parler notre intuition...
    Il appuie délibérément sur ce dernier mot.
    Mais ce qui est intéressant avec l'intuition, reprend-il, c'est à quel point elle nous en apprend peu sur le monde extérieur, et ce qu'elle révèle sur nous-mêmes. Vous pensez qu'il est en train de la plaquer, moi qu'il lui doit de l'argent pour son enfant. Nos théories en révèlent beaucoup sur nous-mêmes.

  • La peinture s'épaissit et s'amincit différemment autour de chacun des sujets, mais les expressions des femmes possèdent toutes cette précision inquiétante qui donne la chair de poule, comme si on les avait nettoyées. Elles observent les salles. Fixement. La ressemblance apparaît soudain aveuglante -la façon dont Kitty est également Roseann qui est également Gwen qui est également Roseann qui est également Kim. Toutes sont Kim. Dans chacune des peintures existe une femme morte -identifiée par sa coiffure, la couleur de ses yeux, ses vêtements et son attitude- mais aussi, inexplicablement, Kim Lord revêtant cette mort, à la manière dont les chamans des temps anciens mettaient en scène la mort.


Biographie

Maria Hummel est une écrivaine américaine.
Son recueil de poésie, House and Fire, a remporté le prix APR / Hickman First Book 2013.
Elle a écrit trois romans : Still Lives (le musée des femmes assassinées, Motherland et Wilderness Run.

Elle est secrétaire d'édition au Museum of Contemporary Art (Moca) de Los Angeles. Son site :https://mariahummel.com/



vendredi 5 janvier 2024

ANNE DHOQUOIS – Le mâle est fait – Editions des Arènes – 2023

 

L'histoire

A Paris, un homme est retrouvé assassiné dans son appartement. Quelques jours plus tard un autre homme est retrouvé poignardé de 10 coups de couteaux. Puis à Toulon, un journaliste en vue est retrouvé mort, empoisonné. Point commun de ces trois meurtres, les victimes qui ne se connaissaient pas entre elle sont retrouvées sans sous-vêtements. Certains éléments des trois dossiers font penser au Capitaine Sterling que les meurtres pourraient bien avoir été commis par une ou des femmes. Hors les suspectes ont toutes un alibi, et l'enquête n'avance pas.

Par ailleurs, l'autrice nous compte l'histoire de trois autres femmes qui ont toutes un point commun : elles sont moches, trop grosses, et sont objets de vexations notamment des hommes qui les rejettent.


Mon avis

Voilà un polar jubilatoire et amusant que nous livre Anne Roquois, et qui prolonge à sa façon les mouvements « me-too » et « balance ton porc ».

Sauf qu'ici les solutions sont plutôt radicales. De plus, pour brouiller un peu plus le lecteur, l'autrice insère une autre histoire de femmes malmenées en raison de leur physique (que l'on pourrait croire les suspectes des trois meurtres) mais qui ne le sont pas. Car les trois meurtrières ont le point commun d'avoir été trompées par leur mari ou compagnon.

Le tout mené tambour battant avec une écriture amusante. La fin est aussi très amusante, je ne spoile pas. Évidemment ici, on parle de ces femmes trompées, battues, méprisées, qui ont décidé qu'on est jamais aussi bien servies que par soi-même. Mais l'autrice introduit aussi des thématiques comme l'islam radical, la solitude, la dépression, mais ce n'est pas le thème principal du livre, juste des caractéristiques de certains personnages. Si la série des 3 meurtres trouve une solution in extremis, on ne peut s'empêcher de ressentir une forme d'empathie pour Nadia et ses deux copines : des femmes qui ne correspondent pas aux critères de la beauté dictées par les magasines, la publicité et qui du coup se heurtent aux remarques désobligeantes aussi bien des jolies filles mais surtout des hommes. Des relations durables avec un compagnon aimant leur sont comme interdites. Bien évidement l'écrivaine exagère un peu mais combien de jeunes filles deviennent anorexiques ou font des régimes yoyo pour tenter d'avoir l'image séduisantes qu'elles voudraient montrer à la société.

Mais jamais l'autrice ne tacle le patriarcat ou les hommes en général (à l'opposé d'une Virginie Despentes). Le Capitaine Sterling son héros est un homme charismatique et entouré d'une équipe soudée composée de femmes et d'hommes qui font juste leur travail et apprécient leur chef, qui les laisse prendre des initiatives.

Nous ne sommes donc pas dans une guerre des sexes mais dans un polar amusant, qui fait écho à l'actualité mais sans se prendre totalement au sérieux.

Il plaira aux lectrices mais aussi aux lecteurs, car la psychologie féminine est bien exploitée et le tout se lit presque tout seul. Les citations en début de chaque chapitre sont aussi très bien trouvées.

 

Extraits

  • Si tu veux avoir la paix, pisse de la copie. Si tu veux avoir la guerre, pisse de la page blanche." Le capitaine [...] se mit à pisser... ou plutôt à pondre, terme qu'il jugeait plus approprié à cet exercice particulier qu'est la rédaction d'un rapport dont la plume est tenue par un poulet.

  • J'aurais aimé être plus trash et plus rock'n'roll. Or, la personne que vous voyez en moi, infidèle, meurtrière, fille indigne..., ressemble à s'y méprendre à cette vision fantasmée de moi-même. Mais on a beau lutter, difficile de contrecarrer sa nature profonde.

  • dans une époque où la superficialité est reine, raisonner vous rend immédiatement suspecte

  • j'aime les hommes compliqués mais je voudrais qu'ils adoptent des attitudes simples.

  • Le seul moment où une femme réussit à changer un homme, c'est quand il est bébé. Nathalie Wood

  • C'est bien la pire folie que de vouloir être sage dans un monde de fous. Erasme

  • Une femme qui n'a pas peur des hommes leur fait peur. - Simone de Beauvoir

  • Il est plus facile de désintégrer un atome qu'un préjugé. - Albert Einstein

  • Histoire banale : on s'est croisés, on s'est séduits, on s'est aimés, on s'est lassés.

  • On drague souvent plus haut que son cul.


Biographie

Anne Dhoquois est journaliste indépendante, spécialisée dans les sujets "société".
Elle travaille aussi bien en presse magazine que dans le domaine de l'édition (elle est l'auteur de plusieurs livres sur la banlieue, l'emploi des jeunes, la démocratie participative).
Elle fut rédactrice en chef du site Internet Place Publique durant onze ans (1998-2009) et a assuré la coordination éditoriale de la plateforme web Banlieues Créatives (2012-2015), inspirée de son livre "Banlieues Créatives" (2006).
Elle est auteur aux éditions Ateliers Henry Dougier depuis 2014.

son site :https://www.dhoquois.com/